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24/11/2022 | FRANCE | N°21/01908

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 24 novembre 2022, 21/01908


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022



(n° /2022, pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01908

N° Portalis 35L7-V-B7F-CDASB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 décembre 2020 - TJ de MEAUX - RG n° 19/03240



APPELANTE



Madame [S] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée et assi

stée par Me Hadrien MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0871



INTIMEES



Mutuelle MATMUT

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Camille PICARD de la SELARL AKAOUI DEPOIX P...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 24 NOVEMBRE 2022

(n° /2022, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01908

N° Portalis 35L7-V-B7F-CDASB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 décembre 2020 - TJ de MEAUX - RG n° 19/03240

APPELANTE

Madame [S] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Hadrien MULLER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0871

INTIMEES

Mutuelle MATMUT

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Camille PICARD de la SELARL AKAOUI DEPOIX PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C673 substituée à l'audience par Me Gabrielle D'AVOUT, avocat au barreau de PARIS

CPAM DU VAL D'OISE

[Adresse 1]

[Localité 7]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre,et Mme Nina TOUATI, présidente de chambre assesseur chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Sophie BARDIAU, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 1er mars 2016, à [Localité 8] (77), Mme [S] [V] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule conduit par Mme [T], assuré auprès de la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (la société MATMUT).

Cet accident de trajet a été pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Par décision du 24 mai 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Meaux a ordonné une expertise médicale de Mme [V] confiée au docteur [G] qui a établi son rapport le 15 novembre 2017.

Une transaction a été conclue entre les parties le 2 août 2018 concernant l'indemnisation des préjudices consécutifs à l'accident à l'exception des postes de préjudice liés aux pertes de gains professionnels actuels et futurs et à l'incidence professionnelle.

Par acte d'huissier du 24 juillet 2019, Mme [V] a assigné la société MATMUT et la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise (la CPAM) devant le tribunal de grande instance de Meaux aux fins d'obtenir l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle.

Par jugement du 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Meaux a :

- fixé ainsi qu'il suit les préjudices résultant pour Mme [V] de l'accident du 1er mars 2016 :

* perte de gains professionnels futurs : 184 011,91 euros (dont 173 618,89 euros revenant à la victime et 10 393, 02 euros à la CPAM)

* incidence professionnelle : 10 000 euros

- condamné la société MATMUT à payer à Mme [V] la somme de 183 618, 89 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice,

- débouté Mme [V] et la société MATMUT de leurs demandes tendant à voir déclarer le jugement commun et opposable à la CPAM,

- condamné la société MATMUT à payer à Mme [V] la somme de 2 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MATMUT aux dépens avec recouvrement direct au profit de Maître Hadrien Muller, avocat,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 27 janvier 2021, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a limité la condamnation de la société MATMUT à lui payer la somme de 183 618, 89 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

La CPAM à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier du 24 février 2021, délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions de Mme [V], notifiées le 8 février 2022, aux termes desquelles, elle demande à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

- juger Mme [V] recevable et fondée en son appel du jugement du tribunal judiciaire de Meaux du 10 décembre 2020,

- infirmer le jugement du 10 décembre 2020 en ce qu'il a limité l'indemnisation de Mme [V] au titre de sa perte de gains professionnels futurs et de son incidence professionnelle à la somme totale de 183 618,89 euros,

- confirmer le jugement du 10 décembre 2020 dans ses autres dispositions,

Statuant à nouveau :

- juger Mme [V] bien fondée à solliciter l'indemnisation de son entier préjudice,

- condamner la société MATMUT à payer à Mme [V] :

A titre principal :

* perte de gains professionnels futurs : 737 348,11 euros (incluant la perte de droits à la retraite)

* incidence professionnelle : 50 000 euros,

A titre subsidiaire :

* perte de gains professionnels futurs : 491 565,40 euros

* incidence professionnelle : 295 782, 70 euros (incluant la perte de droits à la retraite),

- condamner la société MATMUT au paiement d'une somme de 3 500 euros à Mme [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Hadrien Muller, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM.

Vu les conclusions de la société MATMUT, notifiées le 11 mai 2021, aux termes desquelles, elle demande à la cour de :

- recevoir la société MATMUT en ses écritures et en son appel incident et y faisant droit,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux le 10 décembre 2020 en ce qu'il a alloué la somme de 10 000 euros à Mme [V] en indemnisation de son incidence professionnelle,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux le 10 décembre 2020 en ce qu'il a :

* fixé les pertes de gains professionnels futurs pour les deux emplois de Mme [V] à hauteur de 183 618,89 euros (173 618,89 euros pour la victime et 10 393,02 euros pour la CPAM)

* condamné la société MATMUT à payer à Mme [V] la somme de 183 618,89 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice,

Statuant à nouveau :

A titre principal,

- débouter Mme [V] de sa demande d'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à hauteur de 646 100, 69 euros à titre principal et 430 733,79 euros à titre subsidiaire,

- fixer le préjudice de Mme [V] au titre des pertes de gains professionnels futurs à la somme de 21 008,37 euros, soit :

- revenant à Mme [V] : 10 615,35 euros

- revenant à la CPAM : 10 393, 02 euros,

A titre subsidiaire :

- débouter Mme [V] de sa demande d'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à hauteur de 646 100, 69 euros à titre principal et 430 733, 79 euros à titre subsidiaire,

- fixer le préjudice de Mme [V] au titre des pertes de gains professionnels futurs à la somme de 101 235, 92 euros, soit :

- revenant à Mme [V] : 90 842,90 euros

- revenant à la CPAM : 10 393, 02 euros,

En tout état de cause :

- débouter Mme [V] de sa demande de condamnation de la société MATMUT au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente procédure d'appel et, à tout le moins, la réduire à de plus justes proportions,

- débouter Mme [V] de sa demande de condamnation de la société MATMUT aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour d'appel n'est saisie par l'effet des appels principal et incident que de l'indemnisation du poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs, incluant la perte de droits à la retraite et de l'incidence professionnelle.

L'expert, le Docteur [G], indique dans son rapport en date du 15 novembre 2017 que l'accident du 1er mars 2016 a entraîné «un coup du lapin» ou «Whiplash syndrome» sans lésion du segment mobile rachidien mais avec entorse cervicale et que Mme [V] conserve comme séquelles des cervicalgies ainsi qu'une dépression réactionnelle.

Il conclut notamment à :

-un arrêt d'activité professionnelle imputable à l'accident du 1er mars 2016 à ce jour,

- une consolidation au 1er septembre 2017,

- un déficit fonctionnel permanent de 10 %,

- un préjudice professionnel décrit dans les termes suivants : «A noter des difficultés de reprise du travail liées à un travail physique de manutention, pour lequel il est utile d'envisager un reclassement professionnel et d'entreprendre une démarche dans le cadre de la MDPH avec un stage et une réorientation professionnelle. Il est préconisé l'absence de port de charges et l'absence d'activité physique contraignante».

Son rapport constitue sous les précisions et amendements ci-après exposés une base valable d'évaluation du préjudice corporel de Mme [V] à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime née le [Date naissance 4] 1975, de son activité antérieure à l'accident d'opératrice de presse à temps plein pour la société de Traitement de presse du groupe Viapost (la société STP) et d'employée de station service à temps partiel pour la société LMSSI, de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Il convient de relever qu'il ressort du décompte définitif de créance de la CPAM en date du 20 décembre 2019 que cet organisme a pris en charge à la suite de l'accident de trajet/travail de Mme [V] en date du 1er mars 2016 des frais médicaux d'un montant de 8 068,05 euros et des indemnités journalières d'un montant de 42 722,98 euros entre le 2 mars 2016 et le 21 février 2018.

Par ailleurs, les parties s'opposant sur le choix du barème de capitalisation à retenir pour l'évaluation des préjudices futurs, il sera fait application, conformément à la demande de Mme [V] ,du barème publié par la Gazette du palais du 15 septembre 2020 avec un taux d'intérêts de 0 % qui est le plus approprié en l'espèce pour s'appuyer sur les données démographiques et économiques les plus pertinentes.

Sur la perte de gains professionnels futurs

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

Il peut inclure dans certaines circonstances les pertes de droit à la retraite, même si celles-ci constituent en principe une composante de l'incidence professionnelle.

Mme [V] fait valoir qu'en septembre 2018 elle a été autorisée par le médecin du travail à reprendre son poste d'opératrice de presse à temps partiel thérapeutique puis que le médecin du travail a préconisé en mars 2019 dans un avis définitif la poursuite de ce temps partiel pour raison médicale et qu'un avenant à son contrat de travail a été en conséquence signé le 15 mars 2019 avec effet au 1er avril 2019.

Elle expose par ailleurs qu'à la suite de l'accident lui interdisant le port de charges lourdes, elle a été licenciée pour inaptitude le 11 septembre 2018 de son emploi de pompiste dans une station essence.

Elle soutient ainsi qu'elle subit une perte de gains professionnels futurs correspondant à la différence entre ses gains professionnels antérieurs à l'accident et ses gains professionnels actuels et sollicite l'actualisation du revenu de référence sur la base de l'évolution du SMIC à compter du 1er février 2022.

Après imputation des indemnités journalières d'un montant de 10 393,02 euros versées par la CPAM après la consolidation, elle évalue à titre principal sa perte de gains professionnels futurs à la somme de 737 348,11 euros, capitalisée de manière viagère pour tenir compte de sa perte de droits à la retraite.

La société MATMUT soutient, s'agissant du poste d'opératrice de presse qu'occupait Mme [V] avant l'accident, qu'il n'est pas établi de lien de causalité entre le passage définitif à temps partiel et le fait dommageable et estime que seule doit être indemnisée la perte de revenus de la victime entre la date de consolidation et celle du 30 mars 2019.

Elle relève en particulier que le second avis du médecin du travail n'indique pas la nature des raisons médicales qu'il retient et ne comporte aucune référence à l'accident du 1er mars 2016.

S'agissant de l'emploi de Mme [V] dans une station service, la société MATMUT fait observer que l'avis d'inaptitude établi par le médecin du travail ne fait pas référence à l'accident et ne mentionne aucune raison médicale, de sorte qu'il n'est pas établi de lien de causalité entre le licenciement et l'accident.

Elle propose ainsi de chiffrer la perte de gains professionnels futurs imputable à l'accident à la somme de 10 615,35 euros au titre du seul emploi de Mme [V] auprès de la société STP du groupe Viapost, après imputation des indemnités journalières d'un montant de 10 393,02 euros.

Elle demande à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la cour retiendrait l'existence d'une perte de gains professionnels futurs de Mme [V] au titre de son emploi dans une station service d'évaluer cette perte jusqu'à la date prévisible de son départ à la retraite à l'âge de 63 ans à la somme de 80 227,55 euros et de chiffrer le poste de préjudice lié à la perte de gains professionnels futurs à la somme totale de 90 842,90 euros (10 615,35 reuros + 80 227,55 euros).

Sur ce, il résulte des pièces versées aux débats et notamment des bulletins de paie, que Mme [V] occupait avant l'accident un poste d'opératrice de presse à temps plein au sein de la société STP du groupe Viapost qui l'avait embauchée en contrat à durée indéterminée à compter du 14 janvier 2004.

Il ressort du contrat de travail à durée indéterminée et des bulletins de paie versés aux débats que Mme [V] travaillait parallèlement, à temps partiel les samedis et dimanches depuis le 21 janvier 2011 comme employée dans une station-service «Total» pour la société LMSSI.

Si l'expert judiciaire a estimé qu'il convenait d'envisager un reclassement professionnel en préconisant l'absence de port de charges et d'activité physique contraignante, il résulte des pièces versées aux débats que Mme [V] a été autorisée par le médecin du travail à reprendre son poste d'opératrice de presse à temps partiel thérapeutique (TPT) à compter du 11 septembre 2018 avec les aménagements horaires et restrictions suivants :

« reprise en TPT avec aménagement des horaires ; 3 journées de travail mardi, mercredi et vendredi ; horaires 9h à 15h30 y compris la pause déjeuner (...) ; pas de port de charges, temporairement ne peut être aux casiers ; le TPT pourra être prolongé sous réserve de prescription par le médecin traitant et acceptation par le médecin conseil ; à revoir lors de la reprise à temps plein ou dans six mois».

A l'issue de la période de travail à temps partiel thérapeutique qui a été renouvelée et dont il n'est pas contesté qu'elle est en lien avec l'accident, le médecin du travail a rendu le 13 mars 2019 un avis d'aptitude avec proposition de mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou de mesures d'aménagement du temps de travail, rédigé dans les termes suivants :

« Fin du TPT le 15 mars 2019. Ensuite poursuite d'un temps partiel pour raison médicale ; travail mardi, mercredi et vendredi de 9 heures à 16 heures soit 6h30 ; à revoir en cas de problème, sur sa demande ou celle de l'entreprise».

Il résulte des éléments qui précèdent que la poursuite du travail à temps partiel après l'expiration de la période de reprise de poste à temps partiel thérapeutique ne résulte pas d'un choix personnel de la salariée comme l'ont retenu à tort les premiers juges mais constitue une conséquence de l'accident de la circulation survenu le 1er mars 2016.

Il convient de relever que le fait que la société STP et Mme [V] aient conclu un avenant au contrat de travail consacrant cette mesure d'aménagement du temps de travail préconisée par le médecin du travail n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de ce lien de causalité, contrairement à ce que soutient la société MATMUT dans ses conclusions.

Il est ainsi établi que Mme [V] subit, s'agissant de son emploi d'opératrice de presse, une perte de gains professionnels futurs dans la mesure où elle a été contrainte à la suite du fait dommageable de réduire son temps de travail de manière pérenne.

S'agissant du travail à temps partiel qu'exerçait Mme [V] avant l'accident dans une station service «Total» exploitée par la société LMSSI, il convient d'observer que l'expert judiciaire devant lequel Mme [V] n'avait fait état que de son emploi d'opératrice de presse ne s'est pas prononcé sur le préjudice professionnel lié à cette seconde activité, ce qui n'exclut pas l'existence d'une perte de gains professionnels à ce titre qui peut être établie par tous moyens.

Il résulte des pièces versées aux débats qu'à la suite de l'avis d'inaptitude du médecin du travail, le Docteur [Y], Mme [V] a fait l'objet l'un licenciement pour inaptitude par la société LMSSI par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 11 octobre 2018.

Si l'avis d'inaptitude du médecin du travail établi le 13 septembre 2018 mentionne seulement que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, il est versé aux débats (pièce n° 30) la demande d'avis adressée par le médecin conseil de la CPAM au médecin du travail afin d'obtenir des renseignements concernant l'accident du travail de Mme [V] en date du 1er mars 2016 ayant généré une lésion au niveau du rachis cervical ainsi que l'avis du médecin du travail, le Docteur [Y], selon lequel Mme [V] paraît inapte à reprendre tout poste de travail dans l'entreprise avec la précision que son poste n'est «pas aménageable sans manutention ou contraintes en flexions/rotations des cervicales».

Ces éléments permettent d'établir que le licenciement pour inaptitude dont a fait l'objet Mme [V] est en lien de causalité direct et certain avec l'accident dont elle a été victime le 1er mars 2016 ainsi que la perte de salaire correspondante.

Compte tenu des séquelles que présente Mme [V] consistant en des cervicalgies et une dépression réactionnelle justifiant un taux de déficit fonctionnel permanent de 10 %, de son âge de 42 ans à la date de consolidation et de 47 ans à celle de la liquidation, de son absence de qualification pour des emplois autres que ceux physiquement exigeants exercés avant l'accident, il convient de retenir que sa capacité résiduelle de gains est limitée au salaire qu'elle perçoit pour son travail à temps partiel d'opératrice de presse.

Il est ainsi justifié d'une perte de gains professionnels futurs imputable à l'accident correspondant à la différence entre le montant des salaires que Mme [V] percevait avant la date de l'accident au titre de ses deux emplois à temps complet et de ceux qu'elle perçoit depuis la date de reprise à temps partiel de son emploi d'opératrice de presse.

Il convient de distinguer les pertes de gains professionnels échues au 31 janvier 2022, de celles échues entre le 1er février 2022 et la date de la liquidation pour lesquelles il est formé une demande d'actualisation afin de tenir compte des effets de la dépréciation monétaire et de celles à échoir jusqu'à la date prévisible de départ à la retraite de Mme [V] à l'âge de 67ans, date à laquelle compte tenu de son année de naissance elle pourra percevoir une retraite à taux plein, quel que soit le nombre de trimestres validés.

Par ailleurs, la perte de gains professionnels après consolidation de Mme [V] entraîne corrélativement une diminution de ses droits à la retraite.

En effet, Mme [V] étant salariée du secteur privé, sa pension de retraite sera calculée en application de l'article L. 161-17-3 du code de la sécurité sociale, sur la base de la moyenne des 25 meilleures années qui sont généralement les dernières de la carrière, de sorte que la diminution de ses revenus aura une incidence péjorative sur le montant de sa pension.

La cour est en mesure d'évaluer ce préjudice de retraite qui comme relevé plus haut peut être inclus dans les pertes de gains professionnels futurs à 25 % de la perte de salaire qui sera capitalisée à compter de l'âge de 67 ans de manière viagère.

Au bénéfice de ces observations, la perte de gains professionnels futurs de Mme [V] incluant sa perte de droits à la retraite, sera fixée comme suit :

* perte de gains professionnels futurs entre le 1er septembre 2017, date de la consolidation, et jusqu'au 31 janvier 2022.

Au vu des bulletins de salaire versés aux débats, Mme [V] percevait avant l'accident depuis la fin de son congé maternité un salaire net moyen de 1 324,42 euros au titre de son emploi d'opératrice de presse et un salaire net moyen de 438,29 euros au titre de son travail à temps partiel comme employée dans une station-service, soit un salaire net total de 1 762,71 euros par mois, soit 21 152,52 euros par an.

Il convient de relever que si Mme [V] évalue son revenu de référence à la somme de 24 419 euros correspondant au salaire net imposable déclaré dans son avis d'imposition au titre des revenus de l'année 2015, la perte de gains professionnel d'un salarié s'entend de sa perte de salaire net hors incidence fiscale et que le salaire net imposable inclut des taxes non déductibles que la victime n'a pas perçues.

Mme [V] aurait dû percevoir sans la survenance du fait dommageable des salaires d'un montant de 93 423,63 euros (1 762,71 euros x 53 mois).

Il ressort des bulletins de paie de la société LMSSI que Mme [V] n'a bénéficié d'aucun maintien de salaire entre le 1er septembre 2017 et la date de son licenciement pour inaptitude le 11 octobre 2018.

En revanche, il convient de déduire les salaires nets que Mme [V] a perçus de la société STP à compter de sa reprise d'activité à temps partiel en septembre 2018, soit la somme de 27 057,92 euros se décomposant comme suit :

- septembre 2018 : néant compte tenu d'un trop-perçu

- octobre 2018 : néant compte tenu d'un trop-perçu

- novembre 2018 : 404,14 euros

- décembre 2018 : 583,29 euros

- année 2019 : 8 154,53 euros

- année 2020 : 8 309,04 euros.

- année 2021 : 8 867,93 euros

- janvier 2022 : 738,99 euros (8 867,93 euros / 12) en absence de production du bulletin de salaire correspondant.

La perte de gains professionnels de Mme [V] s'établit ainsi pour la période considérée à la somme de 66 365,71 euros ( 93 423,63 euros - 27 057,92 euros).

Il convient d'imputer sur cette perte de gains les indemnités journalières servies par la CPAM à Mme [V] après la date de consolidation qui ont vocation à indemniser ce poste de préjudice, étant observé que du décompte de la créance définitive de la CPAM établi le 20 décembre 2019 ne fait état d'aucun capital ni d'aucune rente d'accident du travail servie à Mme [V].

Au vu du décompte du 20 décembre 2019, il apparaît que la CPAM a versé à la suite de l'accident de trajet de Mme [V] des indemnités journalières brutes d'un montant de 10 393,02 euros (174 jours x 59,73 euros) entre le 1er septembre 2017 et le 21 février 2018.

Le montant des indemnités journalières nettes effectivement perçues par Mme [V] s'élève, après déduction de la CRDS et de la CSG dont les taux respectifs étaient à l'époque des versements de 0,5 % et 6,20 % , à la somme de 9 696,69 euros [10 393,02 euros - (10 393,02 euros x 6,70 %)].

Après imputation de la créance de la CPAM, il revient à Mme [V] pour la période du 1er septembre 2017 au 30 janvier 2022 la somme de 56 669,02 euros (66 365,71 euros - 9 696,69 euros).

* perte de gains professionnels futurs entre le 1er février 2022 et la date de la liquidation

Mme [V] demande d'actualiser le revenu de référence en fonction de l'évolution du SMIC horaire brut.

S'il est justifié dès lors que la demande en est faite d'actualiser le revenu de référence pour tenir compte des effets de la dépréciation monétaire, il convient de le faire non en fonction de l'évolution du SMIC horaire brut mais de l'indice des ménages urbains série France entière publié par l'INSEE.

Le salaire de référence 1 762,71 euros après actualisation s'élève ainsi à la somme de 1 876,40 euros.

En l'absence de production des bulletins de paie des mois de février 2022 à novembre 2022, il convient de retenir que Mme [V] a perçu de la société STP un salaire moyen d'un montant de 738,99 euros par mois équivalent à celui dont elle a bénéficié au cours de l'année 2021.

Sa perte de salaire net s'élève ainsi à la somme de 1 137,41 euros par mois (1 876,40 euros - 738,99 euros), soit un montant total de 11 055,63 euros (1 137,41 euros x 9,72 mois).

Les indemnités journalières servies après consolidation ayant été intégralement imputées, cette somme revient intégralement à Mme [V].

* perte de gains professionnels futurs à échoir entre la date de la liquidation et la date prévisible de départ à la retraite de Mme [V] à l'âge de 67 ans :

Il convient de capitaliser la perte de salaire annuelle de Mme [V] d'un montant de 13 648,92 euros (1 137,41 euros x 12 mois) en fonction de l'euro de rente temporaire prévu par le barème retenu par la cour pour une femme âgée de 47 ans à la date de la liquidation :

* 13 648,92 euros x 19,418 = 265 034,73 euros.

Les indemnités journalières servies après consolidation ayant été intégralement imputées, cette somme revient intégralement à Mme [V].

* Sur la perte de droits à la retraite

Comme retenu plus haut, la perte de droits à la retraite de Mme [V] sera indemnisée à hauteur de 25 % de sa perte de salaire capitalisée en fonction de l'euro de rente viagère prévu par le barème retenu par la cour pour une femme âgée de 67 ans à la date prévisible de départ à la retraite.

La perte de salaire de Mme [V] représentant un montant net annuel de 13 648,92 euros, son préjudice de retraite s'établit comme suit :

13 648,92 euros x 25 % x 20,937 = 71 441,86 euros.

************

Au bénéfice de ces observations, la perte de gains professionnels futurs de Mme [V] incluant sa perte de droits à la retraite, s'élève après imputation de la créance de la CPAM à la somme de 404 201,24 euros (56 669,02 euros +11 055,63 euros + 265 034,73 euros + 71 441,86 euros).

Le jugement sera infirmé.

Sur l'incidence professionnelle

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap ; il inclut les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste et la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail.

Mme [V] réclame en infirmation du jugement une indemnité d'un montant de 50 000 euros en réparation de ce poste de préjudice.

Elle fait valoir qu'elle subit une incidence professionnelle caractérisée par le fait qu'elle a été déclarée inapte au métier d'employée de station service qu'elle exerçait depuis 2011, par l'impossibilité de reprendre son emploi d'opératrice de presse dans les conditions antérieures et par une pénibilité accrue pour tout type d'emploi nécessitant des manutentions.

La société MATMUT estime que ce poste de préjudice n'est constitué que d'une pénibilité accrue qu'elle demande à la cour d'évaluer à la somme de 10 000 euros retenue par les premiers juges.

Sur ce, il résulte des motifs qui précèdent que Mme [V] a été contrainte d'abandonner sa profession d'employée de station-service à la suite de l'accident, qu'ainsi que le relève l'expert judiciaire, elle ne peut plus porter de charges lourdes ni effectuer d'activité physique contraignante, qu'elle ne peut plus exercer son activité d'opératrice de presse dans les conditions antérieures au fait dommageable ainsi qu'en attestent plusieurs collègues de travail, qu'elle subit également une pénibilité accrue dans tout type d'emploi de manutention en raison des cervicalgies persistantes constatées par l'expert judiciaire.

Cette incidence professionnelle sera intégralement réparée par l'allocation d'une indemnité d'un montant de 30 000 euros.

Le jugement sera infirmé.

Sur les demandes annexes

Il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt commun à la CPAM qui est en la cause.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

La société MATMUT qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supporteront la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer à Mme [V] en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe et dans les limites de l'appel,

- Confirme le jugement, hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Condamne la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes à payer à Mme [S] [V], provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire non déduites, les sommes suivantes au titre des préjudices ci-après :

- perte de gains professionnels futurs incluant le préjudice de retraite : 404 201,24 euros

- incidence professionnelle : 30 000 euros,

- Condamne la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes à payer à Mme [S] [V] en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- Condamne la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/01908
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;21.01908 ?
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