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24/11/2022 | FRANCE | N°22/08439

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 24 novembre 2022, 22/08439


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08439 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXMJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 21/52182





APPELANTE



LA VILLE DE [Localité 6], prise en la p

ersonne de Madame la Maire de [Localité 6], Mme [X] [O], domiciliée en cette qualité audit siège



[Adresse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Stéphane DESFORGES de la SELARL L...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08439 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFXMJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 21/52182

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 6], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 6], Mme [X] [O], domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane DESFORGES de la SELARL LE SOURD DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0131

INTIMES

M. [I] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Mme [C] [P] épouse [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentés par Me Dominique-jeanne N'DIAYE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 octobre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Thomas RONDEAU, Conseiller et Michèle CHOPIN, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par assignation en date du 8 février 2021, la ville de [Localité 6] a fait assigner M. [F] et Mme [P], épouse [P], devant le tribunal judiciaire de Paris saisi selon la procédure accélérée au fond sur le fondement des dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation concernant un appartement situé [Adresse 2] (étage 3, porte droite/gauche, lot n°10) aux fins de voir :

' condamner solidairement les défendeurs au paiement d'une amende civile de 50.000 euros dont le produit lui sera intégralement versé ;

' ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sous astreinte de 118 euros par jour de retard à compter de l'expiration qu'il plaira au tribunal fixer

' condamner solidairement les défendeurs à la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 13 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

- débouté la ville de [Localité 6] de ses demandes ;

- rejeté le surplus des demandes ;

- condamné la ville de [Localité 6] aux dépens ;

- rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.

Par déclaration d'appel du 26 avril 2022, la ville de [Localité 6] a relevé appel cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 mai 2022, la ville de [Localité 6] demande à la cour de :

- dire et juger que les époux [F] ont commis une infraction aux dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation en louant pour de courtes durées l'appartement situé au [Adresse 2], constitutif du lot 10 d'une superficie de 11 m² ;

- condamner M. et Mme [F] solidairement à une amende civile de 50.000 euros et dire que le produit de cette amende sera intégralement versé à la Ville de [Localité 6] conformément à l'article L.651-2 du code de la construction et de l'habitation ;

- ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation situés au 3 ème étage de l'immeuble [Adresse 2], constitutif du lot 10 d'une superficie de 11 m², sous astreinte de 118 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir et pendant le délai qu'il plaira à Mme ou M. le président de fixer ;

- se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- condamner M. et Mme [F] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La ville de [Localité 6] soutient notamment que :

- l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 est démontré,

- le bien ne constitue pas la résidence principale des époux [F],

- lors de l'enquête effectuée en 2020, il a été constaté que l'annonce airbnb correspondait bien au local visité,

- le local est loué ainsi depuis le mois de septembre 2017 et le gain peut être estimé à 47.268 euros depuis le début de l'activité.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 26 septembre 2022, les époux [F] demandent à la cour de :

- débouter la ville de [Localité 6] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement du 13 avril 2022 du tribunal judiciaire de Paris ;

- dire et juger que la ville de Paris ne rapporte pas la preuve de l'affectation à usage d'habitation au 1er janvier 1970 du bien sis au 3ème étage de l'immeuble [Adresse 2], constitutif du lot 10 d'une superficie de 11 m² leur appartenant ;

A titre subsidiaire,

- fixer à de plus raisonnables proportions l'amende civile ;

- condamner la ville de [Localité 6] à leur payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [F] soutiennent en substance que :

- la ville de [Localité 6] doit être déboutée de sa demande de condamnation au titre de l'article L.651-2 du code de la construction et de l'habitation car elle ne rapporte pas la preuve de l'usage d'habitation du local litigieux au 1er janvier 1970,

- à titre subsidiaire le montant de l'amende doit être fixé à de plus justes proportions car ils sont de bonne foi, ont coopéré avec l'agent de contrôle, ont procédé à la télé-déclaration de leur bien en location le 3 octobre 2017, et ils ont cessé de louer leur bien sur le site airbnb.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

Sur l'infraction reprochée

L'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, tel qu'issu de la loi du n°2016-1547 du 18 novembre 2016, dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros (anciennement 25.000 euros avant la loi du 18 novembre 2016) par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat et sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure. Le produit de l'amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal de grande instance compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.

Sur requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l'Agence nationale de l'habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu'il fixe. A l'expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d'un montant maximal de 1.000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.

Passé ce délai, l'administration peut procéder d'office, aux frais du contrevenant, à l'expulsion des occupants et à l'exécution des travaux nécessaires.

Il résulte en outre de l'article L. 631-7, dans sa version résultant de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014, que la présente section est applicable aux communes de plus de 200.000habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable.

Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1.

Pour l'application de la présente section, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu'une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l'usage d'un local mentionné à l'alinéa précédent, le local autorisé à changer d'usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l'usage résultant de l'autorisation.

Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.

Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article.

Pour l'application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d'établir :

- l'existence d'un local à usage d'habitation, un local étant réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, le formulaire administratif de type H2 rempli à cette époque permettant de préciser l'usage en cause ;

- un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, hypothèse excluant notamment la location saisonnière de son logement résidence principale, pour une durée n'excédant pas 120 jours par an, la location d'un meublé résidence principale (titre 1er bis de la loi du 6 juillet 1989) ou encore la location d'un meublé dans le cadre d'un bail mobilité (titre 1er ter de la loi du 6 juillet 1989).

Il est en outre constant que, s'agissant des conditions de délivrance des autorisations, la Ville de [Localité 6] a adopté, par règlement municipal et en application de l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, le principe d'une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.

En l'espèce, les parties s'opposent sur les éléments de preuve à apporter par la ville de [Localité 6] de ce que le local dont il s'agit est bien un local à usage d'habitation au sens de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation, étant rappelé qu'un local est réputé à usage d'habitation au sens de ce texte s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, que cette affectation peut être établie par tout mode de preuve et que la preuve d'une affectation de fait à l'usage d'habitation postérieurement au 1er janvier 1970, date de référence, est inopérante.

Il revient ainsi à la ville de [Localité 6], pour caractériser l'infraction dénoncée de changement d'usage illicite, de démontrer avant tout que le local en cause était bien affecté au 1er janvier 1970 à l'usage d'habitation.

La fiche H2 a été ici remplie le 18 octobre 1970. Elle décrit le local comme un appartement à usage exclusif d'habitation de 11 m² composé d'une salle de séjour, d'une cuisine et d'une chambre, sans salle d'eau, et fait état d'une occupation par son propriétaire, Mme [V].

Sont produites en outre deux listes électorales des années 1966 et 1970 qui mentionnent le nom de Mme [V] à l'adresse concernée, ce dont il se déduit que cette dernière y était domiciliée ou à tout le moins y résidait, ce qui suppose que les lieux étaient affectés à l'usage d'habitation, et cela dès 1966.

L'usage d'habitation du bien au 1er janvier 1970 se trouve ainsi suffisamment établi. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Par ailleurs, il n'est pas discuté que le bien ne constitue pas la résidence principale de M. et Mme [F].

En outre, selon le constat de l'agent assermenté de la ville de [Localité 6], le logement en cause est proposé sur le site airbnb, les clients étant accueillis depuis septembre 2017, date du plus ancien commentaire sous l'annonce jusqu'en 2020.

Ainsi, l'infraction est caractérisée en tous ses éléments.

Sur le quantum de l'amende, il doit être relevé :

- que l'infraction a duré pendant 39 mois,

- que la fiche financière produite par la Ville retient une recette mensuelle de 1.212 euros soit pour 39 mois un gain de 47.268 euros, à comparer avec un loyer mensuel classique qui aurait été de 349 euros, soit un gain illicite de 33. 657 euros ;

- que le coût de la compensation aurait été de 22.000 euros ;

- que l'amende doit être suffisamment dissuasive au regard de l'objectif d'intérêt général de la législation qui tend à répondre à la difficulté de se loger à [Localité 6] ;

- que l'infraction paraît avoir cessé après les contrôles de la ville de [Localité 6], les époux [F] ayant procédé au retrait de l'annonce.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'amende sera fixée à la somme de 20.000 euros.

Le retour à l'habitation sera ordonné et assorti d'une astreinte dans les termes du dispositif.

Le jugement rendu sera ainsi infirmé en toutes ses dispositions.

Les époux [F] devront indemniser la Ville pour les frais non répétibles exposés et seront condamnés aux dépens de première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. et Mme [F] à payer une amende civile de 20.000 euros, dont le produit sera versé à la ville de [Localité 6] ;

Ordonne le retour à l'habitation de l' appartement situé [Adresse 2] (étage 3, porte droite/gauche, lot n°10), sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de deux mois après la signification de cet arrêt,pour une durée maximale de 12 mois ;

Dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte ;

Condamne M. et Mme [F] à payer à la ville de [Localité 6] la somme globale de 1.000 euros en première instance et à hauteur d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. et Mme [F] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/08439
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;22.08439 ?
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