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14/11/2022 | FRANCE | N°21/20639

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 14 novembre 2022, 21/20639


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2022



(n° 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/20639 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXH2



Sur renvoi après Arrêt de la Cour de cassation prononcé le 13 octobre 2021 emportant cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 18 septembre 2017, la cour d'appel de Paris sur appel d'un jugement rendu le 12 Février 2015 -Tribunal de Gra

nde Instance de PARIS RG n° 13/08409





DEMANDEUR A LA SAISINE



Monsieur [G] [F]

né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 6]

Domicilié [Adresse...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2022

(n° 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/20639 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXH2

Sur renvoi après Arrêt de la Cour de cassation prononcé le 13 octobre 2021 emportant cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 18 septembre 2017, la cour d'appel de Paris sur appel d'un jugement rendu le 12 Février 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 13/08409

DEMANDEUR A LA SAISINE

Monsieur [G] [F]

né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 6]

Domicilié [Adresse 2]

[Localité 7] SUISSE

Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Représenté par Me Pierre LE ROUX, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

DEFENDEUR A LA SAISINE

M. LE DIRECTEUR REGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D' ILE DE FRANCE ET DU DEPARTEMENT DE PARIS POLE FISCAL PARISIEN

Ayant ses bureaux [Adresse 1]

[Localité 5]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, Première Présidente de chambre

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Madame Marion PRIMEVERT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Brigitte BRUN-LALLEMAND, Première Présidente de chambre et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

[O] [H] veuve [F], décédée le [Date décès 3] 2008, a laissé pour lui succéder son fils M. [K] [F] et son petit-fils M. [G] [F], par représentation de son père M. [Z] [F], qui a renoncé à la succession. La déclaration principale de succession a été enregistrée le 18 décembre 2009.

Par une proposition de rectification adressée à M. [G] [F] le 21 avril 2011, l'administration fiscale a réintégré à l'actif net de la succession une créance de restitution d'impôt sur le revenu, dite de « bouclier fiscal », détenue par [O] [F] sur le Trésor public au titre des revenus de l'année 2007, et revalorisé les titres de la Sicav Ortalgos investissement ainsi qu'un contrat d'assurance-vie.

Un avis de mise en recouvrement a été émis le 23 janvier 2012, portant sur un rappel de droits de succession d'un montant de 671 922 euros, outre 59 129 euros de pénalités.

En l'absence de réponse de l'administration fiscale à sa réclamation contentieuse du 31 mai 2012, M. [G] [F], par acte du 6 juin 2013, l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Paris en décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.

En cours d'instance, l'administration fiscale a accordé le dégrèvement des suppléments de droits concernant les contrats d'assurance-vie.

Par un jugement du 12 février 2015, le tribunal a :

- constaté que l'administration fiscale avait accordé, le 12 juin 2014, le dégrèvement demandé au titre du contrat d'assurance-vie,

- débouté M. [G] [F] du surplus de ses demandes ;

- condamné le directeur général des finances publiques, poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de Paris aux frais visés par l'article R*207 du livre des procédures fiscales et à payer à M. [G] [F] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par un arrêt du 18 septembre 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant, condamné M. [G] [F] à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de Paris la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 13 octobre 2021, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé partiellement l'arrêt d'appel et a renvoyé les parties devant la cour autrement composée. La Cour casse l'arrêt sauf en ce qu'il rejette la demande de M. [G] [F] tendant à la décharge des droits d'enregistrement auxquels il a été assujetti au titre de la réintégration dans l'actif net successoral de [O] [F] d'une créance sur le Trésor public, dite de 'bouclier fiscal'. La cassation est prononcée au visa de l'article 666 du code général des impôts pour manque de base légale, la cour d'appel s'étant déterminée 'sans rechercher si le fait que l'opération de rachat effectuée le 4 novembre 2008 n'ait jamais été réglée par la banque dépositaire des SICAV Luxalpha, affectées par « l'affaire [D] », et qu'aucun rachat n'ait été effectué entre le 2 et le 17 décembre 2008, date de la recommandation de l'Autorité des marchés financiers de ne plus calculer de valeur liquidative des SICAV affectées par cette fraude, n'était pas de nature à démontrer que la valeur vénale des actions de la SICAV Ortalgos, détenues par [O] [H], composées pour partie d'actions de la SICAV Luxalpha, était affectée par la valeur nulle de celles-ci au jour de son décès.'

Par déclaration du 19 novembre 2021, M. [G] [F] a saisi la cour d'appel de renvoi.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, M. [G] [F] demande à la cour de :

'- Déclarer M. [G] [F] recevable et bien-fondé en ses demandes, fins et prétentions.

En conséquence,

- Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu le 12 février 2015 en ce qu'il a ainsi débouté M. [G] [F] de sa demande tendant à l'annulation de l'avis de mise en recouvrement du 23 janvier 2012 pour valoir paiement d'un montant de droits en principal de 423 979 euros et de 37 312 euros d'intérêts de retard au titre de la sous-évaluation des actions de la Sicav Ortalgos ;

Statuant à nouveau :

- Prononcer l'annulation de l'avis de mise en recouvrement du 23 janvier 2012 pour valoir paiement d'un montant de droits en principal de 423 979 euros et de 37 312 euros d'intérêts de retard au titre de la sous-évaluation des actions de la Sicav Ortalgos ;

- Prononcer, ce faisant, la décharge de l'imposition et des intérêts de retard et, par suite, leur restitution assortis des intérêts moratoires calculés à compter de la date du paiement de l'imposition contestée ;

- Débouter la Direction générale des finances publiques de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Enfin, condamner la Direction générale des finances publiques au paiement des entiers dépens par application des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile et aux frais non compris dans les dépens à hauteur d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'

Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2022, le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de [Localité 5] demande à la cour de :

'- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 12 février 2015;

- Confirmer les rappels effectués par l'administration ;

- Débouter M. [G] [F] de ses demandes y compris sur la condamnation au versement de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Monsieur [G] [F] à tous les dépens d'appel.'

MOTIVATION

1.- Sur la recevabilité des conclusions notifiées par l'administration fiscale le 9 septembre 2022

L'administration fiscale a fait notifier des conclusions récapitulatives par le RPVA le vendredi 9 septembre 2022 à 15H39. A l'audience de plaidoirie du lundi 12 septembre 2022 à 14H00, l'avocat plaidant pour le compte de M. [G] [F] a sollicité le rejet de ces conclusions récapitulatives en raison de leur tardiveté.

La cour constate que les conclusions en réplique et récapitulatives de M. [G] [F] ont été notifiées par voie électronique le 28 avril 2022, soit plus de quatre mois avant l'audience de plaidoirie du 12 septembre 2022 dont la fixation est intervenue le 8 avril 2022.

Il en résulte que les conclusions récapitulatives notifiées le vendredi 9 septembre 2022 par l'administration fiscale sont tardives et portent atteinte au principe de la contradiction en ne permettant pas à l'appelant de disposer d'un temps utile pour organiser sa défense. Elles seront donc déclarées irrecevables en application des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

2.- Sur la valeur vénale des actions de la Sicav Ortalgos investissement

Enoncé des moyens

M. [G] [F] fait valoir qu'à la suite de l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 13 octobre 2021, il est acquis que la valeur des actions de la Sicav Luxalpha American B (ci-après désignée la 'Sicav Luxalpha') composant une partie du l'actif de la Sicav Ortalgos (6,53%) était nulle au jour du décès de [O] [F] le [Date décès 3] 2008 en raison des deux événements visés par la Cour dans le paragraphe numéro 11 de l'arrêt du 13 octobre 2021 à savoir, d'une part, l'inexécution d'un ordre de vente de titres reçu par la banque dépositaire de la Sicav Luxalpha le 4 novembre 2008 et, d'autre part, l'absence de toute transaction sur les actions de la Sicav Luxalpha entre le 2 et le 17 décembre 2008, date de la recommandation de l'Autorité des marchés financiers de ne plus calculer de valeur liquidative des fonds ayant investi plus de 5 % de leur actif dans les fonds affectés par la fraude [D].

Il déduit de l'arrêt de cassation qu'il appartient seulement à la cour d'appel de renvoi de statuer sur la conséquence de cette valeur nulle des actions de la Sicav Luxalpha sur la valeur unitaire des actions de la Sicav Ortalgos, dont elles étaient une composante, au jour du décès de [O] [F].

M. [G] [F] soutient que la valeur vénale réelle des actions de la Sicav Ortalgos qui doit prise en compte au jour du décès pour le calcul des droits d'enregistrement en application de l'article 666 du code général des impôts ne peut inclure la dernière valeur liquidative des actions de la Sicav Luxalpha indiquée dans le relevé de portefeuille de la Sicav Ortalgos arrêté au 30 novembre 2008 car cette valeur est erronée et que procéder autrement revient à comptabiliser un actif fictif et à faire prospérer la fraude [D] qui, pourtant, doit être regardée comme ayant tout corrompu, en l'occurrence le dernier relevé de portefeuille de la Sicav Ortalgos.

M. [G] [F] fait valoir que l'administration fiscale se méprend sur le fondement légal de l'assiette des droits de succession lorsque le bien objet de la mutation à titre gratuit pour cause de décès est représenté par des actions d'une Sicav et non par des parts de fonds communs de placement. Il soutient que les dispositions de l'article 799 du code général des impôts, qui ne visent que les parts des fonds communs de placement, ne s'appliquent pas aux actions de Sicav de sorte que l'administration fiscale ne peut se fonder sur ce texte pour retenir les valeurs figurant dans le dernier relevé de portefeuille ayant précédé le décès de [O] [F].

A titre subsidiaire, M. [G] [F] fait valoir que le jugement déféré n'a pas répondu au moyen tiré de l'opposabilité de la réponse du 6 novembre 2009 de la direction des services fiscaux de [Localité 5]-Ouest, saisie par le notaire chargé de la succession sur le fondement de l'article

L. 80B du livre des procédures fiscales. Il soutient que, dans cette réponse, il était clairement précisé que pour déterminer la valeur des actions de la Sicav Luxalpha au [Date décès 3] 2008 et, par suite, celle des actions de la Sicav Ortalgos, « il y a lieu de retenir (...) la valeur liquidative d'actions de cette Sicav ressortant d'opérations de souscription ou de rachat qui seraient réalisées après cette date », c'est-à-dire entre le 3 décembre 2008 et le 17 décembre 2008, et non la dernière valeur liquidative publiée avant le décès. Il fait valoir qu'aucun rachat n'étant intervenu après le [Date décès 3] 2008, l'actif net réel de la Sicav Ortalgos devait, lors du décès, tenir compte d'une valeur nulle de la part de cet actif représentée par les actions de la Sicav Luxalpha, ainsi que cela avait été confirmé par la décision du 6 novembre 2009 valant prise de position formelle de l'administration au regard des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

L'administration fiscale répond que les actions de Sicav comme les parts de fonds de placements doivent être évalués sur la base de leur dernière valeur d'achat connue, en application de l'article 799 du code général des impôts qui fixe une base légale d'évaluation de ces titres dérogeant au principe de la déclaration estimative de valeur par le contribuable prévue à l'article 666 du code général des impôts.

Elle soutient que cette dernière valeur d'achat connue à la date du décès de [O] [F] correspond à la valeur liquidative des actions de la Sicav Ortalgos au 30 novembre 2008 figurant sur le relevé communiqué par la banque Indosuez et dans l'inventaire établi par la société BNP Paribas en réponse au notaire chargé de la succession.

L'administration fiscale fait valoir également que cette valeur liquidative reflète en tout état de cause la valeur vénale des actions de la Sicav Ortalgos au [Date décès 3] 2008 conformément aux dispositions de l'article 666 du code général des impôts.

A cet égard, l'administration fiscale soutient que le rescrit fiscal n° 2009/37 (ENR) ne s'applique pas pour la détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit dont le fait générateur est antérieur à la suspension des souscriptions et des rachats consécutive à la recommandation de l'Autorité des marchés financiers du 17 décembre 2008 de ne plus calculer de valeur liquidative des fonds ayant investi plus de 5 % de leur actif dans les fonds affectés par la fraude [D]. Elle en déduit que, [O] [F] étant décédée le [Date décès 3] 2008, une valeur égale à zéro des actions de la Sicav Luxalpha ne peut être retenue. L'administration fiscale fait valoir au surplus que [O] [F] ne détenait pas directement des actions de la Sicav Luxalpha mais détenait des actions de la Sicav Ortalgos dont l'actif n'était que très partiellement investi, soit à hauteur de 6,53'%, en titres de la Sicav Luxalpha.

L'administration fiscale soutient également que les héritiers de [O] [F] n'ont pas justifié de l'impossibilité de réaliser des transactions sur les titres litigieux au jour du décès de [O] [F] et qu'elle démontre au contraire, qu'à cette date, les titres en cause pouvaient faire l'objet de transactions, la valeur liquidative passant de 3221,84 euros le 30 novembre 2008 à 2983 euros le 21 décembre 2008, le gestionnaire de la Sicav Ortalgos n'ayant pas décidé de suspendre les opérations de souscription et de rachat, malgré la recommandation, non impérative, de l'Autorité des marchés financiers, faisant plutôt le choix de dévaluer la valeur des titres pour tenir compte de leur dépréciation après la découverte de la fraude [D]. Elle en déduit que cette dévaluation des actions de la Sicav Ortalgos par suite de la découverte de la fraude [D] ayant affecté la Sicav Luxalpha n'étant intervenue qu'entre le 7 et le 14 décembre 2008, la valeur liquidative publiée le 30 novembre 2008 correspondait bien à la valeur vénale au jour du décès puisque les retraitements de valeur n'étaient pas intervenus à cette date.

L'administration fiscale soutient encore que M. [G] [F] ne peut se prévaloir de l'inexécution de l'ordre de rachat de titres survenue le 4 novembre 2008 car, d'une part, cet ordre émanait d'une société tierce, la société Oddo, qui ne gérait pas la Sicav Ortalgos et, d'autre part, le gestionnaire de la Sicav Luxalpha, la société UBS, n'a pas refusé l'exécution de l'ordre de rachat de titres pour cause d'insuffisance de fonds mais pour des motifs procéduraux.

Enfin, concernant le moyen de l'appelant tiré de l'opposabilité de la réponse du 6 novembre 2009 de la direction des services fiscaux de [Localité 5]-Ouest, l'administration fiscale fait valoir que cette réponse ne contredit pas la méthode de valorisation des titres de la Sicav Ortalgos retenue dans la proposition de rectification du 21 avril 2011, les principes généraux qu'elle énonce ne permettant pas la valorisation retenue par les héritiers de [O] [F].

Réponse de la cour

Selon l'article 666 du code général des impôts, « Les droits proportionnels ou progressifs d'enregistrement et la taxe proportionnelle de publicité foncière sont assis sur les valeurs ».

Il en résulte que les biens transmis sont évalués à leur valeur vénale au jour du fait générateur de l'impôt, soit le jour du décès pour les droits de succession, et que ceux-ci sont assis sur une déclaration estimative des contribuables.

La valeur vénale d'un bien est le prix auquel ce bien pourrait ou aurait pu normalement se négocier à l'époque considérée, tel qu'il résulte en particulier de l'analyse des prix déclarés lors des mutations de biens présentant des caractéristiques identiques et affectés au même usage.

L'article 799 du code général des impôts déroge à cette règle d'évaluation. Il dispose que : « En ce qui concerne les déclarations visées à l'article 851, les mutations à titre gratuit des parts du fonds commun de placement donnent lieu à une déclaration comportant la désignation du fonds, ainsi que l'indication du nombre de parts et de leur valeur de rachat à la date de la donation ou du décès, sans qu'il y ait lieu de fournir à l'administration l'énumération de toutes les valeurs comprises dans le fonds et leur cours de bourse ».

Les règles de droit fiscal sont d'application stricte. L'article 799 du code général des impôts précité ne pose une règle dérogatoire que pour une valeur mobilière déterminée, à savoir les parts d'un fonds commun de placement. Il ne pose aucune règle dérogatoire pour l'évaluation des actions de sociétés d'investissement à capital variable (Sicav), qui sont des sociétés anonymes ou des sociétés par actions simplifiées. Le fait que les fonds commun de placement et les sociétés d'investissement à capital variable soient tous deux des organismes de placement collectif en valeurs mobilières ne permet pas pour autant une confusion de leur nature propre, le fonds commun de placement étant une copropriété de valeurs mobilières sans personnalité morale alors que la société d'investissement à capital variable est une société par actions dont les titres doivent être évalués selon les règles applicables à toute autre société émettant des titres négociables.

Par suite, en l'espèce, conformément aux dispositions de l'article 666 du code général des impôts, les actions de la Sicav Ortalgos doivent être évaluées à leur valeur vénale au jour du décès de [O] [F], le [Date décès 3] 2008.

Contrairement à ce que soutient M. [G] [F], il appartient à la cour de renvoi de statuer sur la valeur vénale au jour du décès de [O] [F] des actions de la Sicav Luxalpha qui composent pour partie la Sicav Ortalgos, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation n'ayant pas pu statuer sur une tel élément de fait, contesté entre les parties, dans son arrêt du 13 octobre 2021.

M. [G] [F] soutient que la Sicav Luxalpha, qui représente 6,53 % de l'actif de la Sicav Ortalgos, a été directement affectée par la fraude [D], laquelle était antérieure au décès de [O] [F], et présentait une valeur vénale nulle au [Date décès 3] 2008 contrairement aux indications de l'inventaire par produits établi par l'établissement financier gestionnaire de la Sicav Ortalgos avec une date d'arrêté de valeur liquidative des actions de cette dernière au 30 novembre 2008.

Pour justifier de cette valeur vénale nulle, il se réfère à un ordre de vente d'actions de la Sicav Luxalpha passé par la société Oddo asset management le 4 novembre 2008 qui n'a pas été exécuté par la banque dépositaire de la Sicav Luxalpha.

Il ressort toutefois de l'ordonnance de référé rendue par la délégataire du président du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg le 15 janvier 2009, qui expose les faits sur lesquels se fonde M. [G] [F], que si la société Oddo asset management a donné un ordre de rachat de 21 346 587 actions de la Sicav Luxalpha le 4 novembre 2008, cet ordre de rachat a été exécuté par la Sicav Luxalpha pour un montant de 30 072 217,90 euros, sur la base d'une valeur de l'action au 17 novembre 2008, et que le 10 décembre 2008 les actions cédées ont été débitées du compte de la société Oddo asset management, l'agent administratif de la Sicav Luxalpha donnant l'instruction de paiement sur la plate-forme de règlement Fundsettle utilisée par la société UBS Luxembourg. Il ressort encore des mentions de l'ordonnance de référé que le 10 décembre 2008, la société UBS Fund Services a confirmé le rachat des actions pour la somme de 30 072 217,90 euros et l'exécution du paiement le 15 décembre 2008 mais que celui-ci n'a pas été effectué à cette date. L'ordonnance de référé précise qu'après mainlevée d'une saisie-arrêt pratiquée par un tiers, le paiement n'a toujours pas été exécuté alors que 'les comptes de la Sicav auprès du dépositaire [étaient] crédités d'un montant suffisant pour procéder au paiement (...)' (pages 14 et 15 de la pièce n°10 de l'intimé). La société UBS Luxembourg a été condamnée à exécuter l'ordre de paiement sous astreinte de trois millions d'euros par jour de retard.

Il en résulte, d'une part, que les actions de la Sicav Luxalpha demeuraient négociables et liquides au jour du décès de [O] [F], le [Date décès 3] 2008, les faits invoqués par M. [F] ne caractérisant aucune impossibilité pour un détenteur d'actions de procéder à un ordre de rachat accepté et honoré par la Sicav Luxalpha, et, d'autre part, que la valeur vénale des actions de la Sicav Luxalpha n'étaient pas nulle puisqu'une opération de rachat d'un volume important d'actions est intervenue au prix de 1 408,76 euros par action au 17 novembre 2008. Il convient à cet égard de relever que cette valeur vénale est celle retenue par le gestionnaire de la Sicav Ortalgos au 30 novembre 2008 (pièce n°3 de l'appelant).

Les difficultés de paiement rencontrées par la société Oddo sont intervenues après le décès de [O] [F] et sont imputables à la société UBS Luxembourg.

M. [G] [F] ne justifie pas de la survenance d'un événement entre le 17 novembre et le [Date décès 3] 2008 susceptible d'annihiler toute liquidité des actions de la Sicav Luxalpha et toute valeur vénale au [Date décès 3] 2008.

Le fait qu'aucune opération de rachat d'actions de la Sicav Luxalpha ne soit intervenue entre le [Date décès 3] 2008, date du décès de [O] [F], et le 17 décembre 2008, date de la recommandation de l'Autorité des marchés financiers de ne plus calculer de valeur liquidative des fonds ayant investi plus de 5% de leur actif dans les fonds affectés par la fraude [D], n'est pas de nature à caractériser une valeur vénale nulle de ces actions au [Date décès 3] 2008.

En effet, cet élément de fait est postérieur au fait générateur des droits de succession et ne peut affecter la valeur vénale des actions de la Sicav Luxalpha au jour du décès de [O] [F] que sous deux conditions cumulatives, à savoir, d'une part, que cette absence d'opérations de rachat soit exclusivement liée à une perte de liquidité des titres pendant cette période allant du 2 au 17 décembre 2008, c'est-à-dire à une impossibilité de réaliser toute opération de souscription et de rachat, et, d'autre part, que les causes de cette illiquidité des titres étaient déjà pleinement survenues à la date du décès.

Or, en l'espèce, il n'est pas établi que l'absence d'opération de rachat de titres de la Sicav Luxalpha soit liée à leur absence de liquidité. Il ressort au contraire de l'ordonnance de référé rendue par la délégataire du président du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg le 15 janvier 2009 dans l'opération de rachat d'actions de la Sicav Luxalpha initiée par la société Oddo asset management que, le 10 décembre 2008, l'agent administratif de cette Sicav a donné l'instruction de paiement sur la plate-forme de règlement Fundsettle utilisée par la société UBS Luxembourg de la somme de 30 072 217,90 euros correspondant au rachat de 21 346 587 actions de la Sicav Luxalpha détenues par la société Oddo asset management et que le défaut de règlement prévu au 15 décembre 2008 est uniquement imputable à la société UBS Luxembourg et non à une indisponibilité des fonds.

Il en résulte que les 2 179,101 actions de la Sicav Luxalpha qui composaient pour partie la Sicav Ortalgos investissement n'étaient pas constitutives d'un élément d'actif fictif, dépourvu de toute valeur vénale au jour du décès de [O] [F] mais qu'au contraire cette valeur vénale était établie à cette date par référence à la dernière opération de rachat de titres acceptée par la Sicav Luxalpha le 17 novembre 2008 sur l'ordre passé par la société Oddo asset management le 4 novembre 2008 à concurrence de la somme de 1 408,76 euros par action, valeur retenue par le gestionnaire de la Sicav Ortalgos dans son inventaire des produits composant cette Sicav arrêté au 30 novembre 2008.

Il en résulte également qu'il n'est pas établi que la fraude commise par [Z] [D] ait affecté la fonctionnement de la Sicav Luxalpha et la faculté de cette dernière de procéder à des opérations d'émission et de rachat de titres à la date du décès de [O] [F].

M. [G] [F] justifie que l'administration fiscale, saisie le 14 août 2009 par le notaire en charge de la succession de [O] [F] conformément aux dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, a formellement pris position sur l'appréciation des conséquences de la situation de fait qui lui a été décrite de la façon suivante : '- la société de gestion Oddo a passé au mois de novembre 2008, c'est-à-dire avant le décès de Mme [H], des ordres de ventes d'actions de la Sicav Luxalpha auprès de la banque UBS (gérant de la Sicav Luxalpha à l'époque) et n'a pas réussi à obtenir le prix de cession, ce qui l'a conduite à saisir en janvier 2009 les juridictions luxembourgeoises pour obtenir le règlement du prix' (pièce n°4 de l'appelant).

Après avoir rappelé que n'étaient pas réunies les conditions d'application du rescrit fiscal du 2 juin 2009 portant sur la détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit dont le fait générateur est postérieur à la suspension des souscriptions et des rachats d'actions de Sicav ou de parts de FCP détenant des actifs exposés dans le cadre de l'affaire [D] et autorisant, sous conditions, de considérer comme nulle la valeur de ces actifs, l'administration fiscale a répondu aux héritiers de [O] [F] en prenant une position formelle comme suit : '(...) en ce qui concerne la détermination de la valeur des actions de la Sicav Luxalpha à la date du [Date décès 3] 2008, il y a lieu de retenir, conformément à ce qui est indiqué dans le même rescrit concernant le cas où la date du fait générateur de l'impôt est antérieure à la suspension des souscriptions ou rachats, la valeur liquidative d'actions de cette Sicav ressortant d'opérations de souscription ou de rachat qui seraient réalisées après cette date.'

Cette prise de position formelle de l'administration fiscale contient également la réserve suivante: 'J'attire votre attention sur le fait que cette réponse ne pourra pas être invoquée dès lors que les éléments portés à ma connaissance seraient incomplets ou inexacts ou en cas de modification ultérieure de la situation présentée dans votre demande'.

Or, il est à présent établi, au vu des faits constants rappelés par la délégataire du président du tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg dans l'ordonnance de référé rendue le 15 janvier 2009 que la question posée à l'administration fiscale par le notaire chargé de la succession est incomplète puisqu'elle ne fait pas état de l'acceptation par la Sicav Luxalpha des ordres de vente passés par la société Oddo, du rachat de l'intégralité des actions cédées pour un prix total non discuté par la société Oddo de 30 072 217,90 euros et du fait que le retard de paiement est intervenu en raison de faits imputables à la société UBS Luxembourg et à la Sicav Luxalpha ou à un manque de fonds disponibles afin d'exécuter cet ordre de vente.

En outre, il est acquis, selon les termes de cette ordonnance de référé du 15 janvier 2009, que l'ordre de vente passé par la société a été exécuté le 10 décembre 2008, soit au cours de la période visée par la prise de position formelle de l'administration fiscale, puisque, à cette date, l'agent administratif de la Sicav Luxalpha a débité les actions cédées du compte de la société Oddo asset management et donné l'instruction de paiement de la somme de 30 072 217,90 euros sur la plate-forme de règlement Fundsettle utilisée par la société UBS Luxembourg ce qui explique que cette dernière, et non la société Luxalpha Sicav, également partie à l'instance luxembourgeoise, ait été condamnée à exécuter sous astreinte l'obligation de paiement de cette somme.

Enfin, le fait qu'aucune autre opération de souscription ou de rachat d'actions de la Sicav Luxalpha ne soit intervenue au cours de la période allant du 2 au 17 décembre 2008, à supposer que ce fait soit acquis, ce qui n'est pas le cas en l'espèce aucune pièce émanant du gestionnaire de la Sicav Luxalpha n'étant produite afin d'en justifier, n'est pas exclusif d'une valorisation des actions de la Sicav Luxalpha détenues par [O] [F] au jour de son décès sur la base de leur valeur vénale à cette date dès lors qu'il existe une valeur de rachat établie par une opération de vente antérieure au décès de quelques jours et non infirmée par des faits survenus entre la date de ce rachat et la date du décès.

Pour ces motifs et les motifs des premiers juges que la cour adopte, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [G] [F] de sa demande de décharge des droits d'enregistrement supplémentaires auxquels il a été assujetti au titre du rehaussement de valeur au [Date décès 3] 2008 des actions de la Sicav Ortalgos investissement.

3.- Sur les frais du procès

L'administration fiscale ne demande pas l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée aux dépens au profit de M. [G] [F] ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure d'un montant de 2 000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ces dispositions afférentes aux demandes accessoires de M. [G] [F].

Partie perdante en cause d'appel, M. [G] [F] sera condamné aux dépens des instances d'appel, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Pour ce motif, la demande formée par M. [F] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE irrecevables les conclusions du directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de [Localité 5] notifiées par voie électronique le 9 septembre 2022 à 15H39,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant :

CONDAMNE M. [G] [F] aux dépens de la première instance d'appel et de la présente instance,

DÉBOUTE M. [G] [F] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE

S.MOLLÉ B.BRUN LALLEMAND


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 21/20639
Date de la décision : 14/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-14;21.20639 ?
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