La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/10/2022 | FRANCE | N°20/15589

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 12 octobre 2022, 20/15589


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 12 OCTOBRE 2022



(n° 177 , 18 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/15589 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSGM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Septembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2019071585





APPELANTS





Monsieur [X] [P]

Né le 10 Juillet 1970

[Adresse 2]

[Localité 5

]



Représenté par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J125, avocat postulant

Assistés de Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 12 OCTOBRE 2022

(n° 177 , 18 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/15589 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSGM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Septembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2019071585

APPELANTS

Monsieur [X] [P]

Né le 10 Juillet 1970

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J125, avocat postulant

Assistés de Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant et de Me Rodolphe PERRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant

Madame [S] [O] [P]

Née le 6 Novembre 1972

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J125, avocat postulant

Assistées de Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant et de Me Rodolphe PERRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant

SAS STEA agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 441 515 012

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J125, avocat postulant

Assistées de Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant et de Me Rodolphe PERRIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0166, avocat plaidant

INTIMEES

S.A.S.U. ITM ENTREPRISES agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 722 064 102

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936, avocat postulant

Assistée de Me Jean-Alain JONVEL, de la SELAFA Jean-Claude COULON ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K0002, avocat plaidant

S.A. GROUPE LA BOUCHERIE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS d'ANGERS sous le numéro 500 198 775

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque L0020, avocat postulant

Assistée de Me Sébastien BEAUGENDRE du Cabinet Hubert BENSOUSSAN et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque A0262, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,

Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère

Madame Camille LIGNIERES, Conseillère,

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame [V] [W] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Mianta ANDRIANASOLONIARY

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

La société « Groupe la Boucherie » exploite un réseau de restaurants sous différentes enseignes telles que « La Boucherie », « Bistrot du boucher », l'assiette du B'uf ».

La société ITM Entreprises (ci après « ITM E ») anime et conduit les entités du Groupement des Mousquetaires, connu du public pour ses différentes enseignes comme « Intermarché » ou « Bricomarché ». Elle exerce ses activités à travers des filiales détenues à 100%.

Chaque enseigne est dédiée à un secteur d'activité. Le Groupement Les Mousquetaires est ainsi constitué par l'ensemble des sociétés Les Mousquetaires, ITM Entreprises et toutes ses filiales.

La société ITM Restauration (ci après « ITM R ») était l'une des filiales de la société ITM Entreprises constituée afin de développer et d'animer un réseau de franchise de restauration du Groupement des Mousquetaires d'abord sous l'enseigne « Restaumarché » puis sous l'enseigne « Poivre Rouge » à partir de 2010.

Les activités de la société ITM R étaient concédées à des adhérents au réseau via des contrats « d'enseigne ».

Chaque franchisé était tenu d'adhérer préalablement au Groupement Les Mousquetaires en signant la « charte d'adhésion du Mousquetaire », laquelle a pour objet de porter à la connaissance des futurs franchisés les principes et règles qui régissent le Groupement les Mousquetaires.

En signant la charte, l'adhérent s'engage à accepter les principes des Mousquetaires et à adhérer à l'ensemble des règles qui en découlent qu'elles soient contractuelles ou d'usage.

La société Stea (Ci-après l'adhérent ou le franchisé) créée et dirigée par M. et Mme [X] et [S] [P] a conclu un contrat d'enseigne avec la société ITM Restauration pour exploiter un restaurant le 20 mars 2002 sous l'enseigne « Poivre Rouge ».

A la suite des difficultés en termes de rentabilité connues par l'enseigne Poivre Rouge, les adhérents ont appelé ITM à concevoir un plan permettant une redynamisation du réseau.

A la date du 30 septembre 2019 la société ITM E a cédé l'intégralité des parts qu'elle détenait dans le capital de la société ITM R à la société « Groupe la Boucherie ».

Le franchisé considère que cette cession l'a placé dans une situation préjudiciable dans la mesure où elle l'a exclu du bénéfice qu'il pouvait escompter de son adhésion au groupement les Mousquetaires, et souhaite être indemnisé de ce préjudice.

Dans ce contexte, le tribunal de commerce de Paris a été saisi par les franchisés d'une assignation délivrée à l'encontre de ITM E et Le Groupe La Boucherie et par jugement en date du 30 septembre 2020, le tribunal a de commerce de Paris a :

 - Dit recevable mais mal fondée les sociétés ITM Entreprises et Groupe La Boucherie en leur exception d'incompétence ;

 

- Se déclare compétent;

 

- Déboute la société ITM Entreprises de sa demande de surseoir à statuer dans l'attente d'une sentence arbitrale ;

 

- Dit la SAS Stea, M. [X] [P] et Mme [S] [P] recevables en leur action ;

 

- Dit que la société ITM Entreprises n'a commis aucune faute à |'encontre de la SAS Stea,

 

- Dit que la société ITM Entreprises 1 a commis une faute délictuelle à rencontre de M. [X] [P] et Mme [S] [P],

 

- Dit que la SAS Stea, M. [X] [P] et Mme [S] [P] ne rapportent pas la preuve d'une faute délictuelle de la société La Boucherie,

 

- Condamne la société ITM Entreprises à payer à M. [X] [P] la somme de 10.000€ et à Mme [S] [P] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'évolution de carrière et de statut social, débouté pour le surplus ;

 

- Condamne la société ITM Entreprises à payer à chacun, M. [X] [P] et Mme [S] [P] la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

 

- Déboute ta SAS Stea, M. [X] [P] et Mme [S] [P] de toutes leurs demandes à rencontre de la société Groupe La Boucherie

 

- Déboute la SAS Stea, M. [X] [P] et Mme [S] [P] de leur demande de condamner solidairement les sociétés ITM Entreprises et Groupe La Boucherie à payer à la SAS Stea la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- Déboute la société Groupe la Boucherie de sa demande au titre de l'article 700CPC

 

-Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision, déboute la société ITM Entreprises de sa demande de mise sous séquestre,

 

- Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

 

- Condamne la société ITM Entreprises aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 137,86 € dont 22,76 € de TVA.

 

Le 30 octobre 2020, la société Stea, M. [P] et Mme [P] ont interjeté appel du jugement de première instance devant la Cour d'appel de Paris.

 

Vu les dernières conclusions de la société Stea, M. et Mme [P], appelants, déposées et notifiées le 20 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

 

Vu les articles 1103, 1104, 1199 du Code civil et les articles 1134 et 1165 du Code civil, dans leur version applicable aux faits de l'espèce s'agissant des contrats conclus avant le 1 er  octobre 2016 ; 

Vu l'article 1448 du Code de procédure civile ;

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil ;

Vu les articles 858 et 873 du Code de procédure civile ;

Vu la consultation du Professeur [C] ;

Vu les pièces versées aux débats ;

Sur la compétence :

 

-  Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' Dit  et  jugé  que  l'exception  d'incompétence  soulevée  par  les  sociétés  ITM  Entreprises  et Groupe La Boucherie n'est pas fondée.

' S'est déclaré compétent

 

En conséquence :

- Rejeter  l'exception  d'incompétence  soulevée,  fût-ce  désormais  de  manière  détournée  et partielle, par les sociétés ITM Entreprises et Groupe La Boucherie.

- Confirmer  le  jugement  entrepris  en  ce  qu'il  a  débouté  la  société  ITM  Entreprises  de  sa demande de surseoir à statuer dans l'attente d'une sentence arbitrale.

 

Au fond : 

 

- Qualifier la cession des titres de la société ITM Restauration par la société ITM Entreprises à la société Groupe la Boucherie de fautive, tant à  l'égard du cédant que du cessionnaire et partant, engager leur responsabilité civile à raison des préjudices subis par les concluants.

 

En conséquence,

 Infirmer le jugement en ce qu'il a :  

'  dit  que  la  société  ITM  Entreprises  n'avait  commis  aucune  faute  à  l'encontre  de  la  société adhérente

'  débouté la société adhérente de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société ITM Entreprises

'  dit que les adhérents, personne morale et personnes physiques, ne rapportent pas la preuve d'une faute délictuelle de la société Groupe La Boucherie et les ont débouté de toutes leurs demandes à son encontre

-  Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société ITM Entreprises a commis une faute délictuelle à l'encontre des adhérents personnes physiques et l'infirmer en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité des demandes et aux quantums des dommages et intérêts sollicités.

 

Statuant de nouveau : 

- Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe la Boucherie à payer à la société Stéa la somme de 440.108 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice : 

- Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie à payer Monsieur [X] [P] les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

'  125.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  de  la  perte  du  pouvoir participatif et de la perte d'évolution de carrière et de statut social,

'  80.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  des  conséquences  morales, matérielles occasionnées par la cession gravement fautive réalisée entre la société par ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie,

'  17.500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du manque à gagner en termes de dividendes sur les actions de la SLM qu'il aurait dû détenir jusqu'en 2025 au minimum.

-  Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie à payer Madame [S] [P] les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

'  125.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  de  la  perte  du  pouvoir participatif et de la perte d'évolution de carrière et de statut social,

'  80.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  des  conséquences  morales, matérielles occasionnées par la cession gravement fautive réalisée entre la société par ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie,

 

Très subsidiairement :

- Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe la Boucherie à payer à la société STEA la somme de 440.108 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice : 

- Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe la Boucherie à payer à la société STEA la somme de 170.000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte du pouvoir participatif.

- Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie à payer Monsieur [X] [P] les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

'  40.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  de  la  perte  d'évolution  de carrière et de statut social,  

'  80.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  des  conséquences  morales, matérielles occasionnées par la cession gravement fautive réalisée entre la société par ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie,

'  17.500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du manque à gagner en termes de dividendes sur les actions de la SLM qu'il aurait dû détenir jusqu'en 2024 au minimum.

 - Condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie à payer Madame [S] [P] les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :

'  40.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  de  la  perte  d'évolution  de carrière et de statut social,

'  80.000  euros  à  titre  d'indemnisation  du  préjudice  découlant  des  conséquences  morales, matérielles occasionnées par la cession gravement fautive réalisée entre la société par ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie,

 

En tout état de cause :

- Débouter la société ITM E et la société Groupe La Boucherie de l'ensemble de leurs demandes, fins, moyens et conclusions,

- Infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande des adhérents fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et condamner in solidum la société ITM Entreprises et la société Groupe La Boucherie à payer à la société Stéa la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- Condamner  in  solidum  la  société  ITM  Entreprise  et  la  société  Groupe  La  Boucherie  aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du CPC.

Vu les dernières conclusions de la société ITM Entreprises, intimée, déposées et notifiées le 20 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

 

Vu les articles 12 et 1448 du Code de procédure civile,

Vu les articles 30, 31 et 122 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,

Vu les articles 517 et suivants du Code de procédure civile,

Sur la compétence :

 

- Infirmer le jugement rendu le 30 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ITM Entreprises, s'est déclaré compétent et a débouté la société ITM Entreprises de sa demande de sursis à statuer en l'attente d'une sentence arbitrale,

 

Statuant de nouveau :

- Se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes de Monsieur et Madame [P] et de la société Stea qui relèvent de la juridiction arbitrale compétente en vertu du contrat d'enseigne, et renvoyer les appelants à mieux se pourvoir,

- Surseoir à statuer  dans  l'attente  d'une  sentence  arbitrale  devenue  définitive constatant l'existence de manquements contractuels de la société ITM Restauration afférente à l'exécution du contrat d'enseigne Poivre Rouge.

 

Sur le fond : 

 

- Infirmer le jugement rendu le 30 septembre 2020 par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit recevable en leur action les époux [P] et la société Stea et dit que la société  ITM  Entreprises  a  commis  une  faute  de  nature  délictuelle  à  l'encontre  de Monsieur et Madame [P], la condamnant à verser 10.000 € à Monsieur [P] et 5.000  €  à  Madame  [P],  à  titre  de  dommages  et  intérêts  pour  perte  de  chance d'évolution  de  carrière  et  statut  social  et  à  chacun  15.000 €  à  titre  de dommages  et intérêts pour préjudice moral

 

Statuant à nouveau :

- Juger que l'ensemble des griefs et fautes invoqués par les appelants à l'encontre de la société ITM Entreprises constitue en réalité des manquements potentiels de la société ITM Restauration dans l'exécution du contrat d'enseigne Poivre Rouge,

- Juger l'absence de qualité à défendre de la société ITM Entreprises 

-Déclarer irrecevables l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Monsieur et Madame [P] et de la société Stea,

- Juger que Monsieur et Madame [P] et la société Stea ne justifient de l'existence d'aucune faute commise par la société ITM Entreprises à l'occasion de la cession des titres de la société ITM Restauration, en ce compris aucune déloyauté à l'égard de Monsieur  et  Madame  [P]  en  leur  qualité  d'adhérent  du  Groupement  des Mousquetaires,

- Juger  que  Monsieur  et  Madame  [P]  et  la  société  Stae  ne  justifient  d'aucun préjudice certain, actuel et en lien direct avec la cession des titres de la société ITM Restauration  par  la  société  ITM  Entreprises,  ou  de  la  perte  pour  Monsieur  et Madame [P] de leur qualité d'adhérent,

- Débouter Monsieur  [P]  de  sa  demande  de  dommages  et  intérêts  au  titre  du manque  à  gagner  en  termes  de  dividendes  sur  les  actions  de  la  société  Les Mousquetaires,

- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Monsieur et Madame [P] et de la société Stea,

-  Confirmer le jugement rendu le 30 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que la société ITM Entreprises n'avait commis aucune faute à l'encontre de la société Stea et a débouté cette dernière de sa demande de dommages et intérêts,

 

En tout état de cause :

- Condamner Monsieur et Madame  [P] et la société Stea à payer la somme de 8.000 €  à  la  société  ITM  Entreprises,  par  application  de  l'article  700  du  Code  de procédure civile,

-  Les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Bonaldi-Nut conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

 

Vu les dernières conclusions de la société Groupe La Boucherie, intimée, déposées et notifiées le 27 avril 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

 

Vu les articles 74 et 78, 81, 1448 et 1465 du Code de procédure civile,

Vu la clause compromissoire stipulée à l'article 16.3 du contrat de franchise litigieux,

Vu les articles 544 et 1240 du Code civil,

Vu les 17 jugements rendus par le Tribunal de commerce de Paris (RG N°2019071590 ; RG N°2019071574 ;  RG  N°2019071602 ;  RG  N°2019071593 ;  RG  N°2019071566 ;  RG N°2019071600 ;  RG  N°2019071605 ;  RG  N°2019071569 ;  RG  N°2019071585 ;  RG N°2019071598 ;  RG  N°2019071576 ;  RG  N°  2020032981 ;  RG  N°  2020032949 ;  RG  N° 2020032945 ; RG N° 2020036328 ; RG N° 2020032966 ; RG N° 2020032991)

 

1/ Sur la compétence :

 - Confirmer le jugement dont appel du chef de la compétence ;

- Y ajouter que la compétence du premier juge comme de la Cour de céans se limite, pour l'examen  de  l'éventuelle  responsabilité  délictuelle  de  la  société  Intermarché Entreprises  et  de  la  société  Groupe La Boucherie,  à  toute  question  qui  soit strictement et manifestement sans lien avec le contrat de franchise (dit « contrat d'Enseigne Poivre Rouge »), compte tenu de la clause compromissoire stipulée audit contrat ;

- Juger ne pas ressortir à la compétence de la cour l'examen de la prétention des appelants selon laquelle la cession à la société Groupe La Boucherie par la société Intermarché Entreprises  des  titres  du  capital  de  la  société  franchiseur Intermarché Restauration  bouleverserait  l'économie  du  contrat  de  franchise  à l'Enseigne « Poivre Rouge » en cours au jour la cession ou « l'économie du partenariat » selon une expression synonyme employée par les appelants ;

2/ Au fond :

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a exactement dit que la société Groupe La Boucherie n'engage pas sa responsabilité délictuelle envers les appelants pour ne leur avoir infligé aucune faute ; au surplus, Confirmer de plus fort le jugement dès lors que les appelants ne démontrent ni l'existence de préjudices ni lien de causalité ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a exactement écarté toute condamnation in solidum de la société Groupe La Boucherie  dans  l'hypothèse  où  la  Cour  confirmerait  l'existence d'une faute propre commise par la société Intermarché Entreprises au préjudice des appelants ;

 

3/ En toutes hypothèses :

- Débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Groupe La Boucherie de sa demande indemnitaire de 10.000 euros pour frais irrépétibles et Condamner les appelants in solidum aux entiers dépens et à payer à la société Groupe La Boucherie une indemnité de 25.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour couvrir l'ensemble des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

 

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 7 juin 2022.

MOTIVATION

Sur la compétence

La société ITM E prétend que les demandes des appelants sont relatives à de prétendus manquements dans l'exécution du contrat « d'enseigne » conclu par la société ITM R. Elle soutient que l'objet du litige serait un défaut ou une modification importante de l'exécution du contrat en raison de la perte de l'appartenance au groupement les mousquetaires, que les appelants auraient dû logiquement solliciter la résiliation du contrat pour perte de l'intuitu personae du fait du changement de l'associé majoritaire de leur franchiseur. Elle soutient que le fait que les appelants aient préféré agir en responsabilité délictuelle contre le cessionnaire (Groupe La Boucherie) et le cédant (ITM E) relèverait d'un artifice ayant pour objet d'éviter l'application de la clause compromissoire insérée dans le contrat d'enseigne. Relevant ainsi la compétence du tribunal arbitral, la société ITM E demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ITM E de sa demande de sursis à statuer.

La société La Boucherie ajoute que la compétence du tribunal de commerce ou de la cour doit être strictement circonscrite aux seules questions qui ne sont pas en lien avec le contrat d'enseigne. Elle relève que la cour ne saurait se déclarer compétente pour l'examen de la prétention des appelants selon laquelle la cession des titres d'ITM Restauration aurait entraîné un bouleversement de l'économie du contrat. Elle soutient ainsi que la cour ne saurait connaître des demandes qui sont en lien avec le contrat d'enseigne.

Mr et Mme [P] ainsi que la société Stea répliquent que leurs demandes sont relatives aux conditions dans lesquelles ITM E a cédé les parts qu'elle détenait dans le capital de la société ITM R au Groupe La Boucherie. A cet égard, ils relèvent que l'objet du litige ne porte pas sur d'éventuels manquements contractuels de la société ITM R à l'encontre de laquelle les appelantes ne formulent ni grief, ni demande en rapport avec ledit contrat. Ils précisent enfin que le présent litige concernant la conclusion du contrat de cession entre ITM E et le Groupe la Boucherie et sur ses effets à l'égard des tiers ne relève d'aucune convention d'arbitrage et que le tribunal de commerce et la cour d'appel sont compétents pour en connaître.

Réponse de la Cour

- l'applicabilité de la clause compromissoire :

Dans le contrat d'enseigne conclu entre la société ITM R est stipulée une clause de conciliation et une clause compromissoire à l'article 16.

Ainsi, l'article 16.1 prévoit :

« En cas de différend, notamment au sujet de la validité du présent contrat, de son interprétation, de son exécution ou de sa résiliation, les parties s'obligent réciproquement, préalablement à toute procédure de conciliation en application de l'article 16.2 à saisir de ce différend la société ITM Entreprises, sous l'égide de laquelle sera organisée une conciliation. En cas d'échec de cette conciliation (...) le différend devra alors être soumis à la procédure énoncée aux articles 16.2 (Conciliation par un conciliateur de justice) et 16.3 (Arbitrage) ci-après. ».  (')

L'article 16.3 stipule « Tout différend qui n'aurait pu faire l'objet d'une conciliation préalable conformément aux stipulations qui précèdent, sera résolu par voie d'arbitrage. (') ».

Selon la société ITM E, le présent litige porterait en réalité sur le contrat d'enseigne, et serait donc applicable l'article 16.3 dudit contrat, la clause compromissoire devant être étendue au présent litige.

Cependant, dans un procès civil, ce sont les demandes dont le juge est saisi qui forme le périmètre du litige, conformément aux dispositions de l'article 4 du code de procédure civile selon lequel le litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Or, en l'espèce, c'est en leur qualité de tiers au contrat de cession intervenu entre ITM E (cédant) et LA Boucherie (cessionnaire), que les franchisés ont engagé la responsabilité délictuelle du cédant et du cessionnaire à raison des conditions dans lesquelles ladite cession est intervenue et des conséquences de celle-ci.

Les appelants considèrent que cette responsabilité ne concerne que les parties à l'opération de cession qui est notamment à l'origine du démantèlement du réseau « Poivre Rouge ». Ils ne mettent pas en cause la société ITM R, animateur du réseau dont le contrôle a été transféré au Groupe La Boucherie.

L'article 1442 al 2 du code de procédure civile définit la clause compromissoire comme « la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats. »

La clause compromissoire de l'article 16-1 du contrat d'enseigne conclu entre ITM R et le franchisé ne peut donc pas s'appliquer au présent litige entre le franchisé et ITM E et le Groupe La Boucherie qui est fondé sur la mise en jeu d'une responsabilité extra-contractuelle et n'est pas un litige né relativement au contrat d'enseigne signé avec ITM R qui contient la clause compromissoire. Par ailleurs, la Cour observe que ni la société ITM E ni la société La Boucherie ne sont parties au contrat d'enseigne.

Par conséquent, c'est à bon droit que le tribunal a jugé que la clause compromissoire prévue au contrat conclu entre ITM R et la société appelante n'est pas applicable au présent litige. Le jugement entrepris sera confirmé sur la compétence.

 SUR LA RECEVABILITE

Vu les articles 30, 31 et 122 du code de procédure civile,

Pour voir dire irrecevables les demandes dirigées contre elle, ITM E développe une argumentation similaire à celle soutenue sur la compétence, arguant du fait que les demandes reposent en réalité sur les défaillances dans l'exécution du contrat d'enseigne dont le seul cocontractant est ITM R.

Cependant, pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, ces demandes sont recevables en ce qu'elles sont fondées non sur la responsabilité contractuelle mais sur un comportement fautif extra contractuel relatif au rôle joué respectivement par ITM E et le Groupe La Boucherie lors de la cession de contrôle de ITM R et relatif aux incidences de cette cession sur le réseau Poivre Rouge.

Il s'en déduit qu'il existe un intérêt à agir à l'encontre des sociétés ITM E et Le Groupe la Boucherie et que la fin de non recevoir soulevée par ITM E doit être rejetée.

SUR LE FOND

Sur les fautes reprochées aux sociétés ITM E et le Groupe La Boucherie dans le cadre de la cession des parts de la société ITM R

Les appelants reprochent, du fait de manquements dans le cadre de la cession des parts d'ITM R par ITM E au Groupe La Boucherie,

-à ITM E d'avoir :

violé son engagement de redéfinir le concept « Poivre Rouge »

agi de manière déloyale et anormale en proposant un protocole de sortie à une partie seulement des adhérents du réseau.

- à ITM E et au Groupe La Boucherie d'être à l'origine :

du démantèlement du réseau Poivre Rouge,

de la perte pour les adhérents des avantages liés à l'appartenance au Groupement Les Mousquetaires.

S'agissant de la violation de l'engagement d'ITM dans la redéfinition du concept Poivre Rouge

Les appelants soutiennent qu'avec la cession de ITM R au Groupe La Boucherie, la société ITM E a été défaillante dans son engagement pour redéfinir le concept Poivre Rouge afin de le « redynamiser ». Elle reproche à ITM E d'avoir entretenu les adhérents dans la croyance erronée de l'absence de désengagement du Groupement à leur égard, de sa volonté de promouvoir l'enseigne Poivre Rouge, de renforcer la profitabilité des restaurants de l'enseigne et d'avoir, par cette cession, sciemment porté atteinte aux attentes légitimes des adhérents fondés sur les promesses du groupement. Elle soutient enfin que le groupe la Boucherie a nécessairement eu connaissance du processus de redynamisation engagé par ITM E et se serait rendu complice des manquements reprochés à celle-ci.

ITM E réplique que seule la société ITM R (qui n'a pas été appelée à la présente instance) était en charge de l'animation et du développement du réseau Poivre Rouge et que la redynamisation du réseau relevait aussi des membres du réseau dans le cadre de leur « tiers temps ». Elle affirme enfin que la société ITM R n'était tenue envers elle que de rendre compte des évolutions importantes et des grands changements opérés au sein de son enseigne avant leur mise en 'uvre.

La société La Boucherie répond que les événements antérieurs à la date de la cession (le 30 juin 2019) ne lui sont pas imputables et que les appelants ne démontrent aucune faute délictuelle dont elle pourrait être l'auteur. 

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil,

Sur la faute reprochée à ITM E dans sa décision de céder ITM R sans l'accord préalable des adhérents et alors qu'elle s'était engagée à redéfinir le concept de Poivre Rouge dans le cadre d'un plan quinquennal en cours

Il est constant que c'est ITM E qui a pris la décision de la cession de contrôle de sa filiale à 100% ITM R. Ce qui est discuté est le point de savoir si ITM E a eu un comportement fautif lors de la cession du réseau ITM R au groupe La Boucherie, du fait d'un défaut d'information sur ce projet vis à vis des adhérents.

Concernant le respect de l'intuitu personae dans la relation entre les adhérents au réseau et la tête de réseau, c'est à bon droit qu'ITM E invoque le principe de la liberté de cession de contrôle de sa filiale ITM R, exploitant le réseau d'enseigne Poivre Rouge. En effet, aucune obligation contractuelle en l'espèce obligeait le groupe ITM avant de céder ses parts dans ITM R à obtenir l'accord préalable des adhérents du réseau Poivre Rouge. S'il est vrai que l'intuitu personae joue un rôle important dans un réseau d'exploitation d'enseigne, l'intuitu personae n'est pas affecté dans le cadre d'une cession de contrôle en ce que la personne morale qui est la tête de réseau reste la même. Ainsi, en l'espèce, ITM R a continué à gérer le réseau après la cession à la société La Boucherie. Il s'en suit qu'aucune faute sur le principe même de la cession de contrôle de ITM R à un autre grand groupe spécialisé dans le même secteur de la restauration à table, ne peut donc être retenue à l'encontre de ITM E.

Par ailleurs, il est reproché à ITM E le contexte dans lequel est intervenue cette cession et plus particulièrement le caractère tardif de l'information donnée aux adhérents sur ce projet de cession de contrôle, alors qu'un plan stratégique de redressement du réseau était en cours. En effet, contrairement à ce qu'affirme sans le prouver ITM E, rien ne prouve que les adhérents aient été informés du projet de cession avant la réunion du 22 juillet 2019. Par un document intitulé « Poivre Rouge » à en tête « Les Mousquetaires », daté de décembre 2018 (pièce B6-3-9 des appelants), il a été présenté à tous les membres du réseau Poivre Rouge un plan stratégique de redressement du réseau sur 5 années précisant ses modalités de mise en 'uvre. Il est par ailleurs constant que ce plan de redressement, pour être adopté, devait être validé par le groupe Les Mousquetaires dont fait partie ITM E.

Les appelants soulignent que ce contexte particulier du fait d'un plan de redressement de leur réseau est renforcé par le fait que dans le cadre de leur « tiers temps » dédié au groupement Les Mousquetaires conformément au statut du groupement, les franchisés étaient incités à s'investir dans la réforme du concept de Poivre Rouge afin d'en accroître la rentabilité et que les participants à ces réunions dédiées à la redynamisation du réseau n'ont pas été informés d'un projet de cession à un autre Groupe avant fin juillet 2019, soit moins de deux mois avant la cession.

Il est constant que le 4 juillet 2009, un « Bilan 1er semestre 2019 » (pièces B-5-2 et B 665 des appelants) a été adressé à tous les membres du réseau « Poivre Rouge » (78 membres à cette époque), par le Président d'ITM R qui fait état des actions engagées au cours du 1er  semestre 2019 avec « des résultats (qui) sont encourageants » et présentant le nouveau concept : « réorientation vers un grill, uniquement viande française et sur une « théâtralisation de présentation » et reprise du « concept bistro que nous développerons l'année prochaine ». Les appelants reprochent le fait que ce Bilan présentant les modalités d'une redynamisation du réseau leur ait été envoyé par ITM R alors que dans le même temps des négociations menées par ITM E en vue d'une cession de parts sociales au groupe La Boucherie étaient nécessairement déjà en cours de pourparlers s'agissant d'une opération de cession d'envergure.

Un courriel daté du 18 juillet 2019, co-signé par les sociétés Les Mousquetaires, ITM E et ITM R expliquait que « Le Groupement est à l'écoute du marché pour renforcer les entreprises des adhérents « Poivre Rouge » développer leurs perspectives d'avenir et de développement ainsi que de levier de performance accrue » et les invitait « dans cette perspective » à assister à une réunion d'information fixée au 22 juillet 2019. Ce n'est que lors de la réunion du 22 juillet 2019 qu'est annoncée aux adhérents « Poivre Rouge » le fait que ITM E cèdera ITM R à une tierce société et que cette cession interviendra effectivement le 30 septembre 2019. Selon les appelants, cette annonce a été tardive et déloyale à leur égard.

Il ressort en effet de ces éléments que l'annonce de la cession faite aux adhérents est intervenue dans un contexte particulier qui est lié à la signature de la Charte des Mousquetaires mettant en avant le lien de confiance devant exister au sein du Réseau, l'annonce quelques semaines avant la cession de résultats encourageants grâce au plan de redressement laissant croire aux adhérents une situation optimiste de leur réseau, alors que lors de la réunion du 22 juillet 2019 il leur a été finalement annoncé le projet de la cession imminente d'ITM R, leur tête de réseau, à un autre Groupe hors du Groupement les Mousquetaires. Ce contexte particulier lors de l'annonce de ladite cession caractérise une déloyauté fautive d' ITM E envers les adhérents au Réseau Poivre Rouge, à l'instar de ce qui a été retenu par le tribunal de commerce.

Sur la faute reprochée à ITM E concernant les circonstances de la cession : l'absence de proposition d'un protocole de sortie aux adhérents et le démantèlement du réseau Poivre Rouge

Si les appelants ont justifié, notamment au vu du procès-verbal d'huissier du 15 juillet 2021 (pièce 16 des appelants) du fait que le réseau Poivre Rouge a perdu 45 restaurants sur 78 entre le dernier semestre 2019 et le 30 septembre 2021, néanmoins, il échet aux appelants de prouver l'existence d'un comportement fautif d'ITM E ayant porté préjudice aux sociétés adhérentes au réseau.

Par un communiqué commun, ITM E et le groupe La Boucherie (pièce B 5-8 des appelants) du 12 septembre 2019, soit quelques jours avant la signature de la cession, se sont adressés aux membres du réseau en ces termes  :

« L'objectif de cet accord (de cession) est de permettre à chaque membre du réseau Poivre Rouge de continuer d'exercer son métier de restaurateur et de chef d'entreprise indépendant au sein d'un groupe spécialiste de restauration', que ce soit en restant Poivre Rouge ou en prenant l'enseigne phare ou toutes autres enseignes du Groupe La Boucherie.

Engagement de continuité de l'enseigne PR

Notre accord garantit la continuité de tous les contrats d'enseigne Poivre Rouge en vigueur : ton contrat est donc maintenu et tu continueras de bénéficier pendant toute sa durée, de l'ensemble des services et des conditions d'approvisionnement dont tu bénéficies actuellement dans le cadre de ton contrat auprès des filiales du Groupement, en particulier pour ce qui concerne les approvisionnements provenant de la SVA, unité de production du Groupement, mais aussi l'exécution des prestations de courtage avec SECOIA, auprès de la STIME ou de services avec sa filiale de télésurveillance (').

Notre accord prévoit la continuité de tous les contrats d'enseigne, en ce compris l'ensemble des services offerts ».

Possibilité d'un passage à l'enseigne La Boucherie

Notre accord prévoit que tous les adhérents souhaitant prendre l'enseigne La Boucherie pourront bénéficier d'un accompagnement financier sous la forme d'une subvention d'exploitation versée en une seule fois au moment des travaux de transformation du restaurant.

Afin de te permettre d'étudier l'opportunité d'une transformation à l'enseigne La Boucherie, le Groupe La Boucherie te communiquera les comptes de résultats et bilans d'un échantillon de restaurants La Boucherie de différentes tailles, allant d'un chiffre d'affaire hors taxe de 650.000 € à 1.400.000 €

(').

Droit d'entrée différé et clause de non-concurrence prévus dans le contrat Poivre Rouge

La plupart des contrats d'enseigne Poivre Rouge prévoient le règlement d'un droit d'entrée différé de 65.000 € à la société ITM Restauration payé uniquement en cas de sortie du réseau Poivre Rouge.

Notre accord prévoit que chaque adhérent décidant de basculer son restaurant sous enseigne La Boucherie sera exempté du paiement de ce droit d'entrée différé (') ».

Il en ressort que chaque adhérent a eu le choix de rester dans le réseau Poivre Rouge géré par ITM R avec les mêmes avantages d'approvisionnement au sein du Groupement les Mousquetaires, ou bien d'adhérer au réseau du groupe La Boucherie, réseau spécialisé dans le même secteur de la restauration et reconnu (pièce 9 d'ITM E sur les récompenses à l'enseigne La Boucherie en 2019, 2020 et 2022), avec des conditions financières avantageuses, comme l'exemption du paiement du d'entrée différé. 

Il ne peut légitimement être reproché à ITM E à la fois de ne pas avoir proposé à tous les membres de quitter le réseau via un « protocole de sortie » lors de l'annonce de la cession, et d'avoir démantelé le réseau Poivre Rouge, alors que le réseau continuait à être géré par ITM R avec les mêmes avantages d'approvisionnement au sein du Groupement les Mousquetaires pour les sociétés membres du réseau qui s'y maintenaient, « en particulier pour ce qui concerne les approvisionnements provenant de la SVA, unité de production du Groupement, mais aussi l'exécution des prestations de courtage avec SECOIA, auprès de la STIME ou de services avec sa filiale de télésurveillance ». L'animation du réseau restauration incombait à ITM R avant et après la cession. Les appelants ont reconnu qu'ils n'ont pas mis ITM R en la cause car cette dernière avait exécuté loyalement le contrat d'enseigne. Les sociétés adhérentes avaient donc la possibilité de continuer à bénéficier des conditions d'approvisionnement au sein du Groupement les Mousquetaires.

En outre, la sortie du Groupement de certains adhérents lors de la cession a fait l'objet de négociations individuelles, dont certaines ont abouti à un accord amiable avec les sociétés ITM via des propositions acceptables par les deux parties, ce qui ne peut être reproché à cette dernière. Comme l'a relevé ITM E, cette dernière n'avait pas intérêt à démanteler le réseau Poivre Rouge alors que la cession n'était pas intervenue.

Enfin, il n'est pas prouvé que la réduction du nombre des adhérents a été causée par la décision prise par ITM E de vendre les parts de sa filiale ITM R au groupe La Boucherie alors qu'il est constant que, depuis 2018, le réseau Poivre Rouge connaissait de sérieuses difficultés. De plus, il ressort de la lecture du communiqué commun du 12 septembre 2019, qu'a été donnée une option aux sociétés adhérentes du réseau Poivre Rouge de s'y maintenir avec les mêmes avantages d'approvisionnement au Groupement Mousquetaires ou bien d'adhérer au groupe La Boucherie, enseigne reconnue dans le secteur de la restauration à table (pièce 9 d'ITM E sur les récompenses à l'enseigne La Boucherie en 2019, 2020 et 2022).

Par conséquent, les fautes reprochées à ITM E relatives aux circonstances de la cession critiquée ne sont pas démontrées par les appelants.

Sur la faute reprochée à ITM E du fait de la perte du statut de Mousquetaire

Seules les personnes physiques gérant les sociétés adhérentes au réseau Poivre Rouge, c'est-à-dire les personnes qui ont adhéré à la Charte des Mousquetaires, seraient légitimes à invoquer un préjudice du fait qu'elles n'auraient plus les mêmes opportunités offertes par le Groupement.

Ainsi, les appelants invoquent un préjudice de carrière et de statut social résultant d'une perte de pouvoir participer à la stratégie du réseau et d'évoluer au sein du Groupement des Mousquetaires, notamment en choisissant de revendre son entreprise de restauration et d'investir une enseigne au sein du Groupement dans un autre secteur comme le bricolage sous l'enseigne Bricomarché ou comme l'alimentaire sous l'enseigne Intermarché.

La Cour relève que la perte de la « qualité de Mousquetaire » pour l'adhérent personne physique est la conséquence directe et prévue par les statuts du Groupement du fait de la cession du réseau Poivre Rouge à un autre Groupe, or, il a été démontré que la cession décidée par ITM E n'avait rien de fautif dans son principe.

Aucune faute de ce chef n'est donc caractérisée à l'encontre d'ITM E.

Sur les fautes spécifiquement reprochées au Groupe La Boucherie

Les appelants reprochent spécifiquement au Groupe La Boucherie d'avoir laissé mourir le réseau « Poivre Rouge », en s'appuyant sur les faits suivants :

- le communiqué commun ITM/ La Boucherie du 12 septembre 2019 adressé aux adhérents du réseau antérieurement à l'entrée en vigueur de la cession a favorisé l'abandon par les adhérents de l'enseigne Poivre Rouge en faveur de l'enseigne « La Boucherie  » (pièce B 5-8 des appelants) ;

- sur le site internet Poivre Rouge, il n'existe pas d'onglet permettant à un prospect de soumettre sa candidature pour intégrer le réseau (pièce B13 des appelants) ;

- le Groupe la Boucherie présent sur le salon de la franchise [Adresse 6] en octobre 2021 n'a pas promu l'enseigne « Poivre Rouge » (photo en pièce B19 des appelants),le manque de diligence du Groupe la Boucherie pour faire retirer les signes distinctifs « Poivre Rouge » lors du changement d'enseigne pour la « Boucherie » (exemple du restaurant à [Localité 8] en pièce B 18).

Le Groupe La Boucherie réplique essentiellement qu'à défaut de démontrer une faute contractuelle commise par ITM R dans l'exécution de ses obligations à l'égard des adhérents, aucune faute délictuelle du fait de l'inexécution contractuelle ne peut être caractérisée à son encontre.

Réponse de la Cour

C'est ITM R, la tête de réseau, qui était chargée d'exploiter et de redynamiser l'enseigne « Poivre Rouge », or, les appelants ont fait le choix de ne pas mettre celle-ci en la cause et ont affirmé que cette dernière n'avait pas commis de faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles.

Concernant le communiqué commun ITM / La Boucherie de septembre 2012 adressé aux adhérents antérieurement à la cession a laissé une option à ces derniers entre rester dans le réseau Poivre Rouge en conservant les mêmes avantages d'approvisionnement au sein du Groupement les Mousquetaires, ou bien intégrer le réseau à l'enseigne La Boucherie.

Concernant les protocoles d'accord de sortie signés avant la cession par certains adhérents Poivre Rouge, ils sont intervenus avant la cession et sans que La Boucherie n'y participe.

Enfin, concernant les allégations des appelants relatives à un défaut de diligence dans l'exploitation et l'animation du réseau post-cession, la Cour relève que c'est à ITM R, en sa qualité de tête du réseau, qu'il incombait de faire respecter les règles sur l'usage des signes distinctifs Poivre Rouge et d'assurer la visibilité de l'enseigne dans les salons professionnels. Rien au dossier ne démontre que le Groupe La Boucherie a entravé sa filiale ITM R dans l'exercice de la mission qui incombait à cette dernière pour animer le réseau « Poivre Rouge ». Au contraire, Le Groupe La Boucherie justifie de l'organisation de réunions régulières courant 2019 et 2020 auxquelles les affiliés au réseau Poivre Rouge étaient conviés à l'initiative du responsable du réseau marketing du Groupe. (pièces 25 et 26 La Boucherie)

Par conséquent, les appelants échouent à caractériser un comportement fautif à leur égard imputable au Groupe la Boucherie, ils seront donc déboutés de leurs demandes envers cette dernière, et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts

Au vu de ce qui précède, la seule faute retenue consiste dans un comportement déloyal d'ITM E à l'égard des membres du réseau lors de l'annonce de la cession, ce qui n'a pu générer qu'un préjudice moral subi par le dirigeant personne physique de la société adhérente, préjudice moral qui sera réparé par le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 15.000 euros à payer à chacun des deux dirigeants personnes physiques de la société adhérente au réseau Poivre Rouge au moment de la cession d'ITM R au Groupe La Boucherie, comme l'ont justement évalué les premiers juges.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point et en ce qu'il a rejeté toutes les demandes des appelants tendant à une indemnisation des préjudices financiers et matériels allégués.

Le jugement sera en revanche infirmé en ce qu'il a condamné ITM E à payer aux dirigeants personnes physiques de la société adhérente des dommages et intérêts en réparation du préjudice pour perte de chance d'évolution de carrière et de statut social.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera confirmé sur les frais et dépens de première instance.

Les appelants, succombant partiellement dans leur appel, seront condamnés in solidum aux entiers dépens.

Au vu de l'espèce, il est équitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais irrépétible engagés par elles dans la présente procédure en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, exceptée sa condamnation de la société ITM Entreprise à payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice pour perte de chance d'évolution de carrière et de statut social,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Rejette la demande tendant à sa condamnation à payer des dommages et intérêts au titre du préjudice pour perte de chance d'évolution de carrière et de statut social,

Rejette toutes les demandes au titre des frais irrépétibles de l'appel,

Condamne in solidum M. [X] [P] et Mme [S] [O] [P] et la société Stea aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/15589
Date de la décision : 12/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-12;20.15589 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award