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20/10/2022 | FRANCE | N°22/02502

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 20 octobre 2022, 22/02502


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02502 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFFK7



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Janvier 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 19/51450





APPELANTE



LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire de [

Localité 5], Mme [T] [G], domiciliée en cette qualité audit siège



[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GU...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02502 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFFK7

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Janvier 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 19/51450

APPELANTE

LA VILLE DE [Localité 5], prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 5], Mme [T] [G], domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

INTIMEE

S.A.S. CBCP SAS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Léna ETNER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0154

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Septembre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par exploit en date du 15 novembre 2018, la ville de [Localité 5] a fait assigner la société CBCP devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris, saisi selon la procédure accélérée au fond sur le fondement notamment des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, concernant l'appartement situé [Adresse 2].

Par ordonnance du 21 mars 2019, le président du tribunal a sursis à statuer sur les demandes de la Ville de [Localité 5] dans l'attente d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne appelée, sur renvoi préjudiciel de la Cour de cassation (Civ. 3e, 15 nov. 2018, n°17-26.156), à apprécier la compatibilité de la réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Par arrêt du 22 septembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré la réglementation nationale conforme aux dispositions de la directive 2006/123/CE (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments, affaires jointes C-724/18 et C-727/18).

Par cinq arrêts en date du 18 février 2021, la Cour de cassation a tiré les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Elle a notamment jugé que la réglementation locale de la Ville de [Localité 5] sur le changement d'usage est conforme à la réglementation européenne.

Par conclusions déposées et soutenues à l'audience, la Ville de [Localité 5] demandait de voir :

' condamner la société Cbcp à payer la ville de [Localité 5] une amende civile de 50.000 euros,

' condamner la société Cbcp à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' la condamner aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire du 17 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris, a :

- condamné la société CBCP à payer une amende civile de 7.000 euros, dont le produit sera versé à la ville de [Localité 5] ;

- condamné la société CBCP à payer à la ville de [Localité 5] la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société CBCP aux dépens ;

- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit.

Par déclaration du 1 février 2022, la Ville de [Localité 5] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 10 mars 2022, la ville de [Localité 5] demande à la cour, de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel ;

- confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qui concerne le montant de l'amende ;

- infirmer l'ordonnance entreprise sur le quantum de l'amende ;

- condamner la société CBCP à lui payer une amende civile de 50.000 euros ;

- condamner la société CBCP à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

La ville de [Localité 5] soutient en substance que :

- le local en cause est à usage d'habitation sans aucun changement d'affectation ;

- le bien litigieux n'est pas la résidence principale du loueur dès lors que son siège social est situé [Adresse 1] ;

- il a fait l'objet de locations de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile via le site airbnb.fr, booking.com ;

- l'appartement a fait l'objet le 23 février 2018 d'une déclaration en ligne de location meublée au nom de M. [H], directeur de la société CBCP ;

- en l'absence d'autorisation préalable, cette location meublée pour de courtes durées à une clientèle de passage, constitue un changement d'usage d'un local d'habitation pour une activité commerciale et caractérise l'infraction prévue et réprimée à l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'urbanisme ;

- avant même son acquisition le 20 octobre 2017, la société CBCP savait pertinemment que les locaux étaient à usage d'habitation et qu'elle ne pouvait pratiquer la location de courtes durées puisqu'elle a fait une demande de rachat de commercialité en juillet 2017 ;

- c'est donc en parfaite connaissance de cause qu'elle a loué en toute irrégularité tous les appartements de façon intensive et ce avant même d'avoir obtenu l'autorisation de changement d'usage le 6 janvier 2020 devenue définitive le 17 juin 2021 ;

- elle a maintenu son activité irrégulière après mise en demeure de la ville de [Localité 5] du 7 juin 2018, après délivrance de l'assignation le 15 novembre 2018 et après la décision de sursis à statuer du 21 mars 2019 ;

- elle a donc délibérément tenté de tromper la ville de [Localité 5] notamment en produisant un bail non effectif, en démontant la boite à clés pour la visite du 28 juin 2018 et en la réinstallant après le passage de l'agent assermenté ;

- il est par conséquent certain qu'un montant d'amende de 7.000 euros n'est pas proportionné aux profits.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 24 juin 2022, la société CBCP demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du tribunal judiciaire de Paris du 17 janvier 2022 en sa totalité et statuant à nouveau ;

- débouter la ville de [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- prononcer une amende symbolique ou très réduite ;

En conséquence,

- condamner la ville de [Localité 5] à lui payer une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la ville de [Localité 5] aux dépens.

La société CBCP soutient en substance que :

- la ville de [Localité 5] produit un certificat H2 pour justifier l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 alors que le document produit est illisible, raturé et semble daté du 15 septembre 1970 ;

- ainsi, il n'est pas établi que l'appartement litigieux était à usage d'habitation au 1er janvier 1970 comme l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation l'impose ;

- la société Cbcp n'a jamais eu la jouissance de l'appartement du 1ère étage porte D, et elle n'est donc pas l'auteur de l'infraction litigieuse ;

- en effet, elle a confié l'appartement litigieux à la société M. [V] ;

- ainsi, la responsabilité de la société CBCP ne pourra pas être recherchée pour des faits commis par des tiers quand bien même ce sont des cocontractants ou des membres de la famille de ses associés ;

- de surcroit, la Cour constatera en toute hypothèse que les faits ne sont pas établis contradictoirement ;

- le seul fait constaté effectivement par la ville de [Localité 5] aux termes de son assignation était que l'appartement litigieux était proposé à la location sur des sites internet et qu'il aurait été loué quelques jours, ce qui ne permettait pas à la société CBCP d'agir contre ses locataires ;

- l'amende sollicitée par la ville de [Localité 5] correspond à l'amende maximale telle que fixée par l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation et rien ne justifie de faire application de ce maximum ;

- la ville de [Localité 5] était parfaitement informée en acceptant le changement d'usage puisqu'elle a été associée à tout le processus décisionnel directement puisque c'est la ville de [Localité 5] qui a autorisé la commercialité du bien et par l'intermédiaire de [Localité 5] habitat ;

- son accord pour entériner le changement d'usage vaut désistement de la présente instance et à tout le moins, réduction du montant de l'amende dont le paiement est sollicitée ;

- elle s'est montrée très coopérative avec la ville de [Localité 5] et a facilité son enquête.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

L'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation dispose que toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50.000 euros par local irrégulièrement transformé.

Selon l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.

Toutefois, lorsqu'une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l'usage d'un local mentionné à l'alinéa précédent, le local autorisé à changer d'usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l'usage résultant de l'autorisation.

Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article.

Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article.

Pour l'application des dispositions susvisées, il y a donc lieu d'établir :

- l'existence d'un local à usage d'habitation, un local étant réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sauf pour les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 qui sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés, le formulaire administratif de type H2 rempli à cette époque dans le cadre de la législation fiscale permettant de préciser l'usage en cause ;

- un changement illicite, sans autorisation préalable, de cet usage, un tel changement étant notamment établi par le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile.

Il est en outre constant que, s'agissant des conditions de délivrance des autorisations, la Ville de [Localité 5] a adopté, par règlement municipal et en application de l'article L. 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation, le principe d'une obligation de compensation par transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.

En l'espèce, à titre liminaire, l'insécurité juridique alléguée ne saurait résulter de l'intervention de la cour de justice de l'Union européenne, étant observé que la société intimée ne peut valablement estimer que les juridictions nationales statueraient de manière rétroactive alors que la CJUE avait pour mission de vérifier la compatibilité d'un droit national, déjà établi et applicable, aux règles européennes.

Les parties s'opposent sur les éléments de preuve à apporter par la ville de ce que le local dont il s'agit est bien un local à usage d'habitation au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation.

Il sera relevé que la fiche H2 produite, en date du 15 septembre 1970, porte mention d'un locataire et d'un montant de loyer au 1er janvier 1970.

La fiche H2 apparaît parfaitement lisible, la société intimée ne pouvant être suivie lorsqu'elle estime qu'elle serait dénuée de toute portée probatoire à raison de son caractère illisible et raturé.

Dans ces conditions, l'usage d'habitation est démontré.

L'appartement en cause n'est pas non plus la résidence principale de la société CBCP, qui a son siège social dans le 16ème arrondissement.

Concernant la location du bien, il résulte du procès-verbal de l'agent de la ville :

- que le logement en cause a été proposé pour des locations de courte durée sur les sites airbnb et booking ;

- que le nombre total de commentaires est de 13 pour les deux annonces, la circonstance qu'ils ne soient pas en français n'étant pas déterminante dans la mesure où c'est l'existence de commentaires sur des sites de location de courte durée qui est de nature à démontrer l'infraction ;

- que la société de conciergerie, Check my guest, a attesté de 19 locations pour l'annonce airbnb ;

- que les voisins ont fait état de fréquents passages de touristes ;

- que, lors de la visite du 11 mai 2018, l'appartement en cause était occupé par une famille venant d'Algérie, étant constatée aussi dans l'immeuble la présence d'une affiche en plusieurs langues rappelant aux touristes de respecter la tranquillité de l'immeuble et d'une boîte à clés ;

- que le constat d'infraction complémentaire du 12 juillet 2021 relève 140 nuitées pour 2018 et 128 nuitées pour 2019, étant joints à ce document des relevés de nuitées envoyés par airbnb et booking et établis à partir du numéro de déclaration du meublé, de sorte que les chiffres alléguées sont suffisamment démontrés contrairement à ce qu'indique l'intimée, étant en outre soumis à la libre discussion contradictoire des parties, la partie intimée n'apportant en réalité aucun élément de nature à en démentir la teneur ;

- que les constatations de l'agent de la ville montrant aussi que la boîte à clés avait été démontée pour la visite de l'agent du 28 juin 2018 avant d'être remontée.

Ainsi, l'infraction est caractérisée en tous ses éléments, ce qui commande de confirmer l'ordonnance entreprise, la responsabilité civile de la société intimée étant engagée, peu important que la gestion des locations de courte durée ait été confiée à une société de conciergerie dans la mesure où la SAS CBCP ne pouvait ignorer qu'elle enfreignait les dispositions applicables aux meublés de tourisme à [Localité 5].

Concernant le quantum de l'amende, le premier juge a précisé prendre en compte le fait qu'une convention de cession a été signée le 18 juin 2019 entre la société et [Localité 5] Habitat OPH, organisme dépendant de la ville, en vue de la réalisation de la compensation.

A cet égard, la société intimée rappelle à juste titre que les démarches de rachat de commercialité ont été entamées assez tôt, avec des frais directs occasionnés de plus de 661.698,90 euros pour l'ensemble des appartements, l'autorisation ayant finalement été accordée le 6 janvier 2020.

Si la société intimée expose en vain que l'autorisation finalement accordée pour le changement vaudrait désistement, les démarches de la société CBCP doivent être prises en compte dans la fixation de l'amende.

Il faut toutefois aussi prendre en compte le gain généré par l'appartement, la ville rappelant, aux termes des nuitées retenues, un gain estimé de 109.640 euros.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le montant de l'amende ordonné par le premier juge apparaît adapté aux faits de l'espèce, tenant en compte à la fois du gain illicite mais aussi des démarches entreprises et du coût de la régularisation de la situation.

Dans ces conditions, la décision du premier juge sera confirmée en tous ses éléments, en ce compris les frais et dépens de première instance.

Ce qui est jugé en appel commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel, chacune des parties conservant la charge de ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/02502
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;22.02502 ?
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