Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07766 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAKD3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 18/00771
APPELANT
Monsieur [K] [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Guillaume COUSIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0840
INTIMEE
SNC SOCIETE DES TRAVAUX D'ENTRETIEN DU METRO (SOTEM)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
EXPOSE DU LITIGE
M. [K] [P], né en 1955, a été engagé par la SARL société des travaux d'entretien du Métro (SOTEM), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 mai 1995 en qualité d'ouvrier d'exécution en application de la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics.
Le 3 mai 2016 M. [P] a été victime d'un premier accident de travail (chute sur les voies du métro avec traumatisme du genou gauche, de la hanche gauche et de l'épaule gauche). Il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 18 janvier 2017. A la suite de la visite médicale de reprise, le médecin du travail déclarait le salarié apte à son poste avec les réserves suivantes: 'Aménagement organisationnel : limiter au maximum les montées et descentes répétées des escaliers. Privilégier les activités de travail sur les quais. Ne doit pas utiliser d'outils vibrantes (type foreuse ou marteau-piqueur). Planifier des activités l'exposant peu aux bruits intenses.'
Le 31 janvier 2017, M. [P] a été à nouveau victime d'un accident de travail : en débouchant une manchette à l'aide d'une perceuse, il a ressenti une forte douleur dans l'oreille droite. Il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 5 octobre 2017.
Le 5 septembre 2017, le médecin du travail a rendu l'avis suivant : 'Inapte définitif à son poste de travail. Aptitudes résiduelles : peut effectuer des activités sans exposition à des bruits dont l'intensité dépasse 65dB. Sans manutention manuelle de charges de plus de 3kg, sans utilisation d'outils vibrants sans marche sur sol instable type ballast, sans montée et descente répétée d'escaliers'.
Par courrier du 24 octobre 2017, le médecin du travail a précisé que 'l'inaptitude médicale au poste de travail est bien en lien avec l'accident du travail du 31 janvier 2017 et aussi de l'accident de travail du 3 mai 2016".
Par lettre datée du 27 septembre 2017, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 octobre 2017 avant d'être licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par lettre datée du 12 octobre 2017 en ces termes :
« À l'issue de votre arrêt de travail, vous avez rencontré le médecin du travail, Monsieur [E] [W] le 5 septembre 2017. À cette même date, ce dernier vous a déclaré inapte définitif à votre poste de travail.
(') Le médecin du travail a considéré que cette inaptitude n'était pas consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.
Comme nous vous en avions informé dans notre courrier du 3 octobre dernier, sur la base de ses préconisations, nous avons recherché les éventuels postes de reclassement susceptibles de vous être proposés, au besoin par voie de mutation ou transformation de poste. Ces recherches n'ont pu aboutir et il nous est malheureusement impossible de vous reclasser dans un poste adapté à vos capacités actuelles au motif que les recherches de reclassement que nous avons entreprises au sein du groupe n'ont pas abouti, aucun poste n'ayant été proposé. »
La société SOTEM a versé les indemnités de rupture afférentes à un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle à savoir l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité de préavis.
A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de 22 ans et 6 mois et la SOTEM occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [P] a saisi le 28 mai 2018 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 3 juin 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
- dit que le licenciement de M. [P] est bien fondé,
En conséquence,
- débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- débouté la société SOTEM de sa demande à l'article 700 du code de procédure civile,
- mis les dépens à la charge de M. [P].
Par déclaration du 5 juillet 2019, M. [P] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 27 mai 2019.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 août 2022, M. [P] demande à la cour de :
- dire l'appel de M. [K] [P] recevable et bien fondé ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 3 juin 2019 ;
- constater que l'inaptitude de M. [P] est d'origine professionnelle ;
- constater que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse ;
- dire que le barème de l'article L.1235-3 du code du travail porte une atteinte disproportionnée aux droits du salarié et qu'il ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce ;
- condamner la société SOTEM à payer à M. [P] la somme de 68.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la notification du licenciement (article 1153-1 du code civil) ;
- condamner la société SOTEM à payer à M. [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société SOTEM aux dépens d'exécution.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 août 2022, la société SOTEM demande à la cour de :
- juger que SOTEM a respecté son obligation de sécurité ;
- juger que SOTEM a mené des recherches loyales et sérieuses en vue du reclassement de M. [P] qui ont abouti à une impossibilité de reclassement ;
- juger que SOTEM a régulièrement consulté les délégués du personnel sur l'impossibilité de reclassement à laquelle elle était confrontée ;
- juger que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [P] repose que une cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil en toutes ses dispositions et débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. [P] à verser à SOTEM la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [P] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 27 septembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Pour infirmation de la décision entreprise, M. [P] soutient en substance que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse motifs pris que son inaptitude est consécutive à un manquement de la société Sotem à son obligation de sécurité de résultat en ce qu'elle n'a pas respecté les préconisations du médecin du travail ; qu'en outre, les délégués du personnel ont été consultés après la convocation à l'entretien préalable au licenciement ; que la société ne justifie pas d'une recherche effective de reclassement.
La société SOTEM réplique qu'elle a parfaitement respecté ses obligations et les préconisations de la médecine du travail ; qu'à la suite du 1er accident du travail son poste de travail a été aménagé ; que la société a toujours respecté son obligation de sécurité ; que les recherches de reclassement ont été sérieuses et loyales ; que les préconisations du médecin du travail revenaient à exclure tout travail sur chantier mais également tout travail au sein de l'atelier ; que la procédure de licenciement est parfaitement régulière, les délégués du personnel ayant rendu un avis éclairé sur le résultat des recherches de reclassement avant que celui-ci ne soit reçu en entretien préalable.
L'article L.1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 dispose que lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Pour l'application du présent article, le groupe est défini, lorsque le siège social de l'entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l'article L. 2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l'ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.
Il s'ensuit que l'avis des délégués du personnel doit être recueilli avant que la procédure de licenciement du salarié déclaré inapte en conséquence d'un accident professionnel ne soit engagée. Or en l'espèce, la procédure de licenciement a été initiée le 27 septembre 2017, date la convocation à l'entretien préalable au licenciement, et les délégués du personnel ont été consultés le 2 octobre 2017, soit postérieurement, de telle sorte que le licenciement de M. [P] doit être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
De surcroît, aux termes de la seconde déclaration d'accident du travail du 31 janvier 2017, en débouchant une manchette à l'aide d'une perceuse, M. [P] a soudain ressenti une forte douleur dans l'oreille droite et il est précisé, au titre de la nature de l'accident, 'vibrations et bruit'.
Or la fiche d'aptitude médicale du 18 janvier 2017 suite à la visite médicale de reprise après l'arrêt consécutif au 1er accident de travail, le médecin du travail avait notamment indiqué que le salarié ne devait pas utiliser d'outils vibrants type foreuse ou marteau piqueur et devait être planifié sur des activités l'exposant peu aux bruits intenses. Le courrier du médecin du travail du 24 octobre 2017 indique que l'inaptitude médicale au poste de travail est bien en lien avec l'accident du travail du 31 janvier 2017 et aussi de l'accident de travail du 3 mai 2016.
Or la société SOTEM ne justifie nullement qu'elle a aménagé le poste de travail de M. [P] de telle sorte qu'il n'était que peu exposé aux bruits intenses alors que selon la pièce n°22 versée aux débats par le salarié et non contredite par la société, une perceuse électrique produit un niveau sonore de 94 dB, ce qui équivaut à un niveau sonore de seconde catégorie. Elle n'établit pas davantage qu'elle a équipé son salarié des protections auditives nécessaires, étant relevé que la médecine du travail précisait en 2008 que M. [P] devait 'porter le casque anti-bruit (éviter les bouchons)', et à compter de mars 2009, 'port impératif des casques anti-bruit si bruit $gt; 80dB'.
Il s'ensuit que l'accident du travail du 31janvier 2017 est au moins en partie lié au manquement de l'employeur à son obligation de préserver la sécurité et la santé de son salarié.
En conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'envisager la recherche de reclassement, la cour retient, par infirmation de la décision critiquée, que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences indemnitaires
Sur la demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié conteste l'application du barème prévu par l'article L.1235.3 du code du travail motifs pris qu'il a subi une discrimination en raison de son état de santé et justifie qu'il ne soit pas fait application du barème de l'article L.1235-3 du code du travail qui porterait une atteinte disproportionnée à ses droits.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant, eu égard à l'ancienneté du salarié, est compris entre 3 mois et 15,5 mois de salaire.
La cour relève que M. [P] qui invoque pour justifier de la non-application du barème de l'article L. 1235-3, notamment une discrimination en raison de son état de santé, ne tire aucune conséquence de cette discrimination en terme de dommages-intérêts ou de nullité de la rupture et sollicite une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et non au titre du licenciement nul.
Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
En outre, il est constant que les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter l'application du barème de l'article L.1235-3 sus-visé.
Au vu des bulletins de salaire versés aux débats et compte tenu de l'âge de M. [P] (62 ans), de son ancienneté (22 ans) au jour de son licenciement, il convient de condamner la société SOTEM à lui verser la somme de 26.500 euros d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. S'agissant d'une somme à caractère indemnitaire, les intérêts courront à compter du présent arrêt en application de l'article 1231-7 (anciennement 1153-1) du code civil.
Sur l'indemnité de chômage
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus notamment à l'article L.1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
En l'espèce, il convient d'ordonner le remboursement par la société SOTEM des indemnités de chômage versées à M. [P] dans la limite de 6 mois.
Sur les frais irrépétibles
La société SOTEM sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à M. [P] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
JUGE que le licenciement de M. [K] [P] est sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SARL société des travaux d'entretien du métro à verser à M. [K] [P] la somme de 26.500 euros d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la SARL société des travaux d'entretien du métro à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [K] [P] dans la limite de 6 mois,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SARL société des travaux d'entretien du métro aux entiers dépens,
CONDAMNE la SARL société des travaux d'entretien du métro à verser à M. [K] [P] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.