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01/12/2022 | FRANCE | N°22/08932

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 01 décembre 2022, 22/08932


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 01 DECEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08932 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYYV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 20/55150





APPELANTE



LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire de [L

ocalité 5], Mme [B] [N], domiciliée en cette qualité audit siège



[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 01 DECEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08932 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYYV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 20/55150

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 5], Mme [B] [N], domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

INTIMEE

Mme [D] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Julie CONVAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0024

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par exploit délivré le 07 juillet 2020, la ville de [Localité 5] a fait assigner Mme [L] devant le président du tribunal judiciaire de Paris, saisi selon la procédure accélérée au fond, sur le fondement notamment des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, concernant un appartement situé [Adresse 2] (bâtiment A, étage 3, lot n°7).

Par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).

Par jugement prononcé le 18 janvier 2021, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la ville de Paris dans l'attente de la décision de la Cour de cassation, à la suite de la décision prononcée par la cour de justice de l'Union européenne.

Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la ville de [Localité 5] sur le changement d'usage est conforme à la réglementation européenne.

L'affaire a été rétablie à l'audience du 11 mars 2022.

La ville de [Localité 5] a sollicité :

' le rejet des prétentions adverses,

' la condamnation de la défenderesse au paiement d'une amende civile de 50.000 euros dont le produit lui sera intégralement versé,

' que soit ordonné le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sous astreinte de 450 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer, lequel s'en réservera la liquidation,

' la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu selon la procédure accélérée au fond le 13 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

- débouté la ville de [Localité 5] de ses demandes ;

- rejeté le surplus des demandes ;

- condamné la ville de [Localité 5] aux dépens ;

- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.

Le premier juge a considéré que la Ville échouait à démontrer l'usage d'habitation du bien au 1er janvier 1970, première condition de l'infraction.

Par déclaration du 04 mai 2022, la ville de [Localité 5] a relevé appel de l'ensemble des chefs du dispositif de la décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 septembre 2022, elle demande à la cour, au visa des articles 378 et 481-1 du code de procédure civile, L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, de :

In limine litis,

- surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation saisie du pourvoi n°E218101 ;

A titre principal,

- juger la ville de [Localité 5] recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer le jugement du 13 avril 2022 en toutes ses dispositions en ce qu'il a :

' débouté la Ville de ses demandes,

' rejeté le surplus des demandes,

' condamné celle-ci aux dépens,

- juger que Mme [L] a enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation ;

En conséquence,

- condamner Mme [L] à lui payer une amende civile de 50.000 euros ;

- condamner Mme [L] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La ville de [Localité 5] soutient en substance :

- qu'il convient de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation saisie du pourvoi n°D2220492 formé contre un arrêt qui porte sur des faits similaires, sur l'application des mêmes textes et sur la force probante d'une fiche H2 dont la date de souscription est antérieure au 15 octobre 1970 portant mention d'une occupation par le propriétaire, pour démontrer l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 ;

- que l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 est établi par le relevé de propriété, la fiche modèle H2 du 09 octobre 1970 et la liste d'émargement des élections portant mention de M. [Z] [O] domicilié [Adresse 2], qui correspond au nom du propriétaire déclarant de la fiche H2 ;

- que le bien litigieux n'est pas la résidence principale du loueur comme il ressort des éléments suivants : la taxe d'habitation 2019 relative au local [Adresse 2] est adressée à Mme [D] [L] au [Adresse 1] ; d'après les renseignements fiscaux, Mme [L] s'est déclarée en résidence principale dans deux appartements au [Adresse 2] et au [Adresse 1], mais la mise en demeure de la ville de [Localité 5] du 8 janvier 2020 a été adressée et réceptionnée au [Adresse 1], l'assignation a été délivrée au destinataire au [Adresse 1], le bail relatif à l'appartement dont Mme [L] est propriétaire au [Adresse 3] mentionne au titre du bailleur « Mme [L] [Adresse 1] », il en est de même du protocole transactionnel conclu avec son locataire produit par Mme [L], et un des commentaires de touristes mentionne que Mme [L] demeure juste à côté ;

- que le bien a fait l'objet de locations de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile comme il résulte des constatations opérées par la ville de [Localité 5].

Par ordonnance du 11 octobre 2022, la présidente de la chambre saisie de l'appel a déclaré irrecevables les conclusions notifiées par l'intimée le 16 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens de l'appelante, il est renvoyé à ses conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, MOTIFS

A titre liminaire, il doit être rappelé, l'intimée ayant vu ses conclusions d'appel déclarées irrecevables, qu'en vertu des dispositions in fine de l'article 954 du code de procédure civile elle est réputée s'approprier les motifs de la décision entreprise.

Sur la demande de sursis statuer

En application de l'article 378 du code de procédure civile, il peut être sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Une bonne administration de la justice commande de traiter les justiciables de manière égale en statuant sur leur litige en l'état des textes et de la jurisprudence applicables au moment où la cour est saisie.

Tel ne serait pas le cas s'il était sursis à statuer en l'attente de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question en débat de la force probante d'une fiche H2 établie avant le 15 octobre 1970 portant mention d'une occupation par le propriétaire pour démontrer l'usage d'habitation au 1er janvier 1970.

La demande de sursis à statuer sera par conséquent rejetée.

Sur le fond

Sur le rappel des textes applicables, il convient de se référer à la décision de première instance qui en a fait un exposé exhaustif, la cour rappelant simplement :

- qu'en application des articles L.631-7 et L.651-2 du code de la construction et de l'habitation et conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à la ville de [Localité 5] d'établir :

- l'existence d'un local à usage d'habitation, un local étant réputé à usage d'habitation si la preuve est apportée par tout moyen qu'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ;

- un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ;

- que selon l'article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l'habitation, "[...] Lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l'article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986, l'autorisation de changement d'usage prévue à l'article L.631-7 du présent code ou celle prévue au présent article n'est pas nécessaire pour le loueur pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile."

En l'espèce, les parties s'opposent d'abord sur la preuve à apporter par la Ville de ce que le local dont il s'agit est bien un local à usage d'habitation au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, étant rappelé qu'un local est réputé à usage d'habitation au sens de ce texte s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, que cette affectation peut être établie par tout mode de preuve et que la preuve d'une affectation de fait à l'usage d'habitation postérieurement au 1er janvier 1970, date de référence, est inopérante.

Il revient ainsi à la ville de [Localité 5], pour caractériser l'infraction dénoncée de changement d'usage illicite, de démontrer avant tout que le local en cause était bien affecté au 1er janvier 1970 à l'usage d'habitation.

La Ville se prévaut ici d'une fiche H2 établie le 9 octobre 1970, qui selon elle établirait l'usage d'habitation au 1er janvier 1970, étant rappelé que cette fiche a été remplie par les propriétaires dans le cadre de la législation fiscale immobilière.

Elle se prévaut aussi d'un relevé de propriété et d'une liste d'émargement des élections de 1966.

La fiche H2, remplie le 9 octobre 1970, décrit le local comme un appartement à usage exclusif d'habitation de 71 m² et fait état d'une occupation par le propriétaire, M. [Z] [O], sans donc mention d'un locataire et d'un loyer au 1er janvier 1970.

Si ces mentions ont été portées à une date assez proche du 1er janvier 1970, elles ne suffisent cependant pas à établir un usage d'habitation au 1er janvier 1970, étant observé :

- qu'aux termes de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation, le local doit être affecté à un usage d'habitation au 1er janvier 1970, le texte ne posant pas une simple présomption d'affectation à un usage d'habitation ;

- que la mention de l'occupation du bien par le propriétaire ne se réfère pas à la date du 1er janvier 1970 (contrairement à l'hypothèse de la perception d'un loyer au 1er janvier 1970), en sorte que l'occupation par le propriétaire ne peut être considérée comme étant acquise dès le 1er janvier 1970 ;

- qu'au demeurant, comme le souligne d'ailleurs habituellement la Ville de [Localité 5], la preuve à apporter n'est pas celle de l'occupation du bien au 1er janvier 1970 mais de l'affectation du bien à un usage d'habitation à cette date de référence ;

- que de même, si le local est décrit sur la fiche comme étant à usage exclusif d'habitation, cette description ne vaut qu'à la date à laquelle la fiche est renseignée, soit au 9 octobre 1970 ;

- que n'est pas produit le titre de propriété de M. [O], susceptible d'établir que le bien était affecté à un usage d'habitation avant le 1er janvier 1970 ;

- que la liste d'émargement des élections de 1966, qui porterait mention de M. [Z] [O] domicilié [Adresse 2], est visée dans les conclusions mais n'est pas versée au dossier de la Ville et ne figure même pas dans le bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions de l'appelante, en sorte qu'il ne peut être tenu compte de cette pièce pour statuer, à supposer d'ailleurs qu'elle existe bien ;

- que s'agissant du relevé de propriété, mentionnant la lettre H pour habitation s'agissant du bien en cause, il date de 2018 et ne peut donc établir l'usage d'habitation au 1er janvier 1970.

Si la Ville de [Localité 5] soutient que l'établissement de la fiche H2 impliquerait nécessairement un usage d'habitation au 1er janvier 1970, les dispositions invoquées du décret n°69-1076 du 28 novembre 1969 ne permettent toutefois pas non plus une telle déduction (article 38, les déclarations sont établies sur des formules spéciales fournies par l'administration ; article 39, la date de référence de la première révision foncière quinquennale des évaluations foncières des propriétés bâties est fixée au 1er janvier 1970 ; article 40, les formules visées à l'article 38 comportent, à la date de leur souscription, les renseignements utiles à l'évaluation de chaque propriété ou fraction de propriété [...] la date limite d'envoi ou de remise des déclarations est fixées au plus tard en ce qui concerne les biens autres que les établissements industriels au 15 octobre 1970 pour les communes de plus de 5.000 habitants).

La présomption d'usage d'habitation au 1er janvier 1970 telle qu'alléguée ne résulte ainsi ni de ces textes ni, par ailleurs, d'aucun autre texte.

Aucun autre élément probant n'est versé aux débats s'agissant de la preuve de l'usage d'habitation, qui n'apparaît donc pas établi au 1er janvier 1970.

La première condition de l'infraction n'est donc pas remplie et, par suite, l'infraction poursuivie n'est pas caractérisée. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner la seconde condition tenant au caractère de résidence principale du bien litigieux.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la ville de [Localité 5] de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Partie perdante, la ville de [Localité 5] sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de sursis à statuer,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne la ville de [Localité 5] aux dépens de l'instance d'appel,

La déboute de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/08932
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;22.08932 ?
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