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03/11/2022 | FRANCE | N°22/06152

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 03 novembre 2022, 22/06152


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06152 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQ6I



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Mars 2022 -Président du TJ de Paris - RG n° 22/50874





APPELANTE



S.A.S. CMI PUBLISHING



[Adresse 1]

[Loca

lité 3]



Représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS, toque : B1178

Assisté par Me Louis BURKARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1178





INTIME



M. [Y] [V]



[Adresse...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06152 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQ6I

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Mars 2022 -Président du TJ de Paris - RG n° 22/50874

APPELANTE

S.A.S. CMI PUBLISHING

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS, toque : B1178

Assisté par Me Louis BURKARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1178

INTIME

M. [Y] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Lorraine GAY de la SELARL CABINET NOUVELLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C593

Substituée à l'audience par Me Emilie SUDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0012

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Thomas RONDEAU, Conseiller , dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Un article, intitulé « [R] [J] ' Des vacances pour reconquérir [G] », a été publié le 7 janvier 2022 par le magazine Public n°965, article illustré de sept photographies dont l'une d'entre elles représente M. [Y] [V] de face, le visage n'étant pas flouté.

Exposant qu'il avait été porté atteinte à son droit à la vie privée et à son droit à l'image dans cet article, M. [V] a assigné par exploit du 26 janvier 2022 la société CMI Publishing, éditrice du magazine «Public», sur le fondement notamment des dispositions des articles 9 du code civil, 834 et 835 du code de procédure et 8 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Dans le dernier état de ses conclusions, soutenues à l'audience du 8 janvier 2022, M. [V] sollicitait :

' la condamnation de la société CMI Publishing à lui verser la somme provisionnelle de 30.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice subi ;

' la condamnation de la Société CMI Publishing à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réplique, la société CMI Publishing demandait à titre principal au juge saisi de dire n'y avoir lieu à référé et de débouter le demandeur, à titre subsidiaire d'évaluer le préjudice subi à la somme d'un euro, de condamner le demandeur à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par ordonnance de référé contradictoire du 8 mars 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris a :

- condamné la société CMI Publishing à verser à M. [V], à titre de provision, la somme de 8.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte faite à sa vie privée et à son droit à l'image au sein du magazine Public n°965, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- condamné la société CMI Publishing à verser à M. [V] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société CMI Publishing aux dépens ;

- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de droit par provision.

Par déclaration du 23 mars 2022, la société CMI Publishing a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions remises le 18 juillet 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société CMI publishing demande à la cour, au visa de l'article 9 du code civil et de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, de :

à titre principal,

- infirmer l'ordonnance de référé du 8 mars 2022 en ce qu'elle a condamné la société CMI Publishing à verser à M. [V] la somme provisionnelle de 8.000 euros outre la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

et statuant à nouveau,

- débouter M. [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- ordonner la restitution par M. [V] à la société CMI Publishing des sommes auxquelles elle a été condamnée par l'ordonnance de référé du 8 mars 2022 ;

à titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance de référé du 8 mars 2022 ;

- dire et juger que le préjudice subi par M. [V] doit être évalué à un euro symbolique ;

- ordonner la restitution par M. [V] à la société CMI Publishing des sommes ou de la différence des sommes auxquelles elle a été condamnée par l'ordonnance de référé du 8 mars 2022, et celles que la cour voudra fixer définitivement ;

- débouter M. [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;

en tout état de cause,

- condamner M. [V] à verser à la société CMI Publishing la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous frais et dépens.

La société CMI publishing soutient en substance :

- qu'il ne peut y avoir atteinte au droit à l'image lorsque la photographie prise dans un lieu public n'est pas cadrée sur une personne déterminée et ne traduit pas la volonté d'attirer l'attention sur elle comme il l'a déjà été jugé par la jurisprudence dans des espèces précédentes ;

- que la photo a été prise dans un lieu public fortement exposé médiatiquement et est cadrée sur M. [J] et ses filles, comme le prouve le fait que la personne anonyme figure de dos sur la première photo et apparaît de trois quart sur la photographie litigieuse en page 9, dans la partie gauche, le visage penché, plongé dans l'ombre ;

- que dans ces conditions il sera considéré qu'aucune atteinte au droit à l'image de ne saurait résulter pour M. [V] dont l'image, cachée par l'ombre, apparaît fortuitement sur un cliché pris dans un lieu public très médiatisé, vu que l'attention n'est pas portée sur un lieu et qu'aucun procédé de cadrage ou d'agrandissement n'est utilisé pour l'isoler ;

- que ni l'article, ni les légendes photographiques ne font non plus mention de la présence de ce vacancier, la légende des deux photos précisant à l'endroit de M. [J] « Avec ses trois filles, l'acteur est entre pause et pose » ;

- qu'il est constant que la liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent la diffusion de l'image de personnes illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité humaine ;

- que les photos illustrant l'article ont été prises alors que le comédien M. [J] se trouvait en vacances en République dominicaine, peu après sa mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire intervenus début novembre 2021, ce dont les grands médias nationaux se sont fait l'écho ;

- que l'annonce de la parution du reportage litigieux dans Public, intervenue le 6 janvier 2022 sur le plateau de l'émission Touche pas à mon poste, a été commentée par les médias, spécialement au regard du contrôle judiciaire de l'acteur qui lui interdisait a priori les voyages ;

- que ces questionnements dans la presse démontrent que l'article litigieux s'inscrit dans un débat d'intérêt général bien abordé dans l'article contrairement à ce qu'affirmait le premier juge ;

- que l'article souligne l'étrangeté consistant à trouver à [Localité 5] M. [J] alors sous le coup d'une mise en examen pour des faits de viol et s'interroge sur le retentissement sur lui de son affaire judiciaire ;

- que dans ce contexte, l'apparition d'un anonyme sur une photographie cadrée sur un comédien dont la présence en ces lieux détonne ne saurait être considérée comme fautive dès lors que cette photographie sur laquelle M. [V] apparaît de manière fortuite et accessoire et où il n'est en toute hypothèse, que reconnaissable par un cercle restreint de proches, vient illustrer un article sur un sujet faisant l'objet d'un débat d'intérêt général ;

- que ledit anonyme n'ignorait nullement avec qui il se trouvait puisqu'il prétend lui-même dans son assignation que ces clichés « représentent l'amitié qui le lie à M. [J] » ;

- que la mise en balance du droit au respect de la vie privée de la personne figurant sur les photographies litigieux aux côtés de M. [J] et du droit du public à l'information sur un sujet d'intérêt général conduit à considérer que M. [V] n'établit pas la nécessité de la mesure de réparation qu'il réclame sur le fondement de l'article 9 du code civil ;

- que si la cour retenait l'existence d'une atteinte aux droits de la personnalité de M. [V] il conviendra de retenir que l'article s'inscrit dans un débat d'intérêt général, consacré à M. [J], qui n'a pas d'ailleurs poursuivi cette publication ;

- que les photographies reprochées ont été réalisées dans un lieu public, très exposé médiatiquement dont on ne saurait admettre qu'il soit « à l'abri des regards », l'animateur M. [C] ayant dit que c'était la première fois que l'acteur « sort comme ça publiquement, qu'il s'affiche » ;

- que l'image du visage de M. [V] est située à l'extrémité d'une photographie en page intérieure du magazine, de taille réduite et que ses traits ne sont pas discernables car placés dans l'ombre ;

- que c'est la raison pour laquelle le magazine n'a pas jugé nécessaire de flouter son visage, contrairement à ceux des autres personnes figurant sur la photographie de la page 9 qui, se trouvant exposés en pleine lumière, ont été floutés ;

- que cette image est noyée dans un reportage de trois pages, composé de sept photographies, réduisant l'attention d'un lecteur moyen dont le regard se porte naturellement sur la seule célébrité évoquée, seul un examen attentif du cliché permettrait de deviner le visage de M. [V], reconnaissable éventuellement que par un cercle restreint de proches ;

- qu'en l'occurrence M. [V] n'excipe en ce sens que de courriels envoyés par des personnes ne justifiant pas de leur identité ;

- que le cliché ne représente pas M. [V] sous un jour désagréable dévalorisant ou de nature à porter atteinte à sa dignité, l'article ne donnant pas son nom ni ne signalant en rien sa présence ;

- que cette photographie qui date du 30 décembre 2021 n'a pu avoir un impact quelconque sur l'image publique de M. [V], représenté en vacances ;

- que les photographies ne suggèrent nullement une relation amicale avec M. [J] mais plutôt comme une personne anonyme figurant sur les clichés sollicitée pour prendre en photographie l'acteur avec ses filles, ce qui n'a rien de préjudiciable ;

- qu'il conviendra de tenir compte du risque pris par M. [V] en s'exposant auprès d'une personnalité défrayant la chronique, comme il a pu être déjà jugé par la jurisprudence ;

- que M. [V] prétend que cette parution lui a causé une situation extrêmement préjudiciable en raison de courriels que lui auraient adressés des clients déplorant sa proximité avec l'acteur M. [J] ;

- que les courriels se contentent d'exprimer une simple surprise à la découverte des photographies litigieuses, se bornant pour l'un à évoquer le fait qu'il va « réfléchir à maintenir la page de notre entreprise dans votre magazine » pour l'autre à « espérer » que cela ne lui causera pas de préjudice ;

- que M. [V] produit trois nouvelles attestations et deux courriers de clients, deux d'entre elles émanant d'amis et la troisième d'un collègue de travail, rédigées sur le même modèle, déplorant l'apparition de M. [V] dans le magazine mais également dans l'émission Touche pas à mon poste ;

- que relativement aux deux courriers de clients du magazine Architecture & Innovation pour lequel travaille M. [V], ils sont sibyllins et pour le moins douteux, cinq mois après la parution en cause et prennent prétexte de l'article et de l'émission télévisée pour annoncer une éventuelle « perte de confiance », sans être accompagné d'une pièce d'identité, ni de preuve démontrant la fin des relations commerciales ;

- qu'aucun de ces deux courriers n'est accompagné d'une pièce d'identité, qu'ils sont adressés à M. [V] sans mention d'aucune adresse pour l'un et pour l'autre à l'adresse de son domicile personnel et non au siège de la revue, qu'il ne produit aucun numéro de la revue pour laquelle il prétend travailler et tout est ignoré, alors même qu'il se plaint d'avoir subi un préjudice professionnel à raison de l'article paru ;

- que ces courriers dénués de caractère probant devront être écartés par la cour, de même que les attestations complaisantes dénuées de pertinence ;

- que la diffusion du magazine Public est d'à peine 100.000 exemplaires environ, ce qui relativise considérablement la portée de l'article litigieux.

Dans ses conclusions remises le 31 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, M. [V] demande à la cour, au visa de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et l'article 9 du code civil, de :

- confirmer l'ordonnance de référé du 8 mars 2022 en ce qu'elle a jugé que la publication de deux photographies de M. [V] publiées dans Public n°965 portait une atteinte à sa vie privée et à son droit à l'image ;

- infirmer le montant alloué à titre de provision à M. [V] et condamner la société CMI Publishing à payer la somme provisionnelle de 30.000 euros ;

- condamner la société CMI Publishing à verser à M. [V] la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [V] soutient en substance :

- que les photographies litigieuses s'immiscent de manière illégitime dans la sphère protégée de sa vie privée dès lors que son intimité est jetée en pâture au public, en le représentant sur son lieu de vacances, dans un moment d'intimité avec son ami M. [J] et sa famille, dont l'article ne cesse de gloser sur les ennuis judiciaires ;

- que les ennuis judiciaires de M. [J] ne justifient en rien la publication de photographies de lui sur son lieu de vacances et dévoilant sa vie privée ;

- que ces clichés le représentant sur son lieu de villégiature précisant qu'il s'agit de [Localité 5] à la date du 31 décembre 2021 ;

- que l'ensemble de ces révélations constitue autant de divulgations d'informations de la sphère la plus intime de la vie privée d'une personne, effectuées en violation de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, ce qu'a retenu le juge des référés ;

- qu'au demeurant, le fait d'être à [Localité 5], qui serait une destination très prisée, est sans effet sur lui, n'étant pas une personne publique et pouvant se sentir à l'abri des regards à des milliers de kilomètres ;

- qu'il est photographié sans son autorisation et n'est pas flouté à la différence de toutes les autres personnes présentes sur les photographies, outre M. [J] et sa compagne ; qu'il est donc identifiable et ce qui laisse sous-entendre, à tort, qu'il aurait consenti à être photographié ;

- que cette identification n'est pas justifiée alors qu'il n'est pas une personne publique et jouit d'un anonymat total ;

- que manifestement ces photographies ont été prises à son insu, le caractère volé de ces clichés pris au téléobjectif étant incontestable, ce qui caractérise l'absence d'autorisation et la violation de son droit à l'image ;

- que ces clichés s'inscrivent dans un débat sensationnaliste ayant uniquement vocation à attiser la curiosité des lecteurs et ne présentent, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, s'agissant de sa représentation, aucun fait d'actualité, pas plus qu'ils n'illustrent valablement un quelconque sujet d'intérêt général, l'ordonnance ayant reconnu cette argumentation ;

- qu'à supposer que cet article traite d'un quelconque sujet d'intérêt général, il convient d'insister sur l'absence de pertinence de telles photographies, comme l'a fait le juge des référés ;

- que la précaution tenant au floutage de l'ensemble des personnes présentes sur les photographies à l'exception de M. [J] et lui, ne permet pas de prétendre que cette présence serait « fortuite » et uniquement due au fait que la photographie aurait été « prise sur un lieu public très médiatisé » mas illustre au contraire une volonté délibérée de l'exposer aux yeux de tous ;

- que le préjudice résulte de sa perte d'anonymat intervenue sans raison, comme la jurisprudence a déjà pu le juger et jugeant également qu'une première sortie de l'anonymat par une autre publication est indifférente à l'évaluation du préjudice ;

- que compte de l'actualité judiciaire pesant défavorablement sur M. [J], sur laquelle il est lourdement insisté dans l'article, ces clichés le liant à cette actualité emportent également préjudice ;

- que son identification par ses clients a été immédiate puisqu'il a reçu plusieurs courriels l'alertant de cette publication le 7 janvier 2022, jour de la publication de l'hebdomadaire lui indiquant notamment que pour son image il aurait été plus judicieux de ne pas être pris en photo sur cette plage ou qu'il était espéré qu'il ne subirait pas de préjudice à l'égard de ses clients et partenaires ou que ses relations peuvent nuire à l'image de son entreprise, réfléchissant à maintenir la page de l'entreprise dans son magazine ou que ses relations soient de nature à entamer la confiance dans ses relations professionnelles ;

- que cette situation lui est extrêmement préjudiciable compte tenu de son activité professionnelle puisqu'il publie notamment un magazine spécialisé dans le domaine de l'architecture ;

- que le préjudice subi est particulièrement grave au regard de la forte diffusion de l'hebdomadaire Public ; qu'il s'agit de l'article principal du n°965 dont il constitue l'argument de vente compte tenu de la place qu'il occupe en une ;

- que l'article a été également promu préalablement à sa publication par la directrice de la publication dans l'émission télévisée « Touche pas à mon poste » ;

- que cette présentation d'un scoop, revendiquée par la société croyant pouvoir en tirer argument pour fonder un prétendu sujet d'intérêt général, contribue en réalité à aggraver le préjudice subi dans la mesure où elle a exposé, à une heure de grande écoute, dans le cadre d'une émission très regardée, sa vie privée et son image, ainsi livré au public sans aucune précaution ;

- que cette publicité a par ailleurs contribué à la diffusion de cet article auprès du public.

SUR CE LA COUR

Conformément à l'article 9 du code civil et à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l'utilisation qui en est faite, d'un droit exclusif, qui lui permet de s'opposer à sa diffusion sans son autorisation. L'article 9 alinéa 2 du code civil précise que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d'expression, consacré par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d'informer, par les propos et les images, sur tout ce qui entre dans le champ de l'intérêt légitime du public, certains événements d'actualité ou sujets d'intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l'information et du principe de la liberté d'expression.

La liberté de la presse et le droit à l'information du public autorisent notamment la diffusion de l'image de personnes impliquées dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, la diffusion d'informations anodines ou déjà notoirement connues du public n'est pas constitutive d'atteinte au respect de la vie privée.

En outre, selon l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder en référé une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

En l'espèce, il sera relevé, s'agissant des atteintes en cause :

- qu'il est constant que la société appelante a publié une photographie non floutée de l'intimé en page 9 de la publication litigieuse, l'article rappelant en outre que la scène se déroule à [Localité 5], en République dominicaine, le 30 décembre 2021, endroit où M. [V] se trouve en vacances en compagnie de M. [J] ;

- qu'en diffusant ainsi une photographie de M. [V], le rendant parfaitement identifiable au soleil sur une plage, et en précisant les dates et lieux de ses vacances aux côtés de M. [J], la société appelante a porté atteinte tant au droit à la vie privée qu'au droit à l'image de l'intimé, le cliché ayant été reproduit sans autorisation de M. [V], ce qui n'est pas contesté ;

- que, contrairement à ce qu'indique la société CMI Publishing, la photographie en cause, visant avant tout à reproduire l'image de M. [J], est bien centrée sur un groupe de personnes se trouvant sur la plage de [Localité 5] ; qu'il ne saurait être ainsi retenu que le cliché ne visait pas à isoler un groupe bien identifié, alors qu'il s'agissait justement d'un article visant à rendre compte des vacances de M. [J] et ses amis ;

- qu'est dès lors également inopérante la circonstance que la plage de [Localité 5] soit une plage fréquentée, alors que le cliché n'a pas été pris à l'occasion d'une manifestation officielle et que la photographie apparaît avoir été prise sans autorisation ni de M. [J] ni de M. [V] ;

- que, nonobstant l'affaire judiciaire impliquant M. [J], comédien reconnu, il n'en demeure pas moins que la présence de M. [V] à [Localité 5] en sa compagnie ne relevait en aucun cas d'un débat d'intérêt général, de nature à légitimer l'information du public, n'étant pas allégué que M. [V] serait dans une quelconque mesure une personnalité publique ou que sa présence sur les lieux participerait de l'information des lecteurs sur la procédure judiciaire impliquant l'acteur.

Les atteintes poursuivies au droit à la vie privée et au droit à l'image sont donc parfaitement établies, avec l'évidence requise en référé, comme l'a justement rappelé le premier juge.

Concernant la demande provisionnelle, il sera constaté :

- que le fait, pour une personne qui n'est pas une personnalité publique, de voir exposer les circonstances de ses vacances crée à l'évidence un préjudice moral conséquent, M. [V] étant commercial pour un magazine spécialisé dans le domaine de l'architecture, sans donc avoir une vie personnelle ou professionnelle publiquement exposée ;

- qu'à l'évidence aussi, M. [V], dont le visage apparaît clairement sur la photographie au contraire des autres anonymes dont le visage a été flouté, est parfaitement reconnaissable, cette reconnaissance pouvant être celle de proches s'agissant d'une personnalité non publique, peu important aussi que l'image ne soit pas spécialement dévalorisante ;

- que M. [V], ami de M. [J], ne pouvait légitimement s'attendre à voir sa vie privée dévoilée dans la publication, ne pouvant être retenu qu'il s'exposerait de manière habituelle aux côtés du comédien, ce qui ne résulte d'aucune pièce versée aux débats ;

- que le préjudice moral est suffisamment démontré par les pièces versées aux débats par l'intimé, notamment les courriers et attestations produits, dont le caractère douteux n'est pas établi contrairement à ce qui est soulevé par la société appelante ; qu'ainsi, les courriels reçus de la jour de publication, même s'ils ne sont pas des attestations au sens du code de procédure civile, montrent que M. [V] a été identifié dès le jour de la publication litigieuse (pièce 5) ; que M. [V] produit aussi notamment trois correspondances de relations professionnelles, laissant entendre que l'exposition médiatique liée à l'article est de nature à peser sur la poursuite des relations (pièce 4, pièce 12, pièce 13), sans qu'il ne soit établi qu'il s'agisse de documents de complaisance comme l'invoque la société appelante, étant à nouveau observé qu'il ne s'agit pas d'attestations au sens du code de procédure civile, de sorte que l'absence de certaines mentions est sans effet sur leur portée probatoire, le préjudice moral allégué pouvant être démontré par tout moyen ;

- qu'il y a lieu de prendre en compte la diffusion du magazine Public, non négligeable, d'environ 100.000 exemplaires selon les propres écritures de l'appelante, la large publicité donnée à l'article étant renforcée aussi par le fait que la majeure partie de la couverture du numéro litigieux lui est consacrée et par la présence de la directrice de la rédaction de Public dans une émission de télévision, préalablement à la publication (pièce 5), ces circonstances ayant participé de la diffusion de l'article en cause.

Ainsi, au regard de l'ensemble de ces éléments, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté les atteintes alléguées et sur le sort des frais et dépens de première instance exactement réglé par le premier juge, mais infirmée sur le montant de la condamnation provisionnelle, étant observé en effet que si la provision réclamée à hauteur d'appel par M. [V] de 30.000 euros doit être ramenée à de plus justes proportions, n'étant en particulier pas établi que la publication a effectivement conduit à la cessation de certaines de ses relations commerciales et s'agissant d'un article limité à la description de moments de loisir, il n'en demeure pas moins que M. [V] peut faire état d'un préjudice moral évident, n'étant pas une personnalité connue pouvant s'attendre à voir des éléments de sa vie privée dévoilés dans un magazine grand public.

Statuant à nouveau, la cour fixera la condamnation provisionnelle de la société CMI Publishing à la somme de 10.000 euros, montant que la cour retiendra au titre de l'obligation non sérieusement contestable de paiement de la société CMI Publishing.

A hauteur d'appel, la société CMI Publishing devra indemniser l'intimé pour les frais non répétibles dans les conditions indiquées au dispositif, CMI Publishing étant condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise sauf sur le montant de la condamnation provisionnelle allouée ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne la société CMI Publishing à verser à M. [Y] [V], à titre de provision, la somme de 10.000 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte faite à sa vie privée et à son droit à l'image dans le magazine Public n°965 daté du 7 janvier 2022 ;

Y ajoutant,

Condamne la société CMI Publishing à verser à M. [Y] [V] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la société CMI Publishing aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/06152
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;22.06152 ?
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