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11/10/2022 | FRANCE | N°19/21719

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 11 octobre 2022, 19/21719


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 11 OCTOBRE 2022



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/21719 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBVW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/04150





APPELANTS



Maître [C] [T]

[Adresse 3]

[Localité 7]



Représenté par Me Philippe BERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0984



Maître [M] [D]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Philippe BERN, avocat au barreau de PARIS, toque : ...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 11 OCTOBRE 2022

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/21719 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBVW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 19/04150

APPELANTS

Maître [C] [T]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Philippe BERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0984

Maître [M] [D]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Philippe BERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0984

SELARL JTBB AVOCATS

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Philippe BERN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0984

INTIMES

Madame [G] [N] [L] [U] épouse [Y]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 et assistée de Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS

Madame [O] [H] [V] [U] épouse [Z]

[Adresse 8]

[Localité 1] (TO) ITALIE

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 et assistée de Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [B] [E]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 et assisté de Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle MOREAU, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, conseillère

Mme Claire DAVID, magistrate honoraire juridictionnelle

Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre, et par Florence GREGORI, greffière présente lors de la mise à disposition de la décision et à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

***

Par acte sous seing privé du 31 décembre 2012 rédigé par MM. [C] [T] et [M] [D], avocats exerçant au sein de la Selarl JTBB Avocats, Mme [J] [E] veuve [F]-[S] a apporté les parts qu'elle détenait au sein de la Sa Garages Nations et de neuf Sci au profit de la Sas EMAB, en optant sur le plan fiscal pour "un régime de sursis ou report d'imposition automatique des éventuelles plus-values réalisées par l'apporteur personne physique".

L'apport, évalué à 20 364 000 euros, a donné lieu à l'attribution à Mme [F]-[S] de 183 640 actions nouvelles d'une valeur nominale de 100 euros au sein de la société EMAB, ainsi que d'une soulte en numéraire de 2 000 000 euros comptabilisée en compte courant d'associé.

L'administration fiscale, considérant que le mécanisme de report d'imposition de la plus-value n'était pas applicable en présence d'une soulte dépassant 10% de la valeur nominale des titres reçus, a émis une proposition de rectification de l'impôt sur le revenu de 2012 réintégrant ladite plus-value le 12 janvier 2015. L'imposition d'un montant total de 1 853 270 euros a été réglée intégralement le 16 février 2016.

C'est dans ces circonstances que, par actes du 12 avril 2016, Mme [F]-[S] a fait assigner la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D] devant le tribunal de grande instance de Paris.

L'affaire a été radiée à deux reprises, le 7 mars 2018 en raison du décès de la demanderesse le 11 décembre 2017, laissant pour lui succéder M. [B] [E], Mme [O] [U] et Mme [G] [U], puis le 28 mars 2019 en l'absence de conclusions de la part des héritiers ayant repris l'instance dans le délai imparti, puis a été remise au rôle.

Par jugement en date du 9 octobre 2019, le tribunal a :

- condamné la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D], à payer à M. [E], Mme [G] [U] et Mme [O] [U], en leur qualité d'héritiers d'[J] [E], la somme de 1 055 163,90 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation de ces intérêts au sens de l'article 1343-2 du code civil,

- débouté M. [E], Mme [G] [U] et Mme [O] [U] du surplus de leurs demandes indemnitaires,

- condamné in solidum la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D], aux dépens,

- condamné in solidum la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D], à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 26 novembre 2019, la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D] ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 9 juin 2022, la Selarl JTBB Avocats, M. [C] [T] et M. [M] [D] (ci-après, l'avocat ou les appelants) demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnés à verser aux intimés, en leur qualité d'ayants droit d'[J] [F]-[S], la somme 1 055 163,90 euros de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance,

et statuant à nouveau,

- débouter les intimés en tous leurs chefs de demande, et, subsidiairement, réduire ceux que la cour croirait devoir retenir à de plus justes proportions,

- condamner les intimés à restituer, le cas échéant à due proportion, la somme qu'ils leur ont versée en application de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement dont appel,

- condamner les intimés à leur verser 7 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 13 juin 2022, Mme [G] [U], Mme [O] [U] et M. [B] [E], venant aux droits d'[J] [F]-[S] (ci-après, les intimés) demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la faute des appelants,

- infirmer le jugement pour le surplus,

et statuant de nouveau sur le préjudice :

- condamner in solidum M. [C] [T], M. [M] [D] et le cabinet JTBB Avocats à leur payer à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices :

- la somme en principal de 1 853 270 euros au titre des droits, majorations et intérêts payés à l'administration fiscale et capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil,

- la somme de 66 493,37 euros au titre de l'indemnisation du coût du capital emprunté,

- la somme de 21 018 euros en indemnisation des frais et honoraires de conseil,

- la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

- condamner in solidum les appelants à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les appelants aux dépens de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur la responsabilité

- Sur la faute

Le tribunal a jugé que l'avocat, tenu d'informer les parties des incidences fiscales des actes auxquels il participe, ne démontre pas avoir informé [J] [F]-[S] de l'existence du seuil de 10% de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, alors que l'opération portait précisément sur un apport de droits sociaux avec soulte dont le montant excédait ledit seuil, rendant de surcroît inefficace le report d'imposition de la plus-value générée mentionné dans le contrat d'apport.

Les appelants ne contestent pas la faute, consistant en un mauvais calcul de la soulte, et font porter le débat sur le lien de causalité et le préjudice.

Les intimés demandent la confirmation du jugement sur ce point.

Le manquement de l'avocat à son obligation d'information et son devoir de conseil quant aux conditions permettant de bénéficier du report d'imposition posé par l'article 150-0 B ter du code général des impôts est donc caractérisé.

- Sur le lien de causalité et le préjudice :

Le tribunal a jugé que :

- les demandeurs font valoir l'option d'un apport identique avec une soulte inférieure au seuil de 10%, qui aurait permis de bénéficier du report d'imposition de la plus-value,

- au vu des pièces versées en défense, il existe toutefois un aléa sur le fait que le fisc considère ce montage comme traduisant un abus de droit - lorsque la société bénéficiaire de l'apport n'a aucun intérêt économique au versement de la soulte -, et qui aurait suscité un redressement de l'impôt sur le revenu lié à la soulte au taux progressif habituel (45% + 15,5% de cotisations sociales en 2012) et non au taux forfaitaire applicable à la plus-value (19%), outre une potentielle majoration de 80%, soit un montant comparable voire supérieur à celui appelé en réalité,

- eu égard à l'aléa ainsi établi, il y a lieu d'évaluer la perte de chance d'échapper à l'imposition

de la plus-value générée par l'opération litigieuse à 60%, en sorte qu'il convient d'allouer aux demandeurs :

- au titre du principal de l'impôt, la somme de 979 063,20 euros,

- au titre de la majoration de 10% prévue par l'article 1758 du code général des impôts (pour déclaration inexacte, qui a été appelée du fait de l'erreur commise par le cabinet d'avocats), à l'exclusion de la majoration appelée par la suite au titre du retard de paiement sur le fondement de l'article 1730 du même code, qui n'est pas imputable aux défendeurs, la somme de 58 489,80 euros,

- au titre des frais et honoraires exposés dans le cadre du contrôle fiscal, la somme de 12 610,90 euros.

- le préjudice moral, lié aux tracas occasionnés, est évalué à la somme de 5 000 euros,

- la demande formulée au titre des intérêts de retard appelés par l'administration fiscale n'est pas fondée à défaut de démonstration que l'avantage de trésorerie procuré par la conservation de l'impôt éludé jusqu'au redressement serait inférieur - et dans quelle mesure - aux intérêts de retard appelés par le fisc,

- n'est pas davantage fondée la demande au titre du coût du capital emprunté pour financer l'impôt redressé, dès lors qu'il ressort des pièces communiquées que ce coût est calculé en fonction de la date de remboursement des avances, par nature incertaine, en sorte que le coût généré est lui-même incertain à ce jour.

Les appelants font valoir que :

- si la soulte avait été fixée à moins de 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange, la contribuable aurait été soumise immédiatement, non seulement à l'imposition principale appliquée, mais en plus à une majoration de 80% pour abus de droit fiscal visée à l'article 1729b du code général des impôts, de sorte que l'erreur commise lors de la fixation du montant de la soulte s'avère favorable,

- la chance d'échapper à la procédure d'abus de droit fiscal n'est pas de 60% mais nulle, le fisc ayant systématiquement usé de la notion d'abus de droit à partir de 2014 lorsque les soultes avaient pour objectif l'appréhension par l'apporteur de liquidités et ne répondaient pas à un objectif de parité d'échange,

- ce raisonnement doit être appliqué à l'imposition au principal, aux majorations et aux intérêts de retard, étant relevé, de surcroît, que les premiers juges ont exactement retenu que les intérêts de retard étant contrebalancés par un avantage en trésorerie, ne sauraient constituer un préjudice indemnisable,

- subsidiairement, l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2016, ne prévoyait pas une exonération mais un simple report d'imposition sur les plus-values réalisées jusqu'à la revente des titres reçus en échange de l'apport de sorte que le préjudice dont se plaignait [J] [F]-[S] dans son assignation introductive d'instance n'était pas définitif,

- ainsi, à supposer que la cour estime indemnisable le préjudice subi par la perte d'un simple report d'imposition, le dommage ne saurait être supérieur à 10% de l'imposition en cause et non à 60% comme l'a estimé le premier juge,

- au surplus, s'agissant du coût du capital emprunté,

- les emprunts en cause dépassent les sommes réglées par la défunte à l'administration et le choix de recourir à l'emprunt résulte d'une préférence de la défunte qui disposait d'autres liquidités,

- ils ont été portés au débit de la succession dont ils ont diminué les droits,

- sur les frais de conseils, le ministère d'avocat n'était pas requis pour la procédure devant l'administration,

- sur le préjudice moral, la somme allouée de 5 000 euros est excessive.

Les intimés soutiennent que :

- ils ont subi un préjudice économique personnel, certain et définitif en lien de causalité directe avec la faute du cabinet JTBB Avocats, résultant de son erreur de calcul du montant maximum de la soulte, alors qu'il était indiqué dans l'acte d'apport que l'imposition relevait du régime du report d'imposition de l'article 150 -0-B du code général des impôts,

- le montant de l'imposition de la plus-value indument acquitté en 2015 par [J] [F]-[S] n'aurait jamais dû être payé puisque le report d'imposition de l'article 150-0-B du code général des impôts aurait dû s'appliquer tant que les titres de la société EMAB n'étaient pas vendus par cette dernière et qu'elle est décédée sans les avoir vendus,

- la succession d'[J] [F]-[S] n'aurait jamais dû supporter un préjudice qui a obéré le patrimoine successoral en principal et majorations de 1 853 270 euros,

- à titre subsidiaire, le tribunal n'explique pas en quoi consiste la perte de chance s'élevant à 60% compte tenu de l'âge avancé d'[J] [F]- [S],

- ils n'auraient pas eu à l'avenir à supporter le paiement l'impôt au titre de la plus-value de l'apport en report puisqu'ils se sont acquittés des droits de succession, de sorte que leur préjudice est personnel, certain et devenu définitif car consommé et doit être intégralement réparé,

- la thèse de l'abus de droit invoquée par les appelants est infondée dès lors que :

- l'avocat, qui a conseillé ce montage, ne saurait invoquer sa propre turpitude a posteriori,

- la validité des opérations d'apport avec soulte est admise par l'administration fiscale depuis la loi de finances pour 2000, et lorsque ces opérations ont été considérées comme abusives, les soultes étaient financées par un emprunt bancaire et avaient pour finalité d'appréhender la trésorerie,

- l'administration fiscale n'a jamais remis en cause cette opération pour abus de droit ou absence de justification économique, ayant même accepté de diminuer le taux de redressement et d'accorder une remise des pénalités,

- la finalité économique de l'opération n'était pas d'appréhender des liquidités mais de restructurer la société,

- les prétendus avantages retirés de l'erreur de l'avocat sont inopérants et injustifiés dès lors que si les revenus fonciers n'ont plus été effectivement taxés directement auprès d'[J] [F]-[S], ils l'ont été au auprès de la société EMAB qui a bénéficié de l'apport des titres,

- la cour n'a pas à se substituer à l'administration fiscale pour taxer préalablement de 40% les dommages et intérêts qu'elle leur allouera.

Au titre de leurs préjudices, il font valoir :

- l'imposition de la plus-value indument acquittée, outre majorations et intérêts de retard soit la somme de 1 853 270 euros,

- les intérêts de retard appelés par l'administration (124 015 euros),

- le coût du capital emprunté pour financer l'impôt redressé, la durée et son coût étant démontrés et cet emprunt ne résultant pas d'un choix puisque leur de cujus ne disposait d'aucune trésorerie lui permettant de faire face au paiement du commandement de payer,

- les honoraires de conseil acquittés à l'occasion du contrôle fiscal, [J] [F]-[S], âgée

de 83ans, ne pouvant se passer du ministère d'un avocat,

- un préjudice moral, évalué à 50 000 euros, en ce que [J] [F]-[S] a très mal supporté psychologiquement l'erreur du cabinet d'avocats et a subi la menace de saisie de ses comptes bancaires à la suite du commandement de payer qui lui a été délivré.

L'avocat engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1147 du code civil dans sa version applicables aux faits, à charge pour celui qui l'invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.

Selon l'article 150-0 A du code général des impôts, 'Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectués directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnanés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu'.

L'article 150-0 B ter du même code, dans sa version en vigueur au moment des faits, énonce que :

'I. - L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170.

Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

Il est mis fin au report d'imposition à l'occasion :

1° De la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l'annulation des titres reçus en rémunération de l'apport ;

2° De la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l'annulation des titres apportés, si cet événement intervient dans un délai, décompté de date à date, de trois ans à compter de l'apport des titres. Toutefois, il n'est pas mis fin au report d'imposition lorsque la société bénéficiaire de l'apport cède les titres dans un délai de trois ans à compter de la date de l'apport et prend l'engagement d'investir le produit de leur cession, dans un délai de deux ans à compter de la date de la cession et à hauteur d'au moins 50 % du montant de ce produit, dans le financement d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion d'un patrimoine mobilier ou immobilier, dans l'acquisition d'une fraction du capital d'une société exerçant une telle activité, sous la même exception, et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle au sens du 2° du III du présent article, ou dans la souscription en numéraire au capital initial ou à l'augmentation de capital d'une ou plusieurs sociétés répondant aux conditions prévues au b du 3° du II de l'article 150-0 D bis. Le non-respect de la condition de réinvestissement met fin au report d'imposition au titre de l'année au cours de laquelle le délai de deux ans expire ;

3° De la cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l'annulation des parts ou droits dans les sociétés ou groupements interposés ;

4° Ou, si cet événement est antérieur, lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l'article 167 bis.

La fin du report d'imposition entraîne l'imposition de la plus-value dans les conditions prévues à l'article 150-0 A, sans préjudice de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la date de l'apport des titres, en cas de manquement à la condition de réinvestissement mentionnée au 2° du présent I'.

Selon la proposition de rectification fiscale du 12 janvier 2015, la soulte de 2 000 000 euros étant supérieure à 10% de la valeur nominale des titres reçus d'un montant total de 18 364 000 euros, l'intégralité de la plus-value d'échange, soit 4 239 512 euros, est soumise à l'impôt sur le revenu au titre des revenus d'[J] [F]-[S].

Cette dernière souhaitant bénéficier du report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts et le montant de la soulte ayant été comptabilisé en compte courant d'associé, il est évident que dûment conseillée par l'avocat sur le fait que le montant de la soulte devait être déterminé en fonction de la valeur nominale des titres reçus, de 18 364 000 euros, et non pas de la valeur globale des apports s'élevant à 20 364 000 euros, elle aurait accepté que le montant de la soulte soit réduit à 1 836 400 euros au lieu de 2 000 000 euros.

Pour établir qu'[J] [F]-[S] se serait vu taxer pour abus de droit, les appelants font valoir que la soulte dont elle a souhaité bénéficier avait pour but l'appréhension par elle de liquidités et ne répondait pas à un objectif de parité d'échange, ainsi qu'il résulte des critères ressortant des avis du Comité de l'abus de droit fiscal de 2018 et 2022.

Le comité de l'abus de droit fiscal a effectivement retenu un abus de droit quand 'l'octroi de la soulte ne s'inscrit pas dans le cadre de l'opération de restructuration d'entreprise mais est en réalité uniquement motivé par la volonté de l'apporteur des titres d'appréhender en franchise immédiate d'impôt des liquidités détenues par la société dont les titres sont apportés et en faisant ainsi l'objet d'un désinvestissement faute qu'il soit justifié que la société bénéficiaire de l'apport initial avait, afin de permettre le dénouement de l'opération, un intérêt économique au versement de cette soulte, alors que, lorsque cette soulte est ainsi financée, elle prive cette société de la possibilité de disposer de ressources nécessairement prises en compte lors de la détermination de la valeur des titres apportés'. Dans une première espèce (contrat d'apport du 25 janvier 2016), le comité consultatif constate que la soulte versée par la société J, inscrite au crédit du compte courant d'associé ouvert dans cette société au nom de M.[A] a été financée par une distribution de dividende de la société A pour laquelle M.[A], en tant qu'actionnaire à 90%, était décisionnaire. Il conclut que M.[A] doit être regardé comme ayant bénéficié du versement de la soulte par inscription de son montant au crédit de ce compte courant d'associé ouvert dans la société J dont il était l'unique associé et que 'dans les conditions dans lesquelles les opérations se sont déroulées', le versement de la soulte ne s'inscrit pas dans le respect du but poursuivi par le législateur au titre de la restructuration et du développement du groupe de M.[A] mais caractérise une appréhension des liquidités de la société A par l'appropriation du dividende que celle-ci a versé à la société J.

Dans une seconde espèce (contrat d'apport du 8 avril 2016, proposition de rectification du 20 décembre 2019), le comité relève que M. [X] doit être regardé comme ayant bénéficié de la mise à disposition de la soulte litigieuse par inscription de son montant au crédit du compte courant d'associé ouvert à son nom dans les livres de la société B dont il détient l'intégralité du capital. Il estime que les circonstances familiales invoquées par M. [X] -visant à protéger son conjoint - ne constituent pas une justification probante de l'intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport, dont il détenait avant comme après l'opération d'apport l'intégralité du capital, de prévoir le versement d'une soulte afin de rendre possible la réalisation de l'opération de restructuration effectuée par le contribuable. Dans cette affaire, contrairement à la première, la soulte n'avait pas été remboursée au contribuable par l'octroi de liquidités de la société.

En l'occurence, quand bien même [J] [F]-[S] aurait eu comme objectif de réorganiser la direction du groupe Garages Nation et de développer celui-ci sans que la famille [I], actionnaire minoritaire, bénéficie de cette future croissance -ce qui ne ressort pas des termes du contrat d'apport-, le rapport du commissaire aux apports mentionne que 'l'opération s'inscrit dans le cadre de la restructuration familiale du patrimoine d'[J] [F]', cette dernière a fait un apport trés conséquent au profit de la société EMAB et la soulte en numéraire, comptabilisée en compte courant d'associé de l'apporteur, a été financée par une augmentation du capital de la société EMAB dont elle était l'associée unique.

Compte tenu de ces élements et de la concomittance entre la date du contrat d'apport litigieux -31 décembre 2012 - et celle de celui reconnu constitutif d'abus de droit -25 janvier 2013-, mais également du fait que l'administration n'ait retenu aucun abus de droit dans le redressement fiscal appliqué à [J] [F]-[S], lui accordant au contraire une remise de pénalités le 23 février 2016 -alors que la proposition de rectification de M[K] date du 19 décembre 2016 -, et que contrairement au premier cas d'espèce susvisé, il n'est pas établi que la soulte inscrite au compte courant d'[J] [F]-[S] lui ait été rapidement remboursée sous forme de liquidités, les intimés soutenant au contraire, sans être contredits, que la soulte n'a pas profité à [J] [F]-[S] mais a été absorbée par la société EMAB pour soutenir l'activité de sa filiale Garage Nation, la chance pour [J] [F]-[S] de se voir reprocher un abus de droit par l'administration fiscale si le montant de la soulte avait été effectivement inférieur à 80% de la valeur nominale des titres apportés doit être évaluée à 20%.

Dès lors, les intimés ne justifient pas d'un préjudice certain et consommé du fait de l'imposition de la plus-value, mais d'une perte de chance de 80% de pouvoir bénéficier du report d'imposition prévu à l'article 150-0 B ter si l'avocat avait respecté son devoir de conseil.

Cependant, ainsi que le font valoir les appelants, l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2016, ne prévoit pas une exonération mais un simple report d'imposition sur les plus-values réalisées jusqu'à la revente des titres reçus en échange de l'apport. Les intimés qui ont hérité d'[J] [F]-[S] n'établissent aucunement que ce report d'imposition aurait pu être maintenu indéfininement, ce quand bien même leur de cujus n'avait pas revendu les titres au jour de son décès, dès lors qu'ils ne fournissent aucun élémént sur la société et sur la conservation des titres reçus en rémunération de l'apport.

Le préjudice économique allégué au titre du redressement fiscal subi venant obérer le patrimoine successoral, ne consiste ainsi qu'en l'emploi des fonds à l'acquittement immédiat de l'impôt alors qu'il est justifié d'une perte de chance de bénéficier d'un report d'imposition de 80%. Ce préjudice doit être évalué à 10% du montant total de l'imposition réglée, capital, intérêts et majorations de retard compris au regard de la chance perdue, dès lors que du fait de la faute de son avocat, [J] [F]-[S] n'était pas en mesure d'anticiper l'imposition appliquée. Il est donc justifié à ce titre d'un préjudice de 148 261 euros (1 853 270 euros x 10% x 80%).

En revanche, les intimés sont fondés à solliciter le remboursement du coût de l'emprunt qu' [J] [F]-[S] justifie avoir dû souscrire pour s'acquitter de l'impôt, frais non utilement discutés par les appelants qui ne justifient pas qu'elle disposait des liquidités nécessaires pour ce faire et qu'elle a dû exposer en raison du manquement de son avocat à son devoir de conseil sans être en mesure de les anticiper. Ce préjudice doit être évalué au regard de la chance perdue de bénéficier d'un report d'imposition, soit à raison de 80% des frais exposés.

De même, leur demande de remboursement de l'intégralité des honoraires du conseil ayant assisté leur de cujus à l'occasion du contrôle fiscal doit être accueillie, l'intervention d'un conseil étant nécessaire compte tenu de la technicité du droit fiscal, et en lien causal avec la faute de l'avocat.

En revanche, le préjudice moral d'[J] [F]-[S] au titre du contrôle fiscal subi et de ses conséquences a été justement apprécié par les premiers juges à 5000 euros.

Les appelants doivent donc être condamnés in solidum à indemniser les intimés comme suit :

- préjudice économique au titre du redressement fiscal subi : 148 261euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, les intérêts échus depuis un an produisant eux-mêmes des intérêts au taux légal,

- indemnisation du coût du capital emprunté : 66 493,37 x 80% : 53 194 euros

- frais et honaires de conseil : 21 018 euros

- préjudice moral : 5 000 euros.

Le jugement est donc infirmé de ces chefs.

Il n'y a pas lieu de condamner les intimés à restituer, à due proportion, la somme versée par les appelants en application de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement dont appel, la restitution devant avoir lieu en raison de la seule infirmation du jugement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées. Les appelants seront condamnés aux dépens exposés en cause d'appel, sans qu'aucune considération d'équité ne justifie leur condamnation au paiement d'une indemnité de procédure supplémentaire en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme, dans les limites de l'appel, le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :

- condamné in solidum la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D], aux dépens,

- condamné in solidum la Selarl JTBB Avocats, M. [T] et M. [D], à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau,

Condamne in solidum la Selarl JTBB Avocats, [C] [T] et M. [M] [D] à payer à Mme [G] [U], Mme [O] [U] et M. [B] [E], venant aux droits d'[J] [F]-[S] :

- la somme de 148 261 euros au titre du préjudice économique subi au titre de l'impôt acquitté, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et capitalisation de ces intérêts au sens de l'article 1343-2 du code civil

- la somme de 53 194 euros en indemnisation du coût du capital emprunté,

- la somme de 21 018 euros au titre des frais et honaires de conseil,

- la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral,

Déboute Mme [G] [U], Mme [O] [U] et M. [B] [E], venant aux droits de [J] [F]-[S] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Selarl JTBB Avocats, [C] [T] et M. [M] [D] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/21719
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;19.21719 ?
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