Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRET DU 20 OCTOBRE 2022
(n°2022/ , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/01260 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7E5D
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Décembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/08182
APPELANTS
Monsieur [N] [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260
Syndicat SUD DES SERVICES POSTAUX PARISIENS représenté par Monsieur Pascal KRUPSKI, secrétaire général
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260
INTIMEE
SA LA POSTE
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Charles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Catherine BRUNET, Présidente de chambre ,chargée du rapport et Mme Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre.
Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de la formation
Mme Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,
Mme Lydie PATOUKIAN, Conseillère
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis.
Greffier, lors des débats : Mme Chaïma AFREJ
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé à ce jour,
- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [B] a été engagé par la société La Poste par contrat de travail du 8 avril 2005.
Considérant notamment qu'un rappel de complément Poste lui était dû, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 31 mai 2013, le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens intervenant volontairement. Cette juridiction par jugement du 20 décembre 2018 rendu en formation de départage auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a débouté M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de l'intégralité de leurs demandes, a rejeté la demande de la société La Poste au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [B] aux entiers dépens de l'instance.
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens ont interjeté appel de ce jugement le 15 janvier 2019. Cette déclaration d'appel ayant été enregistrée sous deux numéros de répertoire général (19/01270 et 19/01260), les deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 29 mars 2022 , seule subsistant la procédure N° RG19/01260.
Les parties ayant fait part à la cour de leur accord pour entrer en voie de médiation, une médiation a été ordonnée par ordonnance du 10 juillet 2020, l'affaire devant être rappelée à l'audience du 19 janvier 2021. A cette audience, l'affaire a été renvoyée au 16 février 2021, la médiation étant en cours. Par ordonnance du 16 février 2021, le conseiller de la mise en état a notamment ordonné le renouvellement de la mission de médiation pour une durée de trois mois à compter du 18 février 2021 et dit que l'affaire serait rappelée à l'audience du 15 juin 2021.
L'affaire a été renvoyée successivement aux audiences des 19 octobre et 16 décembre 2021.
A l'issue de la médiation, les parties ont conclu un protocole d'accord.
M. [B] occupait en dernier lieu le poste de pilote de production traitement à la Plateforme Industrielle Courrier (PIC) [Localité 5] Sud [Localité 6].
Il a exercé son droit de retrait du 23 mars au 10 avril 2020 et la société La Poste a procédé à la retenue du salaire afférent.
Par conclusions d'appelants comportant désistement partiel et demande d'homologation, transmises et notifiées par le RPVA le 17 juin 2022 par M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, il est demandé à la cour de :
- homologuer et donner force exécutoire à l'accord conclu entre les parties dans le cadre de la médiation, lequel sera annexé à l'arrêt à intervenir ;
En conséquence,
- leur donner acte de leur désistement de leurs demandes relatives au complément Poste ;
Ajoutant au jugement entrepris, sur le droit de retrait,
- condamner La Poste à verser à M. [B] les sommes suivantes :
* 659,14 euros à titre de rappel de salaire correspondant aux retenues injustifiées opérées au titre de l'exercice de son droit de retrait,
* 65,91 euros au titre de congés payés afférents,
* 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ayant résulté de la violation de son droit de retrait et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, ainsi que de l'exécution déloyale du contrat de travail,
* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner à La Poste de remettre à M. [B] un bulletin de salaire rectifié conforme à la décision à intervenir ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
- condamner La Poste à verser au syndicat SUD des Services Postaux Parisiens les sommes suivantes :
* 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, au titre de la violation du droit de retrait et de l'obligation de sécurité,
* 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la date de la demande de convocation portée devant le conseil de prud'hommes ;
- condamner La Poste aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives transmises et notifiées par le RPVA le 14 juin 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste demande à la cour de :
- lui donner acte de l'acceptation du désistement du salarié des demandes relatives au complément Poste ;
- débouter M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de l'intégralité de ses demandes formées devant la cour de céans ;
- homologuer et donner force exécutoire à l'accord conclu entre les parties dans le cadre de la médiation, lequel sera annexé à l'arrêt à intervenir ;
- y ajoutant, condamner les appelants au paiement chacun de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le salarié aux entiers dépens.
L'affaire a été communiquée au ministère public qui a indiqué par mention manuscrite sur le dossier le 14 juin 2022 : 'Vu le protocole d'accord (...) ne s'oppose'. Les parties ont reçu communication écrite de cet avis pour pouvoir y répondre utilement.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 juin 2022.
MOTIVATION
Sur les demandes relatives au complément Poste
Il résulte des dispositions de l'article 131-12 du code de procédure civile que les parties ou la plus diligente d'entre elles, peuvent soumettre à l'homologation du juge l'accord issu de la médiation.
Il ressort de l'échange des conclusions et des pièces de la procédure que les parties ont été régulièrement informées de leurs droits respectifs, que le protocole d'accord n'est pas contraire à l'ordre public, que devant la cour les parties en maintiennent les termes et en sollicitent l'homologation.
En conséquence, conformément à leur demande conjointe, le protocole d'accord annexé au présent arrêt sera homologué.
Par cette homologation, ledit protocole recevra force exécutoire et, à défaut d'être respecté par l'une ou l'autre des parties, il appartiendra à celle intéressée de faire procéder à l'exécution forcée du titre exécutoire.
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens se désistent de leurs demandes relatives au complément Poste ; la société La Poste accepte le désistement de M. [B].
Il convient de donner acte à M. [B] et au Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de leur désistement de leurs demandes relatives au complément Poste et à la société la Poste de son acceptation du désistement de M. [B] de ses demandes au titre du complément Poste.
Sur le droit de retrait
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent à titre principal que l'employeur ne peut pas apprécier lui-même la légitimité du droit de retrait exercé par les salariés mais doit, avant de procéder à des retenues de salaire, saisir le juge. A titre subsidiaire, ils font valoir que l'exercice de son droit de retrait était légitime car le risque de contamination constituait un danger grave et imminent et l'ensemble des mesures nécessaires pour prévenir le risque de contamination n'était pas pris sur la Plateforme Industrielle Courrier (PIC) [Localité 5] Sud [Localité 6] de sorte que M. [B] pouvait raisonnablement penser se trouver dans une situation de danger grave et imminent. Ils ajoutent que la procédure d'alerte 'danger grave et imminent' (DGI) mise en oeuvre justifie l'existence de ce motif raisonnable. Enfin, ils soulignent que le dispositif légal prévoit expressément que le droit de retrait, droit individuel, peut être exercé concomitamment par une collectivité de salariés dès lors qu'ils sont tous concernés par le danger grave et imminent.
En réponse, la société La Poste soutient en premier lieu que l'employeur ne doit pas saisir le juge préalablement à une retenue de salaire dès lors qu'il considère que l'exercice du droit de retrait n'était pas légitime. En second lieu, elle fait valoir que le droit de retrait exercé par M. [B] n'était pas légitime car le danger réel, grave et imminent dont le salarié doit rapporter la preuve n'est pas constitué par la crainte de développer une maladie ou de contracter un virus ce d'autant qu'elle démontre selon elle avoir mis en oeuvre des mesures de protection et de prévention suffisantes. En dernier lieu, elle ajoute que le déclenchement d'une alerte DGI peut être seulement un indice pour apprécier le bienfondé du droit de retrait mais ne peut pas en constituer une condition ou une démonstration. En outre, elle considère que le caractère collectif de la cessation concertée du travail par plusieurs salariés de la PIC [Localité 5] Sud [Localité 6] est antinomique avec l'exercice d'un droit de retrait qui a un caractère individuel.
L'exercice du droit de retrait et du droit d'alerte sont régis au sein de la société La Poste par les dispositions suivantes du décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste.
Aux termes de l'article 6, tout agent de La Poste signale immédiatement au responsable de La Poste toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Aucune sanction ne peut être prise ni aucune retenue de salaire faite à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux. La faculté ouverte par le premier alinéa du présent article doit être exercée en sorte qu'elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent. Le responsable de La Poste ne peut demander à l'agent de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent ou une défectuosité du système de protection. Le responsable de La Poste prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre au personnel, en cas de danger grave et imminent, d'arrêter son activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement les lieux de travail. Ces mesures tiennent compte de la situation des personnels travaillant isolément.
L'article 7 du décret prévoit que si un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment lorsqu'un agent a exercé son droit de retrait dans les conditions définies à l'article 6, il en avise immédiatement le responsable de La Poste et consigne cet avis dans le registre prévu à l'article 8. Le responsable de La Poste fait une enquête immédiate, accompagné du membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ayant signalé le danger. Le responsable de La Poste prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation et informe le comité des décisions prises. En cas de divergence sur la réalité du danger ou sur la façon de le faire cesser, le responsable de La Poste arrête les mesures à prendre, après avis du comité d'hygiène et de sécurité compétent réuni en urgence dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures. L'inspecteur du travail est obligatoirement saisi par le responsable de La Poste et assiste de plein droit à la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Après avoir pris connaissance de l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le responsable de La Poste arrête les mesures à prendre.
Il résulte de ces articles que les droits d'alerte et de retrait au sein de La Poste sont similaires à ceux prévus aux articles L. 4131-1 et suivants du code du travail et L. 4132-2 et suivants du même code.
Sur la saisine préalable du juge
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent que les dispositions précitées édictent un droit au profit du salarié fondé sur la protection de sa vie et de sa santé et que, dès lors, elles doivent être comprises comme faisant échec au pouvoir de direction de l'employeur de sorte qu'il ne peut pas appartenir à ce dernier d'apprécier lui-même la légitimité de l'exercice de ce droit de retrait car sinon le salarié serait privé de la protection dont la loi a pourvu ce droit.
Cependant, en premier lieu, la société La Poste fait valoir à juste titre qu'aucun texte ne dispose que préalablement à une retenue de salaire, l'employeur doit soumettre au juge l'appréciation de la légitimité du droit de retrait exercé par un salarié. En second lieu, le salarié tire des articles précités la possibilité de protéger sa vie et sa santé en cessant le travail de sa propre initiative et sans autorisation de l'employeur. Ce droit est renforcé par le fait qu'il ne peut pas subir de retenue de salaire dès lors qu'il avait un motif raisonnable de penser que la situation rencontrée présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Enfin, il dispose d'une possibilité de recours à l'encontre de la décision de l'employeur de retenir son salaire, le juge appréciant alors le caractère fondé ou non du droit de retrait de sorte que le salarié n'est pas privé de la protection disposée par les textes précités.
Sur la légitimité du droit de retrait
Le litige s'inscrit dans un contexte sanitaire particulier caractérisé comme le rappellent à juste titre le salarié et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens par le développement de la pandémie de Covid-19 à partir de la fin du mois de janvier 2020, par la décision le 14 mars 2020 de la fermeture des établissements ouverts au public dès lors qu'ils ne participent pas d'une activité essentielle à la vie de la nation et à compter du 17 mars 2020, par le confinement de la population.
M. [B] ayant exercé son droit de retrait du 23 mars au 10 avril 2020, il convient de rechercher si au cours de cette période, il avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Si la société La Poste développe en premier lieu les mesures qu'elle a selon elle mises en oeuvre de manière générale, il y a lieu de retenir comme périmètre d'analyse la PIC [Localité 5] Sud [Localité 6], lieu de travail du salarié.
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soutiennent qu'au cours de cette période, les mesures mises en oeuvre par la société La Poste étaient insuffisantes s'agissant des masques de protection, de la mise à disposition de gel hydroalcoolique et d'essuie-mains jetables, du non-respect des distanciations sociales et du contact avec les surfaces inertes ce que conteste la société La Poste.
Il résulte du compte rendu de la réunion du Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) du 17 mars 2020, que certains de ses membres se sont inquiétés du manque de masques, de gel hydroalcoolique, de gants, de produits désinfectants et d'une trop importante densité de personnel. Il est démontré par le salarié et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens par la production d'articles de presse que dès cette date, des interrogations se faisaient jour sur la transmission du virus par aérosols et sur sa survie sur des surfaces. De même, il ressort du compte rendu de la réunion du 20 mars 2020 de cette instance, qu'un des membres a fait état d'une publication médicale indiquant la durée de vie du virus sur différents supports en regrettant notamment l'absence de produits de nettoyage et des comptes rendus des réunion des 17 et 26 mars 2020, que le médecin présent a indiqué que la transmission du virus s'opérait par gouttelettes d'où la distance d'un mètre ou de manière manuportée d'où l'importance de se laver les mains, des gels hydroalcooliques et des lingettes jetables.
Or, le président du CHSCT qui est le directeur de la plateforme, a indiqué au cours de la réunion du CHSCT du 17 mars 2020 qu'il ne disposait que d'environ cinquante masques, que les agents n'auraient pas de gel hydroalcoolique hormis six points de gel hydroalcoolique sur l'ensemble de la PIC dont trois dans le hall de production. Il est constant que selon les propres déclarations du directeur de la PIC [Localité 5] Sud [Localité 6] lors de la réunion du CHSCT du 10 avril, les masques ont été livrés le 8 avril et que leur distribution a débuté à 22 heures 30. Ce fait est confirmé par son mail du 8 avril 2020 produit aux débats par la société La Poste dans lequel il précise : ' Dans ce cadre, la mise à disposition de kit de remise de masque à des agents qui en font la demande est désormais possible' ce qui implique que tel n'était pas le cas auparavant. S'agissant du gel hydroalcoolique, il ressort du compte rendu de la réunion du CHSCT du 26 mars qu'ils ont été mis en place à cette date. Les essuie-mains en papier n'étaient pas mis en place le 10 avril 2020 comme le révèle le compte rendu de la réunion du CHSCT. Enfin, s'agissant des distanciations sociales dont le médecin indiquait dès le 17 mars qu'elles devaient être d'un mètre, malgré une réorganisation du travail, les membres du CHSCT ont émis le 10 avril 2020 une réserve quant à l'effectif trop important présent en même temps. Cette difficulté à respecter une distance d'un mètre est confirmée par les attestations de salariés versées aux débats.
En réponse sur ces éléments, la société La Poste invoque en premier lieu les mesures qu'elle a selon elle prises en produisant deux documents (pièces 60 et 61) qu'elle a elle-même établis et qui ne peuvent pas contrer les constatations de la cour à partir notamment des comptes rendus des réunions du CHSCT signés par son président. Elle fait valoir ensuite qu'il ne peut pas lui être reproché d'avoir tardé à déployer des masques et des gels hydroalcooliques compte tenu des connaissances de l'époque et du bref délai entre le déclenchement du confinement et l'exercice du droit de retrait. Mais l'objet de la présente analyse n'est pas de rechercher si la société La Poste a commis un manquement mais si au moment de l'exercice du droit de retrait, M. [B] avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
Si la société La Poste produit aux débats un avis de l'inspection du travail pour la PIC [Localité 5] Nord Gonesse, aucun élément émanant de l'inspection du travail n'est communiqué aux débats concernant la PIC [Localité 5] Sud [Localité 6] hormis une lettre du 6 juillet 2020 adressée par l'inspectrice du travail compétente à M. [I], membre du CHSCT, affirmant qu'elle n'avait 'jamais indiqué à aucune des parties que les droits de retrait étaient injustifiés'.
M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens font valoir ensuite que le salarié justifie de ce motif raisonnable dès lors qu'une procédure d'alerte DGI initiée par un membre du CHSCT était en cours et qu'en l'espèce, cette alerte DGI du 17 mars 2020 a été levée lors de la réunion du 10 avril 2020. Il est établi que lors de la réunion du 17 mars 2020, les membres du CHSCT ont signalé un danger grave et imminent au sein de l'établissement soulignant que plusieurs mesures de prévention n'étaient pas appliquées ou ne pouvaient pas être appliquées sereinement sur la PIC en ces termes : ' le manque de produits désinfectants et de protections individuelles (masque, gants,,,) adaptés est alarmant pour la santé du personnel. De plus, le nombre bien trop élevé de présence humaine sur le site et le contact avec des individus extérieurs à l'entreprise augmente les risques de contamination et réduit les chances de traçabilité d'éventuelles contaminations ! (....) Nous déclarons le droit de retrait de l'ensemble du personnel de la PIC [Localité 6], le risque encouru porte atteinte à la santé, voire à la vie du personnel.' . Il est constant que lors du CHSCT du 10 avril 2020, les membres du CHSCT ont voté à l'unanimité la levée de l'alerte DGI tout en émettant des réserves. A juste titre la société La Poste rappelle l'articulation entre la procédure d'alerte et l'exercice d'un droit de retrait et en déduit que le déclenchement d'une alerte DGI peut être un indice pour apprécier le bienfondé du droit de retrait mais n'en constitue pas la démonstration. La cour constate à partir des éléments précités que la société a mis en oeuvre au fil des réunions du CHSCT des mesures correctives et que l'alerte DGI a été levée dès lors que ces mesures ont été considérées comme suffisantes par les membres de cette instance. Elle relève en outre que cette alerte émanant du CHSCT était un élément important d'appréhension par le salarié des risques encourus sur son lieu de travail dès lors que ce comité avait pour mission par application des dispositions des articles L. 4612-1 et L. 4612-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs et de procéder à l'analyse des risques professionnels.
Enfin, M. [B] et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens soulignent que la société La Poste ne peut pas valablement critiquer le caractère collectif de l'exercice du droit de retrait car elle l'a favorisé selon eux en remettant aux salariés des formulaires et en prenant attache avec eux pour les avertir qu'ils devaient reprendre le travail dès lors que l'alerte était levée. A juste titre, ils font valoir que selon l'article L. 4131-3 du code du travail, le droit de retrait peut être exercé par un groupe de travailleurs de sorte que la société La Poste ne peut pas valablement soutenir un caractère antinomique entre une cessation concertée de travail et l'exercice du droit de retrait. En outre, ils produisent aux débats des attestations de salariés affirmant que la société La Poste leur a indiqué comprendre qu'ils puissent exercer leur droit de retrait ou ne s'y est pas opposée ainsi que le texte d'un SMS adressé par la direction de la PIC de [Localité 6] leur indiquant la levée de l'alerte DGI et les informant de leur devoir de reprendre le travail. La réalité de ce message est confortée par les termes du mémoire produit par la société La Poste devant le tribunal administratif de Versailles, reproduits par le salarié et le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens dans leurs conclusions et non contestés.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. [B] avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres moyens.
En conséquence, la société La Poste ne pouvait pas retenir comme elle l'a fait son salaire pour la période considérée et elle sera condamnée à lui payer les sommes suivantes dont le montant exact n'est au surplus pas contesté :
- 659,14 euros à titre de rappel de salaire correspondant aux retenues injustifiées opérées au titre de l'exercice de son droit de retrait ;
- 65,91 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents.
Sur les dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ayant résulté de la violation de son droit de retrait et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, ainsi que l'exécution déloyale du contrat de travail
M.[B] soutient que la société La Poste a manqué à son obligation de prévention, qu'elle a retenu son salaire en violation de l'exercice du droit de retrait et qu'elle n'a pas exécuté le contrat de travail de bonne foi.
La société La Poste fait valoir s'agissant du manquement à l'obligation de sécurité qu'elle conteste, que M. [B] n'a en tout état de cause pas pu être victime de celui-ci pendant la période au cours de laquelle il a exercé son droit de retrait. Elle indique qu'il ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant de la retenue de salaire s'agissant de l'exercice du droit de retrait et conteste toute déloyauté dans l'exécution du contrat de travail.
En l'espèce, la cour a précédemment retenu que l'exercice du droit de retrait par le salarié était légitime de sorte que la société La Poste a violé les dispositions de l'article 6 du décret du 31 mai 2011 en retenant son salaire pour la période correspondante ce qui, s'agissant d'un droit afférent à la protection de sa santé, lui a créé un préjudice moral. M. [B] ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral distinct résultant d'un manquement à l'obligation de sécurité. Enfin, aux termes de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. Compte tenu de sa communication auprès des salariés, il sera retenu que la société La Poste n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail à ce titre.
Dès lors, la cour retient que M. [B] justifie suffisamment de l'existence d'un préjudice moral ayant résulté de la violation de son droit de retrait et de l'exécution déloyale du contrat de travail, qui sera réparé par l'octroi de la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession au titre de la violation du droit de retrait et de l'obligation de sécurité
Le Syndicat Sud des Services Postaux Parisiens soutient que la violation par la société la Poste des dispositions relatives au droit de retrait cause un préjudice direct à l'intérêt de la profession.
Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
En l'espèce, la retenue de salaire pratiquée alors que le salarié avait légitimement mis en oeuvre son droit de retrait a porté un préjudice à l'intérêt collectif de la profession. Le Syndicat ne justifie pas de l'existence d'un préjudice distinct résultant d'un manquement à l'obligation de sécurité. En conséquence, la société La Poste sera condamnée à payer au Syndicat Sud des Services Postaux Parisiens la somme de 50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession au titre de la violation du droit de retrait.
Sur la remise des documents
Il sera ordonné à la société La Poste de remettre à M. [B] un bulletin de salaire conforme à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie perdante à titre principal, la société La Poste sera condamnée au paiement des dépens.
Elle sera condamnée à payer à M. [B] la somme de 200 euros et au Syndicat Sud des Services Postaux Parisiens la somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur le cours des intérêts
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter du 4 avril 2022, date de la première demande de M. [B] par conclusions notifiées par voie électronique, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Vu le protocole d'accord intervenu entre les parties s'agissant du complément Poste,
Vu l'avis du ministère public,
HOMOLOGUE le protocole d'accord intervenu entre les parties annexé à la présente décision et lui confère force exécutoire,
DONNE acte à M. [N] [B] et au Syndicat Sud des Services Postaux Parisiens de leur désistement de leurs demandes relatives au complément Poste,
DONNE acte à la société La Poste de son acceptation du désistement de M. [N] [B] de ses demandes relatives au complément Poste,
Ajoutant au jugement,
CONDAMNE la société La Poste à payer à M. [N] [B] les sommes suivantes :
- 659,14 euros à titre de rappel de salaire correspondant aux retenues injustifiées opérées au titre de l'exercice de son droit de retrait ;
- 65,91 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,
avec intérêts à compter du 4 avril 2022 ;
CONDAMNE la société La Poste à payer à M. [N] [B] les sommes suivantes :
- 100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ayant résulté de la violation de son droit de retrait et de l'exécution déloyale du contrat de travail ;
- 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
CONDAMNE la société La Poste à payer au Syndicat Sud des Services Postaux Parisiens les sommes suivantes :
- 50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession au titre de la violation du droit de retrait ;
- 100 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
ORDONNE à la société La Poste de remettre à M. [N] [B] un bulletin de paie conforme à la présente décision,
DIT n'y avoir lieu à astreinte,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société La Poste aux dépens.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE