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19/10/2022 | FRANCE | N°21/20715

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 19 octobre 2022, 21/20715


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 19 OCTOBRE 2022



(n°41, 11pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 21/20715 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXPL



Décisions déférées : Sur renvoi après cassation (ch com 4 nov 2021) d'une ordonnance rendue le 27 novembre 2019 par le magistrat délégué du Premier Préident saisi sur appel d'une ordonnance rendue le 19 A

vril 2018 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL et sur recours à l'encontre des procès-verbaux de visite en date du ...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 19 OCTOBRE 2022

(n°41, 11pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/20715 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXPL

Décisions déférées : Sur renvoi après cassation (ch com 4 nov 2021) d'une ordonnance rendue le 27 novembre 2019 par le magistrat délégué du Premier Préident saisi sur appel d'une ordonnance rendue le 19 Avril 2018 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de CRETEIL et sur recours à l'encontre des procès-verbaux de visite en date du 26 avril 2018 clos à 20h et 22h10 pris en exécution de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention.

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Marie-Annick PRIGENT, Présidente de chambre à la Cour d'appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 64 du code des douanes ;

assistée de Véronique COUVET, Greffier lors des débats et de la mise à disposition ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 08 juin 2022 :

EASYSENT S.A.S.

Prise en la personne de son président

Immatriculée au RCS de Bobigny sous le n° 811 562 008

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 8]

Élisant domicile au cabinet de Me Belgin PELIT-JUMEL

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Assistée de Me Jean-fabrice BRUN, de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

DEMANDERESSE À LA SAISINE APRÈS CASSATION

APPELANTE ET REQUÉRANTE INITIALE

et

LA DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUÊTES DOUANIÈRES

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentée par Mme [B] [T], Inspectrice des douanes dûment mandatée

DÉFENDERESSE A LA SAISINE APRÈS CASSATION

INTIMÉE ET DÉFENDERESSE AUX RECOURS INITIALE

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 08 juin 2022, l'avocat de la requérante, et le représentant de l'Administration des douanes ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 19 Octobre 2022 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Faits et procédure

La société Easysent est spécialisée dans la réception, le stockage, le conditionnement, le contrôle et l'expédition de marchandises. Elle travaille principalement avec des expéditeurs chinois.

La société Bansard International est une société de logistique tierce, commissionnaire de transport.

Par ordonnance du 19 avril 2018, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil a rendu, en application de l'article 64 du code des douanes, une ordonnance autorisant des agents de l'administration des douanes à procéder à une visite et des saisies dans des locaux et dépendances, à usage professionnel ou privé, occupés par l'agence Bansard International situés à Aulnay-sous-Bois et Tremblay-en-France, dans l'entrepôt de stockage et de manutention mis à la disposition de la société Easysent par la société Bansard, et dans les locaux et dépendances de la société Easysent situés à Tremblay-en-France, afin de rechercher la preuve du délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 26 avril 2018.

Le 09 mai 2018, la société Easysent a relevé appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et formé trois recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.

Par ordonnance du 27 novembre 2019, le magistrat délégué par le Premier Président de ladite cour pour exercer les attributions résultant de l'article 64 du code des douanes, a :

' Ordonné la jonction des instances 18/09545 (appel), 18/09547, 18/09554 et 19/04802 (recours), qui seront regroupées sous le seul numéro de RG 18/09545 ;

' Confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil en date du 19 avril 2018 ;

' Déclaré régulières les opérations de visite et saisie du 26 avril 2018 effectuées :

dans les locaux de la société Easysent, situés au sein de la société Bansard International, sis à [Adresse 15] et sis [Adresse 4],

dans les locaux de l'agence en douane Bansard International, sis à [Adresse 15], et les entrepôts de stockage utilisés par la société Bansard International, sis [Adresse 15], la visite domiciliaire dans les locaux de l'agence en douane Bansard International, sis [Adresse 4],

dans les véhicules de M. [N] [X], président de la société Bansard International, immatriculés [Immatriculation 10], [Immatriculation 7], [Immatriculation 5].

' Déclaré irrégulières et nulles les opérations de visite et de saisie effectuées le 26 avril 2018 à partir de 9H35 dans les locaux de la société SAS Easysent, sis [Adresse 16] ;

' Dit que les pièces saisies telles qu'elles apparaissent sur le procès-verbal de la visite domiciliaire du 26 avril 2018 à partir de 9H35 dans les locaux de la société SAS Easysent, sis [Adresse 16] et listées sur l'annexe 3 « inventaire des éléments saisis » devront être restituées à la société Easysent.

' Ordonné la destruction de toute copie, sous quelque forme que ce soit, des documents dont la saisie est annulée ;

' Rejeté toute autre demande ;

' Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Dit que la charge des dépens sera supportée par la société appelante ;

Le 10 décembre 2019, le directeur général des douanes et droits indirects et la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) ont formé un pourvoi en cassation contre l'ordonnance rendue le 27 novembre 2019 par le Premier Président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15).

Le 12 octobre 2020, la société Easysent a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Par arrêt du 04 novembre 2021, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 27 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

La Cour de cassation a retenu que :

Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, qui est préalable,

« Vu l'article 64 du code des douanes :

Selon ce texte, le juge motive sa décision d'autorisation de visite et de saisie par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

Pour dire que l'autorisation de visite et de saisie était justifiée, l'ordonnance retient que le juge des libertés et de la détention a procédé à un examen concret des vingt-cinq pièces qui lui ont été soumises et en déduit qu'il existait des indices laissant apparaître des présomptions simples de l'existence d'infractions douanières, justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite domiciliaire.

En se déterminant ainsi, sans se prononcer sur la portée des pièces produites devant lui par la société Easysent susceptibles de remettre en cause les liens l'unissant à la société Bansard et la nature de son implication dans la constitution du délit reproché, tels qu'ils étaient décrits par l'administration des douanes dans sa requête présentée devant le juge des libertés et de la détention, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale. ».

Sur le bien fondé du moyen unique du pourvoi principal,

Vu l'article 64 du code des douanes :

« Selon ce texte, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant, qui en reçoit copie intégrale contre récépissé. En l'absence de l'occupant des lieux ou de son représentant, l'ordonnance est notifiée après la visite par lettre recommandée avec avis de réception. Une copie est adressée dans les mêmes formes à l'auteur présumé des délits douaniers.

Pour déclarer irrégulières et nulles les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société Easysent, l'ordonnance relève que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention indiquait qu'il avait le droit de se faire assister d'un conseil en sa qualité d'occupant des lieux mais non en celle d'auteur présumé des faits et en déduit que cette omission constitue une atteinte aux droits de la défense de la société, qui lui a causé un grief.

En statuant ainsi alors que l'article 64 du code des douanes n'exige pas que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention soit notifiée, lorsqu'il s'agit d'une seule et même personne présente au moment des opérations de visite, à ladite personne, d'une part en sa qualité d'occupante des lieux et, d'autre part, en sa qualité d'auteur présumé des délits douaniers poursuivis, le premier président de la cour d'appel, qui a relevé, d'un côté, que, selon le procès-verbal de l'administration des douanes, le représentant de la société Easysent avait été informé de son droit de faire appel à un conseil de son choix, sans que soit précisé en quelle qualité cet avis lui était notifié, de l'autre, que la société Easysent avait été destinataire, en sa qualité d'auteur présumé des faits, de l'ordonnance ayant autorisé la visite, du procès-verbal relatant les opérations de visite et de saisie ainsi que de l'inventaire des documents saisis, ce dont il résulte qu'aucune atteinte n'a été portée à l'exercice des droits de la défense, a violé le texte susvisé. ».

Par déclaration du 1er décembre 2021, la société Easysent a saisi le Premier Président de la cour d'appel de Paris en annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Créteil du 19 avril 2018 et des opérations de visite et de saisie qui en ont découlé.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la chambre le 25 mai 2022, la société Easysent demande de :

Vu les articles 38, 64, 65, 395, 412 et 414 du code des douanes,

Vu l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971,

Vu les articles 6 § 1 et 8 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales,

Vu les article 18, 70, 74, 77 et 170 du code des douanes de l'Union européenne, règlement n° 952/2013,

Sur l'appel de l'ordonnance du 19 avril 2018 :

' Annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Créteil du 19 avril 2018 et notamment en ce qu'elle a autorisé la DNRED à procéder aux opérations de visite et de saisie dans l'ensemble des lieux sollicités ;

Par voie de conséquence :

' Annuler les opérations de visite domiciliaire et de saisie autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention le 19 avril 2018 et réalisées le 26 avril 2018 ;

' Ordonner la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents dont la saisie est annulée, à charge pour l'administration de justifier de la destruction effective de ces documents dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

' Juger que passé ce délai, s'appliquera une astreinte de 2 000 euros par jour de retard jusqu'à la justification effective de la destruction de ces documents ;

' Juger que la Direction du Renseignement et des Enquêtes Douanières sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies ;

' Condamner la Direction du Renseignement et des Enquêtes Douanières à verser à la société Easysent la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur les recours contre les opérations de visite et de saisie du 26 avril 2018 :

' Prononcer l'irrégularité et annuler les opérations de visite domiciliaire et de saisie autorisées par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le 19 avril 2018 et réalisées le 26 avril 2018 au sein :

Des locaux de l'agence en douane Bansard International (Siret : 31074642500290) situés à [Adresse 15] ;

Des locaux de l'agence en douane Bansard International Bansard International (Siret : 31074642500209) situés [Adresse 4] ;

Des locaux de la société Easysent (Siren : 811 562 008), situés [Adresse 11] ;

Des entrepôts de stockage utilisés par la société Bansard International, situés [Adresse 15] ;

De l'entrepôt de stockage et manutention loué par la société Easysent au sein de l'entrepôt de la société Bansard International, situé [Adresse 15] ;

Les véhicules de Monsieur [L] [W], président de la société Easysent, immatriculés [Immatriculation 12], [Immatriculation 14], [Immatriculation 13] ;

Les véhicules de Monsieur [N] [X], président de la société Bansard International, immatriculés [Immatriculation 10], [Immatriculation 7], [Immatriculation 5].

En conséquence :

' Ordonner la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents dont la saisie est annulée, à charge pour l'administration de justifier de la destruction effective de ces documents dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;

' Juger que passé ce délai, s'appliquera une astreinte de 2 000 euros par jour de retard jusqu'à la justification effective de la destruction de ces documents ;

' Juger que la Direction du Renseignement et des Enquêtes Douanières sera rétroactivement réputée ne jamais avoir détenu les pièces saisies ;

' Condamner la Direction Générale du Renseignement et des Enquêtes Douanières à verser à la société Easysent la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe de la chambre le 28 avril 2022, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) demande de :

' Dire n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance de visite domiciliaire rendue le 19 avril 2018 par Madame le juge des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Créteil, et de la procédure subséquente ;

' Dire n'y avoir lieu à annulation des procès-verbaux de visite domiciliaire et de saisie et de la procédure subséquente ;

' Le tout en application des textes susvisés.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

SUR L'ORDONNANCE D'AUTORISATION DU JUGE DES LIBERTÉS ET DE LA DÉTENTION

La société Easysent soutient que :

' Les infractions présumées visées par l'Administration des douanes et retenues par le juge des libertés et de la détention dans son ordonnance ne sont pas des délits douaniers dont la recherche lui permettrait de procéder à une visite domiciliaire ;

' Le juge des libertés s'est fondé sur des éléments inexistants pour présumer l'existence d'une fraude ;

' La reconstitution de la valeur totale de la marchandise réalisée par l'Administration des douanes est dénuée de fondement ;

' L'Administration des douanes était en possession de documents démontrant que la société Bansard n'avait pas agi pour le compte de la société Easysent et n'en avait pas fait mention au juge des libertés et de la détention en 2018, qui a donc retenu des éléments de fait et de droit erronés dans son ordonnance pour autoriser les visites domiciliaires à l'encontre de la société Easysent ;

' Le juge des libertés et de la détention n'a pas mentionné la faculté pour la société Easysent de faire appel au conseil de son choix en tant qu'auteur présumé des infractions douanières, ce qui a porté atteinte aux droits de la défense, en particulier à son droit à l'assistance d'un avocat ;

' Le juge des libertés et de la détention n'a pas effectué de contrôle de proportionnalité quant à l'autorisation de la visite domiciliaire.

La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) répond que :

' L'ordonnance vise à présenter au juge les fraudes qui sont présumées avant la visite domiciliaire qui est destinée à rechercher ou confirmer le délit douanier ;

' En l'espèce, plusieurs anomalies avaient été détectées sur les factures et les faits décrits constituaient un faisceau sérieux d'indices qui laissaient présumer l'existence de délits douaniers ;

' Elle a eu recours à la méthode secondaire de détermination prévue à l'article 74 § 2a) du code des douanes de l'union, en l'absence de documents fiables justifiant de la valeur transactionnelle des marchandises ;

' Le juge des libertés et de la détention a autorisé les agents des douanes à procéder à une visite domiciliaire dans les locaux Easysent sur la base des informations recueillies lors des premières investigations ;

' L'ordonnance n'avait pas à porter la mention relative à la faculté de « l'auteur présumé » des infractions de faire appel à un conseil de son choix ;

' Les diligences prévues pour l'auteur présumé ont vocation à s'appliquer uniquement dans les cas où il n'est pas l'occupant des lieux ;

' Les investigations effectuées par les agents des douanes attestent, préalablement à la délivrance de l'ordonnance de visite domiciliaire, de la mise en 'uvre de mesures justes et proportionnées destinées à faciliter la manifestation de la vérité.

L'article 64 du code des douanes énonce que le juge motive sa décision d'autorisation de visite et de saisie par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée.

Sur le fondement juridique

Il appartient à l'administration des douanes de déterminer le fondement juridique sur lequel elle sollicite les mesures qu'elle réclame. En l'espèce, il résulte de l'ordonnance du JLD en date du 19 avril 2018 que les opérations contestées ont été sollicitées sur la base d'éléments laissant présumer l'existence de « fausses déclarations de valeur en douane commises à l'aide de fausses factures présentées à l'importation visant à minorer la valeur en douane et le montant des droits et taxes dues, ou à bénéficier indûment de franchises fiscales et douanières et fausses déclarations des destinataires/importateurs, visant à masquer l'activité commerciale du réel destinataire des marchandises à l'aide de documents faux, inexacts, incomplets ou inapplicables ». Ces faits constitutifs du délit prévu à l'article 426 3° du code des douanes et réprimés par l'article 414 du code des douanes autorisent le recours aux opérations de visite domiciliaire, la caractérisation de l'infraction n'ayant pas à être appréciée à ce stade de la procédure.

Les infractions visées dans la requête de l'Administration des douanes et sur le fondement desquelles les opérations de visite et de saisie ont été ordonnées sont susceptibles de constituer un délit et la procédure à cet égard est régulière.

Sur la méthode d'évaluation de la valeur en douane des marchandises

L'article 145 du règlement d'exécution n° 2015-2447 de la commission du 24 novembre 2015 prévoit que « la facture qui se rapporte à la valeur transactionnelle déclarée est requise comme document d'accompagnement ».

L'article 163 du code des douanes de l'Union précise que :

« 1. Les documents d'accompagnement exigés pour l'application des dispositions régissant le régime douanier pour lequel les marchandises sont déclarées sont en la possession du déclarant et à la disposition des autorités douanières au moment du dépôt de la déclaration en douane.

2. Des documents d'accompagnement sont fournis aux autorités douanières lorsque cela est exigé par la législation de l'Union ou que cela est nécessaire aux fins des contrôles douaniers. ».

Il appartient aux sociétés contrôlées de justifier de pièces permettant de corroborer la valeur déclarée des objets transportés. En l'espèce, en l'absence d'élément probant de nature à établir la valeur réelle des objets transportés, l'Administration douanière indique avoir eu recours à la méthode secondaire de détermination prévue à l'article 74 § 2a) du code des douanes de l'union.

Il résulte de l'ordonnance du JLD qu'au vu de l'ensemble des éléments recueillis, « les enquêteurs suspectent le déclarant en douane, la société Bansard International, de présenter volontairement et sciemment des fausses factures d'achat au moment du passage en douane afin de minorer la valeur en douane ou de solliciter des franchises douanières et 'scales, avec la complicité du logisticien Easysent, et d'autres sociétés notamment chinoises non identi'ées à ce jour. » (Pièce n° 3 des douanes, procès-verbal de saisie).

« Il est précisé qu'en-dessous d'un certain seuil, la minoration de la valeur permet de ne pas acquitter de droits de douane ou de TVA ou d'acquitter un montant de droits et taxes minoré, ce qui constitue un avantage concurrentiel. ».

Les 183 colis contenant 8 091 articles originaires de Chine ont été déclarés pour 17 935,85 $, équivalent à 15 128,58 €, alors que la valeur totale reconnue par l'administration est de 203 151,47 €. A cette valeur, seuls les frais intérieurs de livraison jusqu'aux entrepôts européens d'Amazon et la commission forfaitaire sur chaque vente n'ont pas été déduits.

L'article 141 du règlement d'exécution 2015/2447 de la Commission du 24 novembre 2015 précise, à propos de la valeur en douane de marchandises identiques ou similaires et de l'article 74 § 2, points a) et b), du code des douanes de l'Union, que :

I « lors de la détermination de la valeur en douane des marchandises importées conformément à l'article 74 paragraphe 2, point a) ou b) du code les douanes de l'Union, la valeur transactionnelle de marchandises identiques ou similaires, vendues au même niveau commercial sensiblement en même quantité que les marchandises à évaluer, est utilisée ;

En l'absence de telles ventes, la valeur en douane est déterminée par rapport à la valeur transactionnelle de marchandises identiques ou similaires vendues à un niveau commercial différent ou en quantité différente. Il convient d'ajuster cette valeur transactionnelle de manière à tenir compte des différences qu'auraient pu entrainer le niveau commercial et/ou la quantité.

2. La valeur transactionnelle est ajustée pour tenir compte des différences notables qui peuvent exister entre les frais afférents, d'une part, aux marchandises importées et, d'autre part, aux marchandises identiques ou similaires considérées, par suite de différences dans les distances et les modes de transport.

Lorsque plusieurs valeurs transactionnelles sont constatées pour des marchandises identiques ou similaires, on se réfère à la valeur transactionnelle la plus basse pour déterminer la valeur en douane des marchandises importées' ».

L'administration des douanes, a indiqué qu'à partir des numéros de « FBA » (fulfillment by Amazon) relevés sur les cartons et des données fournies par la société Amazon, ce qui correspond au prix de vente de produits identiques présents sur le site internet de la société Amazon, les enquêteurs ont établi que la valeur déclarée lors du dédouanement sur la base des factures présentées était sous-évaluée. Ainsi, pour les deux lots importés le 29 janvier 2018, les enquêteurs ont reconstitué une valeur totale de mise sur le marché de 203 151 euros, au lieu des 15 128 euros déclarés (pièce jointe n° 7 - annexe A au PV de saisie).

L'Administration des douanes produit un tableau (annexe A au procès-verbal de saisie des marchandises), non accompagné de pièces justificatives, présentant la réévaluation des objets effectuée par elle sans cependant préciser les modalités qui l'ont contrainte à retenir le prix de revente des articles sur le marché européen ce qui ne peut correspondre à la valeur transactionnelle des objets sur le fondement de laquelle les droits de douane sont fixés ni à la méthode préconisée par les textes en cas de suspicion de fraude sur la valeur déclarée.

Sur les éléments de fait laissant présumer l'existence d'une fraude

M. [U], responsable opérationnel de la société Easysent, a indiqué lors de son audition le 26/10/2017, par les autorités douanières, que la société Easysent, est commissionnaire de transport et à ce titre, organise le transport depuis la Chine jusqu'à la livraison finale des marchandises en Europe sans prendre en charge les marchandises, qu'elle travaille avec le transitaire Bansard, et que le client chinois choisit le prestataire du dernier kilomètre.

Il a ajouté que les informations nécessaires au dédouanement sont renseignées par le biais d'un logiciel par le client chinois, avant le départ de Chine des marchandises.

Il a été demandé à M. [U] si la société Easysent était en charge de transmettre les paiements des destinataires finaux en France aux clients en Chine. Il a répondu par la négative en ce que la société Easysent ne gérait pas la partie produit, le client ne payant que la partie logistique (pièce 2.3 des douanes).

L'administration des douanes a reconnu dans ses conclusions que si la société Easysent a été en contact avec l'expéditeur chinois pour la réalisation des formalités douanières et la livraison des marchandises au destinataire final, ceci n'en faisait pas pour autant un importateur ou le destinataire final des marchandises.

En droit, lorsqu'une déclaration en douane est établie sur la base de données erronées qui conduisent à ce que les droits légalement dus ne sont pas perçus en totalité ou en partie, les personnes qui ont fourni les données nécessaires à l'établissement de la déclaration, en ayant ou en devant avoir raisonnablement connaissance que ces données étaient fausses, peuvent également être considérées débitrices, conformément aux dispositions nationales en vigueur.

Deux factures portant un même numéro et relatives à des marchandises différentes sur lesquelles la société Bansard a été dans l'impossibilité de donner des explications sont produites sans établir le rôle de la société Easysent sur ce point.

Sur l'existence d'une procuration douanière donnée par la société Easysent à la société Bansard

Il résulte de l'ordonnance du JLD que la société Bansard a agi pour le compte de la société Easysent au vu du mandat de représentation en douane.

Il est versé aux débats un mandat de représentation en douane non daté aux termes duquel la société Easysent autorise la société Bansard à la représenter pour des opérations douanières. Il n'est cependant justifié que d'une seule opération de cette nature entre les deux sociétés en date du 3 février 2016.

En revanche, il est versé de nombreuses déclarations d'importation émanant d'expéditeurs chinois et comme destinataire la société Gem Fully, ayant donné pouvoir à la société Bansard de la représenter en douane, par acte du 3 mars 2018, le mandat étant d'une durée d'un an renouvelable. Ces déclarations démontrent le mécanisme des déclarations d'importation sur lesquels apparaissent l'expéditeur et le destinataire des marchandises ainsi que le déclarant en douane avec son numéro d'agrément et son mode de représentation.

L'Administration des douanes qualifie le mandat produit de général mais reconnaît que la société Easysent n'était ni l'expéditeur ni le destinataire des objets litigieux soumis aux droits douaniers.

Ce seul mandat est insuffisant pour établir que dans les opérations, objet du contrôle, la société Bansard agissait pour le compte de la société Easysent.

Les éléments recueillis par l'Administration des douanes sont en conséquence insuffisants pour caractériser l'existence de présomptions d'agissements frauduleux imputables à la société Easysent et ayant justifiant la mesure ordonnée par le JLD.

En conséquence, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil en date du 19 avril 2019 sera annulée ainsi que les opérations de visite et de saisie subséquentes en date du 26 avril 2019. Les pièces saisies seront restituées à la société Easysent et les copies détruites sans qu'il y ait lieu de prononcer d'astreinte.

Sur les demandes annexes

La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières sera condamnée à payer à la société Easysent la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Il résulte des termes de l'article 367 du code de douanes, qu' « en matière douanière, en première instance et sur appel, l'instruction est verbale sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre »,

En conséquence, chaque partie conservera la charge de ses dépens.

PAR CES MOTIFS

Annulons en toutes ses dispositions l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil en date du 19 avril 2018,

Annulons les opérations de visite domiciliaire et de saisie autorisées par l'ordonnance du 19 avril 2018,

Ordonnons la restitution à la société Easysent des pièces saisies lors de la visite domiciliaire du 26 avril 2018 telles qu'elles ressortent de l'inventaire des éléments saisis,

Ordonnons la destruction de toute copie sous quelque forme que ce soit des documents dont la saisie est annulée,

Rejetons tout autre demande,

Condamnons la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières à payer à la société Easysent la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Disons que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

LA GREFFIÈRE

Véronique COUVET

LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRÉSIDENT

Marie-Annick PRIGENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 21/20715
Date de la décision : 19/10/2022
Sens de l'arrêt : Annulation

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-19;21.20715 ?
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