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01/12/2022 | FRANCE | N°19/07361

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 01 décembre 2022, 19/07361


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 1er DECEMBRE 2022



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07361 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHQV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 17/01312





APPELANTE



Madame [Z] [V] épouse [U]

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[Adresse 2]



Représentée par Me Roger BISALU, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 85







INTIMEE



Etablissement Public INSTITUT NATIONAL DE L'AUDFIOVISUEL

[Adresse...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 1er DECEMBRE 2022

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07361 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAHQV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 17/01312

APPELANTE

Madame [Z] [V] épouse [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Roger BISALU, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 85

INTIMEE

Etablissement Public INSTITUT NATIONAL DE L'AUDFIOVISUEL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Joël COLBEAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C0400

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 28 Avril 2022,chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 28 Avril 2022

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS :

Mme [Z] [V], épouse [U], a été engagée selon contrat à durée indéterminée à compter du 15 juin 2015, en qualité de chef de service, responsable des achats, par l'Institut national de l'audiovisuel (ci-après l'INA), établissement public à caractère industriel et commercial.

La relation de travail était régie par un accord portant sur le statut collectif des salariés de l'INA.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 29 novembre 2016, Mme [Z] [V] a été convoquée à un entretien préalable devant se tenir le 9 décembre suivant.

Par lettre datée du 1er décembre 2016, elle a fait l'objet d'une dispense d'activité rémunérée jusqu'à ce qu'une décision soit prise définitivement la concernant. Elle a contesté cette mesure le 3 décembre 2016.

Mme [Z] [V] a été licenciée par lettre du 14 décembre 2016. Son contrat de travail a pris fin le 14 mars 2017, à l'issue du préavis de 3 mois qu'elle a été dispensée d'exécuter.

Le 22 septembre 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes.

Par jugement en date du 16 mai 2019, le conseil de prud'hommes Créteil a :

' « débouté Mme [U] de toutes ses demandes,

' dit que chacune des parties conserve à sa charge ses propres dépens. »

Par déclaration électronique déposée par son conseil le 21 juin 2019, Mme [Z] [V] a interjeté appel du jugement dont elle avait reçu notification le 24 mai 2019.

Par des écritures transmises par voie électronique le 18 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, Mme [V] demande à la cour de :

« prononcer l'annulation du jugement entrepris ;

dire abusif son licenciement ;

condamner l'INA à lui payer les sommes suivantes :

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

- 10 000 euros pour préjudice moral en raison du caractère vexatoire et humiliant de la rupture du contrat de travail,

- 10 000 euros pour harcèlement moral ;

condamner l'INA au versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel. »

Par des écritures transmises par voie électronique le 19 décembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des faits et des moyens développés, l'INA demande à la cour de :

« confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud'hommes ;

débouter purement et simplement Mme [V] de l'ensemble de ses chefs de demande, fins et conclusions. »

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 septembre 2021.

Par arrêt avant dire droit du 26 janvier 2022, une médiation préalable a été ordonnée, laquelle n'a pu aboutir. L'affaire, appelée à l'audience du 18 mai 2022, a été mise en délibéré au 14 septembre 2022 avec prorogation jusqu'au 1er décembre 2022.

MOTIFS

I - Sur la nullité du jugement

Aux termes de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.

Mme [Z] [V] soutient que la formation du conseil de prud'hommes qui a statué sur son affaire n'était pas impartiale dès lors que l'un de ses membres appartenait au même syndicat que Mme [T], salariée de l'INA plusieurs fois citée dans le dossier et également conseillère prud'homale à Villeneuve-Saint- Georges.

Mais la cour relève que cette appartenance syndicale commune ne suffit pas, à elle seule, à démontrer un défaut d'impartialité et d'indépendance de la formation prud'homale ayant traité l'affaire, étant précisé que l'article L1457-1 du code du travail qui énumère limitativement les causes de récusation des conseillers ne prévoit pas une telle hypothèse.

Mme [Z] [V] fait encore valoir que le contenu de la décision illustre la partialité du conseil de prud'hommes.

Aux termes de l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

Mme [Z] [V] fait valoir que le conseil de prud'hommes a largement repris les moyens développés par l'INA sans faire état de ses moyens et contestations.

La cour relève de la lecture du jugement entrepris que celui-ci reprend de larges passages des conclusions l'INA, sans se borner comme le soutient cette dernière à reprendre des éléments de fait.

Ainsi, les trois paragraphes suivant le rappel des termes de la lettre de licenciement et explicitant les carences qui justifient le licenciement sont une reprise quasi-littérale, à quelques mots près, des conclusions de l'INA (p. 6 et 7). En outre, le jugement consacre une page entière aux carences de Mme [Z] [V], reprenant là encore largement le contenu des conclusions de l'INA, mais écarte l'argumentation de Mme [U] en deux phrases.

Cette présentation très déséquilibrée des moyens et arguments des parties et la reprise presque littérale des moyens soutenus par l'INA sans qu'il soit répondu à l'argumentation de Mme [Z] [V] caractérise la partialité du conseil de prud'hommes.

Le jugement sera en conséquence annulé.

II- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [Z] [V] reproche à l'employeur d'avoir laissé se développer des pratiques harcelantes à son encontre et l'accuse d'être ainsi à l'origine d'une dégradation de ses conditions de travail «par des choix de management» dont il n'a pas assumé les conséquences à l'égard du personnel de l'entreprise, dans son service comme au sein des autres directions, en laissant croire qu'elle était responsable des maux dont souffrait l'entreprise du fait de la réforme de la passation des marchés de l'établissement public soumise aux règles de la commande publique.

Elle expose qu'après avoir été débauchée de la chambre de commerce de Paris Ile-de-France où elle travaillait depuis vingt-quatre ans, elle a exercé au sein de l'INA les fonctions de chef de service responsable des achats avec pour mission prioritaire d'établir de nouvelles procédures relatives aux achats conformes aux règles de la commande publique, dont les contraintes - notamment en terme de délais - non anticipées par l'établissement public, ont engendré une animosité des différents directeurs opérationnels à son encontre, que l'employeur a fautivement laissé prospérer au lieu de la soutenir, cependant qu'il a également laissé prospérer la duplicité des membres de son équipe de la direction des achats auxquels elle a parallèlement apporté continûment son support technique dans l'application des règles impératives de la commande publique, y compris durant ses congés.

Pour autant, Mme [Z] [V] ne caractérise aucun fait particulier. Elle se réfère seulement à deux échanges de courriels entre elle-même et Mme [T], directrice des services généraux, ainsi qu'aux doléances de son adjoint, découvertes dans le cadre de la présente procédure, celui-ci ayant été co-signataire d'une alerte « risques psychosociaux » au département achats adressée au CHSCT le 27 novembre 2015 avec un acheteur du service, d'une attestation au soutien de M. [R], acheteur licencié pour insuffisance professionnelle, et de courriels de réitération de ses doléances auprès de la direction.

La cour relève que si les pièces produites par l'une et l'autre des parties démontrent des tensions générées entre les services et la direction des achats par la mise en place d'une nouvelle procédure pour se conformer à la réglementation, impliquant un abaissement considérable du seuil d'appel d'offres, une augmentation de la charge de travail en matière de rédaction des marchés ainsi que de leurs délais de signature, il ressort du procès-verbal de la séance du CHSCT du 2 décembre 2015, immédiatement postérieur au déclenchement de la procédure d'alerte susvisée, que l'employeur a très clairement soutenu Mme [Z] [V] dans l'application de cette réforme ainsi que cela résulte des mentions suivantes du procès verbal : « la première mesure que nous avons prise est de renforcer de façon substantielle les ressources humaines affectées au département achats, avec deux postes en cours...et probablement un juriste spécialisé (...) [voire] dans cette période de gros bouchons, un intérimaire spécialiste dans la passation des marchés(...) Nous avons demandé au département des achats, en lien avec la DRH, d'organiser un programme de sensibilisation et de formation des directions opérationnelles (') qui commencera dès le mois de décembre pour que chacun, progressivement soit au même niveau d'information, de compétences et puisse jouer son rôle dans la passation des marchés...J'ai eu aussi l'occasion de rappeler à l'ordre un certain nombre de cadres et parfois de cadres de haut niveau dans les directions opérationnelles sur ce que signifiait le terme d'insubordination et leur signifier que le DRH et le Président en tireraient toutes les conséquences si de tels comportements continuaient que ce sujet qui est suivi par toutes les autorités de contrôle ».

Il sera parallèlement constaté que ladite procédure d'alerte visait également le management inadéquat de Mme [Z] [V], : « injonctions contradictoires déresponsabilisation, infantilisation, absence de relations (pas de réunion de services depuis deux mois). Des incidents survenus récemment en témoignent et ont été remontés au service de santé au travail. Les salariés de ce service souffrent d'un sentiment de déclassement, de manque de considération voire d'inutilité et viennent travailler « avec une boule au ventre ». La plupart souhaitent quitter ce service... », point relayé encore lors de la réunion du CHSCT : « Il y a une responsable qui doit s'adresser correctement aux salariés. Des salariés viennent nous voir pour se plaindre du ton employé par cette responsable... » , ce à quoi l'employeur a répondu considérer que « les torts sont probablement partagés. J'ai eu l'occasion de rencontrer la responsable en question pour lui rappeler un certain nombre de principes et de règles d'usage commun dans une collectivité de travail ».Il se déduit de ces éléments que Mme [Z] [V] était parfaitement informée des difficultés relationnelles et managériales qui lui étaient reprochées qui n'étaient manifestement pas la la conséquence des nouvelles méthodes et procédures de travail mises en place à la direction des achats.

Au surplus, les échanges de mails avec Mme [T] dont la salariée se prévaut au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral corroborent la rigidité qui lui était reprochée, celle-ci n'apportant pas de réponse opérationnelle à la demande urgente de sa collègue, dans une situation de mise en danger des ouvriers sur un chantier à l'électricité non conforme et périlleuse, mais précisant refuser de faire son travail à sa place et de faire avancer plus avant le dossier, de sorte que la situation a dû être débloquée par la directrice administrative et financière (pièce 32 salariée), également venue au soutien de la direction des achats dans les autres échanges invoqués par la salariée (pièce 31) en rappelant qu'il s'agit de l'application du code du travail, non de 'pinaillage'.

Il s'ensuit que les faits allégués par la salariée et pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement de la part de l'employeur, directement ou au travers de son organisation managériale, et se rattachent à des relations conflictuelles à la manifestation desquelles le comportement de la salariée a participé.

Mme [Z] [V] sera en conséquence déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral.

III - Sur la rupture du contrat de travail

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

En vertu des articles L.1235-1 et 2 du même code, dans leur version applicable au litige, l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Il incombe à l'employeur d'alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin par toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement du 14 décembre 2016, énonce :

« J'ai reçu la lettre de démission de M. [O], votre adjoint, le 25 novembre 2016. Cette rupture fait suite aux autres départs que j'ai constatés dans le département dont vous avez la charge. Ce turn-over est d'autant plus anormal que les collaborateurs concernés m'ont alerté sur les difficultés qu'ils avaient rencontrés avec vous et la mauvaise ambiance qui régnait dans ce département.

Cette situation met en évidence vos carences managériales et relationnelles avec vos équipes ainsi qu'avec les autres responsables de l'établissement avec lesquels vous êtes en relation.

En effet, dans le même temps, j'ai été informé de situations de blocage des dossiers d'achats génératrices de stress et de tension chez les responsables des services fonctionnels avec lesquels vous êtes en relation pour la gestion de ces dossiers.

Vos demandes répétées ne prennent nullement en compte leurs impératifs de délai et de budget si bien que vous apparaissez trop rigide. Au lieu de communiquer avec eux, voire de les accompagner face à de nouvelles règles et de trouver des solutions opérationnelles, d'expliquer vos propres contraintes et de les rassurer, vous vous enfermez dans un isolement voire une attitude agressive. Vous considérez que la moindre remarque qui vous est faite constitue un acte d'hostilité, de dénigrement de vos compétences, voire de harcèlement ou de discrimination.

Ce comportement est à l'origine de la dégradation des relations entre le département achats et les autres services de l'INA et nuit au bon fonctionnement de notre entreprise.

Lorsqu'en novembre 2015, le CHSCT a déclenché une alerte concernant les risques psycho-sociaux dans votre département, votre management était directement en cause. Pour autant, nous avons souhaité vous donner une chance de vous adapter à votre poste et au fonctionnement de notre établissement puisque vous aviez été recrutée quelques mois plus tôt.

Aujourd'hui, je suis de nouveau alerté par le médecin du travail sur la situation de votre adjoint qui a démissionné et pointe lui aussi vos carences managériales.

Ainsi, alors même que vous étiez dispensée d'activité depuis le 1er décembre 2016, vous avez continué à le déstabiliser en adressant un mail le 7 décembre à l'une de vos collaboratrices pour lui demander de reprendre le travail que vous aviez confié à M. [O], sans en informer ce dernier.

Vous cultivez au sein de votre département un management fondé sur la méfiance et la division et n'avez manifestement pas compris les leçons à tirer de la première alerte.

Malgré vos compétences techniques dans le domaine des achats publics, vos carences managériales et votre incapacité à communiquer se révèlent très pénalisantes pour le fonctionnement de notre entreprise.

Telles sont les raisons qui m'ont conduit à rompre votre contrat de travail... »

Au soutien des griefs, l'employeur produit :

- la fiche de poste de Mme [Z] [V] précisant au titre de 9 aptitudes requises « capacité à jouer les interfaces et servir de facilitateur / diplomatie et objectivité / capacité d'écoute et de reformulation / capacité d'adaptation et de décision / fortes qualités relationnelles »,

- le courriel du 16 novembre 2015 de son directeur adjoint, M. [O], adressé au médecin du travail et transmis à l'acheteur ensuite licencié pour insuffisance professionnelle au soutien de son contentieux prud'homal, mettant en cause la direction managériale deMme [V] :« Notre responsable nous parle d'une façon toujours aussi détestable et utilise des méthodes de management d'un autre temps. »,

- l'alerte sur les risques psycho-sociaux au sein du service de la direction des achats, du CHSCT en date du 27 novembre 2015, susvisée, réitérant ces griefs au nom de la plupart des salariés de la direction des achats,

- le procès-verbal de délibération du CHSCT du 2 décembre 2015, susvisé,

- la lettre de démission de M. [O] du 25 novembre 2016 et son courriel du 7 décembre 2016 reprochant à Mme [V], alors dispensée d'activité, d'avoir transféré la mission qu'elle lui avait précédemment confiée, sans l'en aviser, et se plaignant de cette nouvelle attaque et de cette nouvelle remise en question de ses compétences,

- le jugement du conseil de prud'hommes disant infondé le licenciement de M. [R], acheteur licencié le 21 janvier 2016 pour insuffisance professionnelle, au motif « de l'absence d'avertissement préalable et des conditions de travail dégradées au service Achats »,

- l'avis de non renouvellement de la période d'essai de l'acheteur embauchée pour le remplacer, rédigé par Mme [V] le 10 juin 2016,

- les échanges de courriels de la directrice des services généraux, Mme [T], avec le service achat, aux mois de novembre 2015 et décembre 2016, aux termes desquels cette collègue déplore l'absence de collaboration avec ce service, alors même que la sécurité d'ouvriers est en jeu ainsi que la responsabilité pénale de l'INA donneur d'ordre, sa suspicion permanente et l'absence de communication des informations requises en temps utiles, étant rappelé que c'est la directrice administrative et financière qui débloquera les deux fois la situation,

- l'évaluation de Mme [V] du 18 novembre 2016 (pièce 15 salariée) louant ses compétences techniques mais lui fixant pour objectif « un travail sur les relations et la fluidité des échanges avec les services prescripteurs »,

- le nouvel échange de mails de la directrice des services généraux avec Mme [V] le 26 novembre 2016, 8 jours plus tard, au terme duquel Mme [T] expose n'avoir eu connaissance d'une disponibilité budgétaire que fin octobre, avoir fait toutes diligences pour engager des travaux financés par ce reliquat budgétaire, avoir sélectionné le moins disant pouvant effectuer les travaux dans le délai restant de l'année 2016 et reprochant à Mme [V] de se cacher derrière des salariés antérieurement compliants avec les services opérationnels pour imposer de nouvelles contraintes inédites (scans plutôt que photographies), puis, à la veille de l'envoi du bon de commande, l'exigence d'originaux, dans un délai ne permettant vraisemblablement plus la réalisation desdits travaux, ce à quoi la directrice des achats répondait :

« Je fais suite à votre mail du 28 novembre 2016, 08h22 (ci-dessous), je ne savais pas que vous étiez devenue mon n+1 ou la nouvelle DRH de l'Ina pour juger de mes compétences managériales et, experte en commande publique pour me dicter ce que j'ai à faire.

Avant mon arrivée, époque que vous semblez regretter, les marchés publics étaient tellement bien ficelés et conformes aux règles de la commande publique que j'ai eu à rattraper pas mal d'erreurs quand je n'avais pas affaire, carrément, à des contrats d'adhésion. Malheureusement pour vous, j'ai encore une conscience professionnelle et une certaine rigueur dans l'exécution de mes missions même si cela contrarie vos désirs.

Contrairement à ce que vous croyez, je n'ai jamais eu besoin de me cacher derrière des collaborateurs : j'ai toujours assumé mes responsabilités. Dans la mesure où vous vous êtes érigée en défenseur du collaborateur que vous citez dans votre mail, l'honnêteté aurait voulu qu'il réponde spontanément sur l'auteur des demandes dont vous vous plaigniez. Cela n'a pas été fait ; ce qui ne m'étonne guère. Vos protestations n'ont pas été adressées au bon destinataire mais l'hostilité, à la limite du harcèlement moral, dont vous faites preuve à mon égard, depuis mon arrivée à l'Ina, est telle qu'il vous fallait absolument vous en prendre à ma personne. Pendant que nous y sommes, vous auriez pu envoyer le mail, la veille, dimanche comme certains l'ont déjà fait.

Le reste de votre prose ne m'intéresse pas car, moi aussi, j'ai des priorités qui ne sont pas les mêmes que les vôtres. ».

A l'issue de cet échange de courriels, Mme [V] était convoquée pour se voir remettre sa convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec dispense d'activité rémunérée qu'elle refusait de signer. 

Si la démission de M. [H], acheteur, en octobre 2015, ne peut être mise en lien avec l'activité managériale de Mme [V], il résulte en revanche des pièces communiquées par l'une et l'autre des parties que la rigidité managériale de cette dernière, dénoncée rapidement auprès du CHSCT dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux, a conduit à un départ contraint de deux salariés du service des achats et à la démission de son adjoint lequel a continûment déploré son autoritarisme et la dévalorisation constante de ses collaborateurs, de sorte que le « turn over » reproché à la salariée, au préjudice du service, est établi.

La cour relève également qu'il résulte des échanges de courriels susvisés un défaut de communication claire préalable et de collaboration active avec les services prescripteurs aboutissant à un blocage des dossiers même quand la sécurité du personnel pouvait être en jeu, ou une gestion opérationnelle et budgétaire optimisée dans le respect des règles de la commande publique, ce au préjudice de l'établissement public, et qu'en dépit des avertissements issus de la première alerte du CHSCT puis de l'évaluation de la salariée, ces errements étaient poursuivis.

Les carences managériales et l'incapacité à communiquer de Mme [V], reprochées par l'employeur alors qu'elles constituaient des aptitudes essentielles rappelées dans sa fiche de poste, sont établies en l'espèce, de même que leur caractère pénalisant pour le fonctionnement de l'établissement public, et ont rendu impossible le maintien de la relation contractuelle.

Le licenciement de Mme [Z] [V] est en conséquence fondé sur une cause réelle et sérieuse et la salariée sera en conséquence déboutée de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

IV ' Sur la demande indemnitaire au titre du licenciement vexatoire.

En application de l'article L 1221 du code du travail, le contrat doit être exécuté de bonne foi. Cette obligation d'exécution de bonne foi est maintenue jusqu'au terme effectif du contrat.

Par suite, toute mesure de licenciement vexatoire peut donner lieu à une indemnisation de ce fait, quand bien même le licenciement serait fondé. Le comportement fautif de l'employeur doit avoir causé au salarié un préjudice distinct de celui résultant du licenciement.

Mme [Z] [V] expose avoir fait l'objet de man'uvres concertées de la direction générale et de la direction des ressources humaines pour lui faire signer un document dont elle n'avait pu prendre connaissance. Elle reproche également le contenu du courrier postérieur lui reprochant mensongèrement de perturber l'entreprise, tous éléments constituant selon elle des conditions vexatoires et humiliantes justifiant sa demande indemnitaire.

Il ressort des pièces communiquées que le document concerné était la dispense d'activité rémunérée, dans l'attente de l'entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 9 décembre 2016, que la salariée a refusé de signer et qui lui a été adressée par courrier du 1er décembre suivant.

La proposition de remise en main propre d'une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire et d'une dispense d'activité rémunérée ne saurait s'assimiler à des conditions vexatoires, la salariée étant libre de refuser cette modalité de remise, ce qu'elle a fait. Ce faisant, l'employeur n'a commis aucune faute à l'égard de la salariée qui a, par ailleurs, reconnu dans sa lettre de contestation du licenciement avoir immédiatement avisé son équipe de son licenciement à intervenir, ce que lui a reproché à juste titre l'employeur, l'entretien préalable à un éventuel licenciement n'étant pas même intervenu.

Par suite, les conditions vexatoires de la rupture du contrat ne sont pas établies et Mme [Z] [V] sera déboutée de ses demandes indemnitaires à ce titre.

IV - Sur les autres demandes

Mme [Z] [V], qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.

L'équité et la disparité de situation économique des parties justifient de débouter l'Institut national de l'audiovisuel de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Annule le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

et statuant à nouveau :

Déboute Mme [Z] [V], épouse [U], de ses demandes au titre du harcèlement moral ;

Dit le licenciement du 14 décembre 2016 de Mme [Z] [V], épouse [U],fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Déboute en conséquence Mme [Z] [V], épouse [U], de ses demandes au titre de la contestation du licenciement intervenu ;

Déboute Mme [Z] [V], épouse [U], de ses demandes au titre des conditions vexatoires de la rupture du contrat ;

Déboute l'Institut national de l'audiovisuel de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [Z] [V], épouse [U], aux dépens de première instance et d'appel,

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/07361
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;19.07361 ?
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