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10/11/2022 | FRANCE | N°20/08171

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 10 novembre 2022, 20/08171


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08171

N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6DL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Septembre 2019 -Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/05080



APPELANT



Monsieur [C] [O]

[Adresse 4]

[Adresse 4]


né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 6] (France)

représenté par Me Pierre-François ROUSSEAU de l'AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026 substitué à l'audience pa...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08171

N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6DL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Septembre 2019 -Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/05080

APPELANT

Monsieur [C] [O]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 6] (France)

représenté par Me Pierre-François ROUSSEAU de l'AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026 substitué à l'audience par Me Noémie DUFAY, avocat au barreau de PARIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/008175 du 02/03/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMES

BUREAU CENTRAL FRANCAIS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée et assistée par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

CPAM DE SEINE ET MARNE

Service RCT

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représentée par Me Maher NEMER de la SELARL BOSSU & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R295

CPAM DE MOSELLE

Service recours contre tiers

[Adresse 2]

[Adresse 2]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 13 mai 2004, M. [C] [O] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule conduit par M. [H] [D], appartenant à M. [M] [L] et assuré auprès de la société de droit luxembourgeois Le Foyer.

Par ordonnance du 27 octobre 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a désigné en qualité d'expert les Docteurs [A] et [Z] et a condamné le Bureau central français (le BCF) représentant en France la société Le Foyer, à verser à la victime une indemnité provisionnelle de 4 000 euros.

Les experts ont rendu leur rapport le 29 mai 2009.

Par jugement du 20 septembre 2011 le tribunal de grande instance de Paris a prescrit une nouvelle mesure d'expertise confiée aux Docteurs [V], neurologue et [R], psychiatre.

Le Docteur [V] a déposé son rapport le 4 février 2013. Le Docteur [R] a établi son rapport le 16 novembre 2013.

Par actes d'huissier de justice en date des 9 et 10 novembre 2010, M. [O] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris le BCF et la caisse primaire d'assurance maladie de Seine et Marne pour obtenir la réparation de son préjudice.

Par jugement du 4 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Paris, a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [O] des suites de l'accident du 13 mai 2004 est entier,

- condamné le BCF à payer à M. [O] la somme de 20 302,50 euros à titre de réparation partielle de son préjudice corporel,

- sursis à statuer sur les postes de perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel permanent,

- condamné le BCF à payer à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 5 068,08 euros correspondant aux prestations en nature versées à la victime et celle de 15 283,19 euros correspondant à une partie des indemnités journalières versées,

- réservé le surplus des demandes de la CPAM de Seine-et-Marne ,

- réservé les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le BCF aux dépens comprenant les frais d'expertise,

- renvoyé l'affaire à la mise en état pour production par le demandeur des justificatifs de ses revenus antérieurs et postérieurs à l'accident, ainsi que de la réalité de sa situation professionnelle depuis la réalisation du bilan UEROS en 2007.

Par arrêt du 9 avril 2018, la cour d'appel de Paris, a :

* confirmé le jugement en ce qu'il a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [O] des suites de l'accident du 13 mai 2004 est entier,

- sursis à statuer sur les postes de pertes de gains professionnels futurs, d'incidence professionnelle et de déficit fonctionnel permanent,

- condamné le BCF aux dépens comprenant les frais d'expertise,

- réservé les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

* infirmé le jugement en ses autres dispositions et a :

- condamné le BCF à payer à M. [O] la somme de 19 001,40 euros à titre de réparation de son préjudice corporel partiel,

- condamné le BCF à payer à M. [O] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamné le BCF à payer à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 5 440,08 euros au titre de son recours subrogatoire imputable sur les postes de préjudice temporaires,

- renvoyé les parties pour le recours de la CPAM de Seine-et-Marne afférent à la rente accident du travail, devant le tribunal de grande instance saisi de la liquidation des postes de pertes de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel permanent,

- condamné le BCF à payer à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Par jugement du 16 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris, a :

- condamné le BCF à payer à M. [O] les sommes suivantes, en deniers ou quittance, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour :

- 53 849,09 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

- 25 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

- condamné le BCF à payer, en deniers ou quittance, provisions non déduites, à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 24 613,69 euros au titre des arrérages échus de la rente accident du travail, cette somme avec intérêts aux taux légal à compter de ce jour,

- condamné le BCF à payer à la CPAM de Seine-et-Marne les arrérages de rente 'AR' à échoir au fur et à mesure de leur engagement, dans la limite d'un capital représentatif s'élevant à la somme de 70 068,53 euros,

- déclaré le jugement commun à la CPAM de Seine-et-Marne et à la CPAM de Moselle,

- condamné le BCF aux dépens et à M. [O] la somme de 1 500 euros et à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- dit qu'il pourra être fait application de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats de M. [O] et de la CPAM de Seine-et-Marne,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à concurrence des deux tiers de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclarations du 29 juin 2020, enregistrée sous le numéro RG 20/08171 et du 1er juillet 2020, enregistrée sous le numéro RG 20/08325, M. [O] a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a condamné le BCF à lui verser les sommes suivantes en deniers ou quittance, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour :

- 53 849,09 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

- 25 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.

Ces procédures ont été jointes par le conseiller de la mise en état par ordonnance du 11 janvier 2021 pour être suivies sous le numéro RG 20/08171.

Par ordonnance du 3 juin 2021 à ce jour irrévocable, le conseiller de la mise en état a notamment :

- débouté le BCF de sa demande tendant à faire dire l'appel de M. [O] tardif et comme tel irrecevable,

- déclaré les appels enregistrés sous les numéros RG 20/08325 et 20/08171 recevables au regard des articles 528 et 538 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions de M. [O], notifiées le 12 mai 2022, aux termes desquelles il demande à la cour, de :

- infirmer le jugement du 16 septembre 2019 sur le montant des sommes allouées au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle,

statuant à nouveau,

- condamner le BCF à payer à M. [O] les sommes suivantes :

- 779 878,66 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs

- 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- confirmer le jugement du 16 septembre 2019 pour le surplus,

- condamner le BCF à payer à Maître [F] [I] la somme de 4 000 euros au titre des articles 37 de la loi 'de 1991" et 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du BCF, notifiées le 25 mai 2022, aux termes desquelles il demande à la cour, de :

Vu les dispositions des articles 1er et suivants de la loi du 5 juillet 1985,

Vu notamment les dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter M. [O] et la CPAM de Seine-et-Marne et Maître [F] [I] de toutes leurs demandes,

Y ajoutant,

- condamner M. [O] à payer au BCF la somme de 5 000 euros au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [O] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Ghislain Dechezleprêtre.

Vu les conclusions de la CPAM de Seine-et-Marne, notifiées le 16 octobre 2020, par lesquelles elle demande à la cour, de :

Vu l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale,

- recevoir la CPAM de Seine-et-Marne en ses demandes et l'y déclarer bien fondée,

- confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a fait droit aux demandes de la CPAM de Seine-et-Marne,

- condamner le BCF à verser à la CPAM de Seine-et-Marne la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner tout succombant aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Bossu & Associés, avocats, et ce, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il doit être précisé que la cour n'a statué ni sur la perte de gains professionnels futurs ni sur l'incidence professionnelle dans son précédent arrêt.

Sur les données de l'expertise

Le Docteur [V], spécialisé en neurologie, a indiqué dans son rapport en date du 4 février 2013, que M. [O] a présenté à la suite de l'accident du 13 mai 2004 un traumatisme crânien avec perte de connaissance de durée brève et qu'il conserve comme séquelles des troubles cognitifs modérés avec céphalées, difficultés d'attention, de concentration et de mémoire, irritabilité et intolérance au bruit et une symptomatologie dépressive réactionnelle à l'accident.

Il a conclu notamment ainsi qu'il suit :

- déficit fonctionnel temporaire total de 10 jours

- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 10 % du 23 mai 2004 à la date de la consolidation

- consolidation au 1er février 2007

- déficit fonctionnel permanent de 5 % sur le plan neurologique ; sur le plan psychiatrique : voir le rapport du Docteur [R]

- incidence professionnelle : les éléments séquellaires ne sont pas constitutifs d'une incapacité à exercer une activité génératrice de gains. On peut concevoir que les gênes liées aux séquelles puissent rendre plus difficile l'exercice de l'activité professionnelle de maintenance informatique qui était celle de M. [O] au moment des faits mais dont il appartiendrait par ailleurs qu'elle soit mieux documentée qu'elle ne l'est dans le dossier dans la mesure où il n'existe aucune attestation de contrat, aucune fiche réelle de poste. Cet expert a ajouté que cependant les séquelles telles que décrites ci-dessus ne rendent pas impossible une procédure de reclassement dans les domaines de compétence qui étaient ceux de M. [O].

'Pour ce qui est de l'incapacité que le blessé a eu de reprendre une activité professionnelle elle ne s'explique pas par les séquelles cognitives. S'explique-t-elle par les troubles psychiques, plus ou moins favorisés par une problématique antérieure psy ou psycho-sociale ou encoure au moins pour une part par des troubles psycho-comportementaux qui pourraient être en partie factices ' (voir rapport du Docteur [R]) '

Le Docteur [R], psychiatre, a précisé dans son rapport rédigé le 16 novembre 2013 que les nombreux troubles fonctionnels qui ont persisté et même se sont développés au fil des années peuvent être attribués à une névrose traumatique, à savoir sans lien d'organicité évident avec l'accident initial mais d'élaboration secondaire au traumatisme vécu.

Il a estimé possible de retenir la pathologie post-commotionnelle et l'état dépressif post-traumatique survenus après l'accident grave du 13 mai 2004 et précisé que dans le cadre du travail, les symptômes que M. [O] a présentés ont été confirmés dans les nombreux documents fournis, à savoir les céphalées, les vertiges, les troubles de la mémoire, la fatigabilité dans les apprentissages cognitifs, des éléments dépressifs, les troubles du caractère, l'irritabilité, l'impulsivité...

Il a ajouté 'dans le tableau que le sujet présente actuellement il peut y avoir une majoration de la symptomatologie compte tenu des enjeux financiers en cause mais la réalité basique des symptômes présentés a été identifiée par trop de praticiens et s'inscrit de façon trop logique dans la suite de la pathologie initiale pour qu'il s'agisse là de troubles factices expliquant l'ensemble de ce qui est montré'.

Selon cet expert la date de consolidation sur le plan psychiatrique peut être fixée au 20 avril 2008 et les éléments de névrose traumatique justifient sur le plan psychiatrique un déficit fonctionnel permanent de 10 %.

Il a retenu que sur le plan professionnel, une réinsertion professionnelle en tant que travailleur handicapé est nécessaire car M. [O] ne peut reprendre son type de travail antérieur par diminution de ses capacités cognitives, difficultés de circulation en véhicule et ralentissement global.

M. [O] fait valoir qu'il existe un consensus entre les différents experts, les Docteurs [R], [K], [W] et la coordonnatrice de l'unité d'évaluation, de réentraînement et d'orientation sociale et professionnelle (l'UEROS) qui l'ont examiné pour estimer que l'exercice de son ancien emploi et sa réorientation professionnelle même en qualité de travailleur handicapé est impossible du fait des troubles cognitifs et des comorbidités liées à l'accident.

Il avance qu'aucun élément ne vient étayer l'affirmation du BCF selon laquelle les troubles qu'il présente seraient la conséquence d'une hépatite C ou d'une tuberculose.

Le BCF relève que le Docteur [R] n'a pas respecté le principe du contradictoire en n'adressant pas aux parties un pré-rapport empêchant de ce fait toute discussion médico-légale contradictoire.

Il ajoute que cet expert a conclu sur des éléments ne relevant pas de sa spécialité en décrivant des troubles neurologiques, cognitifs et psychologiques alors que rien ne vient objectiver la pathologie post-commotionnelle et l'état dépressif qui seraient, selon lui, constitutifs d'une névrose post-traumatique ; il relève d'une part, que les dernières pièces médicales communiquées par M. [O] soit ne sont pas nouvelles soit ne sont pas probantes et que la décision de la Maison départementale pour les personnes handicapés (MDPH) ne fait pas état d'articles d'hygiène sans lien avec l'accident d'autre part, que la perte de connaissance a été très brève, qu'il n'y a pas eu de lésion cérébrale post-traumatique objectivée par l'imagerie médicale et que M. [O] est un simulateur ainsi que cela ressort du rapport d'expertise du Docteur [V] et de l'enquête privée dont M. [O] a fait l'objet.

Le BCF critique enfin les conclusions du Docteur [R] quant à l'inaptitude professionnelle qu'il a retenue en avançant que cet expert n'a pas tenu compte de l'état antérieur (hypertension et hépatite C) de nature à entraîner une asthénie.

***

Sur ce, le BCF ne conclut pas à la nullité du rapport d'expertise ; en toute hypothèse si le Docteur [V] et le Docteur [R] ont déposé des rapports séparés et non un rapport commun, et si le Docteur [R] n'a pas soumis un pré-rapport aux observations des parties, le tout contrairement aux termes de la mission, le BCF a été convoqué et a participé à toutes les réunions d'expertise et a pu ainsi faire valoir ses observations sur le plan médico-légal ; en outre il apporte dans le cadre de la procédure une critique aux observations et aux conclusions du Docteur [R] en se fondant sur diverses pièces médicales, de sorte qu'aucun grief résultant de l'atteinte alléguée au principe de la contradiction n'est démontré.

Le Docteur [K], gériatre au Centre hospitalier [Localité 7], a indiqué dans un compte-rendu de bilan cognitif en date du 6 juin 2012 que les séquelles cognitives du traumatisme crânien subi par M. [O] sont sévères et portent principalement sur les fonctions mnésiques et exécutives et notamment qu'au niveau mnésique, M. [O] présente un trouble de l'encodage des nouvelles informations en mémoire épisodique et ce malgré un apprentissage de type incident, qu'il est atteint de troubles dysexécutifs sévères avec un trouble de la mémoire de travail, de la flexibilité mentale, de la planification exécutive et de l'inhibition cognitive. Elle a relevé outre les troubles mnésiques exécutifs séquellaires du traumatisme crânien un syndrome anxiodépressif réactionnel avec un sentiment de dévalorisation compte tenu de la perte de place sociale.

Ces données confirment ainsi l'analyse du Docteur [R] et il doit être retenu que M. [O] conserve comme séquelles de l'accident en raison notamment de la névrose post-traumatique des troubles cognitifs sévères avec céphalées, difficultés d'attention, de concentration et de mémoire, des irritabilité et intolérance au bruit et une symptomatologie dépressive et que la date de consolidation doit être fixée au 20 avril 2008, étant précisé qu'aucune donnée ne permet de rattacher ces troubles à une hypertension ou une hépatite C antérieurs à l'accident.

Par ailleurs les parties s'accordent pour fixer le taux de déficit fonctionnel permanent à 15 %.

Sur la perte de gains professionnels futurs

Le tribunal a estimé que M. [O] ne pouvait pas reprendre une activité professionnelle dans les conditions antérieures et a retenu une perte de chance de gains imputable à l'accident de 50 % ; il a calculé le revenu de référence sur la base des avis d'imposition communiqués des trois années avant l'accident au motif qu'avant le mois d'avril 2004 M. [O] ne démontrait pas qu'il percevait des revenus professionnels (avis d'imposition sur les revenus de l'année 2003 faisant état de l'absence de revenus).

M. [O] demande à la cour de retenir une perte de chance de 80 % de percevoir un salaire de 1 860 euros en indiquant qu'un avenant à son contrat de travail avait été signé et qu'à la suite de son licenciement il n'a pas retrouvé d'emploi en raison des séquelles de l'accident.

Le BCF estime que M. [O] n'est pas inapte à une activité professionnelle à plein temps en milieu ordinaire et conclut à la confirmation du jugement au motif que la cour ne peut se fonder sur les deux bulletins de salaire de M. [O] au sein de la société Drive services dans la mesure où celui-ci n'avait que deux mois d'ancienneté lorsque l'accident s'est produit, et que rien ne permet d'affirmer qu'il aurait conservé son emploi ; il remet en cause la valeur probante de l'avenant au contrat de travail.

***

Sur ce, il ressort des lettres de la société Drive services en date du 21 mai 2007 et du 25 avril 2008 et de celle en date du 16 mai 2008 de Maître [E] [G], mandataire liquidateur de cette société, que M. [O] a été employé par la société Drive services du 1er mai 2004 au 27 juin 2007 et qu'il a été licencié le 16 mai 2008 en raison de la liquidation judiciaire de cette société et de sa cessation d'activité.

Ce licenciement étant intervenu en raison de la liquidation judiciaire de son employeur, la perte de son emploi par M. [O] n'est pas imputable aux séquelles de l'accident.

L'accident est survenu le 13 mai 2004 et M. [O] était employé par la société Drive services depuis le 1er avril 2004.

Les bulletins de salaire des mois d'avril et mai 2014 démontrent que M. [O] occupait au sein de la société Drive services, un emploi de directeur technique, moyennant un salaire mensuel net de 1 495,28 euros.

L'avenant au contrat de travail qui porte la date du 15 juillet 2004 et qui constate l'engagement de M. [O] en qualité de technicien informatique à compter du 1er juillet 2004, outre qu'il ne porte pas la signature du représentant de la société Drive services, mais seulement un tampon de cette société, ne constitue pas la preuve d'une rémunération convenue plus importante au profit de M. [O] puisqu'il est précisé qu'il percevra une rémunération brute de 1 860 euros pour un horaire mensuel de 151,67 heures ce qui n'est pas supérieur au salaire net perçu selon les bulletins de salaire susvisés.

Les avis d'imposition sur les revenus des années 2001 à 2003 inclus de M. [O] font état de revenus déclarés de 15 602 euros en 2001, de 8 539 euros en 2002 et de 0 euros en 2003 ; ces éléments révèlent que le parcours professionnel de M. [O] était erratique de sorte qu'il ne peut être considéré comme certain qu'il serait resté dans son emploi auprès de la société Drive services de façon pérenne.

En revanche l'expertise du Docteur [V], celle du Docteur [R] et les constatations du Docteur [K] établissent que les troubles cognitifs résultant du traumatisme crânien et de la dépression qu'il a entraînée sont tels que M. [O] était dans l'impossibilité, passé la consolidation neurologique et psychiatrique, de reprendre non seulement l'exercice de son activité professionnelle antérieure mais également un emploi en milieu ordinaire, ce qui est confirmé par les avis d'imposition sur les revenus des années 2008 à 2014 inclus qui font état de la seule perception de 'pensions, retraites, rentes'.

Les séquelles de l'accident ont donc fait perdre à M. [O] l'éventualité favorable de retrouver un emploi avec une rémunération équivalente à la moyenne des revenus qu'il percevait avant l'accident ; cette perte de chance doit être évaluée à 50 %.

Le revenu moyen tiendra compte des revenus de 2001 à 2004 inclus ces derniers étant reconstitués sur une année entière, ce qui représente sur l'année 17 943,36 euros (1 495,28 euros x 12 mois) et un revenu annuel moyen de 10 521,09 euros [(15 602 euros + 8 539 + 0 euros +17 943,36 euros) /4].

La perte de gains professionnels futurs intégrale serait ainsi la suivante, en considérant qu'eu égard à son année de naissance M. [O] aurait travaillé jusqu'à l'âge de 67 ans :

- du licenciement du 16 mai 2008 à la liquidation

10 521,09 euros x 14,5 ans = 152 555,81 euros

- à compter de la liquidation

par capitalisation de la perte de chance annuelle par un euro de rente temporaire pour un homme âgé de 56 ans à la liquidation jusqu'à l'âge de 67 ans, selon le barème publié par la Gazette du palais du 15 septembre 2020 taux d'intérêts 0 % qui est le plus approprié en l'espèce pour assurer la réparation intégrale du préjudice corporel subi par M. [O], soit 10,399

10 521,09 euros x 10,399 = 109 408,81 euros

- total = 261 964,62 euros.

Sur cette indemnité s'impute, en application de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, la rente accident du travail versée par la CPAM soit selon l'état des débours définitif de celle-ci au 10 septembre 2020 la somme de 38 195,66 euros au titre des arrérages échus et celle de 68 933,48 euros au titre du capital représentatif des arrérages à échoir, soit 107 129,14 euros.

Selon l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, les recours subrogatoires des tiers payeurs contre les responsables s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel et, conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence au tiers payeur subrogé.

Il en résulte que, dans le cas d'une limitation du droit à indemnisation de la victime, ce qui est le cas dans l'hypothèse d'une perte de chance, le droit de préférence de celle-ci sur la dette du tiers responsable a pour conséquence que son préjudice corporel, évalué poste par poste, doit être intégralement réparé pour chacun de ces postes dans la mesure de l'indemnité laissée à la charge du tiers responsable, et que le tiers payeur ne peut exercer son recours, le cas échéant, que sur le reliquat.

Ces règles sont d'ordre public et doivent être appliquées même en l'absence de demande en ce sens, ce qui est le cas en l'espèce.

La dette du responsable au titre de la perte de chance de gains de 50 % s'élève à la somme de 130 982,31 euros.

En vertu de son droit de préférence, cette somme revient à M. [O] et aucun solde n'est disponible pour la CPAM (261 964,62 euros - 107 129,14 euros = 154 835,68 euros montant supérieur à la dette du tiers responsable).

Sur l'incidence professionnelle

Le tribunal a alloué à M. [O] une indemnité de 30 000 euros.

A l'appui de sa demande d'indemnisation à hauteur de la somme de 50 000 euros, M. [O] invoque la perte de l'emploi, sa dévalorisation sur le marché du travail, l'augmentation des contraintes au travail, la perte de chance de promotion et d'obtention d'une meilleure retraite.

Le BCF estime que seule peut être retenue une légère gêne et conclut à la confirmation du jugement.

Sur ce, les séquelles de l'accident, faisant perdre une chance à M. [O] de retrouver un emploi de rémunération équivalente à la moyenne des revenus qu'il percevait avant l'accident, vont entraîner une perte de chance corrélative d'obtenir une meilleure retraite, celle-ci étant calculée pour les salariés du secteur privé en fonction des salaires obtenus durant les 25 meilleures années, qui sont en général les dernières années travaillées.

En outre M. [O] s'il retrouve du travail en milieu protégé, va néanmoins subir, compte tenu de ses troubles cognitifs entraînant des céphalées, des difficultés d'attention, de concentration et de mémoire, une irritabilité et une intolérance au bruit, une pénibilité accrue et ces séquelles vont le dévaloriser sur le marché du travail.

L'ensemble de ces éléments justifie l'indemnité de 30 000 euros allouée par le tribunal.

La rente accident du travail ayant été intégralement imputée sur le poste de perte de gains professionnels futurs cette indemnité revient en intégralité à M. [O].

Sur le déficit fonctionnel permanent

L'indemnité de 25 000 euros allouée à M. [O] par le tribunal assure la réparation intégrale de l'atteinte anatomo-physiologique, des phénomènes douloureux et des répercussions psychologiques et notamment du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant des blessures consécutives à l'accident.

Aucune prestation ne reste à imputer sur ce poste de préjudice.

L'indemnité revient en intégralité à M. [O].

Sur les intérêts des sommes allouées

Ainsi que le demande M. [O] les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1231-7 du code civil avec capitalisation annuelle conformément à l'article 1343-2 du même code.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Le BCF qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenu à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande d'allouer, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à Maître Pierre-François Rousseau, avocat de M. [O], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, une indemnité de 4 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens d'appel et de rejeter les demandes du BCF et de la CPAM fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement par arrêt contradictoire par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel

- Infirme le jugement,

hormis sur les condamnations prononcées en faveur de M. [C] [O] au titre de l'incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent, et hormis sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Condamne le Bureau central français représentant en France la société Le Foyer à verser à M. [O] [C], en réparation de sa perte de chance de gains professionnels futurs, la somme de 130 982,31, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire du jugement non déduites avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

- Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne de sa demande de paiement de la somme de 24 613,69 euros en deniers ou quittance au titre des arrérages échus de la rente accident du travail, cette somme avec intérêts aux taux légal à compter de ce jour et de sa demande en paiement des arrérages de la rente accident du travail à échoir au fur et à mesure de leur engagement, dans la limite d'un capital représentatif s'élevant à la somme de 70 068,53 euros,

- Condamne le Bureau central français représentant en France la société Le Foyer à verser à Maître Pierre-François Rousseau, avocat de M. [C] [O], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne et le Bureau central français représentant en France la société Le Foyer leur demande au titre de leurs frais irrépétibles exposés,

- Condamne le Bureau central français représentant en France la société Le Foyer aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 20/08171
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;20.08171 ?
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