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10/11/2022 | FRANCE | N°17/13058

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 10 novembre 2022, 17/13058


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/13058 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KNY



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/03555



APPELANT

Monsieur [N] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me

Gérard BEMBARON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1136



INTIMEE

CPAM 92 - HAUTS DE SEINE

Service contentieux

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Florence KATO, avocat au ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/13058 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4KNY

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 15/03555

APPELANT

Monsieur [N] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Gérard BEMBARON, avocat au barreau de PARIS, toque : E1136

INTIMEE

CPAM 92 - HAUTS DE SEINE

Service contentieux

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre

M. Raoul CARBONARO, Président de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu au 16 septembre 2022 et prorogé au 14 octobre 2022 puis au 10 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre et Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par Monsieur [N] [V] d'un jugement rendu le 12 septembre 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Monsieur [N] [V], titulaire de la pharmacie des [7], a fait l'objet d'un contrôle de facturations remboursées entre le 26 mars 2012 et le 31 janvier 2014 par les huit caisses d'assurance maladie d'Ile de France dont la caisse des Hauts de Seine, (la caisse).

Monsieur [N] [V] a été informé des anomalies constatées dans le cadre de la délivrance du Lucentis, traitement de la dégénérescence maculaire et le 6 novembre 2014 la caisse lui a notifié les griefs ayant donné lieu, selon elle, à une prise en charge indue ; le 26 mars 2015, la caisse a notifié à Monsieur [N] [V] sa demande de remboursement de l'indu pour 53 183,57 euros ; contestant cette décision Monsieur [N] [V] a saisi la commission de recours amiable puis le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris lequel, par jugement du 12 septembre 2017,a :

- déclaré Monsieur [N] [V] recevable en sa demande;

- dit Monsieur [N] [V] bien fondé partiellement ;

- rejeté la demande de rejet des pièces communiquées le 7 mars 2017 par la caisse formée par Monsieur [N] [V],

- fait droit à la demande reconventionnelle formée par la caisse dans la limite d'un indu de 33 629,01 euros ;

- condamné Monsieur [N] [V] à verser la somme de 33 629,01 euros à la caisse ;

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires des parties ;

- rejeté la demande de la caisse au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale était sans dépens sauf coût de la signification éventuelle de la décision.

Le jugement lui ayant été notifié le 16 octobre 2017, Monsieur [N] [V] en a interjeté appel le 25 octobre 2017.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son avocat, Monsieur [N] [V] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes les dispositions lui faisant grief ,

- écarter des débats la communication de pièces effectuées le 7 mars 2017 par la caisse (composée 'd'attestations', d'un courrier reçu par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens d'Ile de France et d'un courrier reçu par la caisse d'[Localité 5]),

- annuler la demande de règlement qui lui a été notifiée,

- déclarer la caisse mal fondée en son appel,

- débouter la caisse de sa demande reconventionnelle portant tant sur le principal que sur les intérêts,

- condamner la caisse à lui payer une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- la condamner aux dépens.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son avocat, la caisse demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 12 septembre 2017 en ce que le tribunal l'a déboutée de sa demande reconventionnelle à hauteur de 19 554,56 euros correspondant aux griefs de facturation en l'absence de posologie et/ou durée du traitement et de facturation en l'absence d'ordonnance de médicament d'exception,

- valider sa créance pour son entier montant,

En conséquence,

- débouter Monsieur [N] [V] de toutes ses demandes,

- condamner Monsieur [N] [V], titulaire de la pharmacie des [7], à lui verser la somme totale de 53 183,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2015, date de la notification d'indu,

- condamner Monsieur [N] [V] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [N] [V] en tous les dépens.

La caisse fait valoir en substance que sur la base des télétransmissions émises par Monsieur [N] [V], elle a remboursé entre le 26 mars 2012 et le 31 janvier 2014 des actes contrevenant aux règles de tarification ; sa créance est fondée à hauteur de 53 183,57 euros, l'indu étant basé sur la constatation des anomalies suivantes :

- facturation de produits en l'absence de posologie et/ou durée du traitement (18 658,99 euros) non retenu par le premier juge,

- absence d'ordonnance conforme 'produit d'exception' (895,57 euros) non retenu par le premier juge.

- facturation de médicaments avant leur délivrance,

- facturation de plus d'un mois de traitement en une seule fois,

- facturation sans délivrance de produit

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées le 2 juin 2022 pour un plus ample exposé des moyens développés et soutenus à l'audience.

SUR CE, LA COUR

1. Sur l'indu

A titre liminaire, la cour constate, comme le premier juge, que le professionnel de santé ne conteste pas la procédure de contrôle et forme à l'encontre de l'action en répétition de l'indu des critiques d'ordre général : situation économique de son officine, interprétation des règles de facturation au vu de préoccupations gestionnaires et économiques, appréciation du préjudice de l'organisme de sécurité sociale, alors que le contrôle d'activité s'inscrit dans le cadre des dispositions d'ordre public des codes de la sécurité sociale et du code de la santé publique. En effet, les règles de prescription des médicaments sont au nombre des règles de tarification ou de facturation des actes, prestations et produits dont l'inobservation peut donner lieu à recouvrement d'un indu en application de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale.

En application des dispositions des article L. 133-4 du code de la sécurité sociale et 1315 devenu 1353 du code civil, il appartient à l'organisme d'assurance maladie de rapporter, à l'appui de sa demande de répétition de l'indu fondée sur les dispositions de l'article du code de la sécurité sociale précité, la preuve du non-respect des règles de tarification et de facturation (2ème Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 19-13.584), au besoin par la production d'un tableau récapitulatif (2ème Civ., 23 janvier 2020, pourvoi n° 19-11.698) et le professionnel ou l'établissement de santé est fondé ensuite à discuter des éléments de preuve produits par l'organisme à charge pour lui d'apporter la preuve contraire (2ème Civ., 28 novembre 2013, pourvoi n°12-26.506 ; 2ème Civ., 19 septembre 2013, pourvoi n°12-21.432 ).

Au cas particulier, il convient de constater que la notification du 26 mars 2015 comporte en annexe un tableau qui récapitule indu par indu le numéro de facture, le numéro du médecin prescripteur, la date de prescription, la date de délivrance des médicaments, le code CIP ou LPP, la spécialité, le nombre de boites, le prix unitaires, le montant remboursé par l'assurance maladie, le taux de remboursement, la date du mandat de remboursement, le ou les motifs de l'indu, le montant du préjudice, ce tableau est accompagné d'une liste intitulée « Référentiels/Anomalies ».

Anomalies

Référentiels

facturation de médicaments avant leur délivrance

articles R.161-40 et R.161-42 du code de la sécurité sociale

article R.4235-9 du code de la santé publique

facturation de médicaments sans délivrance

articles R.161-40 et R.161-42 du code de la sécurité sociale

articles R.4235-9 du code de la santé publique

Facturation de médicaments en l'absence de posologie et/ou de durée de traitement

article R.160-20-4 du code de la sécurité sociale

articles R.5123-1, R.5123-3 et R.4235-12 du code de la santé publique

Facturation en l'absence d'ordonnance de médicaments d'exception

article R.163-2 du code de la sécurité sociale

arrêté du 26 juin 2006 pris pour l'application de l'article R. 163-2 du code de la sécurité sociale et relatif aux spécialités remboursables et aux produits et prestations mentionnés à l'article L.165-1 dudit code.

Facturation de plus d'un mois de traitement en une seule fois.

article R. 162-20-5 du code de la sécurité sociale

articles R.5123-2 et R.5123-12 du code de la santé publique

Facturation d'un médicament non conforme à la prescription

article L.5125-23 du code de la santé publique

Facturation de produits de santé sur présentation d'une ordonnance caduque, la première dispensation ayant réalisée hors délais

article R.5123-22 du code de la santé publique

Facturation de médicament à partir d'une prescription incomplète

article R.161-45 du code de la sécurité sociale

article R.5132-22 du code de la santé publique

Facturation de médicaments dont le renouvellement n'est pas prescrit.

article R. 163-2 du code de la sécurité sociale

article R.5123-22 du code de la santé publique

Facturation de médicament sans transmission du volet 2 de l'ordonnance de médicaments d'exception

articles L.161-33 et R.161-40 du code de la sécurité sociale

arrêté du 29 août 1983 relatif à l'envoi des ordonnances des organismes d'Assurance maladie par les assurés sociaux.

1.1 Sur la facturation de produits en l'absence de posologie et/ou durée du traitement

S'agissant de l'indu à hauteur de 18 658,99 euros correspondant à 8 cas relevés par le contrôle, le premier juge a considéré, après avoir visé la combinaison des articles R.162-20-4 du code de la sécurité sociale et l'article R.5123-3 du code de la santé publique, que la spécificité du traitement nécessairement injectable par un praticien ophtalmologue l'empêchait d'être utilisé dans des conditions inappropriées par le patient lui-même, et que dans les mesures où ces délivrances étaient indépendantes de toutes autres violations des règles de facturation par ailleurs, il y avait lieu de considérer que l'absence de mention précise de la posologie ne constitue pas un grief dont les conséquences seraient préjudiciables au patient.

L'appelant produit un courrier du 15 avril 2015 du directeur du Centre Hospitalier National des [7] qui indique : « Votre établissement situé [Adresse 8] est l'officine la plus proche de l'hôpital des [7] (quelques dizaines de mètres). Il est donc naturel que de nombreux patients s'approvisionnement chez vous, soit en sortant de consultation avec leur prescription, soit en revenant à l'hôpital pour la réalisation de leurs injections. Par ailleurs, compte tenu de l'accroissement de l'activité, je ne suis pas étonné que vous ayez été de plus en plus sollicité par une cohorte croissante de patients particulièrement soucieux de disposer absolument de ce traitement, ultime solution thérapeutique pour la plupart ». Le courrier décrit par ailleurs l'accroissement de l'activité d'injection intra-vitréennes dans les soins dispensés par l'hôpital des [7].

Le second courrier produit par l'appelant est daté du 21 avril 2015 a été rédigé par le professeur [W], chef du service d'ophtalmologie de l'hôpital des [7] qui indique : « Suite à notre entretien, je vous confirme que les patients que nous prenons en charge pour les pathologies nécessitant, dans le cadre de l'autorisation de mise sur le marché, un traitement par anti-angionénique sont très heureux de pouvoir bénéficier de la délivrance de ce médicament à proximité avec un véritable souci de faciliter la prise en charge de ses pathologies complexes et invalidantes en particulier pour les sujets âgés. »

Ces deux courriers, qui ne sont pas des attestations au sens de l'article 202 du code civil, démontrent uniquement que le traitement par injection d'un anti-angionénique des dégénérescences de la macula était en forte progression dans les années précédant le contrôle, que l'officine dont était titulaire l'appelant était située à proximité de l'hôpital des [7] et que les assurés concernés étaient satisfaits de pouvoir se procurer le Lucentis auprès de la pharmacie la plus proche de l'hôpital.

La cour constate que ces éléments de pur fait ne sont pas de nature à établir que l'appelant aurait été autorisé à s'affranchir des dispositions d'ordre public des articles susvisés, qui subordonnent la délivrance des médicaments à la production d'une ordonnance indiquant la posologie ou la durée du traitement, étant rappelé que l'article R.162-20-4 du code de la sécurité sociale prévoit que si la mention de la posologie ou du traitement ou les deux font défaut : « le médicament peut être pris en charge si le pharmacien dispense le nombre d'unités de conditionnement correspondant aux besoins du patient après avoir recueilli l'accord du prescripteur qu'il mentionne expressément sur l'ordonnance. ». Le constat selon lequel le manquement du pharmacien à cette obligation n'est pas susceptible d'avoir des conséquences préjudiciables pour le patient n'est pas de nature à en écarter l'application, dès lors que le contrôle mis en oeuvre par l'assurance-maladie a pour objectif de vérifier, outre les aspects de santé publique de l'exercice de la profession, mais aussi ses aspects financiers et administratifs. Dès lors, le pharmacien qui ne respecte les règles qui s'imposent à lui en ce domaine peut entraîner un préjudice aux dépens de l'assurance maladie, puisque cet organisme lui rembourse la délivrance de médicaments susceptibles de ne jamais être utilisés et le coût unitaire d'une injection de Lucentis commandait une particulière vigilance au pharmacien qui les délivrait aux assurés. La vérification par le pharmacien, en tout état de cause, alléguée mais non établie, de l'existence de rendez-vous programmés pour chacune des injections n'est pas de nature à écarter le risque d'un remboursement sans objet pour l'assurance maladie.

Il sera donc fait droit à la demande reconventionnelle de condamner Monsieur [N] [V] au paiement de la somme de 18 658,99 euros.

1.2 Sur la facturation en absence d'ordonnance conforme pour produit d'exception

Pour rejeter la demande de répétition de l'indu s'agissant de la délivrance d'une dose de Lucentis au vu d'une ordonnance non conforme au formulaire prévu pour les produits d'exception, le tribunal a retenu que le traitement en cause devait effectivement être prescrit sur un formulaire approprié en application des articles R.163-2 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 26 juin 2006, mais qu'il y avait lieu de considérer « que l'exigence d'un formulaire d'exception a pour objet de s'assurer du destinataire des soins et de la comptabilité du soin à sa situation et que les erreurs et/ou méconnaissances et/ou les fautes du médecin prescripteur ne sont pas de nature à éluder les obligations du pharmacien, mais qu'en l'espèce, la caisse ne démontre pas que le Lucentis n'aurait pas été prescrit, délivré et administré. ». Ces motifs contradictoires en ce qu'ils reconnaissent un manquement du professionnel de santé à ses obligations légales tout en écartant la demande de répétition de l'indu formée par la caisse ne peuvent emporter la conviction de la Cour. En effet, le contrôle mis en oeuvre par l'assurance-maladie a pour objectif de vérifier, outre les aspects de santé publique de l'exercice de la profession de pharmacien, mais aussi ses aspects financiers et administratifs. Dès lors, le pharmacien qui ne respecte les règles qui s'imposent à lui en ce domaine doit se voir appliquer les sanctions prévues par le code de la sécurité sociale et le code de la santé publique, ce d'autant plus, comme il a déjà été rappelé plus avant, que le coût unitaire d'une injection de Lucentis lui commandait une particulière vigilance au moment de la délivrance.

Il sera donc fait droit à la demande reconventionnelle de condamner Monsieur [N] [V] au paiement de la somme de 895,57 euros.

1.3 Sur la facturation de médicaments avant leur délivrance

Dans une lettre adressée le 18 mai 2015 à la caisse, le pharmacien indique s'agissant des griefs de : « facturation de médicaments avant leur délivrance » et « facturation de plus d'un d'un mois de traitement en seule fois » que « ce grief concerne plus environ 25 % des dossiers contestés par la Caisse. Afin de pouvoir assurer la gestion de mes commandes et d'avoir la certitude de remettre le médicament au patient le jour fixé pour l'intervention, il m'arrivait en effet de procéder à une facturation par anticipation. Dans la mesure où les médicaments ont été délivrés, le préjudice subi par la Caisse se limite à cette anticipation de remboursement (de 1 ou 2 mois maximum). Il m'apparaîtrait compréhensible que la Caisse soit compensée de cette anticipation, mais le fait d'écarter purement et simplement la facturation, et d'en exiger le remboursement intégral, apparaît disproportionné et excessif. »

Il ressort de ce courrier mais aussi des conclusions de l'appelant qu'il reconnaît la pratique qui lui est reprochée, mais qu'il expose qu'elle était justifiée notamment par la nature spécifique du produit pharmaceutique en cause, par sa proximité avec le Centre national d'ophtalmologie des [7] et par la nécessité d'assurer la chaîne du froid. Mais ces explications ne sont pas de nature à justifier le non-respect des règles de facturation qui s'imposaient à l'appelant et aucune disposition normative ne prévoit que la sanction du non-respect de normes d'ordre public s'imposant à une profession réglementée s'apprécie en fonction du préjudice éventuellement subi par l'organisme au bénéfice duquel elles sont édictées.

Dès lors, le remboursement réclamé par l'assurance-maladie est justifié et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

1.4 Facturation de plus d'un mois de traitement en une seule fois

L'article R.5123-2 du code de la santé publique énonce que :

« L'ordonnance comportant la prescription d'un médicament pour une durée de traitement supérieure à un mois indique, pour permettre la prise en charge de ce médicament, soit le nombre de renouvellements de l'exécution de la prescription par périodes maximales d'un mois ou de trois mois pour les médicaments présentés sous un conditionnement correspondant à une durée de traitement supérieure à un mois, soit la durée totale de traitement, dans la limite de douze mois. Pour les médicaments contraceptifs, le renouvellement de l'exécution de la prescription peut se faire par périodes maximales de trois mois, quel que soit leur conditionnement.

Pour en permettre la prise en charge, le pharmacien ne peut délivrer en une seule fois une quantité de médicaments correspondant à une durée de traitement supérieure à quatre semaines ou à trente jours selon le conditionnement. Toutefois, les médicaments présentés sous un conditionnement correspondant à une durée de traitement supérieure à un mois peuvent être délivrés pour cette durée dans la limite de trois mois. En outre, quel que soit leur conditionnement, les médicaments contraceptifs peuvent être délivrés pour une durée de douze semaines ».

L'article R.5132-12 du code de la santé publique dispose que :

« Il ne peut être délivré en une seule fois une quantité de médicaments correspondant à une durée de traitement supérieure à quatre semaines ou à un mois de trente jours selon le conditionnement.

Toutefois, les médicaments présentés sous un conditionnement correspondant à une durée de traitement supérieure à un mois peuvent être délivrés pour cette durée dans la limite de trois mois. En outre, quel que soit leur conditionnement, les médicaments contraceptifs peuvent être délivrés pour une durée de douze semaines ».

En conséquence, en cas de prescription médicale pour un traitement de trois injections sur une durée de trois mois concernant un médicament conditionné en dose unique, le pharmacien ne peut délivrer qu'une seule dose pour une durée d'un mois.

L'appelant ne conteste pas ce constat, ni le fait que le Lucentis ait été conditionné en dose unique, mais il expose que, selon le fabricant, le médicament en question devait être conservé au maximum une heure dans un sachet isotherme, qu'il s'efforçait de sensibiliser les patients à l'importance de la permanence de la chaîne du froid. Les patients, souvent âgés et fragilisés par leur perte de vision demandaient alors à l'officine de conserver les ampoules de Lucentis au froid jusqu'au jour de leur prochain rendez-vous. Dans cette situation, il facturait les médicaments aux patients, mais ne leur délivraient pas sur le champ les doses qu'il conservait à titre de service pour leur compte. Cette pratique, non conforme aux textes d'ordre public, avait pour effet générer le risque d'un remboursement sans objet pour l'assurance maladie et le coût unitaire d'une injection de Lucentis commandait une particulière vigilance de la part du pharmacien.

En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.

1.5 Sur la facturation sans délivrance de produit

Il résulte de la combinaison des articles L.133-4, L.165-1 et R.165-1 du code de la sécurité sociale que les produits de santé ne peuvent être remboursés par l'assurance maladie que s'ils ont été délivrés sur prescription médicale préalable.

Au cas particulier, l'appelant soutient que les pièces produites par la caisse, c'est-à-dire des attestations de patients et un courrier adressé par la caisse à l'Ordre régional de l'Ordre des pharmaciens seraient irrecevables car non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile pour les premières et altérée dans leur contenu pour la seconde. Mais la cour constate que le pharmacien conteste le caractère probant de ces pièces et qu'une telle contestation n'est pas susceptible d'entraîner leur irrecevabilité.

En tout état de cause et sans qu'il y est lieu d'examiner plus avant ces pièces, la production d'un tableau récapitulatif des indus par la caisse permettait à l'assuré de discuter les faits qui lui étaient reprochés et de produire des éléments susceptibles de les contredire. Force est de constater qu'il ne verse aux débats aucune pièce susceptible de combattre les constats de la caisse démontrés par le tableau et qu'au contraire, dans un courrier du 18 mai 2015, il les admet : « il semblerait que dans quelques cas (3 sur une période de deux ans), les patients ne soient finalement pas revenus à l'officine pour récupérer leur médicament à la date prévue. Cette situation m'avait alors échappé, je suis bien évidemment d'accord pour procéder à un remboursement (dès que des indications précises m'auront été communiquées et j'aurais pu procéder aux vérifications utiles). »

Dès lors, l'indu réclamé par la caisse est justifié et le jugement sera confirmé sur ce point.

2. Sur l'article 700 du code de procédure civile

Monsieur [N] [V] sera condamné à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

3. Sur les dépens

Monsieur [N] [V], succombant en cette instance, devra en supporter les dépens engagés depuis le 1er janvier 2019.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 12 septembre 2017 en ce qu'il a :

- rejeté la demande de rejet des pièces communiquées le 7 mars 2017 par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine formée par M. [N] [V],

- fait droit à la demande reconventionnelle formée par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine dans la limite d'un indu de 33 629, 01 euros,

- a condamné M. [N] [V] à verser la somme de 33 629,01 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine,

INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

FAIT DROIT à la demande reconventionnelle formée par la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine à hauteur de 19 554,56 euros,

CONDAMNE Monsieur [N] [V] à verser la somme de 19 554, 56 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine ;

DIT que les intérêts au taux légal courront à compter du 26 mars 2015 sur la totalité des sommes mises à la charge de M. [N] [V] au titre de l'indu,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,

CONDAMNE M. [N] [V] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE Monsieur [N] [V] aux dépens de la procédure d'appel engagés depuis le 1er janvier 2019.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 17/13058
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;17.13058 ?
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