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02/11/2022 | FRANCE | N°20/18672

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 02 novembre 2022, 20/18672


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2022



(n° 165/2022, 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/18672 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2ZN



Décisions déférées à la Cour :


Ordonnance du juge de la mise en état du 06 Novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 3ème section RG n°18/13316

Jugement du 6

novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 3ème section - RG n°18/13316






APPELANTES



Mme [N] [U]

Née le 12 avril 1967 à BOULOGNE BILLANCOURT (92)
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2022

(n° 165/2022, 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/18672 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2ZN

Décisions déférées à la Cour :

Ordonnance du juge de la mise en état du 06 Novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 3ème section RG n°18/13316

Jugement du 6 novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème chambre - 3ème section - RG n°18/13316

APPELANTES

Mme [N] [U]

Née le 12 avril 1967 à BOULOGNE BILLANCOURT (92)

Créatrice

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

S.A.S. IM PRODUCTION,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 403 243 058

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

et

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentées par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assistées de Me Dorothée BARTHELEMY-DELAHAYE, avocate au barreau de PARIS, toque E 126

INTIMEE

S.A.R.L. H&M - HENNES & MAURITZ

Société au capital de 152 000 euros,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 398 979 310,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée et assistée de Me Axel MUNIER de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, toque P 390

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, et Mme Déborah BOHEE, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de  :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère,

Mme Déborah BOHEE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Mme [N] [U] se présente comme l'une des figures emblématiques de la nouvelle génération de créateurs français.

La société IM PRODUCTION fabrique et commercialise les articles de prêt à porter conçus, dessinés et créés par [N] [U] sous la griffe '[N] [U]'.

[N] [U] a collaboré avec la société H&M en 2013 dans le cadre d'une collection événement dite « capsule », composée d'une cinquantaine de pièces.

[N] [U] indique avoir par ailleurs imaginé une veste dénommée « Éloïse », en jean noir, brodée de fils d'argent et de sequins, révélée à la presse à l'occasion du défilé du 2 mars 2017 de la collection hiver 2017, commercialisée en France par la société IM PRODUCTION dès septembre 2017 en édition limitée numérotée (141 exemplaires) au prix de 2 900 euros et saluée comme l'une des pièces marquantes de la saison :

Le groupe H&M, implanté dans plus de 7 pays, est spécialisé dans la création et la commercialisation d'articles de mode et se distingue notamment par la grande variété de ses produits, constamment renouvelés au fil des saisons. La société H&M HENNES & MAURITZ (ci-après, la société H&M) distribue en France les produits de la marque 'H&M'.

Exposant avoir constaté en décembre 2017, l'offre à la vente par la société H&M d'une veste (réf. 0560533400113), au prix de 79,90 euros, présentant selon elle, une impression visuelle identique à la sienne,

la société IM PRODUCTION a mis en demeure, en décembre 2017, février et juin 2018, la société H&M de cesser toute fabrication et commercialisation du produit litigieux et de l'indemniser du préjudice en résultant.

Elle a fait constater l'offre à la vente de la veste litigieuse sur le site Internet www2.hm.com suivant constats d'huissier des 17 et 18 juillet 2018, puis a, avec [N] [U], fait assigner la société H&M devant le tribunal de grande instance de Paris, par acte du 14 novembre 2018, en contrefaçon de droit d'auteur et, subsidiairement, en concurrence déloyale et parasitaire, ajoutant ultérieurement des réclamations au titre de la contrefaçon de modèle communautaire non enregistré.

Par ordonnance du 24 janvier 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de droit d'information formée par voie d'incident par les demanderesses et les a condamnées in solidum

à payer à la société H&M la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans un jugement du 6 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité d'auteur d'[N] [U] et du défaut de titularité de la société IM PRODUCTION,

- débouté [N] [U] et la société IM PRODUCTION de leurs actions en contrefaçon, au titre des droits d'auteur et au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés,

- débouté la société IM PRODUCTION de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire,

- condamné [N] [U] et la société IM PRODUCTION aux dépens,

- condamné [N] [U] et la société IM PRODUCTION à payer à la société H&M la somme globale de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 18 décembre 2020, Mme [U] et la société IM PRODUCTION ont interjeté appel à la fois de ce jugement et de l'ordonnance du juge de la mise en état.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 4 transmises le 27 juin 2022, Mme [U] et la société IM PRODUCTION demandent à la cour :

- de confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir de Mme [U] et de la société IM PRODUCTION et octroyé au modèle de veste 'Eloïse' la protection au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés ;

- en conséquence :

- de rejeter l'appel incident interjeté par la société H&M.

- de l'infirmer en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau :

- à titre principal :

- de juger que la société H&M a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés au détriment de Mme [U] et de la société IM PRODUCTION ;

- en conséquence, de condamner la société H&M à verser :

- à la société IM PRODUCTION la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

- à verser à Mme [U] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- à titre subsidiaire :

de juger que la société H&M a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société IM PRODUCTION ;

- en conséquence, de condamner la société H&M à verser à la société IM PRODUCTION la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices commercial et de ternissement ;

- en toute hypothèse :

- de faire interdiction à la société H&M, sur l'ensemble du territoire français, d'une part de continuer à fabriquer, détenir et distribuer la veste litigieuse, d'autre part de reproduire ou imiter les créations d'[N] [U] sous quelque forme que ce soit, de fabriquer, d'importer, de

détenir, de promouvoir, d'offrir à la vente et de vendre des produits reproduisant ces créations, chacune de ces interdictions étant assortie d'une astreinte définitive de 300 € par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- d'ordonner le rappel des circuits commerciaux, pour l'ensemble du territoire français, aux frais de la défenderesse et sous astreinte de 500 € par jour à compter du quinzième jour suivant la signification du jugement à intervenir, de tous les produits litigieux, publicités et autres matériels de vente imitant ou reproduisant la création précitée de la société IM PRODUCTION, en la possession de la société H&M ou de tout tiers ;

- d'ordonner la destruction, aux frais de la société H&M, sous contrôle d'un huissier de justice, et sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter du vingtième jour suivant la signification du jugement à intervenir, de l'ensemble des produits contrefaisants, et le cas échéant, des publicités et autres matériels de vente reproduisant ou imitant la veste «Eloïse» ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux au choix d'IM PRODUCTION, dans la limite de 5000 euros HT par publication, aux frais avancés de l'intimée, selon la forme suivante : « Par arrêt en date du ..., la Cour d'appel de Paris a jugé que la société H&M avait commis des actes de contrefaçon (ou de concurrence déloyale et parasitaire) à l'encontre de Madame [N] [U] et de la société IM PRODUCTION du fait de la copie de leur modèle de veste « Eloïse » et l'a condamnée à verser à la société IM PRODUCTION la somme de ' et à Madame [N] [U] la somme de ', à titre de dommages et intérêts » ; - d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir par extraits ou résumé, en caractères Time New Roman de taille 11 minimum, sur une surface totale correspondant à un tiers de la page d'accueil, sur la page d'accueil du site internet accessible à l'adresse « https://www2.hm.com/fr » pendant une période de trois semaines à compter de la signification du jugement ;

- de condamner la société H&M à verser à la société IM PRODUCTION la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société H&M aux entiers dépens en ce compris les frais relatifs aux procès-verbaux de constat.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4 transmises le 22 juin 2022, la société H&M demande à la cour :

Sur l'appel principal de la société IM PRODUCTION et de Mme [N] [U],

- de juger la société IM PRODUCTION et Mme [U] mal fondées en leur appel du jugement et de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état et de les en débouter ;

- de confirmer le jugement en ce que le tribunal a statué comme suit :

"Déboute [N] [U] et la société IM PRODUCTION de leurs actions en contrefaçon, au titre des droits d'auteur et au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés,

Déboute la société IM PRODUCTION de leur demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire,

Condamne [N] [U] et la société IM PRODUCTION aux dépens,

Condamne [N] [U] et la société IM PRODUCTION à payer à la société H&M la somme globale de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'exécution provisoire,

Autorise la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocats, à recouvrer directement contre la société IM PRODUCTION et [N] [U], ceux des dépens, dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile."

- de confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état en ce que le juge a statué comme suit :

"Rejetons la demande de droit d'information formée par la société IM PRODUCTION et [N] [U],

Condamnons in solidum [N] [U] et la société IM PRODUCTION à payer à la société H&M HENNES & MAURITZ, la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile."

- recevant la société H&M en son appel incident, et y faisant droit,

- d'infirmer le jugement en ce que le tribunal a statué comme suit :

"Rejette les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité d'auteur d'[N] [U] et du défaut de titularité de la société IM PRODUCTION",

- en toute hypothèse,

- de juger la société IM PRODUCTION et Mme [U] irrecevables, en tout cas mal fondées, en l'ensemble de leurs demandes et de les en débouter ;

- de condamner in solidum la société IM PRODUCTION et Mme [U] à payer à la société H&M la somme complémentaire de 40.000 €, sauf à parfaire, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- de condamner in solidum la société IM PRODUCTION et Mme [U] aux entiers dépens de la présente instance, qui pourront être directement recouvrés par la SAS SPE BARDEHLE PAGENBERG, avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 6 septembre 2022.

MOTIFS

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes en contrefaçon de droits d'auteur

Sur la recevabilité des demandes : la titularité des droits

La société H&M soutient que les appelantes ne démontrent pas leur qualité à agir sur le fondement du droit d'auteur. Elles font valoir que Mme [U] ne prouve ni sa qualité d'auteur, puisque la veste 'Eloïse' revendiquée émane, selon les appelantes, d'un 'atelier de création' comprenant pas moins de 65 personnes, ni la divulgation de la veste sous son nom, puisque ce vêtement a été divulgué et commercialisé sous le nom de la société IM PRODUCTION à l'occasion d'un défilé automne/hiver 2017, selon les premières affirmations des appelantes ensuite opportunément modifiées, ce qui empêche Mme [U] de se prévaloir de la présomption légale de l'article L. 113-1 code de la propriété intellectuelle qui ne peut être retenue compte tenu de l'équivocité de la dénomination [N] [U] ; que la société IM PRODUCTION ne démontre pas être cessionnaire de droits d'auteur sur la veste et n'est pas fondée à bénéficier de la présomption prétorienne de titularité, laquelle doit s'apprécier strictement, compte tenu de l'équivocité existant quant à l'exploitation de la veste. Elle souligne que les appelantes ne peuvent se contredire en affirmant tout à la fois qu'[N] [U] est un nom identifiant Mme [N] [U], créatrice, et une marque propriété de la société IM PRODUCTION qui commercialise la veste sous ladite marque.

Les appelantes demandent la confirmation du jugement pour les motifs qu'il contient, exposant que nonobstant la commercialisation des modèles '[N] [U]' par la société IM PRODUCTION, Mme [U] ne s'est jamais départie de son rôle de créatrice et du droit moral qu'elle détient sur tous les modèles composant les collections de la marque, au rang desquels la veste 'Eloïse' qu'elle a créée et qui a été divulguée sous la marque '[N] [U]' qui fait sans conteste référence à la personne de la créatrice, aucune reconnaissance de paternité au profit de la société IM PRODUCTION ne pouvant résulter de ce que, par commodité, la veste a pu être présentée comme imaginée 'au pluriel' par [N] [U] et la marque '[N] [U]' ou encore comme une création de ladite griffe ; que la société IM PRODUCTION, qui justifie de manière non équivoque de la première divulgation et de la commercialisation de la veste 'Eloïse' sous son nom, en l'absence de revendication de l'auteur [N] [U], est investie des droit patrimoniaux sur le modèle revendiqué sans avoir à préciser les conditions dans lesquelles elle en a été investie.

Ceci étant exposé, c'est pour de justes motifs, tant en fait qu'en droit, que la cour adopte, que les premiers juges ont écarté les fins de non-recevoir de la société H&M, retenant pour l'essentiel, d'une part, que la veste revendiquée a été divulguée sous la griffe '[N] [U]', qui est certes une marque de la société IM PRODUCTION mais qui fait incontestablement référence à la styliste, fondatrice de la maison de prêt-à-porter [N] [U] et identifiée comme la créatrice des vêtements diffusés par la société IM PRODUCTION sous la griffe '[N] [U]', de sorte que Mme [U] est légitime à invoquer la présomption légale de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle au titre du droit moral d'auteur, et, d'autre part, que la société IM PRODUCTION justifie de la commercialisation paisible et non équivoque de la veste (dépôt à son nom par huissier le 3 mars 2017 d'une photographie de la veste, présentation de la veste dans le 'book' du défilé hiver 2017 organisé par la société, commercialisation de la veste sous l'étiquette [N] [U] IM PRODUCTION), ce qui lui permet, en l'absence de toute revendication de Mme [U], de bénéficier de la présomption prétorienne de titularité pour les droits patrimoniaux, sans qu'elle ait besoin de produire un écrit constatant la cession de droits à son profit.

Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité d'auteur de Mme [N] [U] et du défaut de titularité de la société IM PRODUCTION.

Sur la protection de la veste 'Eloïse' par le droit d'auteur : l'originalité

Les appelantes soutiennent que la veste 'Eloïse' est originale et éligible à la protection par le droit d'auteur. Elles font valoir que le tribunal n'a pu sans contradiction retenir à la fois que la veste, par le choix de ses motifs, leur agencement et leur combinaison particulière, constitue la mise en forme d'un genre cosmique et ésotérique et non pas une simple idée non protégeable, et que, pour autant et dans la mesure où elle s'inscrit dans une tendance de mode consistant en la représentation d'un monde cosmique et ésotérique sur un vêtement avec des motifs et des moyens banals et devenus usuels, elle ne se distingue pas par sa composition des « vêtements de ce type déjà connus » et ne peut donc être considérée comme originale ; que les autres modèles retenus par les premiers juges comme constituant un obstacle au caractère original de la veste 'Eloïse' ne correspondent pas à l'interprétation d'[N] [U] telle que revendiquée et démontrent tout au plus la diversité des vestes issues du 'genre cosmique et ésotérique'.

La société H&M argue que la veste 'Eloïse' relève, comme la veste litigieuse, du genre cosmique et ésotérique, à l'origine duquel se trouve la créatrice Elsa SCHIAPARELLI avec une veste 'Zodiaque' en 1938, et qui est revenu à la mode dans les années 2010 jusqu'à devenir une tendance omniprésente sur le marché au cours des années 2015/2017 ; que la veste revendiquée ne constitue pas nécessairement une oeuvre dans sa globalité conformément à la jurisprudence de la CJUE (Cofemel, 12 septembre 2019, C-683/17) ; qu'il convient de distinguer en effet, d'une part, les éléments de la veste dont la combinaison est l'expression de la création intellectuelle de l'auteur et constitue l'« 'uvre » à l'aune de laquelle la contrefaçon alléguée devra être appréciée et, d'autre part, les éléments qui, n'étant pas l'expression de la création intellectuelle de l'auteur, doivent être exclus de la qualification d'« 'uvre » et qui, à ce titre, ne devront pas être pris en considération dans l'appréciation de la contrefaçon ; qu'en l'espèce, ne peut être retenue comme originale la combinaison des éléments suivants, mise en oeuvre par Elsa SCHIAPARELLI en 1938 et à l'origine d'un genre : une veste ornée de motifs cosmiques et ésotériques, brodés sur toute la surface du vêtement avec des matériaux scintillants, pour figurer un ciel étoilé s'apparentant au domaine du rêve et au monde cosmique ; que l'originalité de la veste 'Eloïse' réside donc seulement dans un design (couleur, coupe, matériau, composition et fermeture des boutons, poches, coutures, doublure, relief, position des motifs) et une représentation particulière des motifs cosmiques et des symboles cabalistiques, la combinaison de ces caractéristiques de forme constituant le fruit du travail de mise en oeuvre de l'idée précitée, matérialisant l'interprétation des auteurs de la veste et constituant l'oeuvre à prendre en compte en vue de procéder à l'examen du grief de contrefaçon.

Ceci étant exposé, l'article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une 'uvre de l'esprit jouit sur cette 'uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L.112-l du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Selon l'article L.112-2-14°, les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure sont considérées comme oeuvres de l'esprit.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une 'uvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale. Néanmoins, lorsque l'originalité d'une 'uvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur d'identifier ce qui caractérise cette originalité.

La notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l'originalité doit être appréciée au regard d'oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'oeuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.

C'est à juste raison que les appelantes soulignent qu'il n'appartient pas à la société H&M de définir ce qui constitue l'originalité de la veste 'Eloïse' en ne conservant à ce titre que le design et la représentation particulière des motifs dont elle est décorée et en dehors desquels l'oeuvre ne relèverait que d'une idée générique. Lorsque la protection par le droit d'auteur est contestée en défense, l'originalité d'une 'uvre doit en effet être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité.

En l'espèce, la société IM PRODUCTION et Mme [U] identifient la veste revendiquée et définissent son originalité ainsi qu'il suit :

Sur une veste de type « jean » de couleur gris foncé évoquant le macadam, appartenant à l'univers du sportswear et comportant les codes habituels d'une veste en jean, à savoir une forme ample sans marquage particulier à la taille et une coupe courte, des surpiqûres apparentes de couleur beige aux manches (épaules et poignets), autour des poches (à rabat et en biais), à la taille, de part et d'autre le long de la boutonnière et à mi-poitrine, Mme [N] [U] a fait le choix :

- d'un col très sophistiqué rappelant l'univers de la haute couture et du luxe, brodé de mille sequins et pierreries de couleur argentée ;

- d'une série de six boutons-bijoux précieux et argentés également composés de pierres, marqueurs d'un vêtement élégant de soirée, apposés aux poignets et sur l'ouverture ;

- de yeux perlés, dont la paupière est tantôt dorée, tantôt couleur bronze, entourés de mille fils d'argent à la manière d'un feu d'artifice, disposés sur la face avant (agrandi sur la poitrine à gauche, de petite taille sur l'épaule et de dimension moyenne au-dessus du poignet à droite) et arrière (au centre à droite) de la veste ;

- de mains, dessinées d'une unique courbe, brodées d'un fil argenté, symbole de paix et d'amitié, disposées sur les faces avant et arrière de la veste ;

- de motifs variés, parsemés sur tout le vêtement (corps et manches, devant et derrière), de formes et de tailles diverses, brodés de fils d'argent, de sequins et de perles ; figurant, par contraste avec le denim gris, brut et urbain de la veste ; un ciel étoilé s'apparentant au domaine du rêve et au monde cosmique, à savoir : des étoiles « classiques » (à cinq branches), des étoiles filantes, des octogrammes, plein ou filant, des astérisques et d'autres motifs fantaisie (formes rondes perlées, fils argentés...).

Elles indiquent encore : 'Composant un décor de mille et une nuits sur fond brut, le vêtement oppose, de manière originale, la féerie et le monde du rêve et de la haute couture, à l'univers urbain et au style sportswear. L'emploi « décalé » de plusieurs matériaux luxueux et sophistiqués, travaillés et assemblés les uns aux autres sous forme de motifs représentant des étoiles classiques ou filantes, des yeux, des mains, chacun brodés de fils, de perles et de sequins, ou encore de cabochons pour les boutons, pour ensuite être parsemés sur un denim brut et gris inspiré par l'univers du sportswear ou des vêtements professionnels, confère à la veste Eloïse une physionomie propre et un parti-pris esthétique. A l'état brut, cette veste, dont la forme, la matière et les détails grossiers (telles que les nombreuses sur coutures) évoquent un vêtement de travail, a ainsi fait l'objet d'un travail d'ornementation digne d'une robe de haute couture, pour obtenir un modèle contrasté à la forme « sportswear » et à l'allure d'une tenue de soirée, le contraste ainsi créé et le travail d'ornementation réalisé, portant incontestablement l'empreinte de la personnalité de son auteur'.

La cour constate que les appelantes décrivent précisément la combinaison particulière qui est revendiquée et de façon circonstanciée les contours de l'originalité alléguée en explicitant clairement les choix auxquels il a été procédé dans la démarche de création.

Les modèles opposés par la société H&M se distinguent de façon significative de la veste 'Eloïse' : la veste 'Zodiac' de E. SCHIAPARELLI est de coupe ajustée, sans col, sans boutonnière, en velours bleu marine et présente des éléments décoratifs distincts tant dans leur composition (absence de perles, coloris dorés) que dans leur disposition (motif astrologiques disposés sur toute la longueur de la veste sur un plastron contrastant avec le reste des motifs apposés sur le reste de la veste) ; la veste 'Astro Couture Bomber Jacket' de VALENTINO est un blouson en velours présentant de larges bandes dorées sur le bas resserré du vêtement, sur le bord des manches et sur le col qui est un col montant ; les vestes 'Blue Velvet Zodiac Jacket' de Emilio PUCCI, 'Limited Galaxy Embroidered Blazer' d'Yves SAINT LAURENT et la veste 'Fall Winter' de Roberto CAVALLI sont des blazers avec des cols en V, ne faisant pas apparaître de contraste particulier entre le support et les éléments décoratifs, tous aussi sophistiqués ; la veste 'Les yeux d'Elsa' d'Yves SAINT LAURENT est une veste de coupe ajustée, sans boutonnière, dont le bord est souligné d'un galon doré, avec des éléments décoratifs apposés de façon symétrique sur le devant du vêtement et dominés par la présence de deux yeux surmontés de sourcils au niveau de la poitrine et en dessous les mots 'Les yeux d'Elsa' brodés en fils dorés ; les blousons 'Astro Couture Biker Jacket' de VALENTINO et 'Crystal-Embellished Star Leather Jacket' d'Yves SAINT LAURENT sont des blousons de cuir à fermeture éclair, dont le col à large revers est très différent de celui de la veste revendiquée ; la veste 'Fall-Winter' de VALENTINO est une veste d'homme avec un col V, aux éléments décoratifs argentés disposés de façon symétrique sur le vêtement ; l'autre veste 'Fall-Winter' de VALENTINO est une veste d'homme à fermeture éclair dont les éléments décoratifs argentés sont disposés de façon symétrique sur le vêtement et dont le col n'offre pas de contraste particulier avec le reste de la veste ; la veste 'Star Printed Ombre Jacket' de Roberto CAVALLI est une veste de forme ajustée, avec deux grandes poches plaquées, un col V noir uni et un imprimé polychrome ; la veste 'Pré-Fall' de Roberto CAVALLI est une veste ajustée dont les éléments décoratifs sont exclusivement des feux d'artifice ; la veste 'Star Embellished Denim Jacket' de Roberto CAVALLI est un blouson en denim bleu, court et ajusté dont les épaules sont richement décorées de broderies, sequins et perles, le reste du vêtement étant parsemé de décorations représentant exclusivement des étoiles frangées (ou filantes) argentées apposées dans le dos, sur les poches poitrine et sur le bord du col ; la veste d'Elie SAAB est une veste de smoking, très courte, fermée par un seul bouton, entièrement recouverte d'éléments décoratifs (broderies, sequins) à l'exclusion du col à revers noir uni ; la réédition de la veste 'Zodiac' de la Maison SCHIAPARELLI (2016) est de coupe ajustée, avec un col à revers sombre uni et des éléments décoratifs dominés par un plastron contrastant avec le reste des motifs apposés sur le reste de la veste ; enfin, la veste DOLCE GABBANA est une veste très courte de type boléro ne faisant pas apparaître de contraste entre le support et les éléments décoratifs, tous aussi sophistiqués.

Aucun des ces modèles ne reprend la combinaison revendiquée, caractérisée par le choix d'une veste droite, courte et ample, en denim gris, surpiquée, avec un col entièrement recouvert de sequins et pierreries argentés et des boutons rappelant l'univers de la haute couture, de la joaillerie et du luxe, parsemée de motifs variés, de formes (étoiles, astérisques, yeux, mains...) et de tailles diverses, brodés de fils d'argent, de sequins et de perles, évoquant le monde cosmique et ésotérique.

Si plusieurs des différents motifs décoratifs de la veste 'Eloïse' sont connus, apparaissant sur des vestes invoquées par la société H&M (étoiles 'classiques' et filantes, yeux, mains...), ce qui confirme l'appartenance de la veste revendiquée à un genre 'cosmique et ésotérique' initié par la veste 'Zodiac' d'Elsa SCHIAPARELLI (1938), puis repris et développé au milieu des années 2010 par divers créateurs, l'association de ces éléments par [N] [U] à une veste relevant de l'univers urbain de type 'sportswear' et leur agencement selon une combinaison particulière, créant un effet de contraste saisissant entre le côté brut de la veste en jean et la sophistication et la préciosité des décorations, traduisent des choix libres et arbitraires de la créatrice portant l'empreinte de sa personnalité.

Pour ces motifs, il sera retenu que les choix opérés par Mme [U] pour la création de la veste 'Eloïse', révélateurs de l'empreinte de sa personnalité, confèrent à cette veste une originalité la rendant accessible à la protection par le droit d'auteur.

Sur la matérialité de la contrefaçon

Les appelantes soutiennent que la veste H&M constitue la contrefaçon de la veste 'Eloïse' dont elle reprend à la fois la forme (veste ample et courte sans marquage à la taille, poche plaquée sur la poitrine) et les détails ornementaux (surpiqûres, boutons, éléments de décoration contrastant (étoiles et astérisques) éparpillés sur tout le vêtement et à des emplacements similaires (pluie d'étoiles au niveau de l'épaule droite et sur le coude à gauche, filaments argentés sous la pointe du col à gauche, oeil pareillement stylisé disposé à hauteur de poitrine), le tout conférant au modèle incriminé un aspect d'ensemble, sinon identique, à tout le moins constituant la copie servile de la veste 'Eloïse', les seules différences tenant à la matière de la veste, au nombre et à la disposition des broderies, de même qu'à leur représentation, mais étant des différences de détail ne conférant pas une physionomie distincte à la veste H&M.

La société H&M conteste la contrefaçon, faisant valoir que seule doit être prise en compte 'l'oeuvre telle que requalifiée', à savoir la combinaison des caractéristiques de forme matérialisant la mise en oeuvre de l'idée générique d'une veste du genre cosmique et ésotérique ; que les appelantes minimisent les différences qui ne sont pas que de détail, qui sont au coeur de la création de la veste revendiquée et qui concernent tant le design de la veste (matière et couleur de la veste, boutons, col, doublure) que les motifs (nombre et disposition des broderies, représentation des broderies...) et l'esprit des deux vêtements qui est fondamentalement différent.

Ceci étant exposé, il est rappelé que l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque' et que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non des différences.

En l'espèce, les ressemblances entre les vestes en litige tiennent à la forme de la veste, de type blouson, courte, droite et ample, à la présence de boutons du bas jusqu'au col et à celle de broderies décoratives éparpillées sur tout le vêtement, certaines étant communes aux deux blousons : yeux, étoile filante et astérisques. Mais, comme le plaide la société H&M, les différences sont nombreuses tenant, outre à la matière de la veste (denim / velours) et de sa doublure (tissu soyeux rose/fausse fourrure noire), à l'absence de surpiqûres contrastantes sur la veste litigieuse qui comporte, de plus, une seule poche poitrine alors qu'il y en a deux sur la veste 'Eloïse', à la présence de boutons 'bijoux' sur la veste 'Eloïse' alors que ceux de la veste H&M sont de banals boutons dorés, et également au nombre et à la représentation des broderies. A cet égard, le tribunal a relevé à juste raison que certains motifs de la veste 'Éloïse' ne sont pas reproduits sur la veste litigieuse (notamment les deux mains berbères très présentes sur 'Eloïse' car apposées l'une sur la poche poitrine et l'autre en haut du dos), tandis que d'autres sont présents sur la veste H&M et pas sur la veste 'Éloïse' (un croissant de lune souriant doré face à un faisceau de rayons blancs sur le devant droit, une colombe de la paix sur la manche gauche, deux motifs astrologiques représentant des croissants de lune prolongés de demi-cercles en pointillés). En outre, le col très remarquable de la veste 'Eloïse', car entièrement recouvert de sequins et de brillants argentés, n'est pas reproduit sur la veste H&M dont le col est noir, uni, dépourvu de toute décoration. Il est ajouté que les décorations sont beaucoup plus nombreuses sur la veste revendiquée et que le traitement des motifs communs - yeux, étoiles filantes, étoiles et astérisques - est également différent.

Ces différences sont telles que la société H&M peut être suivie quand elle affirme que l'esprit des deux vestes est radicalement différent : alors que la veste 'Eloïse' est une veste branchée, luxueuse et ostentatoire, susceptible d'être portée lors d'une soirée, la veste H&M est une grosse veste fourrée d'hiver fantaisie reprenant le genre 'cosmique et ésotérique' non appropriable en tant que tel.

On ne retrouve donc pas sur la veste litigieuse la reprise de la combinaison originale revendiquée, caractérisée notamment par l'évocation de l'univers de la haute couture, de la joaillerie et du luxe, liée en particulier au col richement décoré et à la profusion de motifs sur la veste revendiquée.

Pour ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [U] et la société IM PRODUCTION de leurs demandes en contrefaçon au titre des droits d'auteur.

Sur les demandes en contrefaçon de dessin et modèle communautaire non enregistré

Sur la recevabilité des demandes : la titularité des droits

La société H&M soulève l'irrecevabilité de la société IM PRODUCTION à agir en contrefaçon de modèle communautaire non enregistré, faisant valoir qu'elle ne prouve pas sa qualité de cessionnaire du modèle et que la présomption de titularité du droit d'auteur, propre au droit français de la propriété littéraire et artistique, n'a pas vocation à être étendue au droit des dessins et modèles communautaires alors que le règlement n° 6/2002 ne prévoit pas un tel mécanisme et que la CJCE l'a exclu (FEIA, 2 juillet 2009, C-32/08).

Les appelantes répondent qu'en application de l'article 15-1 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001, la personne morale qui n'est pas créateur mais qui justifie d'une divulgation, peut revendiquer des droits sur le dessin et modèle non enregistré en l'absence de revendication du créateur.

Aux termes de l'article 14 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires, '1. Le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant droit (...)'. Selon l'article 15 du même règlement, 'Revendication du droit à un dessin ou modèle communautaire - 1. Si un dessin ou modèle communautaire non enregistré est divulgué ou revendiqué par une personne qui n'est pas habilitée en vertu de l'article 14 ou si un dessin ou modèle communautaire enregistré a été déposé ou enregistré au nom d'une telle personne, la personne habilitée aux termes dudit article peut, sans préjudice de tous autres droits ou actions, revendiquer d'être reconnue en tant que titulaire légitime du dessin ou modèle communautaire (...)'.

Il se déduit de ces dispositions que la commercialisation non équivoque d'un modèle fait présumer à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon et en l'absence de toute revendication du créateur, que la personne morale qui justifie de cette commercialisation sous son nom et des modalités dans lesquelles elle la réalise est titulaire du modèle communautaire non enregistré.

En l'espèce, en l'absence de toute revendication de Mme [U], créatrice de la veste 'Eloïse', la société IM PRODUCTION, qui, comme il a été dit, justifie de la commercialisation paisible et non équivoque de la veste 'Eloïse', bénéficie à l'égard de la société H&M poursuivie en contrefaçon de la présomption de titularité du dessin et modèle communautaire non enregistrée, la jurisprudence de la CJCE invoquée par la société H&M concernant le transfert par contrat du dessin et modèle communautaire du créateur à un ayant-droit ne correspondant pas au cas d'espèce où aucun contrat n'a été conclu entre la créatrice et la société IM PRODUCTION.

La fin de non-recevoir soulevée par la société H&M sera donc rejetée et le jugement, qui n'a pas statué sur cette fin de non-recevoir, sera complété en ce sens.

Sur la matérialité de la contrefaçon

Les appelantes soutiennent que pour les débouter de leurs demandes en contrefaçon de dessin et modèle communautaire, le tribunal s'est livré à une 'dissection' des vestes en litige, totalement étrangère à l'appréciation de l'impression d'ensemble qu'elles produisent sur l'utilisateur averti ; que les différences de détail, telles que retenues par le tribunal, ne sont nullement de nature à remettre en cause une même impression visuelle découlant d'un même code couleurs, de matériaux et de coupe identiques procédant d'une même inspiration et d'une exécution dictée par la volonté de ressembler.

La société H&M objecte qu'en présence d'un modèle communautaire non enregistré, la contrefaçon nécessite la démonstration que le modèle litigieux en constitue la copie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce eu égard des nombreuses différences entre les vestes.

L'article 10 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 dispose que la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

L'article 19 prévoit par ailleurs que '(...) 2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe 1 que si l'utilisation contestée résulte d'une copie du dessin ou modèle protégé
1: Mise en gras ajoutée par la cour.

. L'utilisation contestée n'est pas considérée comme résultant d'une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d'un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu'il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire. (...)'.

La validité du dessin et modèle n'étant pas contestée par la société H&M et ayant de plus été vérifiée par le tribunal, les motifs exposés supra au titre de l'examen de la contrefaçon alléguée sur le fondement du droit d'auteur conduisent à retenir que, compte tenu des différences nombreuses et l'emportant sur les ressemblances entre les deux vêtements, la veste litigieuse produit sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente de celle générée par la veste 'Eloïse'et n'en constitue pas la copie. La contrefaçon de dessin et modèle communautaire non enregistré n'est donc pas caractérisée.

C'est à juste raison que le tribunal a observé que seule la société IM PRODUCTION, sous le nom de laquelle la veste a été divulguée, serait en tout état de cause en droit d'invoquer la protection au titre des dessins et modèles communautaires non enregistrés.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société IM PRODUCTION de ses demandes en contrefaçon au titre du dessin et modèle communautaire non enregistré.

Sur la demande subsidiaire de la société IM PRODUCTION en concurrence déloyale et parasitaire

La société IM PRODUCTION soutient que la société H&M a commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale et de parasitisme. La concurrence déloyale résulte, selon la société appelante, de la commercialisation d'un vêtement présentant une apparence très proche du sien, sans nécessité, à un prix très inférieur et susceptible de générer un risque de confusion, attesté par des extraits de blogs, et ce, indépendamment du positionnement et des segments occupés par les parties sur le marché ou de l'appartenance des vêtements en cause à une tendance de la mode, qui sont indifférents. L'appelante fait valoir que les marques de créateurs, comme '[N] [U]', sont scrutées comme autant d'indicateurs de ce qui fera probablement un succès commercial et que la diffusion et la promotion de « dupes » ou « copies de mode » repérées par les influenceuses, accroît le succès du produit imitant au détriment du produit imité et de la marque qui en est à l'origine ; que le risque de confusion est aggravé par la concomitance de la mise sur le marché des modèles litigieux et l'existence avérée d'une clientèle commune découlant de la collaboration [N] [U] x H&M. Le parasitisme découle, selon l'appelante, du pillage et du détournement de la notoriété, du savoir-faire, de l'expérience et des efforts consacrés à l'élaboration de la veste 'Eloïse', alors que la Maison [N] [U] entretient depuis des années un savoir-faire artisanal et une image de marque singulière, résultat de lourds investissements de création et de communication, et bénéficie d'un positionnement haut de gamme et d'une reconnaissance par le public et que la société H&M ne justifie pas des investissements consacrés à la réalisation de la veste litigieuse, les pièces versées à cet égard, étant sans valeur probante.

La société H&M oppose, pour contester la concurrence déloyale reprochée, que les sociétés ne sont pas en situation de concurrence, ne s'adressant pas à la même clientèle ; que l'absence de copie ou même d'imitation exclut tout risque de confusion ; que les vestes en litige s'inscrivent dans une tendance de la mode depuis 2013 dans laquelle les créateurs des deux vestes ont puisé et que la société IM PRODUCTION ne saurait s'approprier ; que les publications de blogs ne sont pas probantes ; que la rareté de la veste 'Eloïse' (éditée à 141 exemplaires) exclut toute ancienneté d'usage ou notoriété. Au grief de parasitisme il est répondu qu'en l'absence de copie ou même d'imitation de la veste 'Eloïse', la reprise d'une valeur économique est exclue, les deux sociétés ayant puisé dans un même fonds commun, comme d'autres maisons de mode à partir de 2013, puis de manière intensive entre 2015 et 2017, avec la même idée de créer une veste présentant de motif du genre cosmique et ésotérique ; que la mise en forme particulière de ce genre par [N] [U] n'est pas reprise dans la veste litigieuse ; que la société IM PRODUCTION ne fournit aucune information sur les investissements consacrés au développement de la veste 'Éloïse' dont la notoriété n'est pas établie à la date des faits ; qu'H&M établit au contraire ses investissements relatifs à la veste litigieuse par les attestations de ses designers.

Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l'étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu'à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié.

Comme le rappellent les appelantes, l'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les sociétés considérées n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale ou parasitaire qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice.

En l'espèce, comme il a été dit, la veste H&M ne reprend pas le caractère luxueux et sophistiqué de la veste 'Eloïse', lié en particulier à son col richement décoré de sequins et de pierreries argentés et à la profusion des motifs qui la recouvrent, elle produit une impression visuelle globale différente de celle produite par la veste '[N] [U]' et n'en constitue pas la copie. Elle s'inscrit en revanche dans un courant de la mode présent au cours des années 2015 à 2017 dont elle constitue une interprétation. Le risque de confusion ou d'association avec la veste de la société IM PRODUCTION n'est pas suffisamment démontré par la production d'un seul commentaire sur le blog d'une influenceuse (L'oeil de la mode by Caroline) qui a sélectionné sur le web des vêtements et accessoires inspirés, selon elle, par l'univers d'[N] [U] et permettant 'à des prix raisonnables (...) [d']avoir la dégaine [N] [U]'.

Le parasitisme n'est pas davantage établi dès lors que la veste H&M constitue la reprise d'un genre non appropriable par la société IM PRODUCTION, qu'aucune notoriété de la veste 'Eloïse' n'est démontrée, étant rappelé que cette veste n'a été produite qu'en 141 exemplaires, et que, nonobstant l'originalité et le positionnement haut de gamme de la veste revendiquée et le pouvoir d'attraction de la marque '[N] [U]', les seuls investissements dont la société appelante justifie relativement à la veste 'Eloïse' (sa pièce 46 - attestation de son expert-comptable) ne porte que sur le 'PRI' (prix de revient industriel) et le chiffre d'affaires réalisé avec cet article (166 502 €), ce qui est insuffisant à établir la réalité des investissements allégués. Ne se trouve donc pas démontrée l'existence d'une valeur économique individualisée dont la société H&M aurait indûment profité.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société IM PRODUCTION de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire.

Sur l'appel à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état

Si la déclaration d'appel de la société IM PRODUCTION et de Mme [U] indique que l'appel tend à faire réformer ou annuler l'ordonnance du juge de la mise en état rendue le 24 janvier 2020 en ce qu'elle rejette leur demande de droit d'information et les condamne in solidum à payer à la société H&M la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, force est de constater que les conclusions des appelantes ne comportent aucune demande ni aucun développement de ces chefs.

La cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties conformément à l'article 954 du code de procédure civile, et n'étant en l'espèce saisie d'aucune demande, elle ne peut que confirmer l'ordonnance déférée, solution à laquelle le sens du présent arrêt, qui rejette l'ensemble des demandes des appelantes en contrefaçon et en concurrence déloyale, conduit en tout état de cause.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [U] et la société IM PRODUCTION, parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SAS SPE BARDEHLE PAGENBERG, avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de Mme [U] et de la société IM PRODUCTION in solidum au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel par la société H&M peut être équitablement fixée à 6 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 janvier 2020,

Confirme le jugement du 6 novembre 2020,

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société H&M tirée du défaut de qualité à agir de la société IM PRODUCTION en contrefaçon de dessin et modèle communautaire non enregistré,

Condamne Mme [U] et la société IM PRODUCTION aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SAS SPE BARDEHLE PAGENBERG, avocats, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et in solidum au paiement à la société H&M de la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/18672
Date de la décision : 02/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-02;20.18672 ?
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