Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 19 OCTOBRE 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/01104 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7EFW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F15/02825
APPELANTE
SA ASL AIRLINES FRANCE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Georges LACOEUILHE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0105
INTIME
Monsieur [J] [D]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Anne MEZARD, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 28 avril 2022.
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Après un stage de formation effectué du 15 novembre 2004 au 20 décembre 2004, M. [J] [D] a été engagé par la compagnie aérienne Europe Air Poste, aux droits de laquelle vient la société anonyme (SA) ASL Airlines, en qualité d'officier pilote de ligne, initialement selon plusieurs contrats de travail à durée déterminée pour une période comprise entre le 16 décembre 2004 et le 15 octobre 2007. Il a ensuite bénéficié d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2007, toujours en qualité d'officier pilote de ligne.
La SA ASL Airlines opère pour l'essentiel avec des Boeings 737-300, avions convertibles transportant du Fret express la nuit et des passagers le jour. Elle est, également, une des premières compagnies régionales françaises.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 18 mai 2010, à effet au 1er mai, M. [J] [D] est devenu commandant de bord C3, dans le cadre d'un régime de travail intermittent à 75 %.
À compter du mois de décembre 2017, il a exercé son activité dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein.
Les relations contractuelles étaient régies par l'accord d'entreprise du Personnel Navigant Technique.
Le 17 juin 2013, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny, dans sa section Encadrement, d'une demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée et du contrat de travail intermittent en un contrat de travail à temps complet, ainsi que de demandes de dommages-intérêts pour non-respect de la liste de séniorité, pour perte sur FONGEPAR, préjudice de déclassement et préjudice de carrière, inégalité de traitement et harcèlement, perte de droits à la retraite.
Le 22 septembre 2016, l'affaire a été renvoyée devant la formation de départage.
Le 7 décembre 2018, le juge départiteur statuant seul à :
- déclaré l'action en requalification du contrat à durée déterminée conclu le 16 décembre 2004 recevable
- requalifié le contrat à durée déterminée conclu le 16 décembre 2004 entre M. [J] [D] et la société ASL Airlines, anciennement dénommée Europe Airpost, en contrat à durée indéterminée
- requalifié le contrat à durée indéterminée intermittent conclu le 18 mai 2010 entre M. [J] [D] et la société ASL Airlines en contrat de travail à temps plein
- condamné la société ASL Airlines à payer à M. [J] [D] les sommes de :
* 120 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de l'application illicite du contrat intermittent
* 15 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir de meilleurs droits à la retraite
* 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'erreur dans la liste de séniorité
* 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la sanction illicite du 26 septembre 2017
- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
- condamne la société ASL Airlines à payer à M. [J] [D] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles
- condamne la société ASL Airlines aux dépens.
- ordonne l'exécution provisoire.
Par déclaration du 11 janvier 2019, la SA ASL Airlines a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 14 décembre 2018.
Le 15 janvier 2019, M.[J] [D] a, également, interjeté appel de la décision de première instance.
Par une ordonnance du magistrat chargé de la mise en état les deux appels ont été joints sous le n°RG 19/01104.
Le 28 janvier 2021, M. [J] [D] s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude dans les termes suivants :
"Par la présente, nous vous informons que nous sommes dans l'obligation de vous licencier pour impossibilité de reclassement à la suite de l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail.
Vous avez, en effet, été déclaré inapte à votre poste de Pilote de Ligne par le Conseil Médical de l'Aéronautique Civile le 23 septembre 2020, décision confirmée par le médecin du travail à l'issue d'une visite de reprise qui s'est tenue le 18 novembre 2020 dans les termes suivants : « Le salarié pourrait occuper un poste au sol. Le salarié peut bénéficier d'une formation compatible avec ses capacités restantes sus-mentionnées ».
En conformité avec les conclusions du médecin du travail nous avons recherché dans l'ensemble de la Compagnie les postes disponibles afin de procéder à votre reclassement.
Après identification des postes disponibles tenant compte des conclusions du médecin du travail et consultation des membres du CSE le 10 décembre 2020, nous vous avons proposé par courrier du 18 décembre 2020, les postes d'Agent d'Opérations rattachés à la Direction des Opérations Aériennes en horaire décalé à temps complet. Contrat CDI et contrat en CDD. Statut Agent de Maîtrise. Coefficient E 260. durée du travail : 35 heures/semaine. Rémunération mensuelle brute de base : 2 000 euros.
Nous avons joint à notre courrier la fiche de poste correspondante et vous demandions de nous faire part de votre décision sur cette proposition avant le 7 janvier 2021 en vous précisant que l'absence de réponse équivaudrait à un refus de celle-ci.
Le 8 janvier 2021, n'ayant pas reçu de réponse de votre part à notre proposition, nous avons été contraints de considérer que vous la refusiez. N'ayant pas d'autres postes disponibles à vous proposer, nous étions dans l'impossibilité de vous reclasser.
Nous vous avons enfin convoqué à un entretien préalable par courrier du 12 janvier 2021, entretien auquel vous ne vous êtes pas présenté.
En conséquence, ne disposant toujours pas d'autres postes de reclassement compatibles avec les conclusions du médecin du travail à vous proposer, d'autant plus en cette période où le secteur aérien est très fortement impacté par la crise épidémique (Covid 19), nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour impossibilité de reclassement à la suite de votre avis d'inaptitude à occuper votre emploi ».
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 17 juin 2022, aux termes desquelles la SA ASL Airlines demande à la cour d'appel de :
A titre principal
- infirmer le jugement rendu le 7 décembre 2018 en ce qu'il a :
« * déclaré l'action de M. [D] recevable
* requalifié le contrat à durée déterminée conclu le 16 décembre 2004 en contrat à durée indéterminée
* requalifié le contrat à durée indéterminée intermittent conclu le 18 mai 2010 en contrat de travail à temps plein
* condamné ASL Airlines à payer à M. [D] :
120 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de l'application du contrat intermittent
15 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir de meilleurs droits à la retraite
10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'application de la liste de séniorité
5 000 euros en réparation du préjudice résultant de la sanction du 26 septembre 2017
1 500 euros au titre des frais irrépétibles
* dépens de l'instance »
Et statuant à nouveau :
- dire l'action de M. [D] tendant à la requalification en CDI du CDD passé le 16 décembre 2004 atteinte par la prescription
- débouter Monsieur [D] de l'intégralité de ses demandes
- condamner Monsieur [D] à payer à la société ASL Airlines la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner Monsieur [D] aux entiers dépens
A titre subsidiaire
- débouter M. [D] des demandes qu'il forme au titre :
* du préjudice de reconstitution de carrière
* des pertes de gains alléguées du fait du contrat intermittent
* des pertes de gains alléguées au titre d'un passage considéré comme tardif aux fonctions de commandant de bord
* de sa demande d'annulation du licenciement
* de l'indemnité d'éviction
* des rappels de salaire au titre de la période couverte par la nullité du licenciement
* d'un prétendu harcèlement et d'un traitement inégalitaire
* d'une sanction déguisée
* d'un complément d'indemnités
* de la prétendue perte de droits à la retraite
* préjudice de carrière résultant d'un non-respect de la liste de séniorité
* d'un préjudice résultant du non-respect de l'obligation de reclassement
* des prestations complémentaires durant son arrêt de travail
- réduire les prétentions indemnitaires de Monsieur [D] à de plus justes proportions.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 16 juin 2022, aux termes desquelles
M. [J] [D] forme appel incident et demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
" * requalifié en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée signé par Monsieur [D] le 16 décembre 2004
* requalifié en contrat de travail à temps complet à durée indéterminée le contrat de travail intermittent signé par Monsieur [D] le 18 mai 2010
* dit que le préjudice de carrière résultant du non-respect de la liste de séniorité subi par
Monsieur [D] et qui ne lui a pas permis d'accéder à la fonction de Commandant de Bord
aux lieu et place de Monsieur [G] doit être entièrement réparé"
- réformant le jugement entrepris pour le surplus à savoir en ce qu'il a :
"* condamné la société ASL Airlines à payer à Monsieur [J] [D] les sommes de :
120 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de l'application du contrat intermittent
15 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir de meilleurs droits à la retraite
10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'application de la liste de séniorité
5 000 euros en réparation du préjudice résultant de la sanction du 26 septembre 2017
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
condamné la société ASL Airlines à payer à Monsieur [J] [D] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles".
Statuant à nouveau,
A titre principal
- condamner ASL Airlines à verser à Monsieur [D] :
* au titre du rappel de salaire résultant de la reconstitution de carrière après requalification du contrat à durée déterminée du 16 décembre 2004 en contrat à durée indéterminée, la somme brute de 130 426,40 euros, outre 13 042,64 euros au titre des congés payés afférents et 10 868,87 euros au titre du 13ème mois afférent
* au titre du rappel de salaire résultant de cette reconstitution de carrière pour les périodes
non-travaillées entre les différents contrats de travail à durée déterminée, la somme brute de 32 154,92 euros, outre 3 215,49 euros au titre des congés payés afférents et 2 679,58 euros au titre du 13 ème mois afférent
* au titre du rappel de salaire résultant de cette reconstitution de carrière pour la prime
différentielle due, la somme brute de 89 648,58 euros, outre 8 964,86 euros au titre des congés payés afférents et 6 896,04 euros au titre du 13ème mois afférent
* au titre de l'indemnité de requalification, la somme de 5 514,62 euros
* au titre du rappel de salaire résultant de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet, la somme brute de 218 176 euros, outre 21 817,60 euros au titre des congés payés afférents et 18 181,33 euros au titre du 13ème mois afférent
* au titre de la perte de chance résultant du retard de quatre ans dans l'accès à la fonction de commandant de bord, la somme de 228 544,28 euros de dommages et intérêts
* au titre du préjudice résultant de la mise en 'uvre d'une sanction illicite et déguisée et de ses conséquences, la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts
* au titre de la réparation du préjudice moral résultant du harcèlement dont Monsieur [D] a été victime, la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts
* au titre de la réparation du préjudice moral résultant de la discrimination dont Monsieur
[D] a été victime, la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts
* au titre de l'indemnité compensatrice résultant des congés payés imposés par la société ASL Airlines à Monsieur [D], la somme brute de 13 975,26 euros, outre 1 164,61 euros au titre du 13ème mois afférent
* au titre des garanties maintien de rémunération pendant l'arrêt maladie du mois d'octobre 2019 au mois de janvier 2021, la somme de 27 623,70 euros
- juger nul le licenciement de Monsieur [D]
- condamner la société ASL Airlines à verser à Monsieur [D] :
* au titre de l'indemnité d'éviction de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la somme de
147 733,56 euros
* au titre du rappel de salaire dû sur la période couverte par la nullité du licenciement, la
somme brute de 184 666,95 euros, outre 18 466,70 euros au titre des congés payés afférents et 15 388,91 euros au titre du 13ème mois afférent
* au titre du complément d'indemnité de licenciement, la somme de 39 105,96 euros
* au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, la somme brute de 35 936,37 euros, outre 3 593,64 euros au titre des congés payés afférents et 2 994,70 euros au titre du 13ème mois afférent
Sur le licenciement, à titre subsidiaire, et si la cour ne faisait pas droit à la demande de
nullité du licenciement
- juger que la société ASL Airlines n'a pas respecté son obligation de reclassement
- condamner la société ASL Airlines à verser à Monsieur [D]
* à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 147 733,56 euros
* au titre du complément d'indemnité de licenciement, la somme de 39 105,96 euros
* au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, la somme brute de 35 936,37 euros, outre 3 593,64 euros au titre des congés payés afférents et 2 994,70 euros au titre du 13ème mois afférent
En tout état de cause
- condamner la société ASL Airlines à délivrer à Monsieur [D], dans le mois suivant la décision à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, des bulletins de paie conformes aux différentes requalifications intervenues, c'est à dire des bulletins de salaire depuis le mois de décembre 2006 rectifiant la catégorie de classement, mentionnant le salaire correspondant et tenant compte à partir du mois de mai 2010 de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein, ainsi qu'un solde de tout compte rectifié
- condamner la société ASL Airlines à régulariser la situation auprès de l'URSSAF et de la CRPNAC en application de l'article L. 6527-1 du code des transports
- débouter la société ASL Airlines de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes
- condamner la société ASL Airlines au titre de l'article 700 du code de procédure civile à verser à Monsieur [D] la somme de 7 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée le 21 juin 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur la requalification en contrat de travail à durée indéterminée des contrats à durée déterminée successifs signés par le salarié entre le 16 décembre et le 15 octobre 2007
Selon l'article L. 122-1-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige :
« Le contrat de travail ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas suivants :
1° Remplacement d'un salarié en cas d'absence, de passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur, de suspension de son contrat de travail, de départ définitif précédant la suppression de son poste de travail ayant fait l'objet d'une saisine du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe, ou en cas d'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;
3° Emplois à caractère saisonnier (...)
4° Remplacement d'un chef d'entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d'une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l'activité de l'entreprise à titre professionnel et habituel ou d'un associé non salarié d'une société civile professionnelle, d'une société civile de moyens ou d'une société d'exercice libéral ;
5° Remplacement d'un chef d'exploitation agricole ou d'entreprise tels que définis aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 du code rural, d'un aide familial, d'un associé d'exploitation, ou de leur conjoint visé à l'article L. 722-10 du même code dès lors qu'il participe effectivement à l'activité de l'entreprise ou de l'exploitation agricole ».
Il résulte de la combinaison des articles L. 122-3-1 et L. 122-3-13 du code du travail, devenus les articles L. 1242-12 et L. 1245-1 du même code, qu'est réputé à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée qui ne comporte pas la définition précise de son motif et que cette exigence de précision quant à la définition du motif implique nécessairement que le nom et la qualification du salarié remplacé figurent dans le contrat lorsqu'il s'agit de l'un des cas visés au 1º de l'article L. 122-1-1 devenu le 1° de l'article L. 1242-2 du Code du travail
M. [J] [D] sollicite la requalification en contrat à durée indéterminée les contrats de travail à durée déterminée successifs signés avec l'employeur :
- du 16 décembre 2004 au 31 octobre 2005 en remplacement d'un salarié affecté sur un autre poste
- du 19 décembre 2005 au 25 décembre 2005 en remplacement d'une salariée en congés payés
- du 23 janvier 2006 au 5 février 2006 en remplacement d'un salarié en formation
- du 6 février 2006 au 12 février 2006 en remplacement d'un salarié en congé maladie
- 1er mars 2006 au 31 mars 2006 en remplacement d'une salariée promue commandant de bord temporaire
- du 12 avril 2006 au 31 octobre 2006 en raison d'un surcroît d'activité lié à la réalisation de nouvelles lignes provisoires de transport de passagers
- du 6 janvier 2007 au 10 janvier 2007 pour remplacer une salariée en congés payés
- du 11 janvier 2007 au 13 janvier 2007 pour remplacer un salarié en congés payés
- du 1er février 2007 au 15 octobre 2007 en raison d'un surcroît d'activité lié à la réalisation de nouvelles lignes provisoires de transport de passagers
En effet, il observe que le premier contrat a été conclu au motif du remplacement de M. [S], qui était affecté à un autre poste, ce qui ne correspond pas à l'un des motifs de recours à un salarié en contrat de travail à durée déterminée visé à l'article L. 122-1-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige. En outre, il est relevé que l'employeur n'a pas satisfait à l'obligation de mentionner, dans le contrat de travail à durée déterminée signé le 16 décembre 2004, la qualification de la personne remplacée, pas plus que dans les contrats postérieurs.
Le salarié fait, également, grief à l'employeur de ne pas avoir respecté le délai de carence entre le contrat à durée déterminée qui s'est conclu, le 31 octobre 2006 au motif d'un surcroît d'activité, et celui signé le 6 janvier 2007 pour assurer le remplacement d'une salariée.
Le salarié souligne que l'examen des motifs des contrats à durée déterminée qui ont été proposés de manière successive permet de comprendre qu'il ne s'agissait nullement de pourvoir des absences inopinées mais de remplir durablement des postes de travail de pilote de ligne liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
En réponse, la SA ASL Airlines demande, à titre liminaire, que l'action du salariée soit dite prescrite de ce chef en application de l'article L. 1471-1 du code du travail.
Sur le fond, elle affirme que M.[S] a bien été absent à son poste de travail dans le cadre d'une promotion précédée d'une période d'adaptation, puisqu'il avait bénéficié d'un avancement pour passer de pilote de ligne à commandant de bord. Elle ajoute que la qualification du salarié remplacé figurait bien sur le contrat de travail (pièce 2) et qu'il en était de même s'agissant des contrats suivants. Enfin, il est souligné que lorsqu'un contrat de travail à durée déterminée pour remplacement succède à un contrat à durée déterminée pour surcroît d'activité il n'y a pas lieu de faire application du délai de carence puisque le salarié n'est pas employé sur le même poste.
Concernant la recevabilité de l'action en requalification, il est rappelé que lorsque cette action est fondée sur la contestation du motif de recours au contrat à durée déterminée, le point de départ du délai est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat. En l'espèce, le dernier contrat à durée déterminée s'étant achevé en octobre 2007, il apparaît que postérieurement à cette date le délai de prescription a été abrégé à deux reprises.
La loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 a réduit le délai de prescription trentenaire à un délai de 5 ans, de telle sorte que le nouveau délai butoir était le 19 juin 2013 et la loi du 14 juin 2013 entrée en vigueur le 17 juin 2013, a prévu que toute action portant sur l'exécution du contrat se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Les dispositions transitoires ont, aux termes de ces deux textes, expressément confirmé que les dispositions nouvelles s'appliquent aux prescriptions en cours, à compter de la date de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Compte-tenu des dispositions transitoires, précédemment rappelées, c'est à bon droit que le premier juge a déclaré recevable l'action en requalification du contrat de travail à durée déterminée puisque la saisine du conseil de prud'hommes est intervenue le 17 juin 2013, soit deux jours avant la fin du délai de la prescription quinquennale prévue par la loi du 17 juin 2008.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a dit l'action en requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée recevable.
Sur le fond, la cour retient que le motif invoqué dans le contrat signé le16 décembre 2004 était le remplacement de M. [S] « promu au grade de Commandant de Bord » et que si une « absence liée à une promotion précédée d'une période d'adaptation » est bien un motif de recours admis à un contrat de travail à durée déterminée, encore faut-il que l'employeur justifie de l'existence de cette période d'adaptation qui aurait motivé l'engagement de
M. [J] [D] pendant une période de 10 mois et demi. À défaut pour la SA ASL Airlines de de satisfaire à la charge de la preuve qui lui incombe s'agissant du motif de remplacement, alors qu'il est indiqué par le salarié que M. [S] a été "lâché" Commandant de Bord dès le 23 janvier 2005, soit seulement un mois après la signature du contrat de travail à durée déterminée, c'est à bon escient que le premier juge a fait droit à la demande de requalification formée par le salarié.
2/ Sur les demandes de rappel de salaire, d'indemnités et de prime au titre de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
2-1 Sur la demande de rappel de carrière au titre de la reconstitution de carrière
Par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié étant réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de la SA ASL Airlines, il est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de ce chef et il lui sera alloué une somme de 130 426,40 euros à titre de rappel de salaire, outre 13 042,64 euros au titre des congés payés afférents, et
10 868,87 euros à titre de rappel de 13ème mois, conformément à ses demandes et au tableau qu'il joint aux débats (pièce 90).
2-2 Sur la demande de rappel de prime différentielle et de 13 ème mois
Le salarié étant réputé avoir été engagé en contrat à durée indéterminée à compter du 16 décembre 2004, il est bien fondé à revendiquer un rappel de salaire au titre de la prime différentielle, correspondant à 6 Unités d'Activité, versée aux Personnel Navigant Technique (PNT) engagé avant le 28 février 2006, ainsi que le prévoit l'article 3.3.4 de l'accord d'entreprise PNT (pièce 74).
Il lui sera donc accordé à titre de rappel de prime une somme de 89 648,58 euros, outre 8 964,86 euros au titre des congés payés afférents et 6 896,04 euros au titre du 13ème mois afférent.
2-3 Sur la demande de rappel de salaire pour les périodes interstitielles
M. [J] [D] revendique un rappel de salaire de 32 154,92 euros, outre
3 215,49 euros, et 2 676,58 euros au titre du 13ème mois pour les périodes interstitielles entre deux contrat de travail à durée déterminée en soulignant que celles-ci n'ont jamais excédé un mois et demi, ce qui ne lui laissait aucune possibilité de trouver un autre emploi.
Mais à défaut pour le salarié de démontrer qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur durant ces périodes, il sera débouté de sa demande de rappel de salaire de ce chef.
2-4 Sur l'indemnité de requalification
Il sera, également, alloué à M. [J] [D] une somme de 5 514,62 euros à titre d'indemnité de requalification, conformément à sa demande, à défaut de discussion de l'employeur sur ce montant.
3/ Sur la requalification du contrat à durée indéterminée intermittent conclu le 18 mai 2010 en un contrat de travail à temps plein
Selon l'article L. 3123-31, dans sa version applicable au litige, « Dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ».
L'article L. 3123-33 du même code prévoyait :
« Le contrat de travail intermittent est un contrat à durée indéterminée. Ce contrat est écrit.
Il mentionne notamment :
1° La qualification du salarié ;
2° Les éléments de la rémunération ;
3° La durée annuelle minimale de travail du salarié ;
4° Les périodes de travail ;
5° La répartition des heures de travail à l'intérieur de ces périodes ».
Il résulte de ces dispositions que le recours au contrat de travail intermittent est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir :
- l'existence d'un accord d'entreprise ou d'établissement,
- la définition par cet accord des emplois permanents susceptibles d'être pourvus par des contrats de travail intermittent,
- le constat que les emplois permanents comportent, par nature, une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées.
M. [J] [D] explique que la compagnie ASL Airlines a imaginé, il y a quelques années, de proposer à ses pilotes souhaitant accéder à la fonction de Commandant de Bord des contrats de travail intermittent. Elle a intégré dans l'accord collectif du personnel navigant technique de l'entreprise un titre XII intitulé « Travail à temps intermittent » ayant pour objet de « réglementer la relation entre la Compagnie Europe Airpost et les salariés recrutés en CDI intermittent pour les catégories Commandant de Bord et Officier Pilote de Ligne ».
Cependant, la compagnie n'a procédé à aucun recrutement en contrat à durée indéterminée intermittent mais a proposé à des salariés Pilotes de Ligne, à temps plein, d'accéder à la fonction de Commandant de Bord en signant un contrat à durée indéterminée intermittent. Initialement ce contrat de travail intermittent n'était imposé que pour quelques mois, voire une année, avant que les salariés concernés n'accèdent à la fonction de Commandant de bord. Mais, à compter de l'année 2010, les Officiers Pilotes de Ligne devenus Commandant de Bord selon ce régime, ont été maintenus sous un régime d'intermittence pendant plusieurs années.
C'est ainsi, que M. [J] [D] ne s'est vu proposer un contrat à durée indéterminée à temps plein qu'à compter de décembre 2017, soit après plus de 7 ans passés en intermittence.
Le salarié soutient que cette pratique du contrat à durée indéterminée intermittent par l'employeur était illicite puisque ce mode de contrat suppose l'existence d'une alternance entre des périodes travaillées et des périodes non travaillées ce qui ne correspond pas à l'activité d'une compagnie aérienne pour laquelle il n'existe pas de période non travaillées, mais simplement des périodes d'activité moins denses.
La SA ASL Airlines fait valoir, pour sa part, que l'usage du contrat à durée indéterminée intermittent répondait bien aux trois conditions cumulatives requises, puisqu'il était prévu par un accord collectif, qu'il précisait les catégories d'emplois permanents susceptibles d'être concernées par ce contrat et que l'activité connaissait des fluctuations sur l'année liées à l'activité touristique l'autorisant à recourir à ce type de contrat.
En l'espèce, la cour retient qu'il est justifié que la pratique du contrat à durée indéterminée intermittent était bien prévu par un accord collectif d'entreprise et qu'elle concernait des catégories précises de salariés, qu'en conséquence les deux premières conditions pour recourir à ce type de contrat étaient remplies. Il convient de considérer, en revanche, que si l'activité de transport de passagers de la société appelante était bien soumise à une variation saisonnière, avec une augmentation du trafic entre avril et septembre, le convoyage de fret était, quant à lui, quasiment constant sur l'ensemble de l'année. Or, M. [J] [D] assurait un nombre important de vols « cargo » non affectés par des cycles saisonniers. Par ailleurs, il est acquis que dès la deuxième année de contrat à durée indéterminée, les Commandants de Bord, étaient invités à faire part de leurs v'ux concernant les 3 mois de l'année durant lesquels ils ne seraient pas amenés à travailler, qui pouvaient donc ne pas correspondre à la période d'octobre à mars où la compagnie rencontrait une diminution de son activité de charter. C'est ainsi que l'examen des périodes d'emploi de M. [J] [D] laisse apparaître qu'il a pu être sans activité en mai (années 2012, 2013, 2014, 2015) ou en septembre (années 2010, 2011, 2013) soit durant la période touristique, alors qu'il a toujours été employé de novembre à janvier inclus, autrement dit durant la période « creuse ».
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont dit que l'emploi de Commandant de Bord de M. [J] [D] n'était pas soumis à des périodes d'inactivités répétées chaque année en lien avec l'activité touristique, et que la variation cyclique d'activité que peut connaître toute compagnie aérienne est, par ailleurs, prise en considération par le code de l'aviation civilequi permet le régime de l'alternance sans mise en 'uvre d'un régime d'intermittence.
A défaut pour l'employeur de satisfaire à la troisième condition requise pour signer un contrat à durée indéterminée intermittent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de requalification du contrat de travail intermittent en un contrat de travail à temps plein.
4/ Sur la demande de rappel de salaire résultant de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat à durée indéterminée à temps plein
M. [J] [D] avance que le régime intermittent l'a privé d'un mois de salaire à compter de l'année 2010, date à laquelle il est devenu Commandant de Bord, puis de trois mois de revenus par an, à compter de l'année 2011, jusqu'au 1er décembre 2017, date à laquelle il lui a été proposé un passage à un temps plein. En conséquence, il demande une somme de 218 176 euros à titre de rappel de salaire, 21 817,60 euros au titre des congés payés afférents et 18 181,33 euros au titre du 13ème mois.
L'employeur répond qu'il ressort de l'analyse de la rémunération de M. [J] [D] que celle-ci a augmenté à compter de son passage en régime intermittent et qu'il n'a donc subi aucune perte de gain dont il serait fondé à demandé réparation.
La cour observe que l'application du régime intermittent au salarié étant intervenue parallèlement à sa promotion en qualité de Commandant de Bord, elle s'est naturellement traduite par une augmentation de sa rémunération mais pas dans les proportions de celles à laquelle M. [J] [D] aurait pu prétendre s'il avait été payé pour un temps plein et non pour une activité à 75 %. Il sera donc fait droit à sa demande de rappel de salaire, congés payés afférents et 13ème mois, conformément à ses calculs.
5/ Sur la demande de réparation du préjudice de carrière résultant du retard dans l'accès à la fonction de Commandant de Bord
M. [J] [D] rappelle qu'il est devenu Commandant de Bord le 31 mars 2010, or, il prétend qu'il aurait dû obtenir cette promotion quatre ans plus tôt, si d'une part, il avait été titularisé dès le 16 décembre 2004 et si, d'autre part, il n'avait pas été victime d'une erreur sur la liste de classement professionnel qui a retardé sa formation pour devenir Commandant de Bord.
Le salarié sollicite donc une indemnisation au titre de la perte de chance de percevoir plus tôt une rémunération plus élevée ainsi qu'en réparation dela perte de droits à la retraite qui en est résulté. Chiffrant sa perte totale de revenus à la somme de 253 938,09 euros, il revendique 90 % de cette somme au titre de la perte de chance, soit 228 544,28 euros à titre de dommages-intérêts.
Mais la cour observe, comme les premiers juges, que le préjudice occasionné au salarié au titre de la perte de salaire liée à son déroulement de carrière a été réparée aux points 2-1 et 2-3. S'agissant de sa perte de droit à la retraite et de sa perte de chance de devenir Commandant de Bord un an plus tôt en raison de l'erreur sur la liste de séniorité, il lui sera alloué une somme 25 393,81 euros correspondant à 10% de la perte de revenus calculée. Le jugement sera donc infirmé sur le quantum de cette condamnation.
6/ Sur la réparation du préjudice résultant de la sanction injustifiée
M. [J] [D] indique qu'en octobre 2017, comme cela avait le cas en 2016, il aurait du bénéficier d'une changement provisoire de base d'affectation (dit débasement) et être affecté à Manchester et Aberdeen durant le mois d'octobre, ce qui lui aurait permis d'augmenter sa rémunération d'environ 4 000 euros.
Or, alors qu'il avait reçu le 15 septembre 2017, un planning prévoyant son débasement, le salarié a été informé par mail, le 26 septembre, soit quelques jours avant son départ, que son débasement était annulé parce qu'il lui était reproché d'avoir demandé un surclassement pour un véhicule de location (pièce 36).
M. [J] [D] prétend que l'employeur ne pouvait modifié son planning sans son accord et qu'il a été victime d'une sanction disciplinaire déguisée et sans respect des règles de procédure. Il revendique donc une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi de ce chef.
Toutefois, si l'analyse du chapitre 7 de l'accord d'entreprise PNT, relatif au "débasement temporaire" ne prévoit nullement que le changement de planning est soumis à l'accord préalable du salarié, contrairement à ce qu'il soutient, en revanche, il mentionne qu'un débasement temporaire n'est effectif qu'après signature d'un avenant au contrat de travail. En l'espèce, si l'employeur a pu envisager un débasement du salarié au mois d'octobre 2017, aucun avenant à son contrat de travail ne lui a été proposé à la signature pour formaliser un quelconque engagement de l'employeur qui restait libre de retenir une autre candidature sans que cela ne puisse être considéré comme une sanction à l'égard du salarié.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a alloué au salarié une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef.
7/ Sur le harcèlement moral et la discrimination
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [J] [D] soutient que les faits précédemment dénoncés à savoir son emploi durant plusieurs années en contrat de travail à durée déterminée alors qu'il aurait du bénéficier d'un contrat à durée indéterminée, puis l'application illicite du régime intermittent, ainsi que son retard dans l'inscription à la formation de Commandant de Bord sont constitutifs d'agissements discriminatoires de l'employeur, sans s'expliquer pour autant sur le fondement de cette discrimination.
Il ajoute qu'en sus du traitement inégalitaire qu'il subissait, l'employeur lui a « quasi systématiquement » attribué des vols cargo et, parmi eux, « des vols les plus pénibles » et, notamment, la rotation [4]-[Localité 6]-[Localité 2]-[Localité 5] qui débutait à 1h30 du matin pour finir à 7h00 avec trois décollages et trois atterrissages, qu'il effectuait, en moyenne, onze fois par an, alors qu'une répartition équitable entre les pilotes aurait du aboutir à moins de 4 rotations par an, par pilote.
M. [J] [D] indique qu'alors qu'il avait été prévu son débasement pour Manchester/ Aberdeen en octobre 2007, qui lui aurait permis d'augmenter ses heures de vol et sa rémunération, cette mesure a été annulée, quelques jours avant son départ sans accord du PNT, autrement dit en violation des dispositions conventionnelles.
Le salarié se plaint d'avoir du attendre jusqu'à l'été 2016 pour accéder à une formation sur les avions de nouvelles génération B 737 NG, alors que cette qualification complémentaire lui aurait permis de candidater à des offres d'emploi tant en interne qu'en externe.
M. [J] [D] fait grief à l'employeur de lui avoir imposé, durant des années, deux séances de contrôle de ses connaissances et de ses aptitudes sur le simulateur de vols sans justifier que le premier contrôle était insuffisant comme le prévoit le protocole.
L'intimé prétend, qu'en janvier 2013, au moment de son contrôle annuel de renouvellement d'aptitude le Directeur des Opérations Aériennes de la Compagnie lui a fait subir un test dans des conditions visant à le déstabiliser psychologiquement puisque ce contrôle a duré 12 heures au lieu de 6. Mme [B] [N]-[K] qui a vécu cette séance de contrôle en qualité de co-pilote atteste des critiques et des hurlements du Directeur des Opérations Aériennes, M. [A] (pièce 104). Le Syndicat National de Pilotes de Lignes est, également, intervenu pour dénoncer l'attitude de l'intéressé (pièce C).
En octobre 2019, après les deux séances de contrôle annuel, le salarié aurait dû bénéficier de deux séances d'entraînement pour travailler ses points faibles avant un nouveau contrôle (qui ne doit pas intervenir plus de 21 jours après la première séance d'entraînement), or, la deuxième séance d'entraînement a été supprimée et l'examen de contrôle est survenu au-delà des 21 jours et s'est traduit par un échec. Alors qu'il aurait du pouvoir repasser l'examen de contrôle, il ne lui a pas été proposé de nouvelle date d'examen ni de séance de préparation. N'étant plus en capacité d'assurer des vols, le salarié s'est vu imposer des dates de congés sans respect du préavis de 30 jours.
L'ensemble de ces agissements a, selon le salarié, entraîné une détérioration de son état de santé et l'apparition d'un syndrome anxio-dépressif pour lequel il a commencé à être traité en 2013, à la suite de la séance de contrôle traumatisante sur le simulateur (pièce 54). Les conditions de l'examen de contrôle d'octobre 2019 ont conduit son médecin à le placer en arrêt de travail en raison d'un état d'épuisement psychologique (pièce 78) qui a amené, plus tard, le médecin du travail à le déclarer inapte.
M. [J] [D] ajoute que cette inaptitude procède directement du harcèlement moral qu'il a subi au sein de la société puisque postérieurement à son licenciement, il a obtenu sans difficulté la validation de ses licences par la DGAC et qu'il a passé avec succès une formation pour devenir instructeur.
La cour retient au vu de ses éléments, qui relatent tous de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l'imputation par le salarié de ce dernier à ses conditions de travail, que ce dernier présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlementet qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur répond que les éléments médicaux versés au dossier par le salarié ne font que reprendre ses doléances, sans les avoir vérifiées et il produit le témoignage de M. [L], chef pilote et chef de secteur de PNT chez ASL Airlines qui souligne le manque de compétence du salarié et ses erreurs répétées aux examens de contrôle, constatées par d'autres superviseurs que M. [A] (pièce 45). La SA ASL Airline soutient que le salarié présentait des insuffisances professionnelles réelles, qui ont conduit à l'affecter de préférence sur des vols cargos et qui se sont aggravées avec le temps.
La SA ASL Airlines souligne, également, qu'à la suite du signalement du salarié sur les faits de harcèlement moral dont il s'estimait victime, elle a diligenté une enquête qui a écarté tout fait de harcèlement ou de discrimination à l'égard du salarié (pièce 41).
S'il n'est pas justifié par le salarié qu'il aurait été soumis à un traitement inégalitaire ou discriminatoire puisque d'autre pilotes se sont vus appliquer le régime des contrats de travail à durée déterminée successifs et du contrat à durée indéterminée intermittent et qu'il n'est pas justifié de l'impact des vols cargos sur les conditions de travail de M. [J] [D] alors même que la pénibilité des heures de nuit donnait lieu à des contreparties spécifiques, l'employeur ne s'explique pas sur les circonstances des contrôles de connaissance et capacité sur simulateurs dénoncés par le salarié, et notamment sur l'expérience traumatisante vécue en 2013, qui a entraîné le début de prise en charge thérapeutique de M. [J] [D] ainsi que sur les conditions anormales du contrôle annuel d'octobre 2019 qui a abouti à un échec à son examen sans possibilité de représenter cette épreuve. L'enquête interne diligentée par SA ASL Airlines qui a consisté, principalement, en des auditions de cadres de la société et non d'autres Commandant de Bord ou Officiers Pilotes de Ligne ne permet pas raisonnablement d'écarter les pièces médicales versées au dossier attestant d'un suivi psychologique du salarié dès 2013 dans un contexte de souffrance au travail, ainsi que le témoignage de collègues de M. [J] [D], ces éléments pris dans leur ensemble objectivant l'existence d'un harcèlement moral subi par le salarié qui a conduit à un diagnostic d'état dépressif sévère (pièce 54 et 55) et à une déclaration d'inaptitude en relation avec cette pathologie le 18 novembre 2020.
En réparation du préjudice subi par le salarié il sera alloué une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
8/ Sur le licenciement pour inaptitude
L'inaptitude du salarié procédant de son état anxio-dépressif en lien avec le harcèlement moral subi, ainsi qu'en atteste le compte-rendu d'examen médico-psychologique rédigé le 9 juillet 2020 par le Professeur [X] [I], psychiatre au CEMA de [Localité 7] (pièce 54) et le diagnostic établi le 27 juillet 2020 par le docteur [Y] [R], médecin du CEMA [Localité 7] (pièce 55), le licenciement sera dit nul.
Au titre de l'indemnité pour licenciement nul, conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsqu'il est constaté que le licenciement est entaché par une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, dont le harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Au regard de son âge à la date de son licenciement, 64 ans, de son ancienneté de 14 ans dans la société, de son salaire moyen reconstitué (12 311,13 euros), il sera alloué à M. [J] [D], une somme de 123 111,30 euros en réparation de son entier préjudice. En revanche, le salarié sera débouté de sa demande de rappel de salaire pour la période courant entre son licenciement nul et la date de l'audience de plaidoirie puisqu'il ne demande pas sa réintégration.
Le salarié peut, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes :
- 39 105,96 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement
- 35 936,37 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 3 593,64 euros au titre des congés payés afférents
En revanche, il sera débouté de sa demande de 13ème mois afférent.
Il sera ordonné à la SA ASL Airlines de délivrer à M. [J] [D] dans les deux mois suivants la notification de la présente décision, des bulletins de salaire depuis le mois de décembre 2006 rectifiant la catégorie de classement, mentionnant le salaire correspondant et tenant compte à partir du mois de mai 2010 de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein, ainsi qu'un solde de tout compte rectifié, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Il sera ordonné à la SA ASL Airlines de régulariser la situation de M. [J] [D] auprès de l'URSSAF et de la CRPNAC en application de l'article L. 6527-1 du code des transports.
9/ Sur la demande d'indemnité compensatrice de congés payés pour les congés imposés au salarié en septembre et octobre 2019
Le salarié rappelle que les dispositions de l'article 6.1.8 de l'accord d'entreprise PNT prévoient que l'employeur ne peut imposer des congés sans le respect d'un préavis de 30 jours et l'accord du salarié concerné (pièce 74).
Or, il relate que le 8 octobre 2019, l'employeur lui a adressé un planning concernant l'activité du mois de septembre en lui imposant rétroactivement 15 jours de congés payés et qu'il a renouvelé ce procédé en novembre, en lui imposant rétroactivement 12 nouveaux jours de congés payés en octobre.
Précédemment, l'employeur lui avait aussi imposé 8 jours de congés payés en février 2019.
En conséquence, il revendique la somme brute de 13 975,26 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, outre 1 164,61 euros au titre du 13ème mois afférent.
Mais, ainsi que le relève l'employeur l'article 6-1-10 de l'accord d'entreprise PNT prévoit "Lorsqu'en fin de période de prise de congés, un reliquat subsiste, ce reliquat sera soldé en totalité sur une période laissée à la discrétion de la Compagnie" sans qu'il soit précisé que ce choix devra être soumis à l'accord du salarié et/ou au respect d'un délai de prévenance. M. [J] [D] sera donc débouté de sa demande indemnitaire de ce chef.
10/ Sur les autres demandes
Si M. [J] [D] forme dans le dispositif de ses conclusions une demande indemnitaire au titre des garanties de maintien de rémunération pendant l'arrêt maladie du mois d'octobre 2019 au mois de janvier 2021, la somme de 27 623,70 euros, il ne s'explique pas dans le corps de ses écritures sur cette demande dont il sera débouté.
La SA ASL Airlines supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à M. [J] [D] 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré l'action en requalification du contrat à durée déterminée conclu le 16 décembre 2004 recevable
- requalifié le contrat à durée déterminée conclu le 16 décembre 2004 entre M. [J] [D] et la société ASL Airlines, en contrat à durée indéterminée
- requalifié le contrat à durée indéterminée intermittent conclu le 18 mai 2010 entre M. [J] [D] et la société ASL Airlines en contrat de travail à temps plein
- débouté M. [J] [D] de sa demande de rappel de salaire pour les périodes non-travaillées entre les différents contrats de travail à durée déterminée
- débouté la société ASL Airlines de ses demandes plus amples contraires
- condamné la société ASL Airlines à payer à M. [J] [D] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles
- condamné la société ASL Airlines aux dépens,
L'infirme pour le surplus,
Dit le nul le licenciement de M. [J] [D] par la SA ASL Airlines,
Condamne la SA ASL Airlines à payer au salarié les sommes suivantes :
- 130 426,40 eurosau titre du rappel de salaire résultant de la reconstitution de carrière
- 13 042,64 euros au titre des congés payés afférents
- 10 868,87 euros au titre du rappel de 13 ème mois afférent
- 89 648,58 euros à titre de rappel de prime différentielle due
- 8 964,86 euros au titre des congés payés afférents
- 6 896,04 euros au titre du rappel de 13ème mois afférent
- 5 514,62 euros à titre de d'indemnité de requalification
- 218 176 euros au titre du rappel de salaire résultant de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet,
- 21 817,60 euros au titre des congés payés afférents
- 18 181,33 euros au titre du rappel de 13ème mois afférent
- 25 393,81 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la perte de chance résultant du retard dans l'accès à la fonction de commandant de bord
- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral
- 123 111,30 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul
- 39 105,96 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement, la somme de
- 35 936,37 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 3 593,64 euros au titre des congés payés afférents
- 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Ordonne à la SA ASL Airlines de délivrer à M. [J] [D] dans les deux mois suivants la notification de la présente décision, des bulletins de salaire depuis le mois de décembre 2006 rectifiant la catégorie de classement, mentionnant le salaire correspondant et tenant compte à partir du mois de mai 2010 de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein, ainsi qu'un solde de tout compte rectifié,
Ordonne à la SA ASL Airlines de régulariser la situation de M. [J] [D] auprès de l'URSSAF et de la CRPNAC en application de l'article L. 6527-1 du code des transports,
Déboute M. [J] [D] de sa demande de dommages-intérêts pour mise en oeuvre d'une sanction illicite et déguisée, de sa demande d'indemnité compensatrice résultant des congés payés imposés par la société ASL et de sa demande de 13ème mois afférente, de sa demande au titre des garanties maintien de rémunération pendant l'arrêt maladie de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination,
Déboute la SA ASL Airlines de ses demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SA ASL Airlines aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,