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06/10/2022 | FRANCE | N°22/01407

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 06 octobre 2022, 22/01407


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 06 OCTOBRE 2022



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01407 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFCE4



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Janvier 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 21/53893





APPELANTE



S.C. ATIM UNIVERSITE (RCS de Paris n°508 886 231)



[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistée par Me Jules CORNERAIS, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE

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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 06 OCTOBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01407 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFCE4

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Janvier 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 21/53893

APPELANTE

S.C. ATIM UNIVERSITE (RCS de Paris n°508 886 231)

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistée par Me Jules CORNERAIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. [Adresse 8] DISTRIBUTION

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Vincent RIBAUT de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 juin 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, et Thomas RONDEAU, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d'un acte sous seing privé signé le 16 juin 2011, le groupe immobilier Monteverde, aux droits duquel vient la société civile immobilière Atim Université a loué à la société [Adresse 8] Distribution des locaux commerciaux situés [Adresse 2] , pour une durée de neuf années à compter du 16 juin 2011, moyennant un loyer annuel en principal de 160.000 euros HT hors charges payable trimestriellement et d'avance.

Des loyers sont restés impayés et le bailleur a, le 19 février 2021, fait délivrer au preneur un commandement de payer la somme de 163.069,91 euros échue à cette date, ce commandement visant la clause résolutoire stipulée au contrat de bail.

Par exploit du 26 mars 2021, la société Atim Université a fait assigner la société [Adresse 8] Distribution devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir :

- constater l'acquisition de la clause résolutoire,

- ordonner l'expulsion de la défenderesse et celle de tous occupants de son chef des lieux loués avec le concours de la force publique si besoin est, outre la séquestration des biens laissés sur place,

- condamner la défenderesse au paiement de la somme provisionnelle de 323.155,05 euros arrêtée au 5 novembre 2021, 4ème trimestre 2021 inclus, outre celle de 16.157,75 euros au titre de la clause pénale, l'ensemble de ces sommes portant intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter de chaque échéance contractuelle, tout mois commencé étant dû,

- dire que le bailleur conservera le dépôt de garantie à titre d'indemnité en application des clauses du bail,

- dire que le locataire sera tenu, à titre provisionnel, au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer courant majoré de 25% à compter du 19 mars 2021,

- à titre subsidiaire, assortir l'octroi de délais de paiement d'une clause de déchéance et de l'acquisition de la clause résolutoire,

- la condamner au paiement d'une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- ordonner que l'exécution de l'ordonnance aura lieu au seul vu de la minute.

Par ordonnance contradictoire du 5 janvier 2022, le juge des référés a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en constatation de la clause résolutoire et les demandes subséquentes,

- condamné la société [Adresse 8] Distribution à verser à la société Atim Université la somme de 256.339,04 euros à titre de provision à valoir sur les loyers et charges échus au 5 novembre 2021, 4ème trimestre 2021 inclus,

- l'a autorisée à se libérer de cette dette en vingt-quatre mensualités égales en sus du loyer et des charges courants, le premier versement devant être effectué le 12ème jour du mois suivant la signification de l'ordonnance et tout paiement étant imputé en priorité sur les loyers et charges en cours, puis le 12 de chaque mois, sauf meilleur accord des parties,

- dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son échéance et dans son intégralité, le solde restant dû deviendra immédiatement exigible,

- rappelé que les délais de paiement suspendent toutes les voies d'exécution éventuellement engagées par le créancier ;

- condamné la société [Adresse 8] Distribution à verser à la société civile immobilière Atim Université la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

- condamné la société [Adresse 8] Distribution au paiement des dépens.

Par déclaration du 13 janvier 2022, la société Atim Université a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 avril 2022, la société Atim Université demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris le 5 janvier 2022 en ce qu'elle a :

renvoyé les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront,

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en constatation de la clause résolutoire et les demandes subséquentes,

condamné la société [Adresse 8] Distribution à verser à la société civile immobilière Atim Université la somme de 256.339,04 euros à titre de provision à valoir sur les loyers et charges échus au 5 novembre 2021, 4e trimestre 2021 inclus,

autorisé la société [Adresse 8] Distribution à se libérer de cette dette en 24 mensualités égales en sus du loyer et des charges courants, le premier versement devant être effectué le 12 e jour du mois suivant la signification de la présente ordonnance et tout paiement étant imputé en priorité sur les loyers et charges en cours, puis le 12 de chaque mois, sauf meilleur accord des parties,

dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son échéance et dans son intégralité, le solde restant dû deviendra immédiatement exigible,

rappelé que ces délais de paiement suspendent toutes les voies d'exécution éventuellement engagées par le créancier,

dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

- confirmer l'ordonnance du 5 janvier 2022 en ce qu'elle a :

condamné la société [Adresse 8] Distribution à verser à la société civile immobilière Atim Université la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,

condamné la société [Adresse 8] Distribution au paiement des dépens ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- constater le jeu de la clause résolutoire par l'effet du commandement de payer signifié le 19 février 2021 corrélativement, ordonner l'expulsion la société [Adresse 8] Distribution, preneur, ainsi que celle de tous occupants de son chef, des locaux situés [Adresse 1], avec si nécessaire, l'intervention d'un huissier, des forces de l'ordre et d'un serrurier ;

- ordonner la séquestration des biens et facultés mobilières se trouvant dans les lieux, soit dans l'immeuble, soit dans un garde-meuble, au choix du bailleur, aux frais, risques et périls du locataire ;

- condamner la société [Adresse 8] Distribution à régler au bailleur, à titre de provision, la somme de 382.195,01 euros TTC arrêtée au 1er avril 2022, correspondant aux causes du commandement, auxquelles s'ajoutent les échéances du 2e , 3e et 4e trimestres 2021, la taxe foncière 2021 et les 1er et 2e trimestre 2022 ;

- condamner la société [Adresse 8] Distribution à régler au bailleur, à titre de provision, la somme de 19.109,75 euros au titre de la clause pénale ;

- juger que les sommes dues seront augmentées d'un intérêt au taux légal majoré de cinq points à compter de chaque échéance contractuelle, tout mois commencé étant dû ;

- juger que le bailleur conservera le dépôt de garantie à titre d'indemnité en application des clauses du bail ;

- dire, à titre provisionnel, que le locataire sera tenu à compter de la résiliation du bail du paiement d'une indemnité d'occupation fixée au montant du loyer courant majoré de 25 % à compter du 19 mars 2021 ;

A titre subsidiaire,

- dans l'hypothèse où le preneur formerait une demande de délais, avec suspension des effets de la clause résolutoire concernant le défaut de paiement des loyers et accessoires, qui serait accueillie, dire et juger en toute hypothèse que, faute de paiement en son entier et à bonne date, d'une seule des échéances prévues à l'ordonnance à intervenir, ainsi que des loyers et accessoires courants à leur échéance contractuelle :

la déchéance du terme sera encourue, la totalité de la dette devenant immédiatement exigible,

la clause résolutoire sera acquise par les bailleurs, autorisées à poursuivre l'expulsion du preneur, ainsi que celle de tous occupants de son chef dans les conditions visées ci-dessus ;

En toute hypothèse,

- condamner le preneur au paiement d'une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de l'appel ;

- ordonner que l'exécution de l'ordonnance de référé à intervenir aura lieu au seul vu de la minute.

La société Atim Université expose notamment que :

- aucune fermeture administrative n'a été subie par la société [Adresse 8] Distribution, s'agissant d'une supérette,

- la clause résolutoire est acquise, le commandement visant la clause résolutoire, suffisamment précis, ayant été délivré de bonne foi, alors que l'existence de la dette est incontestable, que le locataire a bénéficié de délais pour l'apurer, alors que ce dernier qui a manqué à son obligation principale de payer son loyer relève d'une particulière mauvaise foi,

- par ailleurs, la dette a augmenté depuis la décision du premier juge,

- la clause de refacturation des charges est précise, et ne peut être réputée non écrite, de même que la clause d'indexation,

- le loyer du bail renouvelé correspond bien à la valeur locative et au bail signé entre les parties.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 31 mai 2022, la société [Adresse 8] Distribution demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence :

- confirmer l'ordonnance du 5 janvier 2022 en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé sur la demande en constatation de la clause résolutoire et les demandes subséquentes ;

réduit la provision au titre de sa dette locative à la somme de 256.339,04 euros à valoir sur les loyers et charges échus au 5 novembre 2021, 4e trimestre 2021 inclus ;

l'a autorisée à se libérer de cette dette en 24 mensualités égales en sus du loyer et des charges courants, le premier versement devant être effectué le 12e jour du mois suivant la signification de la présente ordonnance et tout paiement étant imputé en priorité sur les loyers et charges en cours, puis le 12 de chaque mois, sauf meilleur accord des parties ;

rappelé que ces délais de paiement suspendent toutes les voies d'exécution éventuellement engagées par le créancier ;

- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a considéré que ses demandes reconventionnelles ne relevaient pas de la compétence du juge des référés,

- statuant à nouveau, condamner la société civile immobilière Atim Université à lui rembourser 128.279,92 euros au titre des sommes indûment perçues et prononcer la compensation de cette somme avec la dette de loyer ;

En tout état de cause,

- condamner la société Atim Université à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Atim Université en tous les dépens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle expose notamment que :

- la bailleresse n'a pas fait preuve de bonne foi dans l'exécution du contrat pendant la période de crise sanitaire et économique qui a impacté son activité, alors que la supérette se situe dans un quartier d'affaires, de bureaux, et d'hôtels,

- la demande de renouvellement du loyer du 30 juin 2020 et celle portant sur la franchise de loyer en date du 23 juillet 2020 sont restées sans réponse, alors qu'il a été répondu à la mise en demeure du bailleur,

- si la locataire n'a pas pu régler ses derniers appels de loyers c'est que la société Atim Université a fait procéder à trois saisies conservatoires sur ses comptes à hauteur de 318.272 euros,

- la mise en oeuvre de la clause résolutoire se heurte à des contestations sérieuses dans la mesure où le commandement est imprécis, et ne peut produire d'effet, où la clause de refacturation des charges est également trop peu précise, où la clause de refacturation des honoraires de gestion doit être réputée non écrite,

- la condamnation au titre des loyers et charges impayés n'est justifiée ni dans son principe ni dans son quantum,

- l'ordonnance entreprise sera réformée en ce qu'elle n'a pas fait droit à ses demandes reconventionnelles, l'appelante devant lui rembourser la somme de 128.279 euros.

SUR CE, LA COUR

Sur les conditions d'acquisition de la clause résolutoire

Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Selon l'article 835 du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.

Selon l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au contrat de bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.

Il est constant que le 19 février 2021, la société Atim Université a fait délivrer à la société [Adresse 8] Distribution un commandement de payer, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, pour avoir paiement de la somme en principal de 160.069 euros correspondant à l'arriéré locatif à cette date.

L'intimée soutient que le commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré de mauvaise foi par l'appelante, étant précisé qu'il est constant qu'elle a réglé les loyers à compter de l'ordonnance rendue outre le 2e trimestre 2022, soit 124.981, 15 euros, et les loyers courants pour la somme de 32.040 euros.

Il apparaît que :

- la société [Adresse 8] Distribution a, par courrier du 23 juillet 2020, sollicité de son bailleur une franchise de loyer en raison de difficultés qu'elle rencontrait du fait de la crise sanitaire,

- il ressort de la note du cabinet Robine, expert mandaté par la société [Adresse 8] Distribution, que le secteur de l'[Adresse 6], dans lequel se situe le commerce alimentaire de l'intimée, a été très impacté par la crise sanitaire, s'agissant d'un quartier d'affaires avec une densité importante en temps normal, les mesures sanitaires ayant entraîné une chute des taux de fréquentation ; il fait également remarquer qu'en raison de la notoriété de l'avenue et de son accès à la [Adresse 9], celle-ci est également le lieu de rassemblements lors de grands événements comme de manifestations qui peuvent perturber l'activité économique,

- il est en outre précisé que les locaux étant situés à proximité de l'Arc de Triomphe, le flux de clientèle essentiellement généré par la station [7], le mouvement des Gilets jaunes et la baisse du tourisme qui ont marqué l'année 2019 a d'ores et déjà suscité une baisse importante de fréquentation qui s'est brusquement aggravée en 2020 lors du premier confinement et des mesures sanitaires qui s'en sont suivies, le tourisme et l'activité d'affaires ayant connu de véritables coups d'arrêt,

-la société [Adresse 8] Distribution produit un bilan et un compte de résultat dont il résulte que le chiffre d'affaires 2020 de cette société s'élève à 1.570.758 euros alors que le chiffre d'affaires 2019 s'élevait à 2.084.537 euros, ce qui constitue une baisse considérable de chiffre d'affaires,

- compte étant tenu d'une comptabilité d'engagement, qui implique que soient enregistrées en comptabilité les créances et dettes, les loyers des trois derniers trimestres 2020 ont été intégrés au bilan comptable 2020 dont il ressort que le chiffre d'affaires de la société a bien diminué de 573.779 euros entre les deux exercices 2019 et 2020, de sorte qu'il ne peut être sérieusement soutenu que son activité, bien qu'elle consiste en un commerce d'alimentation sous l'enseigne Intermarché, n'a pas été impactée par la crise sanitaire issue de la lutte contre la pandémie de Covid 19, la clientèle en journée ayant été fortement réduite,

- par ailleurs, il ressort des pièces produites que la société Atim Université a fait adresser le 14 décembre 2020 par la société Swisslife, gestionnaire, une mise en demeure d'avoir à lui payer la somme de 122.935 euros correspondant au quittancement des 2e et 4e trimestre 2020, à une régularisation de charges 2019 et à la taxe foncière 2020,

- par courrier du 21 décembre 2020, la société [Adresse 8] Distribution réitérait une demande de renouvellement du bail, d'ores et déjà formulée par courrier du 30 juin 2020, et sa demande de franchise de loyer, faisant état de la perte de chiffres d'affaires subie, tout en adressant un chèque de 20.052, 61 euros représentant un mois de loyer,

- il est constant qu'aucun de ces courriers, ni aucune de ces demandes n'ont obtenu de réponse du bailleur qui a au contraire fait délivrer à la société [Adresse 8] Distribution un commandement de payer visant la clause résolutoire le 19 février 2021, puis une assignation en référé par exploit du 26 mars 2021,

- en outre, alors que le délai imparti par le commandement de payer expirait le 19 mars 2021, la société Atim Université a fait pratiquer le 3 mars 2021, sur les comptes bancaires de la société de la société [Adresse 8] Distribution, une saisie d'un montant de 163.069 euros, dénoncée le 5 mars suivant,

- cette saisie a été suivie d'autres saisies sur les comptes bancaires de la société [Adresse 8] Distribution les 4 mai 2021, 6 novembre 2021, et 14 avril 2022, toutes les saisies ayant fait l'objet d'une contestation devant le juge de l'exécution.

De la sorte, la mauvaise foi du bailleur dans la mise en oeuvre du commandement de payer en février 2021 est caractérisée. En effet, alors que la société [Adresse 8] Distribution a formulé une demande de franchise de loyers à plusieurs reprises, ainsi qu'une demande de renouvellement du bail, auxquelles il n'a jamais été répondu expressément, le bailleur n'a pas hésité à faire pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la locataire douze jours après la délivrance du commandement de payer et alors que le délai imparti par ce commandement de payer n'était pas expiré.

C'est ainsi à juste titre que le premier juge a considéré que le commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré de mauvaise foi par la société Atim Université et que dans ces conditions, la demande tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire de plein droit se heurte à une contestation sérieuse, sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres moyens.

L'ordonnance rendue sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur cette demande et les demandes subséquentes tendant à voir ordonner l'expulsion et condamner la locataire au paiement d'une indemnité d'occupation.

Sur la demande de provision

Selon l'article 835, alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier, ou ordonné l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

La société [Adresse 8] Distribution entend contester la provision demandée au regard de plusieurs motifs :

- la clause de refacturation des charges est imprécise,

- la clause de refacturation des honoraires de gestion des loyers doit être réputée non écrite depuis le renouvellement du bail qui a pris effet le 1er juillet 2020,

- la clause d'indexation également dans la mesure où elle ne joue qu'à la hausse,

- le loyer renouvelé ne correspond pas à la valeur locative.

Sur la clause de refacturation des charges

L'article 8 du bail du 16 juin 2011 prévoit une répartition des charges au prorata soit de la surface louée soit des tantièmes de propriété tandis que l'article 8.1 établit la liste des charges, en précisant qu'elle n'est pas limitative.

En réalité, cette clause est très précise en ce qu'elle indique le mode de répartition des charges et fournit ensuite une liste détaillée de ces charges de sorte que le moyen tiré de l'imprécision de ses termes ne constitue pas une contestation sérieuse.

L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur la clause de refacturation des honoraires de gestion

Il est constant que la refacturation des honoraires de gestion est issue des stipulations de l'article 8.1 précité qui énonce que "De manière générale, il supportera l'intégralité des charges de sorte que le loyer stipulé soit net de toutes charges pour le bailleur à l'exception de celles relevant de l'article 606 du code civil".

Il est tout aussi constant que les honoraires de gestion sont facturés à hauteur de 884 euros par trimestre.

Pourtant, l'article R 145-35, dans sa rédaction issue de l'article 6 du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014, applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter de sa publication, exclut dans son 4°, les honoraires du bailleur liés à la gestion du loyer du local.

L'article L 145-15 du code de commerce précise que ces dispositions sont d'ordre public.

Sur l'applicabilité de ces dispositions à l'espèce, il doit être précisé en application des dispositions de l'article L 145-12 du code de commerce que le bail a incontestablement fait l'objet d'un renouvellement au 1er juillet 2020, la demande de renouvellement formée par la locataire n'ayant fait l'objet d'aucune réponse du bailleur, de sorte que les dispositions de l'article R 145-36 4° lui sont applicables.

S'agissant d'honoraires de gestion, qui ne sont pas des honoraires d'assistance technique à proprement parler, et qui sont refacturés au locataire en application de l'article 8-1 du bail, il s'en déduit ainsi que l'a exactement analysé le premier juge que les appels trimestriels des honoraires de gestion se heurtent à une contestation sérieuse, ce à compter du 1er juillet 2020.

L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur l'indexation

L'article L 112-1 du code monétaire et financier dispose qu'est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision.

L'article 6 du bail prévoit que :

"le loyer évoluera tous les ans à la date anniversaire de la prise d'effet du bail proportionnellement aux variations de l'INCC publié par l'INSEE, base 100 au 4e trimestre 1953.

L'application de la présente clause d'indexation ne pourra toutefois avoir pour effet de fixer le loyer à un montant inférieur au loyer initial.

Cette indexation conventionnelle constitue une condition essentielle et déterminante du présent bail selon laquelle il n'aurait pas été consenti".

Est nulle une clause d'indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse ( Cass. Civ 3, 14 janvier 2016, 14-24681) mais seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite (Cass. Civ.3, 30 juin 2021, 19-23038). Ayant retenu à bon droit que seule l'indication d'un loyer plancher était contraire aux dispositions de l'article L 112-1 du code monétaire et financier et, souverainement que l'article 8-8 du contrat état dissociable des autres dispositions de la clause d'indexation, qui exprimait la commune intention des parties, la cour d'appel en a exactement déduit que seule la stipulation irrégulière devait être réputée non écrite. (Cass. Civ3, 11 mars 2021, 20-12345).

Quand bien même le bailleur indique avoir renoncé à appliquer l'alinéa 2 de la clause d'indexation, force est de constater que la stipulation de cet alinéa 2 comporte une disposition contractuelle susceptible d'être considérée comme nulle ou réputée non écrite, et que, pour déterminer si seule ladite stipulation doit être réputée non écrite ou bien si c'est la clause d'indexation dans son entier, il convient d'examiner si la stipulation litigieuse présente un caractère d'indivisibilité avec ladite clause dans son ensemble, ce qui échappe aux pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, alors qu'échappe également à ses pouvoirs l'examen de la commune intention des parties.

Dans ces conditions, la demande de provision issue de l'indexation du loyer se heurte à une contestation sérieuse. L'ordonnance sera confirmée sur ce point.

Sur la valeur locative

La société [Adresse 8] Distribution indique que le loyer renouvelé ne correspond pas à la valeur locative.

Toutefois, l'examen de l'adéquation du loyer exigible à la valeur locative réelle ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

Etant précisé que jusqu'à une éventuelle décision judiciaire, le loyer du bail renouvelé est celui au bail initial, ce moyen ne peut être retenu à titre de contestation sérieuse.

Sur la clause pénale

L'article 11 du bail prévoit que : "En cas de non-paiement à échéance exacte de toute somme due par le preneur, il sera de plein droit débiteur envers le bailleur d'une majoration forfaitaire de 5% des sommes exigibles, le tout augmenté d'un intérêt au taux légal majoré de cinq points sur les sommes dues à compter de l'échéance contractuelle 15 jours après une mise en demeure préalable par lettre RAR ou acte extrajudiciaire, tout mois commencé étant du".

En outre, selon l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

S'agissant de l'application d'une telle clause pénale, le pouvoir du juge du fond de la modérer ne prive pas pour autant le juge des référés du pouvoir d'allouer une provision, au titre de celle-ci.

Cependant, le juge des référés peut retenir l'existence d'une contestation sérieuse empêchant son application, lorsque la clause pénale apparaît sérieusement susceptible d'être modérée par le juge du fond, compte tenu de son montant et de l'avantage manifestement excessif pour le créancier qui résulterait de son application.

L'application de l'article 11 est à l'évidence l'application d'une clause pénale, cette disposition visant à sanctionner la non-exécution par le locataire de ses obligations par l'octroi de dommages et intérêts, alors que le montant en cause confère un avantage très excessif au créancier, étant observé que la somme de 19.109, 75 euros réclamée à ce titre est élevée et représente presqu'un mois de loyer (20.050, 17 euros).

La société [Adresse 8] Distribution soulève donc bien ici une contestation sérieuse sur la somme de 19.109, 75 euros, en faisant état à juste titre de l'avantage excessif conféré au créancier, l'octroi éventuel de ce montant prévu par le contrat relevant dès lors du juge du fond.

L'ordonnance sera confirmée sur ce point.

Sur le quantum de la provision

La société Atim Université produit les avis d'échéances depuis le mois d'avril 2020, jusqu'au 2e trimestre 2022, soit six trimestres de sorte que la créance de loyers et accessoires, compte étant tenu de ce qui précède, peut être fixée ainsi :

- loyers appelés non indexés TTC : 48.000 x 8 = 384.000 euros,

- provisions sur charges appelées: 24.988 euros,

- taxe foncière: 9.713 euros,

soit la somme de: 418.701 euros, dont il convient de déduire les paiements réalisés par la société [Adresse 8] Distribution soit 108.825, 40 (arrétée au 5 janvier 2022) + 59.790 +10.680+10.680 ( arrêtées au mois d'avril 2022) = 130.185, 40 euros.

Soit une dette locative totale de : 288.515 euros.

La provision allouée à la société Atim Université doit être fixée à hauteur de ce montant non sérieusement contestable de la dette alléguée, soit 288.515 euros.

A titre reconventionnel, la société [Adresse 8] Distribution sollicite que soit ordonnée une compensation avec les sommes suivantes :

- 37.820 euros au titre des frais, charges, taxes et accessoires correspondant aux provisions pour charges réglées depuis 2016,

- 17.695 euros au titre des frais de gestion indûment perçus depuis 2016,

- 72.764, 92 euros au titre de l'indexation irrégulièrement appliquée depuis 2016 également.

Toutefois, toujours au regard de ce qui précède, il doit être observé que les frais de gestion ont d'ores et déjà été soustraits du montant de la provision accordée, de sorte qu'il n'y a pas lieu à compensation, tandis que la société [Adresse 8] Distribution ne justifie pas du quantum de ses demandes relatives aux charges réglées et que sa demande au titre de l'indexation excède les pouvoirs du juge des référés.

Dans ces conditions, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance rendue exclusivement en ce qui concerne le quantum de la provision accordée qui sera fixé à la somme de 288.515 euros.

Sur les délais de paiement

L'article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Etant observé que la société [Adresse 8] Université a subi une importante diminution du chiffre d'affaires, n'a obtenu aucune réponse de son bailleur à ses demandes et subi quatre saisies sur son compte bancaire, étant précisé également qu'elle a respecté l'échéancier qui lui a été concédé en première instance, le premier juge lui a accordé à juste titre des délais de paiement à hauteur de vingt-quatre mensualités.

L'ordonnance sera confirmée sur ce point.

Sur les autres demandes

Aucun motif ne justifie que cet arrêt soit exécutoire sur minute.

Chacune des parties succombant en une partie de ses demandes, les dépens seront conservés et resteront à leur charge en cause d'appel.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf à actualiser le montant de la provision sollicitée par la société ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société [Adresse 8] Distribution à payer à la société Atim Université la somme provisionnelle de 288.515 euros TTC au titre de l'arriéré de loyers et accessoires, deuxième trimestre 2022 inclus ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens exposés en appel ;

Dit n'y avoir pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/01407
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;22.01407 ?
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