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01/12/2022 | FRANCE | N°22/04059

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 01 décembre 2022, 22/04059


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 01 DECEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04059 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFKU5



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Décembre 2021 -Président du TJ de PARIS - RG n° 19/54266





APPELANTE



LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire

de [Localité 5], Mme [Y] [N], domiciliée en cette qualité audit siège



Hôtel de Ville

[Localité 4]



Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 01 DECEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04059 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFKU5

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Décembre 2021 -Président du TJ de PARIS - RG n° 19/54266

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 5], Mme [Y] [N], domiciliée en cette qualité audit siège

Hôtel de Ville

[Localité 4]

Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

INTIME

M. [P] [O] [Z] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Arié ALIMI de la SELEURL Arié Alimi Avocat, avocat au barreau de PARIS, toque : E1899

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle Chopin, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par exploit délivré le 29 avril 2019, la ville de [Localité 5] a fait assigner M. [Z] [M] devant le président du tribunal de grande instance de Paris - devenu tribunal judiciaire de Paris - saisi selon la procédure en la forme des référés, sur le fondement notamment des dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation, concernant l'appartement situé [Adresse 3] (lots n°203 et 455).

Par ordonnance du 19 juin 2019, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la ville de Paris dans l'attente d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne appelée, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 15 nov.2018, n°17-26.156), à apprécier la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article L631-7 du code de la construction et de l'habitation à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Le 22 septembre 2020 la Cour de justice de l'Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18). Le 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, jugeant notamment que la réglementation locale de la Ville de [Localité 5] sur le changement d'usage était conforme à la réglementation européenne.

Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la Ville de [Localité 5] sur le changement d'usage est conforme à la réglementation européenne.

L'affaire a été rétablie à l'audience du 25 octobre 2021.

La ville de [Localité 5] a demandé au tribunal de :

' constater l'infraction commise par M. [Z] [M] ;

' condamner M. [Z] [M] à payer à la ville de [Localité 5] une amende civile de 50.000 euros ;

' ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3] sous astreinte de 95 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer ;

' se réserver la liquidation de l'astreinte ;

' condamner M. [Z] [M] à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner M. [Z] [M] aux entiers dépens.

Par ordonnance réputée contradictoire du 6 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris, statuant en la forme des référés, a :

- rejeté la demande de condamnation à une amende civile sur le fondement des dispositions des articles L.631-7 et L.651-2 du code de la construction et de l'habitation ;

- rejeté la demande portant sur le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation situés [Adresse 3] ;

- rejeté la demande formulée par la ville de [Localité 5] au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la ville de [Localité 5] aux dépens ;

- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.

Le premier juge a considéré que la ville de [Localité 5] échouait à démontrer l'usage d'habitation du bien au 1er janvier 1970, première condition de l'infraction poursuivie.

Par déclaration du 21 février 2022, la ville de [Localité 5] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 avril 2022, elle demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer l'ordonnance du 6 décembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit ;

Statuant à nouveau,

- juger que M. [Z] [M] a enfreint les dispositions de l'articles L 631-7 du code de la construction et de l'habitation ;

- le condamner à payer à la ville de [Localité 5] une amende civile de 50.000 euros ;

- ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3]

[Adresse 3], lots 203 et 455, sous astreinte de 95 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer ;

- se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- condamner M. [Z] [M] à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

La ville de [Localité 5] soutient en substance :

- que le local litigieux est à usage d'habitation ce qui est démontré par l'extrait du registre cadastral, le relevé de propriété, la fiche modèle R du 25 janvier 1975, le permis de construire du 12 octobre 1971 et le plan du 3ème étage ;

- qu'en l'absence d'autorisation d'urbanisme de changement de destination en un autre usage que l'habitation et en l'absence d'autorisation de changement d'usage, le bien n'a pas changé d'usage ;

- que le bien litigieux n'est pas la résidence principale de M. [Z] [M] ainsi qu'il résulte des constatations du contrôleur de la ville de [Localité 5] ;

- que le bien a fait l'objet de locations de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile comme en atteste le constat d'infraction ;

- que l'amende doit être fixée à 50.000 euros compte tenu de la durée de l'infraction qui perdure depuis 2013, de la forte rentabilité de cette exploitation irrégulière, le gain total pouvant être estimé à 128.220 euros alors que le gain licite pour la période aurait été de 85.860 euros, soit un gain illégal de 42.360 euros, le montant de la compensation nécessaire pour obtenir l'autorisation de changement d'usage du local d'habitation et pouvoir exercer une activité d'hébergement étant de 60.800 euros.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de l'appelante, il est renvoyé à ses dernières conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par ordonnance d'incident du 13 septembre 2022, les conclusions de l'intimé, remises et notifiées le 27 juin 2022, ont été déclarées irrecevables.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il doit être rappelé, les conclusions de l'intimé ayant été déclarées irrecevables, que selon les dispositions in fine de l'article 954 du code de procédure civile, l'intimé est réputé s'approprier les motifs de la décision entreprise.

Sur le rappel des textes applicables, il convient de se référer à la décision de première instance qui en a fait un exposé exhaustif, la cour rappelant simplement :

- qu'en application des articles L.631-7 et L.651-2 du code de la construction et de l'habitation et conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à la ville de [Localité 5] d'établir :

- l'existence d'un local à usage d'habitation, un local étant réputé à usage d'habitation si la preuve est apportée par tout moyen qu'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ;

- un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile ;

- que selon l'article L. 631-7-1 A du code de la construction et de l'habitation, "[...] Lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, au sens de l'article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986, l'autorisation de changement d'usage prévue à l'article L.631-7 du présent code ou celle prévue au présent article n'est pas nécessaire pour le loueur pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile."

En l'espèce, la ville de [Localité 5] justifie par la production :

- de la fiche modèle R du 25 janvier 1975, laquelle mentionne que la construction de l'immeuble du [Adresse 3] a été achevée en 1974 et que M. [Z] figure comme propriétaire d'un appartement au 3ème étage de cet immeuble ;

- du permis de construire accordé pour cet immeuble le 12 octobre 1971, l'immeuble à construire y étant décrit comme un bâtiment de 9 étages (habitation, locaux industriels et commerciaux, parking sur deux niveaux en sous-sol) ;

- du plan du troisième étage de ce bâtiment, annexé au dossier de permis de construire, décrivant des appartements,

- que l'appartement en litige, qui est réputé avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés en application des textes susvisés, est bien affecté à un usage d'habitation, ce qui est confirmé par l'extrait du registre cadastral et du relevé de propriété.

La première condition de l'usage d'habitation est donc remplie.

Il ressort en outre des constatations opérées par l'agent assermenté de la ville de [Localité 5] que le bien litigieux ne constitue pas la résidence principale de M. [Z]. En effet, la gardienne de l'immeuble a indiqué au contrôleur que le propriétaire du local, M. [Z] [M], n'a jamais habité l'appartement, celui-ci résidant à [Localité 2] et venant de temps en temps à [Localité 5] avec sa famille pour s'occuper de ses locations ; que sur le fichier cadastral figure l'adresse du [Adresse 1] ; qu'un premier courrier recommandé a été adressé à M. [Z] à cette adresse toulousaine , qui est revenu avec la mention "Inconnu à l'adresse" accompagnée de la mention manuscrite "Refus" ; qu'un second courrier recommandé lui a été adressé à l'adresse du lieu de l'infraction, qui est revenu avec la mention "destinataire inconnu à l'adresse"; que M. [Z] est gérant d'une SCI Lana-Jules domiciliée au [Adresse 1].

Il est ainsi suffisamment établi que le bien ne constitue pas la résidence principale du contrevenant, la seconde condition de l'infraction poursuivie étant ainsi remplie.

La ville de [Localité 5] justifie enfin, par la production de son constat d'infraction du 11 avril 2018, que M. [Z] a effectué sur le bien concerné de la location de courte durée à une clientèle de passage depuis 2013. Il ressort en effet de ce constat :

- que le logement est proposé à la location sur le site Airbnb,

- que l'annonce compte 160 commentaires entre octobre 2013 et mai 2018,

- que les calendriers de réservation ont actifs d'avril à août 2018,

- que des simulations de réservation ont pu être effectuées par le contrôleur pour les périodes du 21 septembre au 24 septembre 2018, du 27 octobre au 31 octobre 2018, du 13 décembre au 16 décembre 2018 et du 22 août au 26 août 2018 ;

- que lors de la visite du 11 avril 2018, le logement était occupé par un touriste belge et sa famille qui a déclaré avoir réservé deux nuits sur le site Airbnb ;

- que la présidente du conseil syndical de l'immeuble a témoigné de locations pratiquées sans discontinuer et générant des nuisances ;

- que dans une réponse au commentaire d'un hôte en juin 2016, M. [Z] a indiqué être fier d'avoir accueilli près de 1000 personnes au cours de ces trois dernières années.

L'infraction poursuivie est ainsi pleinement caractérisée.

Sur le montant de l'amende civile, il doit être relevé que celle-ci doit être suffisamment dissuasive au regard de l'objectif d'intérêt général de la réglementation qui est de lutter contre la pénurie de logement offerts à la location dans certaines zones du territoire national dont [Localité 5] ; que la durée de l'infraction est en l'espèce très conséquente et les gains que M. [Z] a tirés de son exploitation non autorisée sont importants, le gain illicite par rapport à une location régulière pouvant être estimé à 42.360 euros, le montant de la compensation financière que M. [Z] aurait dû acquitter pour pouvoir se livrer régulièrement à une activité d'hébergement hôtelier se chiffrant quant à elle à 60.800 euros.

Dans ces conditions, le versement d'une amende civile de 40.000 euros apparaît justifié, et le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation sera ordonné sous astreinte, en tant que de besoin.

La décision de première instance sera par conséquent infirmée en toutes ses dispositions.

Partie perdante, M. [Z] [M] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

PAR CES MOTIFS

Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [Z] [M] au paiement d'une amende civile de 40.000 euros, dont le produit sera reversé à la ville de [Localité 5],

Ordonne, en tant que de besoin, le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3] (lots 203 et 455), cela dans le délai de deux mois à compter du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard courant pendant six mois,

Condamne M. [Z] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Le condamne à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/04059
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;22.04059 ?
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