Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 2
ARRET DU 26 OCTOBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05995 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBW6K
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 18/05401
APPELANTE
Société ELYSEES PEGASE
SARL immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 481 624 229
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
ayant pour avocat plaidant : Me Pierre POPESCO substitué par Me Chloé STRASSER - BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER LLP -avocat au barreau de PARIS, toque : R030
INTIMES
Monsieur [X], [S] [V]
né le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 11] (Roumanie)
[Adresse 4]
[Localité 3] - ETATS UNIS
Représenté par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653
ayant pour avocat plaidant : Me François-Marie IORIO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0649
Madame [K] [A] épouse [V]
née le [Date naissance 6] 1960 à [Localité 12] (Italie)
[Adresse 4]
[Localité 3] - ETATS UNIS
Représenté par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653
ayant pour avocat plaidant : Me François-Marie IORIO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0649
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre
Mme Muriel PAGE, Conseillère
Mme Nathalie BRET, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, et par Dominique CARMENT, Greffière présente lors du prononcé.
* * * * * * * * * * *
FAITS & PROCÉDURE
M. [S] [V] & Mme [K] [A] épouse [V], sont propriétaires de deux appartements situés dans l'immeuble du [Adresse 7] à [Localité 9] :
- au rez-de-chaussée, un premier appartement de 6 pièces principales avec jardin et 4 caves,
- au 2ème étage, un second appartement de 3 pièces principales avec une cave.
Ils ont entrepris, dans l'appartement situé au rez-de-chaussée de faire réaliser des travaux de rénovation et de décoration. Alors que ces travaux étaient sur le point de s'achever, un autre chantier très important a été initié dans l'immeuble voisin situé l et l bis avenue de
[Adresse 2] à [Localité 9] par son propriétaire, la société à responsabilité limitée Élysées Pégase, aux fins de réaffecter le bâtiment à l'usage de bureaux.
Eu égard à l'importance des travaux envisagés, la société Élysées Pégase a obtenu, dans le cadre d'un référé préventif, la désignation d'un expert en la personne de M. [E] [M] par ordonnance du 1er septembre 2015, au contradictoire des propriétaires des immeubles voisins.
Se plaignant de ce que des fissures se sont produites sur les murs de leur appartement contigus au chantier à la suite des très fortes vibrations qui avaient été ressenties lors de la démolition de l'immeuble voisin ainsi que l'a constaté l'huissier de justice mandaté à cette fin, M. & Mme [V] sont intervenus volontairement aux opérations d'expertise.
L'expert [M] s'est deplacé le 22 janvier 2016 sur les lieux et, après s'être livré à différentes observations, a estimé que les fissures apparues chez M. & Mme [V] n'étaient sans doute pas liées au chantier voisin mais à une surépaisseur d'enduit.
Contestant les énonciations de M. [M] et invoquant l'apparition de nouvelles fissures, M. & Mme [V] ont obtenu la désignation d'un expert en la personne de M. [N] [Z] par ordonnance de référé du 26 juillet 2016 au contradictoire de la société Elysées Pégase et de la société Petit, entreprise générale.
En cours d'expertise, des traces d'humidité sont également apparues sur le mur des deux appartements des époux [V] contigus au chantier.
Par ordonnance du 3 janvier 2017, la mission de l'expert [Z] a été étendue à ce nouveau désordre.
Le 5 septembre 2017, l'expert [Z], adressait aux parties une note de synthèse, pour les inviter à lui faire part de leurs observations.
Par arrêt du 4 octobre 2017, cette cour a infirmé les ordonnances qui avaient procédé à la désignation de l'expert [Z], lequel déposait son rapport en l'état le 16 novembre 2017.
C'est au vu de ce document aux termes duquel ils font valoir que l'expert judiciaire établit de manière incontestable la relation de cause afférente à l'apparition des fissures et l'existence de très fortes vibrations créées entre autres par l'utilisation d'un brise-roche hydraulique pour effectuer les démolitions sur le chantier voisin, que M. & Mme [V] ont assigné, par acte du 18 mai 2018, la société Élysées Pégase devant le tribunal pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice au visa des articles 1240 et 1242 du code civil.
Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré la société à responsabilité limitée Élysées Pégase responsable des dommages ayant affecté les deux appartements situés dans l'immeuble du [Adresse 7] à [Localité 9] de M. & Mme [V] ;
- condamné la société à responsabilité limitée Élysées Pégase à payer à M. & Mme [V] les sommes suivantes :
68.860 € TTC en réparation du préjudice matériel,
74.361 € en réparation du préjudice locatif,
8.000 € sur le fondement de l'artic1e 700 du code de procédure civile,
8.900 € au titre des frais d'expertise de M. [Z] ordonnée par ordonnance du 26 juillet 2016,
- débouté la société Élysées Pégase de son appel en garantie ;
- condamné la société Élysées Pégase aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
La société à responsabilité limitée Élysées Pégase a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 14 avril 2020.
La procédure devant la cour a été clôturée le 20 avril 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions du 21 décembre 2021 par lesquelles la société à responsabilité limitée Élysées Pégase, appelante, invite la cour, au visa des articles 16, 455 et 458 du code de procédure civile, 544, 1240, 1242 et 1353 du code civil, à :
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau :
à titre principal,
- juger que l'ensemble des demandes des époux [V] sont infondées,
- juger qu'aucun élément ne permet de retenir sa responsabilité,
- condamner in solidum M. & Mme [V] à lui rembourser la somme de 160.121 € qu'elle a versée compte tenu de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel,
- condamner in solidum M. & Mme [V] à lui rembourser la somme de 1.257,50 € qu'elle a versée compte tenu de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel et correspondant aux intérêts
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour retenait sa responsabilité :
- juger que le montant du préjudice de M. & Mme [V] ne peut pas dépasser le montant de 18.264 € au titre du coût des travaux de reprise et de 27.680,10 € au titre du préjudice locatif,
- condamner in solidum M. & Mme [V] à lui rembourser la somme minimum de 114.176,90 € qu'elle a versée compte tenu de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel,
- condamner in solidum M. & Mme [V] à lui rembourser la somme minimum de 898,90 € qu'elle a versée compte tenu de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel et correspondant aux intérêts,
en tout état de cause,
- condamner in solidum M. & Mme [V] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à lui payer la somme de 30.000 € par application de l'article 700 du même code ;
Vu les conclusions en date du 8 février 2022 par lesquelles M. [X] [V] et Mme [K] [A] épouse [V], intimés ayant formé appel incident, demandent à la cour, au visa de l'articles 544 du code civil concernant les troubles anormaux du voisinage, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
déclaré la société Élysées Pégase responsable des dommages ayant affecté les deux appartements situés dans leur immeuble du [Adresse 7] à [Localité 9],
condamné la société Élysées Pégase à leur payer la somme de 68.860 € TTC en réparation de leur préjudice matériel,
condamné la société Élysées Pégase à leur payer la somme de 8.900 € au titre des frais d'expertises de M. [Z] nommé par ordonnance du 26 juillet 2016,
condamné la société Élysées Pégase aux dépens,
- réformer le jugement sur l'appréciation du préjudice locatif,
- condamner la société Élysées Pégase à leur verser la somme de 255.000 € au titre de la perte de revenu locatif,
- condamner la société Élysées Pégase aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à leur payer la somme de 30.000 € par application de l'article 700 du même code ;
SUR CE,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel ;
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;
Sur les causes et les responsabilités
Devant la cour, M. & Mme [V] fondent leurs demandes sur la théorie des troubles anormaux du voisinage aux termes de laquelle le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements est limitée par l'obligation de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage ;
La théorie des troubles du voisinage édicte un principe de responsabilité sans faute, le propriétaire auteur des nuisances étant responsable de plein droit vis à vis des voisins victimes et ce, quand bien même il n'aurait commis aucune faute ou n'occupent pas matériellement son habitation ; il suffit de démontrer une relation de cause directe entre les
troubles subis par le tiers lésé et l'intervention du propriétaire auteur pour que la responsabilité de ce dernier puisse être engagée ;
L'article 246 du code de procédure civile dispose que le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien ;
Dans son pré-rapport du 7 décembre 2015, M. [M], expert judiciaire, indique :
'L'appartement du rez-de-chaussée [propriété de M. & Mme [V]] est développé sur l'ensemble de la superficie de l'immeuble.
Celui-ci est en cours de travaux de restructuration. (')
Il y a lieu de noter, en particulier, que sur la paroi séparative de l'immeuble 1 et [Adresse 1] [immeuble siège des travaux entrepris par la société Elysées Pégase], les enduits décoratifs sont appliqués directement sur le gros mur sans mise en place de panneau d'habillage.
Les gros murs sont ainsi chargés d'une forte épaisseur d'enduit pour redressage des fonds atteignant selon les irrégularités une épaisseur de 20 à 30mm. (')
' pièces habitables côté jardin arrière
Les préparations de parois latérales sont en cours.
La paroi séparative est revêtue d'une forte charge d'enduit directement appliqué sur les fonds anciens. (')';
Il a constaté dans cet appartement, le 22 janvier 2016, la présence de micro-fissures au droit de certaines corniches et du mur séparatif avec le chantier (pièce Elysées Pégase n°8 : note aux parties n°10 en date du 27 janvier 2016) ; ces fissures avaient été préalablement constatées par un procès-verbal d'huissier du 15 décembre 2015 aux termes duquel l'huissier a noté la présence de plusieurs fissures d'importance variable (fissure importante, fissure, fine fissure et petite fissure' (pièce Elysées Pégase n°6) ;
Lors de la réunion du 22 janvier 2016, l'expert a procédé à un sondage du mur séparatif sur la paroi de la salle centrale où apparaissaient des fissurations en étoile ; ce sondage a révélé 'la présence de couches de multiples matériaux différents' d'une épaisseur totale de '55 à 80 mm' de charge de produits divers (pièce Elysées Pégase n°8, page 3) ;
Il explique dans sa note aux parties n°10 du 27 janvier 2016 (pièce Elysées Pégase n°8, page 5 à 7) et dans son rapport final (page 41) :
'Les fissurations apparaissent comme ayant pour origine le mode de mise en oeuvre pour les raisons suivantes :
Superposition de matériaux différents :
- la superposition de matériaux différents ne favorise par une bonne adhésion,
- les réactions consécutives au séchage sont différentes selon chacun d'entre eux,
- la dernière passe de produit de type Stuco très fermée tend à s'opposer à l'évaporation de l'eau et en conséquence au séchage,
L'épaisseur de charge :
- il est observé une épaisseur de charge de 55 à 85 mm au droit du sondage réalisé,
- cette très forte épaisseur favorise l'évolution de la texture de différents matériaux dans leur phénomène de retrais,
Décollement des anciens fonds :
Les constatations essentielles sont le fait de décollements des différentes passes d'enduit.
Ces décollements sont à l'origine des fissurations, par le fait que la masse de matériaux non adhérentes à la paroi présente une tenue mécanique affaiblie. Ils entraînent une fragilité mécanique de la tenue du matériau.
Ces décollements partiels entraînent des différences de tension dans le corps des enduits pour provoquer des retraits et par conséquent fissuration.
Ces décollements ne sont pas provoqués par des vibrations. (')
Ces décollements sont survenus par les effets du séchage :
Cette hypothèse est la plus probable.
Ces décollements confirment l'action de l'eau et du séchage, laquelle a provoqué la décohésion entre les matériaux. (')
Ce phénomène correspond à l'origine des désordres';
Il conclut que 'les désordres observés n'ont pas pour origine les effets du chantier de construction Pégase.
Ils se réfèrent à la mise en oeuvre des enduits, tel qu'appliqués par les entreprises chargées par M. [V] d'effectuer les travaux' ;
Cette conclusion technique a été suivie dans un premier temps par l'architecte de M. [V], M. [J], lequel a notamment indiqué dans son rapport annexé à la note aux parties n°10 de l'expert que (pièce Elysées Pégase n°8) :
'Néanmoins, ces travaux réalisés dans l'appartement de M. [V] sont non conformes (trop épais avec une toile de fixation pas adaptée au support moellon).
Il ne semble pas possible de retourner contre l'avis de l'expert, les travaux n'ont pas été réalisés dans les règles de l'art' ;
Dans la conclusion de son rapport d'expertise remis le 27 mai 2019 (pièce [V] n°48), M. [M] indique :
'Concernant le désordre n°1
Désordres de fissurations affectant l'appartement du RDC, propriété [V],
Les désordres énoncés n'ont pas pour origine, tel que constaté, les effets du chantier de construction de la société Elysées Pégaze.
Les désordres ont pour origine les malfaçons commises par les entreprises chargées par M. [V] d'effectuer les travaux de restauration de son appartement.
Aucun justificatif, relatif aux préjudices allégués par M. [V] ne permet d'associer ces préjudices aux travaux exécutés par la société Elysées Pégase';
Pour écarter l'origine des fissurations aux vibrations des engins utilisés sur le chantier de la société Elysées Pégase, M. [M] explique :
'Les travaux de démolition provoquent des vibrations des structures tant de l'immeuble où ils sont exécutés, que dans les immeubles contigus.
De fortes vibrations peuvent engendrer, par effet mécanique, des désordres de fissuration.
Ces fissurations se manifestent en ce cas, au droit des assemblages de matériaux, angles, en retour de cloison, au droit de toutes parties de faibles résistances.
Ces fissurations ne se manifestent pas sur les parties courantes des parois, pour lesquelles la continuité des matériaux offre une meilleure résistance aux effets mécaniques.
Cette hypothèse n'est pas cohérente avec le positionnement des fissurations observées' ;
Pour contester le rapport de M. [M], M. & Mme [V] produisent :
- un procès verbal de constat d'huissier du 4 mai 2016 qui indique que 'dans l 'appartement du [Adresse 7], d'importantes vibrations se ressentent du fait de l'utilisation de machines et d'engins à percussion dans cet immeuble voisin en travaux ,les sols et les murs vibrent' (pièce [V] n°6) ;
- un courrier de M. [G] [C], ingénieur-conseil qui relate :
'à votre demande, je me suis rendu le 14 mai à votre domicile afin de constater les fissures apparues dans certains murs et plafonds de l'appartement.
Ces fissures ont été constatées lors de la venue de l'huissier que vous aviez mandaté le 4 mai.
Or, l'appartement concerné est en pleine rénovation et les fissures constatées sont apparues
dans des peintures et staff très récentes.
Lors de ma visite, j 'ai pu ressentir des vibrations très importantes dues au chantier contigu : j'ai perçu très précisément des bruits de démolition par marteau piqueur ou BRH (brise
roche hydraulique dont vous avez pu réaliser une photo, en pleine action sur le chantier).
A mon avis, ces fissures filiformes sont sans aucun doute dues aux vibrations très importantes générées par les travaux de démolition du chantier voisin' (pièce n° 7) ;
- des procès verbaux de constat de Maître [D], huissier de justice, des 27 juin et 13 septembre 2016, qui font état de l'aggravation de fissures précédemment constatées et de l'apparition de nouvelles fissures (pièces n° 8 et 9) ;
- une attestation de M. [J] datée du 3 mars 2017, dans laquelle celui-ci impute
directement les désordres constatés aux travaux de démolition réalisés pour le compte de la société Elysées Pégase (pièce n°24) ;
- le rapport d'expertise de M. [Z] dont la désignation a été annulée par l'arrêt de cette cour du 4 octobre 2017 ;
Bien que la désignation de M. [Z] ait été annulée, ses opérations, qui ont abouti à une note de synthèse du 5 septembre 2017 (pièce [V] n°36), ont été réalisées au contradictoire de la société Elysées Pégase ; cette note peut donc servir à titre de renseignement ;
M. [Z] indique :
'Mise en oeuvre des enduits :
La question du retrait n'est pas si visible que cela sur les enduits. Le seul endroit où ilpourrait avoir lieu, c 'est au plafond du salon, or rien n'a été constaté à ce sujet.
D'autre part, sur l'ensemble des murs présentant des fissures, certaines montrent que la
peinture se chevauche suite à un déplacement de la structure. Ce cas est visible sur le mur
mitoyen de la pièce qui donne sur le jardin. Nous constatons un ensemble de fissures
parallèles orientées à 45° qui n'ont rien de fissures de retrait.
Les vibrations ont produit des fissures au plafond du salon ; à certains endroits, la peinture
est même tomée en écaille. On ne trouve pas ce phénomène ailleurs. Nous avons dans la salle également une fissure traversant une cloison qui n'a rien du retrait.
D'autre part, comme le montrent les photos d'huissiers ou celle de l'expert, nous constatons
des marbres fissurés ou décollés. Des fissures à 45° typiques d'un problème mécanique.
Le personnel de l'entreprise travaille de la même façon dans toute la maison. Nous n'avons
pas constaté d'enduit surchargé et tous les enduits ne sont pas fissurés. D'autres parties de la maison n'ont pas du tout de fissures.
De plus, les constats d'huissiers, ajoutés à ceux de lexpert, ont montré une augmentation des fissures sur plusieurs mois sans aucune relation avec une notion de retrait, puisque les
supports ont été testés et sont secs. La caméra thermique a été employée et n'a montré aucune anomalie qui aurait révélé un excédent d'humidité dans les supports.
Désordres ayant pour origine les vibrations :
Le relevé et l'étude des désordres n'ont pas montré une cause dont l'origine pouvait être les
surcharges d'enduits. L'analyse de l'ouverture des fissures, leur longueur importante, les
déplacements, leur localisation dans une partie de l'appartement, tout cela va dans le sens de désordres produits par des vibrations de chantier. Les marbres fissurés ou décollés montrent également le problème des vibrations. L'ensemble de ces désordres se recoupe pour en conclure à l'impact des travaux du chantier Elysées Pégase. Il y a suffisamment de relevés par les huissiers pour ne pas les re-lister à nouveau pièce par pièce.
Le plan joint reprend ces positions...' ;
Il ressort des énonciations du rapport de M. [Z] que, s'il a été localisé des endroits très ponctuels où il y a eu une sur-épaisseur d'enduit, cela n'explique pas l'étendue et la
généralisation des désordres relevés dans l'appartement de M. & Mme [V], en particulier les fissurations du marbre et les nouvelles fissures constatées par huissier en juin et septembre 2016 que M. [M] n'a pas examiné ; par ailleurs l'importance des vibrations des sols et murs de l'appartement de M. & Mme [V] consécutives aux engins du chantier de la société Elysées Pégase est caractérisée par les courriers de M. [C] et de M. [J] et par les constats d'huissier ;
Les premiers juges ont donc exactement relevé qu'il ressort de l'ensemble des analyses techniques effectuées au contradictoire des parties versées aux débats et la localisation des désordres, leur apparition sur le mur contigu de l'appartement de M. et Mme [V] avec le chantier voisin concomitante avec les très fortes vibrations engendrées par le chantier sont de nature à établir la relation de cause à effet entre le chantier mené par la société Élysées Pégase et l'apparition des désordres ;
Comme l'a dit le tribunal, si l'expert [M] impute l'origine des désordres à la mauvaise qualité de mise en oeuvre des enduits entraînant des réactions consécutives au séchage différentes selon chacun d'eux, la dernière passe de produit de type Stuco très fermée tendant à s'opposer à l'évaporation de l'eau et en conséquence au séchage qui ont créé des différences de tension dans le corps des enduits provoquant ainsi des retraits et par conséquent des fissurations, M. [Z] apporte un avis totalement contradictoire à cette analyse ;
Celui-ci souligne ainsi que l'emploi d'engins de percussion, tel qu'un brise roche hydraulique, génère de très importantes vibrations, des marbres de l'appartement de M. & Mme [V] ayant même été fissurés ou décollés, de nature à exclure un quelconque problème de sur-épaisseur d'enduit ; il invoque également des fissures à 45° typiques d'un problème mécanique ;
ll n'est pas contesté que le personnel de l'entreprise en charge des peintures travaille de la même façon ; or, il ressort des clichés photographiques versés aux débats que tous les enduits ne sont pas fissurés, seules certaines parties de l'appartement de M. & Mme [V] ne sont pas du tout fissurées ;
De plus, le constat établi par Maître [D] le 27 juin 2016 révèle une augmentation des fissures sur plusieurs mois sans aucune relation avec une notion de retrait d'enduit, puisque les supports ont été testés et sont secs ; la camera thermique a été employée et n'a montré aucune anomalie qui aurait révélé un excédent d'humidité dans les supports ;
Enfin, il apparaît que l'ensemble de ces éléments est de nature à corroborer les propos de l'architecte de M. & Mme [V] qui déclare au sein de l'attestation déjà citée établie le 3 mars 2017 que 'les travaux de l'immeuble voisin ont entraîné des fissurations sur les murs et plafonds nécessitant un état des lieux par huissier et une expertise, obligeant l'arrêt des travaux' et qui atteste 'que l'appartement était en cours de finition jusqu'à fin février 2016, les enduits et la peinture étaient en cours de réalisation jusqu'au sinistre intervenu en novembre 2015. Ces désordres se sont poursuivis pendant une année rendant l'appartement inexploitable' ;
Les premiers juges ont exactement relevé que l'apparition des fissures dans l'appartement de M. & Mme [V] concomitantes au chantier de construction entrepris par la société Élysées Pégase dans 1'immeuble voisin situé [Adresse 2] à [Localité 13], leur longueur importante, les déplacements, leur localisation dans une seule partie de l'appartement, ont pour cause les travaux effectués sur ledit chantier, notamment du fait des vibrations engendrées par les travaux de démolition, excluant de ce fait le problème évoqué de la mise en oeuvre des enduits par les entreprises chargées par M. [V] d'effectuer les travaux au sein de son appartement ;
Les premiers juges ont justement retenu, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage qui édicte une responsabilité de plein droit du propriétaire, la responsabilité exclusive de la société Élysées Pégase dans les désordres affectant les appartements de M. & Mme [V] ;
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la société à responsabilité limitée Élysées Pégase responsable des dommages ayant affecté les deux appartements situés dans l'immeuble du [Adresse 7] à [Localité 9] de M. & Mme [V] ;
Sur l'indemnisation des préjudices de M. & Mme [V]
Il est de principe que le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ;
M. [Z] a indiqué dans son rapport déposé en l'état 'les travaux sont à l'arrêt ce qui rend l'appartement inhabitable. Aussi, il faudra compter deux bons mois pour tout remettre en état' ;
Sur les travaux de remise en état
Afin de remettre en l'état l'appartement du rez-de-chaussée et celui du 2ème étage, plusieurs devis ont été adressés à M. [Z] ;
À la lecture du rapport qu'il a déposé en l'état le 16 novembre 2017, l'expert a retenu pour l'appartement du rez-de-chaussée, les devis moins-disant produits par l'entreprise ENT.DA.SACCO pour les travaux suivants, sachant qu'il s'agit de travaux d'excellence pour un appartement de prestige :
- travaux de remise en état pour la reprise de toutes les fissures et le travail consistant à ré-enduire et à passer les laques : 57.090 € TTC,
- travaux pour la remise en état de la salle de bains en marbre : 4.180 € TTC ;
Les travaux ont été réalisés et les factures ont été réglées pour les montants correspondant exactement aux devis tel qu'il ressort des pièces n° 31 et 32 versées aux débats par les requérants ;
Pour la remise en état de l'appartement du rez-de-chaussée, M. & Mme [V] ont donc versé à leur entreprise une somme de 61.270 € TTC ;
En ce qui concerne l'appartement du 2ème étage affecté par les infiltrations provoquées par l'accident de chantier de la société Élysées Pégase, ce que cette dernière ne conteste pas, M. [V] justifie avoir fait exécuter les travaux par l'entreprise ENT.DA.SACCO pour un montant de 7.590 € TTC ;
Au total, le préjudice matériel s'est donc élevé à la somme de 68.860 € TTC ;
La société Elysées Pégase conteste ce montant et sollicite qu'il soit retranché des postes sur la facture du 3 septembre 2017 de l'entreprise ENT.DA.SACCO (pièce n°32), estimant que certaine dépense ne concerne pas la réparation des désordres, mais constitue des travaux de rénovation intégrale de l'appartement ;
Il n'est pas contestable que l'appartement acquis par M. & Mme [V] est un appartement de prestige (pièces [V] n° 49, 50, 51), dans lequel de très importants travaux de rénovation venaient de s'achever au moment du début du chantier de la société Elysees Pégase ;
Dans son premier constat dressé le 15 décembre 2015 (pièce [V] n°1), Maître [D] indique :
'L'ensemble des murs a fait l'objet d 'une rénovation à l'état neuf
Les enduits sont neufs sur les murs.
Une corniche et une fresque (ciel) ont été peintes' ;
Il résulte de la facture du 3 septembre 2017 que l'entreprise ENT.DA.SACCO (pièce [V] n°32) a refait à neuf, comme cela l'était, l'intégralité des zones qui ont été touchées par les désordres (pour chaque poste il est indiqué qu'il y a eu une ouverture et un rebouchage des fissures sur la zone concernée) ;
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société Élysées Pégase à payer à M. & Mme [V] la somme de 68.860 € TTC au titre des travaux de remise en état ;
Sur le préjudice locatif subi par les époux [V]
Alors que la terminaison des travaux était prévue pour la fin du mois de février 2016, M. [V] s'était adressé au mois d'octobre 2015 à un cabinet spécialisé dans la location des
immeubles de prestige, le cabinet John Taylor ;
Ce dernier, compte-tenu du caractère exceptionnel de l'appartement du rez-de-chaussée (300 m² de surface, situation géographique très rare, rénovation de qualité avec prestations de très haut de gamme, jardin privatif), indique que la valeur locative peut être fixée entre 15 et 17.000 € pour une location vide, et entre 17 et 19.000 € pour une location en meuble ;
Toutefois, il est constant que par application des dispositions prévues au décret et à l'arrêté préfectoral relatifs au dispositif d'encadrement des loyers des biens situés à [Localité 13], le montant proposé par le cabinet John Taylor est entre 2,66 et 3 fois plus élevé que le montant réglementaire qui prévoit un loyer pour un tel bien de l'ordre de 5.649 € soit 26,0 €/m² ; il est à noter que la loi du 23 novembre 2018 n'était pas en vigueur en 2016 ou 2017 et que les textes applicables étaient ceux de la loi du 27 mars 2014 ;
Enfin, une décote s'applique systématiquement sur le loyer au m² lorsque la surface est supérieure à 120 m² ;
Dès lors, M. & Mme [V] apparaissent mal fondés à prétendre à un dépassement des loyers de référence au motif que leur bien est de qualité exceptionnelle, lequel dépassement ne peut en tout état de cause que s'analyser en une perte de chance d'avoir loué leur appartement selon un bail dérogatoire au droit commun, en dehors de la fourchette de prix prévue par la loi sur l'encadrement des loyers, laquelle perte de chance n'est de surcroît pas justifiée en l'espèce ;
Les premiers juges ont exactement considéré que le loyer de référence majoré pour un appartement haussmannien de plus de 4 pièces d'une surface loi Carrez de 295,10 m² situé dans le [Localité 9] est de l'ordre de 36 €/m² et de fixer le loyer estimatif mensuel des époux [V] à 10.623 € ;
M. [Z] a indiqué que les travaux initiaux devaient être terminés au mois de février 2016, et l'appartement mis à la location à partir du mois de mars 2016 ;
Lors d'un accedit organisé le 27 avril 2017 M. [Z] a indiqué que les travaux de reprise pouvaient désormais commencer, les murs étant asséchés et le chantier voisin n'engendrant plus de vibrations ;
Les travaux de réfection de l'appartement du rez-de-chaussée ont été effectués et l'appartement a été loué à compter du 1er août 2017 pour un loyer mensuel hors charges de 15.000 € (pièce [V] n°41) ;
Ainsi, M. [Z] estimant en conclusion de son rapport déposé en l'état que cet appartement aurait pu être mis à la location au 9 février 2016 (c'est par erreur qu'il a indiqué 2017) sans l'apparition des désordres litigieux, il y a lieu de circonscrire la période relative à la perte locative subie par M. & Mme [V] à compter du mois de mars 2016 jusqu'au 1er août 2017, date où M. & Mme [V] ont effectivement pu relouer leur bien soit pendant 17 mois ;
Le préjudice locatif de M. & Mme [V] s'évalue donc à la somme de 17 mois x 10.623 € = 180.591 € ; l'indemnisation de ce préjudice ne peut cependant que correspondre à une perte de chance de pouvoir louer l'appartement dès le 1er mars 2016 ; cette perte de chance sera évaluée à 70 % ;
La société Elysées Pégase doit être condamnée à payer à M. & Mme [V] la somme de 180.591 € x 0,70 = 126.413,70 € ;
Le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a condamné la société Élysées Pégase à payer à M. & Mme [V] la somme de 74.631 € au titre de l'indemnisation de leur préjudice locatif ;
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite de l'article 700 du code de procédure civile ;
La société Elysées Pégase, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. & Mme [V], globalement, la somme supplémentaire de 9.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par la société Elysées Pégase ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Élysées Pégase à payer à M. & Mme [V] la somme de 74.631 € au titre de l'indemnisation de leur préjudice locatif ;
Statuant à nouveau sur le seul chef réformé et y ajoutant,
Condamne la société à responsabilité limitée Elysées Pégase à payer à M. [X] [V] & Mme [K] [A] épouse [V], globalement, la somme de 126.413,70 € au titre du préjudice locatif ;
Condamne la société à responsabilité limitée Elysées Pégase aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à M. [X] [V] & Mme [K] [A] épouse [V], globalement, la somme supplémentaire de 9.000 € par application de l'article 700 du même code en cause d'appel ;
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT