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17/11/2022 | FRANCE | N°20/18797

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 17 novembre 2022, 20/18797


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022



AUDIENCE SOLENNELLE



(n° 382/2022, 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/18797 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC3DE



Décision déférée à la Cour : Décision du 10 Novembre 2020 -Conseil de l'ordre des avocats de PARIS



DEMANDEUR AU RECOURS



LE PROCUREUR GENE

RAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

SERVICE DES PROFESSIONS JUDICIAIRES

[Adresse 3]

[Localité 4]



DÉFENDEUR AU RECOURS



Madame [F] [T]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Davi...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2022

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° 382/2022, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/18797 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC3DE

Décision déférée à la Cour : Décision du 10 Novembre 2020 -Conseil de l'ordre des avocats de PARIS

DEMANDEUR AU RECOURS

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE PARIS

SERVICE DES PROFESSIONS JUDICIAIRES

[Adresse 3]

[Localité 4]

DÉFENDEUR AU RECOURS

Madame [F] [T]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me David LEVY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101

LE BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DE [Localité 4] ES QUALITE DE REPRESENTANT DE L'ORDRE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Hervé ROBERT de la SCP SCP Hervé ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0277

LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Hervé ROBERT de la SCP SCP Hervé ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0277

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Septembre 2022, en audience tenue en en audience publique à la demande de Mme [T], devant la Cour composée de :

- Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente

- Mme Patricia GRASSO, Présidente de chambre

- Madame Estelle MOREAU, Conseillère

- Mme Agnès BISCH, Conseillère

- Mme Nicole COCHET, Magistrate honoraire juridictionnel

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Nora BENDERRADJ

MINISTERE PUBLIC :

représenté lors des débats par Mme Florence LIFCHITZ, qui a fait connaître son avis.

DÉBATS : à l'audience tenue le 22 Septembre 2022, on été entendus :

- Mme Nicole COCHET a été entendue en son rapport

- Mme Florence LIFCHITZ, Substitute du Procureur général en ses observations,

- Me David LEVY, avocat au barreau de PARIS, assistant Mme [F] [T]

- Me Hervé ROBERT, avocat représentant le Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de PARIS et le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de PARIS en qualité de représentant de l'ordre, en ses observations

- Mme [F] [T], est entendue en ses observations

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Nora BENDERRADJ, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

* * *

Par arrêté du 10 novembre 2020, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris a accueilli la demande d'inscription au tableau de Mme [F] [T] sur le fondement de l'article 98-3° du décret du 27 novembre 1991.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 décembre 2020, reçue au greffe le 18 décembre 2020, M. le procureur général, sur la notification qui lui en a été adressée le 19 novembre 2020 reçue le lendemain, a formé un recours contre cette décision.

Dans ses conclusions régulièrement communiquées qu'il reprend et développe oralement à l'audience, le ministère public demande à la cour :

- de déclarer son recours recevable,

- d'infirmer l'arrêté du 10 novembre 2020 acceptant la demande d'inscription au barreau de Mme [T] et de rejeter en conséquence cette demande.

Dans ses écritures communiquées en temps utile, visées par le greffe le 22 septembre 2020 et soutenues oralement à l'audience, Mme [T] fait valoir que le recours du procureur général n'est pas fondé et demande à la cour de le rejeter et de confirmer en toutes ses dispositions la décision du conseil de l'ordre ayant accepté son inscription.

Le conseil de l'ordre du barreau de Paris et le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris s'en rapportent à justice sur le recours.

Mme [T] a eu la parole en dernier.

Au soutien de son recours, le ministère public, rappelant les dispositions de l'article 98-3° du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, fait valoir que s'il n'est pas contesté que Mme [T], titulaire d'une maîtrise en droit mention droit des affaires, satisfait à la condition de diplôme en droit exigée par l'article 11 de la loi du 31 décembre 2020 , il n'apparaît pas en revanche qu'elle justifie d'une pratique professionnelle d'au moins huit années au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises selon l'interprétation constante de la Cour de cassation, restrictive du fait de la nature dérogatoire du texte en cause.

En effet,

- employée en tant qu'assistante juridique au sein de l'entreprise OGF entre 2008 et 2009, Mme [T] n'y a pas eu une activité exclusive de juriste, y ayant notamment assuré aussi le suivi des factures et l'organisation des réunions du comité de direction ;

- elle a ensuite occupé des fonctions au sein du groupe Casino, d'abord comme assistante juridique chez Leader Price du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, soit pendant deux ans, puis comme juriste en droit social chez Casino du 1er janvier 2012 au 27 mars 2014, soit pendant deux ans, deux mois et 26 jours ;

Dans ce contexte, elle a été notamment en charge, selon son curriculum vitae, du conseil en gestion des relations individuelles et sur les problématiques collectives, de formation des directeurs de magasins et des directeurs des ressources humaines, de veille juridique et de conception de fiches pratiques et notes pour les équipes des ressources humaines, soit des tâches étrangères au traitement des problèmes juridiques concrets posés par l'activité de l'ensemble des services de l'entreprise ;

Ses évaluations montrent d'ailleurs qu'elle était alors rattachée à des services à compétence dans les domaines juridique et social, et non pas à un service spécialisé et structuré chargé de résoudre les problèmes juridiques et juridictionnels soulevés par l'activité de l'ensemble des services de l'entreprise ;

- Elle a en dernier lieu été engagée en tant que responsable juridique droit social au sein de cabinet [H], du 1er juin 2014 au 20 avril 2020, date du dépôt de son dossier d'inscription, soit 5 ans, 10 mois et 20 jours ;

Dans ce cadre également, son curriculum vitae comme l'attestation de la responsable des affaires sociales au sein de l'entreprise montrent que ses fonctions, articulées autour de plusieurs axes, n'étaient pas exclusivement dédiées au traitement des problèmes juridiques posés par l'activité de l'entreprise, ce que confirment son contrat de travail et l'organigramme de l'entreprise, qui font état de son rattachement la direction des affaires sociales.

Les exigences posées par la Cour de cassation, requérant au moins huit années de fonctions exercées exclusivement dans un service spécialisé chargé, dans la ou les entreprises employeurs, des problèmes juridiques posés par l'activité de l'ensemble des services qui la constituent, ne sont donc pas remplies.

Mme [T] contredit en défense cette appréciation et demande au contraire à la cour de juger remplies les conditions nécessaires à son inscription dérogatoire, objectant au ministère public :

- qu'au sein du groupe Casino, elle avait notamment pour mission de gérer le traitement des problématiques juridiques liées aux relations individuelles et collectives du travail, et les contentieux en relation avec les conseils de l'entreprise ;

- qu'au sein du cabinet [H], elle a notamment en charge la gestion des relations individuelles et collectives, celle ci supposant une analyse précise des contours juridiques compte tenu du risque considérable lié à la méconnaissance éventuelle d'une disposition légale ou règlementaire lors de la conclusion, de la vie ou de la rupture du contrat de travail, les relations avec le CSE, et le suivi des contentieux ;

- que l'exigence d'exercice des fonctions dans un service spécialisé et structuré n'interdit pas que le service juridique en question soit rattaché à un autre service : il doit être identifié, mais pas nécessairement autonome, à moins de vouloir imposer aux entreprises un mode d'organisation interne et des dénominations qui relèvent en fait de leur propre choix ;

- qu'en l'occurrence le groupe [H], dans son organisation interne, a fait le choix d'organiser le traitement des sujets juridiques et juridictionnels soulevés par l'activité de l'entreprise par des équipes de juristes dépendant de plusieurs directions de rattachement auxquelles elles apportent leur support ; au sein de ces directions, elles constituent exactement le service spécialisé et structuré visé par la jurisprudence de la Cour de cassation : tel est, en ce qui concerne Mme [T], le pôle juridique de la direction des ressources humaines de trois personnes auquel elle appartient, qui, au sein de cette direction n'interfère en rien sur les sujets opérationnels tels que la paie ou le recrutement;

- que la réalité des attributions de juriste en droit social exercées par Mme [T] à titre exclusif découle des objectifs, évaluations et attestations décrivant les fonctions exercées, quoi qu'il en soit par ailleurs des arguments non pertinents tirés par le ministère public du curriculum vitae, qui est sans valeur contractuelle, et du contrat de travail, alors qu'en droit du travail c'est le fait qui prime sur la convention, le travail de veille juridique inséparable de la pratique du juriste en droit social qu'elle a effectué n'étant pas davantage le signe d'une activité autre que dédiée à la solution des problèmes juridiques qui lui étaient posés ;

- que la période de huit années d'exercice des fonctions de juriste d'entreprise au sens de l'article 98-3° lui est ainsi acquise.

SUR CE

L'article 98 du décret n° 91-1197 du décret du 27 novembre 1991 dispose :

'Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :

...

3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises,

...'

D'interprétation jurisprudentielle constante, les activités exercées, pour être prises en compte dans la pratique professionnelle visée par ce texte, doivent correspondent à des fonctions exclusivement juridiques dans un service spécialisé et structuré chargé de résoudre les problèmes juridiques et juridictionnels soulevés par l'activité de l'ensemble des services de l'entreprise.

Mme [T] ne se référant pas à son activité au sein du groupe OGF en 2008-2009, il n'y a pas lieu d'examiner la première objection de l'appelant, tenant à la consistance de ses activités au sein de cette entreprise.

L'intimée est peu précise sur la nature de ses activités au sein du groupe Casino, qui l'a employée du 1er janvier 2010 au 27 mars 2014 d'abord en tant qu'assistante juridique, puis à compter du 1er janvier 2012 au sein du Pôle Conseil juridique et social, soit au total quatre ans, deux mois et deux jours : aucun contrat de travail précisant la nature des missions qui lui étaient imparties au sein de ce pôle n'est produit aux débats, et l'attestation émanant de la directrice de ce pôle, datée du 16 avril 2014, se borne à lui décerner un satisfecit général sur ses capacités d'analyse, son efficacité et sa rigueur, et sur la force de son engagement à maîtriser les problématiques qui lui étaient soumises 'tant dans le cadre des conseils auprès de ses interlocuteurs ressources humaines que dans le suivi des dossiers contentieux qui lui ont été confiés ...', sans autre précision sur la nature des tâches ainsi exécutées.

Il reste donc à se référer, comme le fait le ministère public, à la partie du curriculum vitae de Mme [T] qui correspond à cette période de sa vie professionnelle, faisant état d'activités de '- conseil en gestion des relations individuelles,

- instruction et suivi des contentieux en relation avec les avocats,

- conseils aux opérationnels sur des problématiques collectives en liaison avec la direction des relations sociales,

- conception et animation de formations des directeurs de magasins et des responsables des relations humaines,

- veille juridique et conception de fiches pratiques et de notes pour les équipes RH '.

De cette énumération et de l'examen des fiches établies dans le cadre de ses entretiens d'évaluation et de professionnalisation pour les années 2012 et 2013 dont Mme [T] se prévaut, il résulte que si certes elle a exercé des activités relevant du domaine juridique, elle a également été en charge,

- en 2012, notamment, de la mise à jour d'un 'tableau des contentieux' et de la 'mise en place d'un système d'enregistrement des sanctions' soit des tâches relevant plus de l'organisation administrative de l'entreprise et du suivi de la situation des salariés que du domaine juridique,

- en 2013, notamment, de l'animation 'en région' d'un module de formation sur un thème en droit social, activité qui faisait partie de ses objectifs et qui a apparemment muté en 'une réunion sur le bassin [Localité 4], au cours de laquelle les RRH et le directeur de bassin étaient présents; certains thèmes sensibles ont pu être balayés notamment sur le harcèlement', et de la 'prise en charge des dossiers du bassin [Localité 4]- Bretagne et nouer des relations de confiance avc la responsable de bassin et les RRH',

- les objectifs qui lui ont été fixés pour l'année 2014 étant, entre autres, de mener des 'actions de sensibilisation en droit social auprès des équipes RH et des bassins', 'd'établir un dossier sur l'insuffisance professionnelle à destination des juristes', et de 's'imposer comme le référent concernant les travailleurs étrangers au sein de l'équipe'.

Sa mission n'était donc pas seulement juridique, mais très largement teintée de préoccupations opérationnelles et également consacrée à la gestion des relations individuelles, l' animation et la formation des équipes, en sorte que l'exigence d'exercer l'activité de juriste à titre exclusif au sein de l'entreprise n'est manifestement pas remplie pour la période considérée, ce qui interdit de la prendre en considération dans la période de huit années d'exercice exigée pour bénéficier du régime dérogatoire revendiqué.

Mme [T] ayant ensuite pris ses fonctions au sein du cabinet [H] en juin 2014, et sa situation devant être appréciée au jour du dépôt de sa demande au conseil de l'ordre, dont la date, qui n'est précisée nulle part au dossier, ne peut être postérieure à celle du 10 novembre 2020 à laquelle le conseil de l'ordre a statué . Ainsi, à supposer que cette période ' [H]' puisse être validée au titre d'une activité de juriste d'entreprise conforme à l'interprétation de la Cour de cassation , sa durée en en toute hypothèse insuffisante pour permettre d'accorder à Mme [T] le bénéfice de la dérogation de l'article 98-3°.

La cour dit ainsi bien fondé le recours du ministère public et, infirmant la décision dont appel, rejette la demande d'inscription dérogatoire formée par Mme [T].

Partie succombante, Mme [T] supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme l'arrêté dont appel,

Rejette la demande d'inscription dérogatoire formée par Mme [F] [T],

Condamne Mme [F] [T] aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/18797
Date de la décision : 17/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-17;20.18797 ?
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