REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01896 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAQO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Novembre 2020 -TJde PARIS RG n° 17/09859
APPELANTS
Monsieur [Z] [T]
Domicilié [Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Madame [D] [L] ÉPOUSE [T]
Domiciliée [Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
INTIME
MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 5]
Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire
Ayant ses bureaux [Adresse 1]
[Localité 3]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Edouard LOOS, Président dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [Z] [T] et madame [D] [L] épouse [T] ont déposé des déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2008 à 2012.
Ces déclarations ont été remises en cause, eu égard à la valeur de certains biens immobiliers formant assiette de l'impôt, par la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) par deux propositions de rectification datées respectivement du 12 décembre 2013 et du 30 juin 2014.
La DNVSF a exclu le caractère professionnel des parts de la société Sci H détenues à hauteur de 25% par Monsieur [Z] [T] qu'elle a valorisées au titre de l'ISF pour les années 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012.
Par réponse du 13 octobre 2014 aux observations formulées par Monsieur et Madame [T] par courrier adressé à ceux-ci le 8 décembre 2014, l'administration fiscale a confirmé partiellement ces propositions de rectification et mis en recouvrement les impositions afférentes par deux avis en date du 16 janvier 2015.
Ces avis pour un montant global de 167.276 euros, concernent la proposition de rectification du 12 décembre 2013, les sommes de 4.652 euros outre les intérêts de retard de 782 euros pour l'ISF dû pour l'année 2010 ; la proposition de rectification du 30 juin 2014, les sommes de 25.573 euros outre les intérêts de retard de 2.455 euros pour l'ISF dû pour l'année 2012, de 61.387 euros outre les intérêts de retard de 4.665 euros au titre de la contribution exceptionnelle sur la fortune pour 2012, de 15 .107 euros outre les intérêts de retard de 3. 626 euros pour l 'ISF dû pour l'année 2009, de 3.277 euros outre les intérêts de retard de 944 euros pour l'ISF dû pour l'année 2008, de 23.127 euros outre les intérêts de retard de 3.330 euros pour l'ISF dû pour l'année 2011 et de 15.395 euros outre les intérêts de retard de 2.956 euros pour l'ISF dû pour l'année 2010.
La réclamation contentieuse formée par monsieur et madame [T] a été rejetée par I' administration fiscale dans une décision du 10 mai 2017.
Par acte d'huissier de justice du 26 juin 2017, monsieur et madame [T] ont assigné l'administration fiscale.
Par jugement rendu le 6 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
Déboute Monsieur [Z] [T] et Madame [D] [T] de leur demande de dégrèvement d'impôt de solidarité sur la fortune;
Déboute Monsieur [Z] [T] et Madame [D] [T] de leurs autres demandes
Condamne Monsieur [Z] [T] et Madame [D] [T] aux dépens ;
Rappelle que le présent jugement est exécutoire par provision de plein droit.
Par conclusions signifiées le 25 juin 2021, M. [T] demande de :
Déclarer recevable, justifié et bien fondé l'appel interjeté par les consorts [T] à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de paris du 6 novembre 2020.
Ainsi, infirmer le jugement entrepris.
Vu les articles l 180 et l 186 du livre des procédures fiscales les articles 885 d et les articles 885 O bis du Code général des impôts, de première part, les arrêts des 30 mai 2007 (n° 06-14236), 11 décembre 2003
(n° 02-9372) et 20 octobre 2015 (n° 14-19598), de seconde part,
Prononcer le dégrèvement des impositions contestées pour un montant de 167.276 euros,
Débouter monsieur le directeur regional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 5] de toutes ses demandes.
Ordonner le versement conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, d'une somme de 3.000 € aux concluants ;
Condamner monsieur le directeur regional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 5] aux entiers dépens de première instance et d'appel, au profit de maître
Frédérique Etevenard, avocat près la cour d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du cpc.
Par conclusions signifiées le 13 avril 2021, M. le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 5] demande de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 novembre 2020 (RG'17/09859)';
- débouter M. et Mme [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions';
- condamner M. et Mme [T] au versement d'une somme de 3 000'€ au titre de l'article 700 du CPC';
- condamner M. et Mme [T] aux entiers dépens.
SUR CE
Monsieur [Z] [T] et madame [D] [L] épouse [T] contestent l'application de la prescription de six ans prévue à l'article L. 186 du livre des procédures fiscales (LPF) au profit de la prescription triennale. Ils font valoir que leurs déclarations d'ISF mettaient l'administration fiscale en mesure de se prononcer sur la qualification de biens professionnels des parts de la Sci H. Ils prétendent que les informations fournies dans le document n° 2725 dédié à cet effet, sont celles prévues par la déclaration elle-même. Ils soutiennent que l'intimée ne précise ni la nature ni l'objet des recherches complémentaires nécessaires. Ils estiment que le différend portait en réalité sur la remise en cause de la valeur déclarée pour la sci H.
L'administration fiscale répond que les appelants n'invoquent pas la prescription pour les rectifications notifiées le 12 décembre 2013, ainsi que pour celles notifiées le 30 juin 2014 , afférentes aux années 2011 et 2012, que dès lors la prescription ne peut être invoquée que'pour les années 2008, 2009 et 2010. Elle souligne que l'application de la prescription triennale est subordonnée à la double condition que' l'administration ait eu connaissance des droits et que l'exigibilité de ces droits soit établie d'une manière certaine par l'acte ou la déclaration sans qu'il soit nécessaire de recourir à des recherches ultérieures ; que contrairement à ce que soutiennent les appelants, la seule lecture des déclarations d'ISF ne la mettait pas en mesure de se prononcer sur la qualification de biens professionnels attribuée aux parts détenues dans la Sci H, qu'elle a dû effectuer des recherches ultérieures afin de contrôler si les conditions étaient satisfaites.
Ceci étant exposé,
Il ressort du contrôle réalisé en juillet 2013, que le moyen tiré de la prescription de six ans pour les rectifications notifiées le 12 décembre 2013 ( la déclaration d'ISF 2010) ainsi que pour celles notifiées le 30 juin 2014 ( afférentes aux années 2011 et 2012) est inopérant.
La contestation ne peut porter que sur les années 2008, 2009 et 2010. A cet égard, l'article L186 du livre des procédures fiscales (LPF) prévoit que : « Lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt. »
L'article 180 du même code dispose que la prescription triennale est applicable lorsque le contribuable a suffisamment révélé à l'administration l'exigibilité de l'ISF. L'article précise que l'exigibilité des droits et taxes doit avoir été suffisamment révélée pour l'impôt de solidarité sur la fortune, mentionnés au même 2 du I de l'article 885 W2, par la réponse du redevable à la demande de l'administration prévue à l 'article L. 23 A du présent livre, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures.
Ainsi que l'a jugé le tribunal, il résulte de la combinaison de ces deux textes que l'application de la prescription de trois ans suppose la réunion de deux conditions tenant, d'une part, à ce que le document révèle l'exigibilité des droits et que, d'autre part, cette exigibilité résulte de manière certaine de la déclaration enregistrée.
En l'espèce, dans les déclarations d'ISF, au titre des années 2008 à 2012, monsieur [Z] [T] et madame [D] [L] épouse [T] ont listé, parmi les biens qu'ils qualifiaient de biens professionnels, les parts détenues dans la Sci H en indiquant la fonction exercée, les pourcentages de détention directe par les redevables ou le groupe familial et indirecte par l'intermédiaire d'une société interposée par le redevable et le groupe familial. Les informations communiquées dans l'annexe 3-1 de la déclaration ISF 2008 , concernent le pourcentage de détention et le pourcentage considéré comme professionnel des SCI.
Mais, il n' y est pas communiqué le pourcentage de détention par la Sci H desdites sociétés civiles immobilières (sci) la participation de la Sci H dans les autres sci, ni indiqué que lesdites sci louaient les immeubles dont elles étaient propriétaires, de sorte que ces omissions ne mettaient pas l'administration en mesure de se prononcer sur la qualification des biens professionnels attribuée aux parts détenues dans la sci H sans recherches.
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que l'administration était fondée à appliquer la prescription de six ans prévue par l'article L.186 du LPF, pour les années 2008, 2009 et 2010.
Au fond, les parts de sci H ont été déclarées comme biens professionnels et ont été exonérés d'ISF. M et Mme [T] contestent la réintégration de ces parts, dans la base imposable à l'ISF.
Ceci étant exposé,
La sci H est une société soumise à l'impôt sur les sociétés, spécialisée dans les fonds de placement et entités financières, elle-même détentrice de droits sociaux dans plusieurs sci propriétaires de biens immobiliers donnés en location aux filiales de la holding Omnium de Participations.
M et Mme [T] détiennent dans la sci H :
- au titre de l'ISF 2008 et 2009, directement 23,81 % et, au travers du groupe familial, 95,24 % (5,89 % via une société interposée),
- au titre de l'ISF 2010 à 2012, directement 25 % et, au travers du groupe familial,100 %.
M. [T] occupe la fonction de directeur général au sein de la société holding animatrice Omnium de Participations, dont il détient 13,34 % par l'intermédiaire de la société civile Philar.
Les appelants ont listé, dans leurs déclarations d'ISF au titre des années 2008 à 2012, les parts détenues dans la sci'H, qu'ils ont qualifiées de biens professionnels bénéficiant d'une exonération liée à la fonction et à la possession de droits sociaux.
En l'espèce, les biens retenus dans l'assiette de l'ISF au travers de la prise en compte de la valeur de la participation de M. et Mme [T] dans la sci H, sont les locaux commerciaux qui ne sont pas loués par la sci H. La sci H ne détient que des droits sociaux dans les sociétés civiles immobilières, propriétaires de biens immobiliers, donnés en location aux enseignes filiales de la holding Omnium de Participations, les sociétés Devred, Burton et Eurodif, qui exploitent leurs magasins à travers la France.
Selon les redevables, le caractère professionnel est reconnu par la doctrine administrative lorsque la location du bien consentie directement par son propriétaire ou par une société dont il détient des droits sociaux, ne prive pas en fait le propriétaire du bien ou des droits de la possibilité d'utiliser le bien pour les besoins exclusifs de son activité professionnelle exercée à titre principal.
Or, aux termes de l'article 885 O quater du code général des impôts : «'Ne sont pas considérées comme des biens professionnels les parts ou actions de sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier'».
Les sociétés civiles immobilières sont, par nature, exclues du champ d'application des biens professionnels en vertu du principe posé à l'article 885 O quater précité.
Par dérogation, la doctrine administrative (BOI-PAT-ISF-30-30-l0-20-20120912) prévoit que dans certains cas et sous certaines conditions, les biens donnés en location ou mis à la disposition de tiers peuvent être qualifiés de biens professionnels.'
Cette tolérance administrative, d'interprétation stricte, suppose la réunion de trois conditions : la location doit être faite par le contribuable ou la société dont il possède les droits, les immeubles doivent être loués à une société qui est elle-même un bien professionnel pour ce contribuable, les immeubles ainsi loués doivent être nécessaires à l'activité de la société preneuse.
Le caractère professionnel est admis à la condition que le rededevable exploite une activité commerciale et qu'elle soit à son profit ou lorsque la location du bien consentie par son propriétaire ou par une société dont il détient des droits sociaux, ne prive pas le propriétaire du bien ou des droits de la possibilité d'utiliser le bien.
Or, comme l'a rappelé le tribunal, l'organisation des participations au sein du groupe Omnium ne permet pas de remplir les deux premières conditions susvisées,
- les immeubles ne sont pas loués par la sci H, mais par des sociétés civiles qui sont elle-mêmes des filiales de cette dernière, dont l'activité consiste à gérer des participations,
- les immeubles sont loués à des filiales de la société Omnium de Participations, qui ne constituent pas des biens professionnels pour M et Mme [T].
Par de justes motifs que la cour adopte, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
Monsieur [Z] [T] et madame [D] [L] épouse [T], parties perdantes, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, seront condamnées aux dépens.
Il paraît équitable d'allouer à l'administration fiscale la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE Monsieur [Z] [T], madame [D] [L] épouse [T] aux dépens
CONDAMNE solidairement Monsieur [Z] [T], madame [D] [L] épouse [T] à payer à monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 5] la somme 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS