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15/11/2022 | FRANCE | N°19/12439

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 15 novembre 2022, 19/12439


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12439 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBE76



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Février 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 15/03393



APPELANTE



Madame [R] [H] épouse [L]

[Adresse 4]



[Adresse 3] (SUISSE)

Représentée par Me Cyril BOURAYNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P055



INTIMEE



SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Haro...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12439 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBE76

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Février 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 15/03393

APPELANTE

Madame [R] [H] épouse [L]

[Adresse 4]

[Adresse 3] (SUISSE)

Représentée par Me Cyril BOURAYNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P055

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [R] [H] a été engagée par la société Air France en qualité d'hôtesse par contrat de travail à durée indéterminée en date du 26 septembre 1988.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention d'entreprise du 18 avril 2006.

La société Air France fait bénéficier à ses salariés ainsi qu'aux membres de leurs familles des billets dits « GP » autrement dit des billets à tarifs soumis à restrictions avec conditions de transport spécifiques.

En tant qu'époux de Mme [H], M. [L] a bénéficié plusieurs fois de cet avantage.

Le 20 mars 2013, Mme [H] a reçu un courriel de la part de Mme [Z] de la Direction des Voyages du Personnel et de l'Interligne, procédant à la suspension avec effet immédiat des droits de la salariée et ceux des membres de sa famille au titre des facilités de transports et des billets à tarif préférentiel au motif que son époux a utilisé cet avantage à des fins professionnelles et non personnelles.

"Lors d'un audit sur l'utilisation des billets à réduction non commerciale par les conjoints seuls, nous avons constaté que votre époux, Mr [V] [L], effectuait de très nombreux aller-retour sur l'Afrique avec un séjour sur place très court ainsi que des aller-retour journée sur GVA, ZRH, TXL, NCE, ce qui s'apparente à des voyages pour raisons professionnelles. (')

En vérifiant sur les réseaux sociaux, nous avons constaté que Mr [V] [L] est le Président d'EUROMATEX (commerce de gros, commerce d'effets militaires), nous soupçonnons donc que votre époux voyage pour le compte de sa société, ce qui est strictement interdit comme le stipule la réglementation en vigueur.

Notre Direction ne pouvant tolérer ce genre de pratique, nous vous informons que nous avons suspendu vos droits à titre conservatoire à compter d'aujourd'hui 20 mars 2013. Nous vous remercions de bien vouloir nous fournir des explications quant à ces déplacements effectués par votre conjoint afin que nous puissions décider des suites à donner. (')"

Mme [H] a contesté cette mesure qu'elle qualifie de sanction disciplinaire et pécuniaire auprès de la formation des référés du Conseil de Prud'hommes de Bobigny qui par ordonnance du 29 mai 2015 s'est déclarée matériellement compétente pour connaître du litige mais a estimé qu'il n'avait pas lieu à référé, sans toutefois motiver sa décision sur ce point.

Par arrêt du 17 mars 2016, la cour d'appel de Paris a :

- annulé l'ordonnance déférée pour défaut de motivation, référence faite aux dispositions des articles 455 et 458 du Code de Procédure Civile,

- confirmé la compétence de la juridiction prud'homale pour connaître du litige,

- condamné la société Air France à payer à Mme [H] la somme provisionnelle de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel,

- débouté Mme [H] de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et d'agrément,

- condamné la société AIR France à verser à Mme [H] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Parallèlement, Mme [H] a saisi la juridiction prud'homale au fond.

Demandant l'annulation de cette mesure, qu'elle qualifie de sanction disciplinaire et pécuniaire, outre divers dommages et intérêts ainsi que la communication de divers documents sous astreinte, Mme [H] a saisi le 21 juillet 2015 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement rendu par sa formation de départage du 15 février 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- dit que le présent litige relève de la compétence de la juridiction prud'homale,

- déboute Mme [H] épouse [L] de sa demande tendant à voir qualifier la mesure de suspension de son droit à bénéficier de billets à tarif soumis à restrictions avec conditions de transport spécifiques de sanction disciplinaire,

- rejette la demande de Mme [H] épouse [L] tendant à voir annuler la mesure prise à son encontre par la société Air France le 20 mars 2013,

- déboute Mme [H] épouse [L] de ses demandes en dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice matériel et de son préjudice moral,

- déboute Mme [H] épouse [L] de sa demande en communication de pièces,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'articIe 700 du code de procédure civile,

- condamne Mme [H] épouse [L] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Par déclaration du 19 décembre 2019, Mme [H] a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception le 25 novembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 juin 2022, Mme [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la compétence du Tribunal,

- le réformer pour le surplus en statuant à nouveau :

- annuler la sanction disciplinaire dont Mme [H] a fait l'objet le 20 mars 2013, confirmée par LRAR du 7 mai 2013,

- condamner la société Air France à verser à Mme [H] la somme de 24.084,17 euros (26.584,17 - 2.500 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait de la suspension durant 12 mois de la possibilité de bénéficier de « billets à tarifs soumis à restrictions avec conditions de transport spécifiques »,

- condamner la société Air France à verser à Mme [H] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral subi du fait de la sanction disciplinaire prohibée,

- ordonner à la société Air France d'avoir à communiquer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir :

- copie de « la lettre de réclamation » visée par la LRAR d'Air France du 8 janvier 2010, non signée et dont le rédacteur n'était pas identifié,

- copie de l'audit invoqué par la société Air France dans le mail de Mme [Z] du 20 mars 2013 et la LRAR du 7 mai 2013,

- copie intégrale de tout son dossier professionnel et administratif relatif à ses droits « GP» et à la sanction disciplinaire dont elle a fait l'objet,

- condamner la société Air France à payer à Mme [H] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 juin 2020, la société Air France demande à la cour de :

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Bobigny, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Air France,

En conséquence,

A titre principal :

Se déclarer incompétente pour connaître des demandes de Mme [H] au profit du tribunal judiciaire de Bobigny,

A titre subsidiaire :

Débouter Mme [H] de l'intégralité de ses demandes,

En tout état de cause :

- condamner Mme [H] à payer à la société Air France la somme de 2.500 euros, allouée à titre provisionnel par le juge des référés, avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2016,

- condamner Mme [H] à payer à la société Air France la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la compétence du conseil de prud'hommes

Pour infirmation du jugement entrepris, la société Air France demande à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître des demandes de Mme [H] au profit du Tribunal judiciaire de Bobigny, au motif que si l'achat de billets à tarifs soumis à restrictions est une possibilité offerte par la convention d'entreprise, les conditions d'utilisation et d'acquisition de ces billets sont exclusivement régies par le contrat de transport.

Mme [H] réplique que les droits « GP » constituent un avantage en nature découlant du contrat de travail ; dès lors le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur sa demande.

Aux termes de l'article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes a compétence pour régler les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Ainsi, outre que c'est bien la qualité de salarié qui a ouvert le droit de Mme [H] au bénéfice des billets à tarifs soumis à restrictions en application du titre 14 de la convention d'entreprise, la société Air France, qui a retiré temporairement cet avantage à Mme [H], est bien son employeur.

Si la société Air France conteste que cette décision soit une sanction disciplinaire, ce que soutient Mme [H] pour demander l'annulation de cette décision, le débat relatif à la nature juridique de cette décision de l'employeur relève bien de la compétence du conseil de prud'hommes, s'agissant d'un différend s'élevant à l'occasion du contrat de travail.

Sur la nature juridique de la décision

Il sera relevé à titre liminaire qu'en vertu de l'article 488 du code de procédure civile, l'ordonnance de référé n'a pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.

Il convient ainsi de préciser que si Mme [H] s'appuie sur l'arrêt du 17 mars 2016 rendu par la cour d'appel de céans, le fait qu'il soit définitif n'est pas de nature, s'agissant d'une décision en référé, à revêtir de l'autorité de la chose jugée. La cour est donc libre dans son appréciation sur la nature juridique de la mesure.

Pour infirmation du jugement entrepris, Mme [H] soutient en substance que les droits « GP » constituent des avantages en nature représentant un accessoire au contrat de travail et non une libéralité dont l'employeur peut disposer de manière discrétionnaire ; que la mesure prise par l'employeur constitue une sanction disciplinaire et une sanction pécuniaire illicite ; que les jurisprudences citées par la société Air France ne sont pas transposables à sa situation.

La société Air France réplique que la suspension des billets GP n'est pas une sanction disciplinaire ; que Mme [H] n'a pas été sanctionnée en raison d'un fait considéré comme fautif dans l'exécution de son contrat de travail ; que la mesure prise n'affecte pas la présence de Mme [H] dans l'entreprise, ni ses fonctions, sa carrière ou encore sa rémunération ; que la mesure prise est fondée sur la violation des stipulations du contrat de transport, prise en application de ce dernier et ne relève pas du droit disciplinaire.

Aux termes de l'article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Aux termes de l'article L1331-2 du code du travail, les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite.

Il est constant que la notion de faute vise les manquements du salarié à ses obligations professionnelles. Ainsi le pouvoir disciplinaire de l'employeur ne peut s'appliquer qu'aux faits commis par le salarié dans l'exercice de ses fonctions et non à ceux qui sont étrangers à l'exécution du contrat de travail.

A la suite d'un courriel reçu le 20 mars 2013 de la part de la direction des voyages du personnel et de l'interligne, les droits de Mme [H] ainsi que ceux des membres de sa famille au titre des facilités de transports et des billets à tarif préférentiel ont été suspendus.

Il résulte de ce courrier que les billets à tarif préférentiel ont été utilisés par le mari de la salariée à titre professionnel ce qui est prohibé par le contrat de transport.

La décision prise par la société Air France est donc fondée sur un fait qui n'a pas été commis par Mme [H] au cours de la relation de travail mais en raison de l'utilisation non conforme des billets à tarif préférentiel par son ayant droit.

A l'exception des diverses jurisprudences qualifiant la suspension de ses droits comme étant une sanction disciplinaire et une sanction pécuniaire prohibée, Mme [H] n'apporte aucun élément matériel démontrant que cette mesure a eu pour conséquence directe d'impacter sa présence dans la société, ses fonctions, sa carrière ou encore sa rémunération.

La mesure prise n'a donc eu aucun effet sur la relation de travail qui a continué à se dérouler sans être modifié.

Il convient de déduire de l'ensemble qui précède que cette décision ne peut donc être qualifiée de sanction disciplinaire et, dès lors, la privation subséquente de l'avantage tarifaire ne constitue pas une sanction pécuniaire prohibée.

Sur le bienfondé de la mesure

La société Air France soutient que sa décision de suspendre les droits « GP » de Mme [H] est parfaitement justifiée ; elle fonde sa décision par l'application des dispositions du contrat de transport ; elle verse aux débats un relevé de consommation de billets de l'ayant droit de la salariée pour démontrer le caractère professionnel des voyages effectués en Afrique.

Mme [H] réplique qu'elle a été injustement sanctionnée ; que la décision de la société Air France est fondée sur des soupçons ; que l'audit sur lequel s'appuie la société Air France pour justifier sa décision n'a pas été communiquée malgré ses demandes renouvelées ; qu'elle n'a pas été entendue lorsqu'elle a contesté la suspension de ses droits ; elle verse aux débats des photographies et attestations pour démontrer le caractère privé des voyages effectués par son époux.

Il résulte du chapitre II du contrat de transport, à la rubrique dispositions particulières pour les passagers disposant de billets à tarifs soumis à restrictions, « que les passagers doivent se conformer aux règles en vigueur telles que précisées dans le présent contrat. En cas d'utilisation non conforme ou abusive, l'achat et/ou l'utilisation de ces billets peuvent être suspendus ou supprimés à tout moment par Air France si le contrevenant est un ayant droit, suspension ou suppression soit pour l'ayant droit directement, soit pour l'ouvrant droit et l'ensemble de ses ayants droit ».

Ce même chapitre prévoit également « que l'ouvrant droit endosse la responsabilité de toute conséquence résultant de l'achat et de l'utilisation de ces billets par ses ayants droit et en cas d'utilisation non conforme ou abusive, l'achat et/ou l'utilisation de ces billets peuvent être suspendus ou supprimés à tout moment par Air France ».

Il est en outre précisé au sein du chapitre IV du contrat de transport que les billets à tarifs soumis à restriction ne peuvent être utilisés que pour des voyages de convenance personnelle.

La lettre de notification de la mesure de suspension envoyée par la société Air France le 20 mars 2013 à Mme [H] indique que son époux, mandataire social d'une société en contact avec l'Afrique, a effectué de nombreux voyages en lien avec son activité professionnelle sur le continent africain.

Mme [H] a contesté cette décision et indiqué que les voyages de son époux ont été effectués à titre privé.

La cour relève que la société Air France ne produit aucune pièce pour justifier la mesure administrative prise à l'encontre de Mme [H].

Elle ne communique pas l'audit, qu'elle mentionne dans la lettre de notification de la mesure de suspension, pourtant essentielle pour justifier sa décision de suspension des droits.

Elle fonde principalement sa décision sur la base d'un relevé de consommation de billets GP, qui démontre notamment que sur les 95 voyages effectués, seuls 27 ont été effectués entre la France et le continent africain.

Alors que la charge de la preuve pèse sur l'employeur, Mme [H] justifie que son mari effectuait régulièrement des voyages privés en Afrique notamment aux périodes concernées dans le relevé de consommation de billets GP.

Dès lors, la société Air France, qui ne caractérise pas en quoi l'ayant droit de Mme [H] ne se serait pas conformé au droit applicable au sens du chapitre II et IV du contrat de transport et qui ne caractérise aucun autre manquement identifié à ce contrat ou dans la Convention d'entreprise commune, n'établit pas que la suspension de l'avantage du bénéfice des billets à tarifs soumis à restrictions notifiée à Mme [H] est justifiée.

Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice matériel

Mme [H] soutient qu'en application du principe général de la réparation de l'intégralité du préjudice, elle doit être placée dans une situation identique à celle qui aurait été la sienne si ses droits « GP » n'avaient pas été suspendus ; elle produit notamment en ce sens des relevés de sa carte bancaire ainsi que des factures relatives aux vols effectués par ses ayants droits durant la période de suspension ; elle produit également d'autres justificatifs des sommes payés pendant la suspension de ses droits.

La société Air France réplique que Mme [H] ne rapporte pas la preuve de son préjudice ; que le tableau versé aux débats est inexact et ne prouve pas la réalité des trajets allégués.

Mme [H] a reconstitué le préjudice économique subi en raison de la suspension de ses droits par l'intermédiaire d'un tableau récapitulant les voyages effectués et les relevés d'une carte bancaire.

Les montants payés grâce à la carte bancaire correspondent aux voyages effectués par les ayants droits de Mme [H].

Au vu des pièces produites, la cour retient que Mme [H] démontre la réalité de son préjudice matériel.

Dès lors, la cour condamne la société Air France à lui payer la somme de 24 084,17 euros.

Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice moral

Mme [H] soutient que la suspension de ses droits a occasionné pour elle un préjudice étant donné qu'elle n'avait plus accès aux informations relatives au taux de remplissage des avions ; elle précise par ailleurs que depuis la suspension de ses droits, elle se sent sous l'observation permanente de son employeur et craint constamment de justifier le caractère privé de ses déplacements en avion.

La société Air France réplique que Mme [H] a obtenu une dérogation lui permettant d'effectuer le trajet A/R entre son lieu de travail et son domicile pendant la période de suspension ; que sa crainte n'est pas fondée tant que les droits GP sont utilisés à bon escient.

La cour relève que Mme [H] ne démontre pas la réalité de son préjudice moral, aucune pièce n'est produite en ce sens.

Par conséquent, Mme [H] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de communication sous astreinte de documents

Mme [H] invoque son droit d'accès à ses données personnelles afin d'obtenir notamment la communication de plusieurs documents de son dossier professionnel sous astreinte.

La société réplique que la demande de communication de la salariée n'est pas fondée ; qu'en outre les documents sollicités ne figurent pas dans le dossier disciplinaire de la salariée.

L'article 39 de la loi « informatique et libertés » de 1978 dispose que toute personne physique peut demander une copie des données à caractère personnel détenues par le responsable d'un traitement de données.

Le règlement nº (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (ci-après RGPD) d'application directe depuis le 25 mai 2018 et applicable au traitement effectué dans le cadre des activités d'un établissement du responsable de traitement ou du sous-traitant se situant sur le territoire de l'UE, prévoit en son article 15 un droit d'accès à la personne concernée par le traitement de données personnelles en disposant notamment « La personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu'elles le sont, l'accès auxdites données à caractère personnel (...).

Le responsable du traitement fournit une copie des données à caractère personnel faisant l'objet d'un traitement. Le responsable du traitement peut exiger le paiement de frais raisonnables basés sur les coûts administratifs pour toute copie supplémentaire demandée par la personne concernée. Lorsque la personne concernée présente sa demande par voie électronique, les informations sont fournies sous une forme électronique d'usage courant, à moins que la personne concernée ne demande qu'il en soit autrement ».

En application de ces textes, tout salarié ou ancien salarié justifiant de son identité doit pouvoir demander à son employeur (ou ancien employeur) l'accès à toutes les données personnelles ayant été collectées.

Les éléments ayant fondé la décision ont été collectés par la société Air France et concernaient directement Mme [H].

La société Air France n'a jamais répondu favorablement aux demandes formées à plusieurs reprises par Mme [H].

Peu importe la nature juridique de la mesure prise pour suspendre les droits de Mme [H], le droit d'accès aux éléments utilisés, par la société Air France pour justifier sa décision, doit être garanti.

Dans ces circonstances, l'obligation de l'employeur n'est pas sérieusement contestable et il convient en conséquence de lui ordonner, selon les modalités précisées aux dispositifs du présent arrêt, de l'exécuter.

Le prononcé d'une astreinte s'impose afin de garantir l'exécution de la décision selon les modalités prévues au dispositif.

Sur les frais irrépétibles

La société Air France sera condamnée à verser à Mme [H] la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SA Air France à verser à Mme [R] [H] la somme de 24.084 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

ORDONNE à la SA Air France d'avoir à communiquer la copie de la lettre de réclamation du 8 janvier 2010, la copie de l'audit invoqué dans le mail du 20 mars 2013 et la LRAR du 7 mai 2013 ainsi que la copie intégrale de son dossier professionnel et administratif relatif à ses droits « GP » et à la sanction disciplinaire dont elle a fait l'objet, dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision et sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard pendant 60 jours ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

CONDAMNE la SA Air France à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 19/12439
Date de la décision : 15/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-15;19.12439 ?
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