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16/11/2022 | FRANCE | N°20/06014

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 16 novembre 2022, 20/06014


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 16 NOVEMBRE 2022



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06014 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLXP



Décision déférée à la Cour : Jugement

Jugement du 27 Août 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/02069



APPELANTE



Madame [W] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4

]

Représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002



INTIMEE



S.P.A. GENERALI INSURANCE ASSET MANAGEMENT S.P.A SOCIETA DI GESTIONE DEL RISPARMIO an...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 16 NOVEMBRE 2022

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06014 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLXP

Décision déférée à la Cour : Jugement

Jugement du 27 Août 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/02069

APPELANTE

Madame [W] [P]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

INTIMEE

S.P.A. GENERALI INSURANCE ASSET MANAGEMENT S.P.A SOCIETA DI GESTIONE DEL RISPARMIO anciennement dénommée GENERALI INVESTMENTS EUROPE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandra LORBER LANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Bruno BLANC, président

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère, pour le président empêché et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 6 avril 2010, Mme [W] [P] a été engagée en qualité d'analyste financier par la société Generali France assurance aux droits de laquelle vient désormais la société de droit italien SPA Generali insurance asset management (GIAM).

Mme [P] occupait en dernier lieu la fonction de directeur du département investissements socialement responsable avec une qualification de cadre dirigeant. Outre une rémunération fixe annuelle de 120.000 euros par an, le contrat de travail prévoyait le versement d'un bonus. Depuis avril 2014, il était indiqué que ce bonus pouvait atteindre un montant annuel brut équivalent à 40% de sa rémunération annuelle brut fixe pour une atteinte des objectifs à 100%.

La société GIAM gère les capitaux détenus en propre ou confiés par un investisseur tiers pour en tirer le meilleur rendement possible en fonction d'un niveau de risque choisi.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à l'accord du 3 mars 1993 relatif aux cadres de direction des sociétés d'assurance.

Le 11 mars 2019, se plaignant de discrimination et de harcèlement moral, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris.

Par lettre datée du 21 mai 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 5 juin 2019.

Elle a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 19 juin 2019 au motif qu'elle aurait vertement critiqué les annonces de son supérieur hiérarchique lors de la réunion dite du 'group engagement committee' du 8 avril précédent, que le 25 mai, lors d'une réunion portant sur la situation Bayer et Monsanto, elle aurait diffusé une note de recommandation SRI en la présentant comme la dernière position à jour, que le 15 avril, elle aurait réitéré en renvoyant cette même note au département de gestion du risque en contestant la décision finale et en créant ainsi une grande confusion et qu'enfin, le 16 avril précédent, lors de la séance plénière de l'AFNOR visant à la reconduction des labels des deux fonds SRI que la société avait en gestion, elle aurait publiquement éreinté la présentation de son manager.

Contestant son licenciement et sollicitant la condamnation de son employeur au paiement des sommes subséquentes, outre des rappels de salaire et des dommages-intérêts, Mme [P] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Paris.

Par jugement du 27 août 2020, le conseil a joint les deux instances, fixé le salaire mensuel de référence à 11.600 euros, jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, condamné la société GIAM à verser à Mme [P] 104.400 euros d'indemnité à ce titre, 12.480 euros de bonus pour l'année 2016, 28.800 euros de bonus pour l'année 2017, 24.000 euros de bonus pour l'année 2018, assorti ces condamnations des intérêts au taux légal, ordonné la remise des documents sociaux conformes et condamné l'employeur au paiement de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [P] était en revanche déboutée du surplus de ses demandes concernant l'inégalité de traitement, la discrimination, le harcèlement moral et la nullité du licenciement.

Par déclaration du 22 septembre 2020, Mme [P] a fait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 3 précédent.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 septembre 2022, Mme [P] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il la déboute du surplus de ses demandes et fixe à 104.400 euros l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- la repositionner avec un salaire mensuel de 20.833 euros ;

- condamner la société GIAM au paiement de 2.241.073 euros sur le fondement de l'article L.1134-5 du code du travail, en réparation du préjudice financier ;

- condamner la société GIAM au paiement de 311.000 euros sur le fondement des articles 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, L.1152-1 et L.4121-1 du code du travail ;

- juger que son licenciement est nul ;

- ordonner, à titre principal, à la société GIAM de la réintégrer dans son poste de directeur du département investissements socialement responsable ;

- condamner la société GIAM à lui payer le montant de ses salaires fixes en deniers et quittances depuis le 21 décembre 2019 jusqu'à sa date de réintégration, à titre principal, sur la base d'un salaire fixe de 20.833 euros par mois qui doit être réévalué annuellement depuis son licenciement sur la base de la moyenne des augmentations collectives et individuelles des salariés de rang cadres dirigeants ou, à titre subsidiaire, sur la base d'un salaire fixe de 12.000 euros par mois qui doit être réévalué annuellement depuis son licenciement sur la base de la moyenne des augmentations collectives et individuelles des salariés de rang cadres dirigeants ;

- condamner la société GIAM à lui payer le bonus annuel depuis 2019 jusqu'à sa réintégration, à titre principal, sur la base du bonus annuel moyen versé annuellement à MM [D]. et [L] et, à titre subsidiaire, sur la base d'un bonus mensuel moyen d'un montant de 40% du fixe annuel ;

- juger que les revenus de remplacement ne doivent pas être déduits des salaires que la société GIAM est condamnée à verser en conséquence de la réintégration ;

- à titre subsidiaire, si la cour jugeait sa réintégration impossible, condamner la société GIAM au paiement de 336.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- à titre infiniment subsidiaire, en cas de rejet de la demande de nullité du licenciement, fixer le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 336.000 euros ;

- condamner la société GIAM à lui payer 50.000 euros de dommages-intérêts au regard des circonstances humiliantes et vexatoires de son licenciement ;

- ordonner la remise de l'attestation Pôle-emploi rectifiée et du bulletin de paie afférent ;

- débouter la société GIAM de toutes ses demandes ;

- condamner la société au paiement 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société GIAM au paiement des intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 septembre 2022, la société SPA Generali insurance asset management demande à la cour de confirmer le jugement sur la jonction, le salaire de référence et en ce qu'il rejette les demandes de la salariée mais de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- principalement, débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner Mme [P] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- subsidiairement, sur les demandes liées à l'inégalité de traitement et la discrimination, retenir les salariés de classe E comme panel de comparaison et réduire le montant de l'indemnisation à la somme de 26.668,06 euros au titre du 'manque à gagner' et du préjudice retraite (22.559,53 euros + 4.108,53 euros) ;

- à titre infiniment subsidiaire, retenir les salariés de classe E et de classe D comme panel de comparaison et réduire le montant de l'indemnisation à la somme de 733.622,61 euros au titre du 'manque à gagner' et du préjudice retraite (603.588,27 euros + 130.034,34 euros) ;

- à titre très infiniment subsidiaire, de retenir les salariés de classe E comme panel de comparaison et de réduire le montant de l'indemnisation à la somme de 1.703.841,63 euros au titre du ' manque à gagner' et du préjudice retraite (1.514.239,18 euros + 189.602,45 euros) ;

- subsidiairement, sur les demandes liées au harcèlement moral, de réduire le montant demandé à de plus justes proportions ;

- subsidiairement, sur les demandes de rappel de bonus, de réduire les montants demandés aux sommes de 7.380 euros, 23.700 euros et 18.900 euros pour les bonus respectifs de 2017, 2018 et 2019 ;

- subsidiairement, sur les demandes liées au licenciement, de débouter Mme [P] de sa demande de réintégration et de réduire les montants demandés à de plus justes proportions et, à titre infiniment subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnisation due en cas de réintégration à de plus justes proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 septembre 2022 à 10h et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 septembre 2022 à 13h30.

Pour l'exposé des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 : Sur l'exécution du contrat

1.1 : Sur les rappels de bonus

Il est de principe qu'une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération du salarié dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.

Par ailleurs, l'employeur peut fixer unilatéralement et modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord préalable du salarié ; en revanche, il lui appartient de le faire en début d'exercice et non en cours d'exécution alors qu'il prend connaissance de leur niveau de réalisation. Il appartient à l'employeur de prouver qu'il a fixé les objectifs lorsque cela lui incombait. Ce principe de fixation unilatérale peut néanmoins être contré par une disposition contractuelle ou par un accord des parties sur des modalités de fixation négociées des objectifs. Il appartient alors à l'employeur de prouver qu'il a ouvert les négociations sans qu'il puisse imputer à son salarié une quelconque carence sur ce point.

Il est en outre constant que, lorsque les objectifs sont fixés unilatéralement par l'employeur, une communication tardive de ceux-ci les rend inopposables au salarié et qu'en cas d'inopposabilité la rémunération variable doit être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum.

Enfin, la charge de la preuve du fait que le salarié n'a pas atteint ses objectifs incombe à l'employeur.

Au cas présent, il ressort de l'avenant au contrat de travail de Mme [P] que le bonus de la salariée pouvait atteindre un montant annuel brut équivalent à 40% de sa rémunération annuelle brut fixe pour une atteinte des objectifs à 100%.

Les modalités de définition des objectifs n'étaient pas précisées par le contrat qui se contentait d'indiquer que ceux-ci étaient fixés annuellement. L'employeur fait à cet égard valoir que, conformément au guide à l'attention du collaborateur en usage, il ne lui appartenait pas de fixer unilatéralement les objectifs de la salariée mais qu'il incombait à cette dernière de présenter ses objectifs qui étaient ensuite approuvés par son responsable. Cependant, il ne démontre pas que ces modalités de fixation ont été portées à la connaissance de la salariée et acceptées par elle et n'établit pas avoir relancé cette dernière pour qu'elle lui fasse des propositions. En outre, il ressort des courriers des 28 juin 2012 et 25 octobre 2018 que les objectifs pouvaient être fixés unilatéralement par l'employeur.

Il convient donc de considérer qu'en l'absence de modalités contractuelles ou contractualisées de fixation négociée des objectifs, ceux-ci devaient être fixés par l'employeur et portés à la connaissance de la salariée en début d'exercice.

1.1.1 : Sur le bonus versé en 2017 sur la performance 2016

Il n'est pas contesté que les objectifs de la salariée lui ont été valablement communiqués sur cette période.

En revanche, alors que l'employeur soutient que les objectifs ainsi fixés et notamment ceux portant sur le filtre éthique et la formation de M.[Y] sur la politique de vote n'ont été atteints que partiellement comme le mentionne l'évaluation de la salariée, cette dernière fait valoir qu'elle a parfaitement rempli les objectifs qui lui étaient assignés.

Cependant, alors que cette charge lui incombe, la société GIAM n'apporte pas la preuve que l'objectif 'Filtre éthique' aurait été atteint avec retard alors qu'aucun terme de réalisation n'est communiqué, que seul un courrier du 11 mars 2018 fait référence à un retard et que les collaborateurs de Mme [P] ont eux-mêmes obtenu la note maximale sur cet item, peu important qu'elle soit à l'origine de la proposition de notation. A l'exception de l'évaluation de la salariée que celle-ci conteste, aucune offre de preuve n'est faite concernant le fait que l'objectif de formation de M. [Y]ait été seulement atteint partiellement.

En l'absence de preuve contraire, les objectifs 2016 doivent donc être considérés comme ayant été atteints à 100% et la somme de 12.480 euros (40% x 120.000 - 35.520) devra être accordée à la salariée à titre de rappel de rémunération variable 2017.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

1.1.2 : Sur le bonus versé en 2018 sur la performance 2017

Alors que la salariée le conteste, l'employeur ne démontre pas que ses objectifs annuels ont été fixés en début d'exercice.

Il ressort dès lors de ce qui précède qu'en l'absence de fixation des objectifs servant à la détermination du montant de la rémunération variable, celle-ci doit être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum. La somme de 28.000 euros devra don être accordée à la salariée (40% x120.000 - 19.220) à titre de rappel de rémunération variable 2018.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

1.1.3 : Sur le bonus versé en 2019 sur la performance 2018

Il ressort du courriel du 25 octobre 2018 de M. [B] à Mme [P] que les objectifs de la salariée ont été fixés pour la première fois à cette date et non en début d'exercice.

Il ressort de ce qui précède que la rémunération variable doit donc être versée intégralement à hauteur du bonus cible maximum. La somme de 24.000 euros (40% x 120.000 - 24.000) devra don être accordée à la salariée à titre de rappel de rémunération variable 2019.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

1.2 : Sur l'inégalité de traitement

L'article L3221-2 du code du travail dispose que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.

Aux termes de l'article L.3221-4 du code du travail, sont considérés comme de valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. Il est en outre de principe que les fonctions exercées par les salariés peuvent être différentes, dès lors que les situations sont comparables.

Il a ainsi été jugé que peuvent exercer un travail de valeur égale des salariés qui n'exercent pas des fonctions identiques, l'inverse revenant à ne pas permettre à un salarié de revendiquer une égalité salariale quand il occupe des fonctions de haut niveau par exemple en tant que membre du comité de direction puisque, par nature, les fonctions y sont toutes différentes.

La charge de la preuve de l'identité de situation incombe au salarié qui se prévaut d'une violation du principe d'égalité de traitement.

En l'espèce, Mme [P], qui était directeur de la recherche des investissements socialement responsables (head of socially responsible investments), se compare à M. [L] et M. [D], qui étaient respectivement, directeur de la recherche crédit global (head of global credit research) et directeur de la recherche (head of research).

Cependant, il ressort des documents produits et notamment des organigrammes, fiches de poste et curriculm vitae que ces salariés occupaient des fonctions impliquant une pluralité de connaissances techniques, spécifiques et complexes en termes d'analyse économique et financière, connaissances que n'exigeait pas son propre poste puisqu'elle définissait des critères d'investissement responsable et classait des entreprises selon leur respect de ceux-ci. Il apparaît également que ces salariés avaient une expérience professionnelle plus conséquente avec une dimension internationale sur des places financières importantes. Dès lors, les tâches exercées par M. [P], M.[L] et M.[D]. n'exigeaient pas un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle.

Surtout, contrairement à Mme [P], ces salariés contribuaient à la définition du niveau de prise de risque des investissements de la société GIAM et dès lors à la détermination de son exposition financière, ils avaient également un secteur d'activité plus large et encadraient des équipes de dimension moyenne sensiblement supérieure en sorte que leurs postes présentaient un niveau de responsabilités et de charge nerveuse supérieur.

Ainsi, les salariés auxquels Mme [P] se compare n'exerçaient pas des fonctions de valeur égale. Ses demandes au titre de l'inégalité salariale de repositionnement avec un salaire mensuel de 20.833 euros et de condamnation de la société GIAM au paiement de 2.241.073 euros en réparation du préjudice financier seront donc rejetées et le jugement confirmé de ces deux chefs.

1.3 : Sur le harcèlement discriminatoire, le harcèlement moral et le non-respect de l'obligation de prévention des risques

1.3.1 : Sur la discrimination

L'article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination fondée sur le sexe d'un salarié. L'article L.1142-1 du code du travail prohibe également le fait de prendre toute mesure en considération du sexe de la personne, notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation.

L'article 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 définit l'agissement discriminatoire comme tout agissement lié à [un des motifs prohibés par l'article L.1132-1], subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant

Les articles L.1132-1 et l'article 1 de la loi du 27 mai 2008 prohibent également tout acte de discrimination indirecte défini comme une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

Enfin, en application de l'article L1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige matière de discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires.

Au cas présent, au soutien de sa demande indemnitaire au titre de la discrimination, Mme [P] fait valoir que, dans un contexte global de discrimination hommes-femmes au sein de l'entreprise, et alors qu'elle était la seule femme au sein de la direction de la branche française, elle été remplacée à deux reprises par des hommes d'abord en la déchargeant en 2016 de la 'politique de vote' pour la confier à M. [Y] puis en la rétrogradant d'un rang dans la hiérarchie en la plaçant sous les ordres de M.[B] qui était son homologue. Elle ajoute qu'elle était moins bien traitée que les autres directeurs de recherche puisqu'elle était exclue de la rémunération variable complémentaire allouée aux 'personnels identifiés'. Elle souligne en outre que moins valoriser l'analyse d'investissement ISR par rapport aux analyses produites par les autres départements de recherche revient à commettre une discrimination indirecte puisque ces postes sont majoritairement occupés par des femmes.

Cependant, s'il est bien démontré que Mme [P] a été déchargée entre 2016 et 2017 de la politique de vote et placée sous la responsabilité d'un nouvel échelon hiérarchique, les deux fois au bénéfice de collègues masculins, il n'est pas allégué qu'elle était la seule femme au sein de l'équipe de direction à cette période puisqu'elle soutient uniquement que cela aurait été le cas à compter de février 2018.

Par ailleurs, il n'apparaît pas que les autres femmes au sein de la direction de la branche française auraient en proportion plus significative subi des mises à l'écart ou des rétrogradations comparables à celle dont la salariée se prévaut.

Il n'est pas non plus avéré, au regard du seul article de presse produit en ce sens, que les postes d'analyse d'investissement ISR au sein de la société employeur auraient été essentiellement occupés par des femmes étant souligné que la majorité des collaborateurs de Mme [P] étaient des hommes.

Ces éléments ne permettent dès lors pas de laisser présumer la discrimination fondée sur le sexe.

Enfin, il convient de rappeler que, s'il est bien établi au regard de ce qui précède que Mme [P] percevait un salaire inférieur aux deux autres directeurs de recherche qui étaient des hommes ce qui fait présumer la discrimination du fait de son sexe, il ressort de ce qui précède que cette différence est justifiée par des éléments objectifs.

La discrimination n'est donc pas établie.

1.3.2 : Sur le harcèlement

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs en application de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de cet article, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, au soutien de sa demande de voir reconnaître son harcèlement moral, la salariée fait valoir que :

- elle s'est vue retirer la responsabilité de la politique de vote ;

- elle a été rétrogradée sous les ordres de M. [B] alors qu'elle était précédemment directement sous les ordres du chief executing officer ;

- ses bonus ont été diminués ;

- elle a été mise à l'écart de réunions et de projets (elle a ainsi été exclue du comité d'investissement responsable groupe en charge de donner son approbation finale sur les sociétés à exclure des investissements du groupe dans le cadre du filtre éthique alors qu'elle en était membre depuis sa première réunion en mars 2012, elle a également été exclue du projet décarbonisation et transition énergétique figurant pourtant dans ses objectifs, elle a également été exclue du projet pour créer la méthodologie ESG pour le service infrastructure DEBT et du projet SMS lending, elle a aussi été exclue des réunions sur la méthodologie ISR alors qu'il s'agit de l'activité de sa direction et que c'est elle qui a créé la méthode d'évaluation, elle s'est vu retirer les responsabilités 'engagement' et 'analyse de la gouvernance d'entreprise' affectées à l'équipe de M. [Y] dont les effectifs ont été renforcés en diminuant ses propres ressources et ce sans l'en informer directement alors qu'il avait été reconnu que son service était en sous-effectif) ;

- il a été directement pris contact avec ses collaborateurs par sa hiérarchie sans passer par son intermédiaire ;

- M. [B]l'a remplacée au Forum pour l'investissement responsable ;

- il a tenu des propos humiliants et agressifs à son égard, il lui a également raccroché au nez lors d'une conversation téléphonique ;

- il lui a interdit de parler dans des conférences, ou d'être interviewée, comme cela arrivait fréquemment depuis son embauche, en tant qu'experte internationale sur les sujets ISR ;

- elle subissait une surcharge de travail du fait de la réduction des effectifs de son service alors que les rapports d'audit interne et externe alertaient sur le sous-dimensionnement de celui-ci ;

- parallèlement, son état de santé s'est progressivement dégradé avec une multiplication des arrêts de travail et, le 13 juillet 2018, elle a fait un malaise sur son lieu de travail, consécutif à une agression verbale de M. [B] à la suite duquel elle a été évacuée aux urgences puis arrêtée pour accident du travail jusqu'au 29 juillet 2018.

Il n'est néanmoins pas suffisamment démontré par les seules pièces produites qui n'y font pas référence que la salariée a été exclue du comité d'investissement responsable groupe. Il n'est pas davantage démontré qu'elle a été remplacée au Forum pour l'investissement responsable par M. [B] , que ce dernier a tenu des propos humiliants et agressifs à son égard, ou qu'il lui a raccroché au nez lors d'une conversation téléphonique. Le fait que ce dernier ait été responsable du malaise du 13 juillet 2018 n'est pas davantage avéré. Il ne saurait enfin se déduire des seuls rapports d'audit interne et externe, réalisés sur la base des déclarations de Mme [P], que son service était en situation de sous-effectif et elle-même en situation de surcharge de travail.

En revanche, au regard des déclarations des parties ainsi que des pièces produites et notamment des échanges de courriels communiqués, la matérialité du retrait de la politique de vote, de la création d'un échelon hiérarchique intermédiaire, de la non-attribution du bonus cible en 2016, 2017 et 2019, de la non-convocation à deux réunions relevant de son service les 9 et 15 janvier 2018, du transfert de certaines responsabilités ainsi que d'un membre de son équipe au service de M. [Y], d'une remarque de son supérieur sur sa communication vers l'extérieur ainsi que d'une prise de contact directe avec un collaborateur le 27 février 2018 comme de la dégradation de son état de santé et du malaise du 13 juillet 2018 est établie.

Pris ensemble, ces éléments laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient dès lors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il ressort de ce qui précède que l'employeur ne justifie pas par des éléments objectifs de la non-attribution à la salariée de son bonus cible pour les années 2017, 2018 et 2019.

En revanche, concernant le retrait de la politique de vote, la création d'un niveau de hiérarchie intermédiaire, le transfert de certaines responsabilités et d'un personnel au département de M. [Y], la société GIAM démontre que cette restructuration répond à des objectifs étrangers à tout harcèlement puisque la politique de vote était un élément non central de l'activité de Mme [P], que concomitamment à ce retrait, l'activité de son équipe été enrichie du projet filtre éthique, que la création d'un département autonome de politique de vote était justifiée par la croissance de la demande en la matière, croissance qui est démontrée par l'augmentation effective de l'activité du service, que la création d'un échelon intermédiaire a été imposée par la nécessité de regrouper les départements ISR et proxy voting sous la responsabilité d'un cadre sans que cela ne constitue une quelconque rétrogradation pour Mme [P], que le transfert de certaines responsabilités au service de M. [Y] était justifié par un souci de cohérence des attributions de ces départements, qu'il était préconisé par un organisme d'audit extérieur, que ce projet n'a pas suscité d'observations de Mme [P] lorsqu'il a été mis en oeuvre alors que celles-ci ont été sollicitées et que le transfert de M. [H] du service de Mme [P] au service de M. [Y] correspond à la fin normale de son détachement au sein du service ISR.

Concernant les réunions des 9 et 15 janvier 2018 qui se sont tenues en présence de collaborateurs de Mme [P] sans que cette dernière en soit directement informée en amont et la prise de contact directe le 27 février avec un de ses collaborateurs, l'employeur établit que les collaborateurs présents étaient en charge des dossiers concernés par la réunion et que la salariée était en arrêt maladie sur la période à laquelle son collaborateur a été directement contacté. Il démontre en outre par une attestation et des échanges de courriels que les collaborateurs de Mme [P] pouvaient entretenir des rapports complexes avec ses collaborateurs qui communiquaient parfois directement avec le niveau hiérarchique supérieur notamment pour se plaindre de leur responsable hiérarchique directe. Ce faisant, alors que rien n'interdit qu'un collaborateur soit sollicité directement par un responsable hiérarchique d'un niveau supérieur sur un sujet dont il est particulièrement en charge, même s'il est d'usage dans cette hypothèse de mettre au moins en copie le niveau hiérarchique intermédiaire, l'intimée justifie que ces faits, qui sont en outre en nombre limité, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et n'en sont pas constitutifs.

Par ailleurs, la demande d'information d'une subordonnée sur une communication vers l'extérieur est parfaitement légitime et ne saurait être constitutive de harcèlement, étant souligné que M. [B] n'a pas persisté dans sa demande d'explications faite sur un ton neutre et courtois quand Mme [P] lui a fait remarquer qu'il s'agissait d'une interview ancienne validée par le service communication. Cet élément est donc justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et n'en est pas constitutif.

Concernant enfin la dégradation de l'état de santé de la salariée et plus particulièrement le malaise du 13 juillet 2018, rien ne permet de les mettre en lien de manière avec les conditions d'exercice professionnel décrites.

Dès lors, alors qu'un fait unique n'est pas de nature à caractériser un harcèlement moral qui suppose la répétition, la seule non-attribution à la salariée de la totalité de son bonus cible ne permet pas d'établir le harcèlement dont la salariée se prévaut.

Le harcèlement moral n'est donc pas caractérisé.

1.3.3 : Sur le non-respect de l'obligation de sécurité

En application de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur a une obligation de prévention des risques. Cette obligation est expressément prévue en matière de harcèlement moral puisque, aux termes de l'article L.1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Au cas présent, Mme [P] soutient que, malgré ses différentes alertes, son employeur n'a pas réagi de manière adaptée à ses différentes dénonciations de faits de harcèlement moral.

Cependant, la dénonciation de faits de harcèlement dès février 2017 n'est pas avérée en sorte qu'il ne saurait être reproché à l'employeur de ne pas y avoir donné suite.

Le message du 24 janvier 2018 a pour sa part donné lieu à une proposition de rendez-vous immédiate du directeur des ressources humaines.

Par ailleurs, le CHSCT a été saisi d'une demande d'enquête sur les faits de harcèlement qu'il a pu effectuer.

Aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'est donc avéré.

Au regard de ce qui précède, en l'absence de discrimination, de harcèlement moral et de manquement à l'obligation de sécurité, la demande indemnitaire en lien avec ces manquements sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

2 : Sur la rupture du contrat de travail

2.1 : Sur le licenciement

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Au cas présent, Mme [P] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 19 juin 2019 au motif qu'elle aurait vertement critiqué les annonces de son supérieur hiérarchique lors de la réunion dite du 'group engagement committee' du 8 avril précédent, que le 25 mai, lors d'une réunion portant sur la situation Bayer et Monsanto, elle aurait diffusé une note de recommandation SRI en la présentant comme la dernière position à jour, que le 15 avril, elle aurait réitéré en renvoyant cette même note au département de gestion du risque en contestant la décision finale et en créant ainsi une grande confusion et qu'enfin, le 16 avril précédent, lors de la séance plénière de l'AFNOR visant à la reconduction des labels des deux fonds SRI que la société avait en gestion, elle aurait publiquement éreinté la présentation de son manager.

Mme [P] a donc été licenciée au moins partiellement en raison de l'exercice par elle de sa liberté d'expression puisqu'il lui est fait grief d'avoir critiqué les annonces de son supérieur hiérarchique et d'avoir publiquement éreinté la présentation de son manager.

Or, aucun abus dans l'exercice de ce droit n'est établi ni même d'ailleurs allégué puisqu'il n'est fait état d'aucun propos injurieux, diffamatoires, excessifs ou même déloyaux.

Dès lors, le licenciement ayant été prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par la salariée, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, il doit être annulé.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il rejette la demande d'annulation du licenciement.

2.2 : Sur le principe de la réintégration

Dans l'hypothèse de la nullité du licenciement, le salarié dispose d'une option entre la réintégration, conséquence normale de la remise des parties en l'étant antérieur à la décision annulée ou son indemnisation.

Cette demande de réintégration peu néanmoins être exceptionnellement rejetée si l'employeur apporte la preuve d'une impossibilité de réintégration notamment en cas disparition de l'entreprise ou lorsque le salarié s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale après son licenciement.

Cette impossibilité n'est néanmoins pas caractérisée lorsque le poste du salarié a été supprimé, modifié ou qu'il est occupé par un autre salarié, ni lorsque le service où travaillait le salarié a été externalisé avant qu'il ne demande sa réintégration.

Au cas présent, Mme [P] sollicite sa réintégration qu'elle est fondée à obtenir du fait de l'annulation de son licenciement.

Le simple fait que son poste soit désormais positionné au sein du groupe sur un périmètre plus étendu et déjà pourvu ne caractérise pas l'impossibilité absolue dont l'employeur se prévaut, étant souligné qu'il ne démontre pas qu'aucun poste équivalent n'existerait au sein de la société GIAM.

L'impossibilité de réintégration n'est pas davantage caractérisée par le fait que la salariée ait pu travailler dans une entreprise exerçant une activité concurrente, aucun acte de concurrence déloyale n'étant établi ni même allégué.

Il convient donc d'ordonner la réintégration de la salarié dans son poste de directeur du département investissements socialement responsable ou dans un poste équivalent.

2.3 : Sur les conséquences de la réintégration

Le salarié qui demande sa réintégration a droit à une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.

Cependant, le caractère très tardif d'une demande de réintégration peut caractériser un abus du droit d'agir en justice justifiant que la période d'indemnisation soit limitée et que son point de départ soit fixé non pas à compter du jour de l'éviction mais à compter de celui de la demande.

Au cas présent, alors que la demande a été formée un an et sept mois après le licenciement aucun abus de droit n'est caractérisé, il convient dès lors de condamner la société GIAM à payer à Mme [P] le montant de ses salaires fixes en deniers et quittances depuis le 21 décembre 2019, conformément à sa demande, et jusqu'à sa réintégration effective.

Le repositionnnement salarial de Mme [P] ayant été rejeté il convient de dire que ce paiement se fera non pas sur la base d'un salaire fixe de 20.833 euros par mois mais sur la base d'un salaire fixe de 12.000 euros par mois qui doit être réévalué annuellement depuis son licenciement sur la base de la moyenne des augmentations collectives et individuelles des salariés de rang cadres dirigeants.

La part variable de sa rémunération, faisant partie des éléments normaux de rémunération correspondant au travail qu'aurait accompli la salariée pendant la période d'éviction, il convient également de condamner la société GIAM à lui payer le bonus annuel depuis 2019 jusqu'à sa réintégration sur la base d'un bonus mensuel moyen d'un montant de 40% du fixe annuel.

Enfin, si le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé ce qui implique que doivent être déduits de la réparation du préjudice subi les revenus qu'il a tirés d'une autre activité et le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période, ce principe ne s'applique pas dans l'hypothèse d'une nullité du licenciement en raison de la violation d'une liberté fondamentale constitutionnellement garantie.

En l'espèce, le licenciement étant annulé pour atteinte à la liberté d'expression qui est constitutionnellement garantie, il convient de dire que les revenus de remplacement ne devront pas être déduits des salaires que la société GIAM est condamnée à verser en conséquence de la réintégration.

En revanche, l'ensemble des indemnités de rupture qui ne sont plus dues compte tenu du choix de la réintégration et non de l'indemnisation devront être déduites des sommes allouées.

3 : Sur les dommages-intérêts pour les conditions brutales et vexatoires du licenciement

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ces dispositions que l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement nécessite, d'une part, la caractérisation d'une faute dans les circonstances de la rupture du contrat de travail qui doit être différente de celle tenant au seul caractère abusif du licenciement, ainsi que, d'autre part, la démonstration d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par l'indemnisation allouée.

En l'espèce, Mme [P] soutient que le caractère brutal et vexatoire de son licenciement s'évince tout à la fois de sa dispense d'activité l'obligeant à quitter l'entreprise le jour-même, processus humiliant et injustifié et de nature à laisser croire à ses collègues et à son équipe qu'elle a commis des faits relevant de la faute grave et du fait qu'elle a été coupée d'accès à ses mails.

Cependant, ces faits ne caractérisent pas de faute de l'employeur. La salariée ne démontre pas non plus avoir subi un préjudice du fait des agissements dénoncés.

Ainsi, Mme [P], qui ne démontre ni la faute de son employeur dans les circonstances de la rupture ni le préjudice spécifique en résultant, sera déboutée de sa demande et la décision du conseil qui n'a pas statué sur ce point sera complétée en ce sens.

4 : Sur la remise des documents de fin de contrat

Il convient d'ordonner la remise d'une attestation Pôle-emploi rectifiée et du bulletin de paie afférent conformes à la présente décision dans les quinze jours de sa signification, celle-ci étant de droit.

5 : Sur les intérêts

Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement et du présent arrêt pour le surplus.

Les intérêts dus pour une année seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil.

6 : Sur les autres demandes

La décision sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante en cause d'appel, la société GIAM supportera les éventuels dépens de cette instance outre 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 27 août 2020 sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du licenciement et les demandes subséquentes de réintégration et d'indemnité d'éviction ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Annule le licenciement de Mme [W] [P] par la société de droit italien SPA Generali insurance asset management le 19 juin 2019 ;

- Ordonne la réintégration de Mme [W] [P] au poste de directeur du département investissements socialement responsable ou à un poste équivalent ;

- Condamne la société de droit italien SPA Generali insurance asset management à payer à Mme [W] [P] le montant de ses salaires fixes en deniers et quittances depuis le 21 décembre 2019, et jusqu'à sa date de réintégration effective sur la base d'un salaire fixe de 12.000 euros par mois qui doit être réévalué annuellement depuis son licenciement sur la base de la moyenne des augmentations collectives et individuelles des salariés de rang cadres dirigeants, outre le bonus annuel depuis 2019 jusqu'à sa réintégration sur la base d'un bonus mensuel moyen d'un montant de 40% du fixe annuel ;

- Dit que les revenus de remplacement ne devront pas être déduits des salaires que la société GIAM est condamnée à verser en conséquence de la réintégration ;

- Dit que l'ensemble des indemnités de rupture devront être déduites des salaires que la société GIAM est condamnée à verser en conséquence de la réintégration ;

- Rejette la demande de dommages-intérêts pour les circonstances brutales et vexatoires du licenciement ;

- Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement et du présent arrêt pour le surplus ;

- Ordonne la capitalisation des intérêts ;

- Ordonne la remise d'une attestation Pôle-emploi rectifiée et du bulletin de paie afférent conformes à la présente décision dans les quinze jours de sa signification ;

- Condamne la société de droit italien SPA Generali insurance asset management à payer à Mme [W] [P] la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

- Condamne la société de droit italien SPA Generali insurance asset management aux dépens.

LA GREFFI'RE LA CONSEILL'RE

POUR LE PR''SIDENT EMP'CH''


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/06014
Date de la décision : 16/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-16;20.06014 ?
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