Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11918 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBW6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Octobre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 18/07215
APPELANT
Monsieur [D] [M]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Olivier BERNARDY, avocat au barreau de PARIS, toque : R107
INTIMEE
SAS CDP DISTRIBUTION venant aux droits de la société CD DISTRIBUTION
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Anne-guillaume SERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : R105
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, et Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et par Joanna FABBY,Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
M. [D] [M] a été engagé par contrat à durée indéterminée du mois d'août 1989 (non produit) en qualité de représentant par la société Soma. En 1995, cette dernière a été reprise par le groupe Sign Diffusion, lui-même repris par le groupe Carpentras Sign. Son contrat a ensuite été transféré en 1998 à la société CD Distribution qui a été rachetée par le groupe Calendriers de Paris en janvier 2016.
La société a pour activité la papeterie et les fournitures de bureaux. Elle emploie plus de 10 salariés.
Depuis le mois de juillet 1997, M. [M] était responsable du développement produit de l'ensemble de la gamme 'cadeaux'. En dernier lieu, il exerçait les fonctions de directeur du département écriture, dans les locaux du groupe Calendriers de Paris, auquel la société CD Distribution appartient, sis [Adresse 2].
Au titre de ses fonctions, M. [M] était plus particulièrement chargé du développement des produits d'écriture (stylos, feutres etc...) que l'entreprise commercialisait sous ses marques propres ou sous des marques prises en licence (initialement [O] et [F] [Z] puis [U], Ines de la Fressange et Avenue Montaigne). L'activité de développement consistait à déterminer les tendances pour l'année à venir en matière de produits d'écriture, à sélectionner des fabricants, à suivre la production et la mise au point à partir de prototypes des collections définitives puis à suivre et analyser les résultats de la commercialisation.
A compter du mois de mars 2017, M. [M] a été placé en arrêt de travail, régulièrement renouvelé.
M. [M] a adressé, le 25 mars 2017, une lettre recommandée à son employeur pour formuler diverses réclamations, lequel a répondu par courrier du 31 mars 2017.
Par lettre recommandée distincte, également datée du 25 mars 2017, M. [M] a sollicité de la direction qu'elle organise les élections de délégués du personnel.
Divers courriers ont ensuite été échangés entre les parties sur ce point.
Le 7 septembre 2017, le premier tour des élections s'est déroulé, deux salariés ont été élus et la direction a informé M. [M] que le second tour n'aurait pas lieu.
En parallèle, le 30 août 2017, la société a adressé à M. [M] une lettre de convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement puis lui a notifié son licenciement pour motif économique le 29 septembre 2017, indiquant ne pas avoir trouvé de poste de reclassement.
Contestant la mesure de licenciement prononcée contre lui, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 26 septembre 2018 aux fins de voir notamment prononcer sa nullité.
Par jugement contradictoire du 28 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné aux dépens et a débouté la société CD Distribution de ses demandes.
Par déclaration du 29 novembre 2019, M. [M] a relevé appel de ce jugement.
Selon ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 13 mai 2022, M. [M] demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de :
- juger que son salaire mensuel moyen au cours des 12 derniers mois d'activité chez la société CD Distribution a été de 4.008,33 euros brut,
- juger qu'il a été victime à partir du début de l'année 2016 d'une série d'agissements et actions de la part de la société CD Distribution, constitutifs à son encontre de harcèlement et l'ont empêchés de pouvoir continuer à développer ses activités pour l'entreprise dans des conditions normales et acceptables,
- juger que le licenciement dont il a fait l'objet de la part de la société CD Distribution, s'est inscrit dans le prolongement de ces agissements et actions dont, en définitive, il a constitué le point final,
- juger par suite que ce licenciement est entaché à ce titre de nullité,
- juger par ailleurs qu'il avait la qualité de candidat imminent aux élections des délégués du personnel qui se sont tenus chez la société CD Distribution et dont le premier tour a eu lieu le 8 septembre 2017,
- juger qu'il avait de ce fait la qualité de salarié protégé,
- juger qu'à la date de sa convocation à l'entretien préalable à son licenciement, il avait encore cette qualité et qu'en conséquence, son licenciement, pour pouvoir être valablement prononcé, aurait dû avoir été préalablement autorisé par l'inspection du travail,
- juger que tel n'a pas été le cas,
- juger par suite qu'à ce second titre, le licenciement est également entaché de nullité,
- prendre acte qu'en dépit de la nullité du licenciement prononcé contre lui, il ne demande pas sa réintégration au sein de la société CD Distribution,
- condamner en conséquence la société CD Distribution à lui payer les sommes suivantes :
100.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul en application de l'article L 1235-3-1 du code de travail (ou, à titre subsidiaire, 80.000 euros en application de l'article L 1235-3 de ce code) ;
12.025 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1.202,50 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
- condamner la société CD Distribution à lui payer en outre à raison des agissements et actions constitutifs de harcèlement susvisés une somme de 50.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice physique et moral qu'il a subi de ce fait,
- la condamner également à lui payer une somme de 9.304,34 euros, montant de ses frais et forfaits de frais restés impayés,
- la condamner en outre, en application de l'article 700 du code de procédure civile à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles que la présente procédure l'a contraint à engager,
- la condamner enfin aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux susceptibles d'être engagés pour poursuivre l'exécution forcée de l'arrêt à intervenir,
- juger irrecevable et non fondée la société CD Distribution en toutes ses demandes à son encontre, et, en particulier, en sa demande de condamnation à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel, et le débouter de ces demandes.
Selon ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 25 mai 2020, la société CD Distribution demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris le 28 octobre 2019 en toutes ses dispositions, de débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens éventuels.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L'instruction a été déclarée close le 1er juin 2022.
MOTIFS :
A titre liminaire, la cour constate que la dénomination de la société est 'CDP Distribution' selon le dernier extrait Kbis produit aux débats.
Sur l'exécution du contrat
Sur les frais professionnels
M. [M] soutient que la société CD Distribution lui est redevable d'une somme de 9.304,34 euros au titre de remboursements de frais. Il expose qu'après la reprise de la société CD Distribution par le Groupe Calendriers de Paris, son employeur a tenté de supprimer le forfait mensuel de frais pour véhicule de 792,73 euros et le remboursement de ses frais de déjeuner, dont il bénéficiait pourtant de manière continue depuis plus de 27 années. Il ajoute que ces sommes correspondent en réalité à des compléments de salaire et non pas à des remboursements effectifs de frais.
La société conteste devoir une somme à ce titre et fait valoir que l'appelant ne produit aucun justificatif. Elle ajoute que ce n'est pas l'usage dans l'entreprise de rembourser chaque mois à un salarié l'intégralité de ses déjeuners et que si M. [M] affirme qu'il s'agissait d'une disposition de son contrat de travail initial, il ne l'a jamais versé aux débats.
Il est de règle que les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur, doivent lui être remboursés. Il appartient toutefois au salarié de rapporter la réalité des frais qu'il soutient avoir exposés et le montant de la créance qui en découle.
Comme soutenu par l'employeur il ne ressort d'aucune pièce contractuelle l'existence d'un 'forfait voiture', ni l'engagement de rembourser au salarié tous ses déjeuners. Malgré les demandes de la société CD Distribution à laquelle le contrat de travail a été transféré en dernier lieu, M. [M] n'a pas produit les éléments contractuels en ce sens.
En outre, à l'appui de sa demande de paiement de 'ses frais et forfaits de frais restés impayés', il se borne à produire des tableaux mentionnant, outre un forfait mensuel voiture de 792,73 euros, des sommes au titre de frais d'essence, de parking, de péages, de repas et 'divers' (sans plus de précision) sans produire les justificatifs correspondants et établissant que les dépenses dont il demande le remboursement ont été engagées pour les besoins de ses fonctions.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur le harcèlement
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Suivant l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
M. [M] soutient que depuis que le groupe Calendriers de Paris a racheté la société CD Distribution, ses conditions de travail se sont dégradées, altérant son état de santé.
Il invoque les faits suivants :
- La suppression de son bureau personnel lorsqu'il a été transféré dans les locaux de la société Calendriers de Paris sis [Adresse 2], devant alors partager un bureau avec un salarié de Calendriers de Paris, ainsi que l'absence de mobilier de rangement des dossiers et échantillons et la nécessité de multiples demandes pour en obtenir mais à la double condition qu'il se charge lui-même de son transport et de sa livraison et qu'il en avance le prix.
Les mails produits établissent l'absence de bureau personnel et les demandes de matériels formalisées par le salarié en juin et juillet 2016 et son constat le 2 décembre 2016 de ne toujours pas disposer des éléments de rangement et des tables permettant de visualiser l'intégralité des prototypes en cours.
- La suppression de ses moyens matériels et logistiques pour mener à bien ses tâches, notamment qu'aucune solution de remplacement ne lui a été offerte lorsque son IPhone de société qu'il utilisait comme appareil photo, a cessé de fonctionner en début d'année 2016, de sorte qu'à partir de juin il en a été réduit à utiliser pour la prise de clichés, son téléphone portable personnel ; qu'aucune imprimante n'a été mise à sa disposition, seule une imprimante en réseau existant mais ne disposant pas de l'interface lui permettant de communiquer avec son ordinateur de travail ; qu'il travaillait depuis très longtemps avec les programmes 'Illustrator', 'Photoshop', 'Acrobat ' qui lui ont été retirés sans préavis ni concertation en fin d'année 2016 et que la suite 'Microsoft' mise à sa disposition était insuffisante pour accomplir ses tâches ; qu'aucune connexion avec le serveur de l'entreprise ne lui a été fournie, avec pour conséquence l'impossibilité pour lui de pouvoir disposer directement d'informations sur les produits d'écriture dont il avait pourtant la responsabilité.
Le salarié justifie avoir informé son employeur en avril, septembre, novembre et décembre 2016 de divers dysfonctionnement avec ses outils de travail et avoir évoqué par la suite la nécessité d'une formation à l'utilisation de nouveaux matériels.
Il produit également une attestation de Mme [N], styliste Accessoires de la maison [F] [Z] puis, 'Free-lance', de la marque [O] jusqu'en 2017 qui indique qu'ils échangeaient de nombreuses photos des produits en cours de développement, que M. [M] lui faisait parvenir également des photos prises sur les différents salons qu'il visitait pour la tenir au courant des tendances et de la veille concurrentielle et que concernant la phase de création des décors des stylos, ils utilisaient des fichiers vectorisés réalisés par le logiciel Adobe Illustrator et finalisaient les détails des présentations en utilisant le logiciel Photoshop. Elle ajoute qu'il maîtrisait depuis de nombreuses années ces logiciels qui étaient des outils indispensables dans la construction des gammes en collaboration réciproque et que la suppression en 2016 de ces outils indispensables a rendu leur travail extrêmement compliqué puisque M. [M] n'était plus en mesure de lui transmettre les photos des échantillons ni de vérifier et modifier les fichiers techniques création.
- La suppression du voyage qu'il devait faire en octobre 2016 en Asie, peu de temps avant la date de départ prévue, bien que tous ses rendez-vous sur place fussent déjà confirmés et qu'il n'ait jamais été évoqué qu'il ne l'effectue pas et alors que depuis de nombreuses années, il se rendait deux fois par an en Asie pour visiter les fournisseurs auxquels l'entreprise confiait la fabrication de ses produits d'écriture.
Ce fait est établi par un échange de mails en septembre et octobre 2016.
- La remise en cause de ses demandes de remboursement de frais et la suppression de son forfait mensuel de frais pour véhicule et le remboursement de ses frais de déjeuner, dont il bénéficiait pourtant de manière continue depuis plus de 27 années.
Ce fait est établi par plusieurs échanges avec son employeur.
- La tentative de M. [E] en sa qualité de dirigeant de la société CD Distribution de lui imposer la communication à l'un des donneurs de licence importants de l'entreprise, la société Ines de la Fressange, d'un montant de chiffre d'affaires relatif aux produits commercialisés sous cette marque, très inférieur à celui réellement développé.
M. [M] produit un échange de mails de décembre 2016 dont il ressort qu'il lui a été demandé en vue d'un rendez vous avec la société Inès de la Fressange de 'minimiser au plus bas les ventes sur 2016", le salarié demandant alors à ne pas venir au rendez vous et mettant en garde son employeur sur le risque de recoupement des informations par le client.
Ce fait est établi.
- L'ajout début février 2017 d'une tâche ne relevant aucunement de ses fonctions, à savoir d'accompagner sur le terrain les commerciaux de l'entreprise dans leur tournée, ce que, de manière provisoire et ponctuelle, il a accepté de faire.
Il ressort d'un message du 6 février 2017 que M. [E] a demandé à M. [M] d'accompagner régulièrement les commerciaux dans leur tournée pour les aider sur la vente des produits, alors que cette mission ne ressort pas du poste de M. [M] à savoir directeur du département écriture et qui consiste notamment, comme il l'indique dans ses écritures sans être démenti, à suivre et analyser les résultats de la commercialisation des produits d'écriture que l'entreprise commercialisait sous ses marques propres ou sous licence et non à agir directement sur le terrain avec les commerciaux.
Ce fait est donc établi.
Par ailleurs, il justifie avoir par une lettre recommandée du 25 mars 2017 alerté son employeur sur le comportement dégradant qu'il estimait subir depuis janvier 2016 et le rachat par le groupe Calendriers de Paris de la société CD Distribution. Il évoquait en particulier la suppression de ses moyens matériels et logistiques.
Il produit également des arrêts pour maladie à compter du 8 mars 2017, mentionnant pour certains 'burn out professionnel' ou 'syndrome anxio-dépressif', le courrier du médecin du travail du 11 avril 2017 à un confrère faisant état de sa 'situation de souffrance au travail majeure avec retentissement sur sa santé psychique et physique', l'avis du médecin du travail du 23 juin 2017 préconisant d'éviter les déplacements professionnels et d'aménager le poste de travail.
M. [M] présente ainsi des faits qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement à son égard.
En réponse, la société renvoie uniquement à son courrier du 31 mars 2017 adressé à M. [M] et ne produit aucune pièce sur les différents faits évoqués par le salarié.
Dans ce courrier, elle affirme sans être contredite que depuis le déménagement pour rejoindre les bureaux du nouvel actionnaire, M. [M] occupait un bureau de 20 m² avec [X] [L], responsable de fabrication pour les agendas et que l'ensemble des collaborateurs, y compris la direction, travaillait en bureau partagé.
Toutefois, la société ne justifie pas avoir pris une quelconque mesure après l'avis du médecin du travail du 23 juin 2017 qui préconisait notamment un aménagement du poste de travail avec un bureau non partagé et une imprimante compatible avec ordinateur, s'étant limitée à lui répondre le 11 juillet 2017 n'avoir aucune possibilité d'affecter M. [M] à un tel bureau sans rechercher de solution telle que l'installation d'une cloison mobile.
Sur le matériel, dans le courrier susvisé, l'employeur reconnaît que M. [M] avait indiqué lors de son installation manquer de mobilier de rangement pour ses dossiers et échantillons et qu'après plusieurs études, il avait validé un budget de 448,25 euros pour ce faire, mais à charge pour le salarié de 's'occuper de la commande et de l'installation', alors qu'il appartient à l'employeur de fournir au personnel les moyens nécessaires à ses fonctions. De même, il apparaît que le salarié devait en avancer le prix. Enfin, aucune réponse n'est produite postérieurement au courrier du 2 décembre 2016, dans lequel le salarié indiquait que la question du mobilier de rangement n'était toujours pas réglée.
Si, s'agissant du matériel photographique, la société lui a indiqué qu'un studio de photographie était à sa disposition pour effectuer des clichés de qualité, celui-ci se trouvait à [Localité 3] et non à [Localité 4].
De même, s'il revient à l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction de choisir le matériel informatique et les logiciels utilisés en son sein, il ne justifie pas avoir proposé à M. [M] une quelconque formation à l'utilisation des nouveaux outils proposés à savoir un ordinateur portable PC au lieu de son ordinateur Apple et la suite bureautique Microsoft au lieu des logiciels utilisés auparavant et depuis des années et alors que le salarié faisait état de cette nécessité dans son courrier du 10 juin 2017.
Enfin, la société n'apporte aucune explication sur les autres faits établis par le salarié.
Ainsi, hormis sur la question des frais professionnels précédemment examinée, la société ne prouve pas que les faits établis par le salarié sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, lequel est donc établi et sera indemnisé au vu de sa durée et de ses conséquences par des dommages et intérêts à hauteur de 5.000 euros.
Sur la rupture du contrat
M. [M] soutient que son licenciement est nul car prononcé sans autorisation préalable de l'inspection du travail et dans un contexte de harcèlement moral.
La société s'oppose à cette nullité en faisant valoir, d'une part, que le salarié ne bénéficiait pas de la protection réservée aux salariés ayant demandé l'organisation d'élections professionnelles ni aux salariés candidats et, d'autre part, qu'il n'a subi aucun fait de harcèlement moral.
Sur la nullité du licenciement
La cour a reconnu l'existence d'un harcèlement moral.
Or, selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l'article L 1152-3 dudit code précisant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Le licenciement intervenu en septembre 2017 a été notifié dans un contexte de harcèlement moral et alors que le salarié s'était plaint peu avant auprès de son employeur de ses conditions de travail et avait alerté le médecin du travail et l'inspection du travail sur sa situation. Il encourt donc la nullité à ce titre.
Par ailleurs, sur la nullité du licenciement prononcé sans autorisation préalable de l'inspection du travail, l'article L. 2411-7 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 disposait que :
'L'autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de délégué du personnel, à partir de la publication des candidatures. La durée de six mois court à partir de l'envoi par lettre recommandée de la candidature à l'employeur.
Cette autorisation est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la candidature aux fonctions de délégué du personnel a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement'.
Il en découle que le salarié peut bénéficier d'une protection s'il prouve que son employeur a eu connaissance de sa future candidature avant de le convoquer à l'entretien préalable au licenciement, étant rappelé que faute d'être membre d'un syndicat ou de pouvoir être présenté par un syndicat, le salarié ne peut être candidat que pour le second tour. En outre, il bénéficie de la protection jusqu'à la date fixée pour la présentation officielle des candidatures au second tour ou dès l'issue du premier tour si tous les postes de représentants du personnel ont été pourvus à cette occasion. Enfin, c'est à la date de l'envoi de la convocation du salarié à l'entretien préalable qu'il faut se placer pour apprécier la qualité de salarié protégé, du salarié concerné par le licenciement.
M. [M] a, par un courrier recommandé avec accusé de réception du 25 mars 2017, demandé à CD Distribution d'organiser les élections des délégués du personnel.
Par lettre recommandée du 21 avril 2017, la société CD Distribution a informé Monsieur [M] avoir pris les dispositions utiles pour organiser ces élections.
M. [M] a demandé par une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juin 2017 où en était l'organisation des élections et précisait que 's'il y a carence à l'occasion de ce premier tour, je serai candidat au second tour, ce dont je vous remercie de bien vouloir prendre déjà note'.
Par une lettre recommandée avec accusé de réception datée du 27 juin 2017, la société CD Distribution a indiqué au salarié avoir pris bonne note de sa candidature au second tour des élections des délégués du personnel en cas de carence au premier tour, précisant que celui-ci aurait lieu courant semaine 35 et pour le second courant semaine 37.
En l'absence d'organisation syndicale ayant répondu à l'invitation de négocier un protocole électoral, la société l'a établi unilatéralement le 23 août 2017, le premier tour des élections étant prévu le 7 septembre 2017 et le second tour éventuel de scrutin étant fixé au 19 septembre suivant.
Il en découle que, contrairement à ce que soutient la société, M. [M] s'est bien porté candidat pour le second tour, peu important que sa candidature figure en 'nota bene' d'une lettre de cinq pages, l'employeur lui ayant d'ailleurs précisé avoir bien pris note de sa candidature et peu important que celle-ci ait précédé l'élaboration du protocole préélectoral.
Or, par une lettre datée du 30 août 2017, M. [M] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure éventuelle de licenciement.
Ainsi, à la date de cette convocation, la société CD Distribution était informée de la candidature imminente du salarié à ces élections et le premier tour des élections n'étant pas encore passé, M. [M] bénéficiait toujours de la protection prévue par les dispositions susvisées, peu important que la lettre notifiant le licenciement ait été envoyée postérieurement à l'expiration de la période de protection.
Faute pour la société CD Distribution d'avoir au préalable demander à l'inspecteur du travail compétent l'autorisation de licencier M. [M], le licenciement encourt également la nullité à ce titre.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les conséquences de la nullité du licenciement de M. [M]
Pour les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017, en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, le salarié dont le licenciement est déclaré nul mais qui ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible a droit, quelle que soit son ancienneté et la taille de l'entreprise, à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut pas être inférieure aux salaires de ses 6 derniers mois d'activité, le barème désormais applicable à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'étant pas applicable.
En outre, le salarié a droit, même s'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter son préavis, à une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés.
Lorsqu'il a été licencié, M. [M] avait une ancienneté de plus de 28 années et était âgé de 57 ans, il percevait une rémunération mensuelle sur 13 mois de 3.700 euros bruts, soit 48.100 euros bruts par an et une rémunération mensuelle moyenne de 4.008,33 euros bruts. Il indique que plus de deux années après ce licenciement, il n'a toujours pas retrouvé de travail et produit une attestation Pôle emploi du 20 février 2020 faisant état du versement d'allocations.
La société sera condamnée en premier lieu au paiement de la somme de 7 247,65 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu'une somme de 724,76 euros bruts au titre des congés payés afférents, compte tenu des sommes qu'elle a déjà versées sur la période du préavis au titre du maintien de salaire, comme mentionnées sur les fiches de paie.
En outre, eu égard à l'âge et l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, de sa rémunération et des pièces produites sur sa situation, il lui sera allouée en réparation de son préjudice la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, l'employeur doit en outre être condamné à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour du licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de trois mois d'indemnité de chômage.
Sur les demandes accessoires
La société qui est condamnée devra supporter les dépens et participer aux frais irrépétibles engagés par le salarié, étant précisé que les frais d'exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d'exécution, n'entrent pas dans les dépens qui sont définis par l'article 695 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre des frais et forfaits de frais ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
DIT que le licenciement de M. [M] est nul ;
CONDAMNE la société CDP Distribution (venant aux droits de la société CD Distribution) à payer à M. [M] les sommes suivantes :
50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;
7 247,65 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 724,76 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
5 000 euros à titre de dommages intérêts pour harcèlement moral ;
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire à compter de la décision qui les ordonne ;
ORDONNE à l'employeur de rembourser aux organismes intéressés (Pôle emploi) les indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour du licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;
CONDAMNE la société CDP Distribution aux dépens.
La greffière, La présidente.