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06/10/2022 | FRANCE | N°20/014947

France | France, Cour d'appel de Paris, I7, 06 octobre 2022, 20/014947


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022

(no25, 102 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/01494 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBKNX

Décision déférée à la Cour : Décision no 19-D-24 de l'Autorité de la concurrence en date du 17 décembre 2019

REQUÉRANTES :

SOCIÉTÉ MATERNE S.A.S.
Prise en la personne de son représentant légal
Immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 398 404 194
Dont

le siège social est au [Adresse 10]

SOCIÉTÉ MBMA S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Paris sous le n...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022

(no25, 102 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/01494 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBKNX

Décision déférée à la Cour : Décision no 19-D-24 de l'Autorité de la concurrence en date du 17 décembre 2019

REQUÉRANTES :

SOCIÉTÉ MATERNE S.A.S.
Prise en la personne de son représentant légal
Immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 398 404 194
Dont le siège social est au [Adresse 10]

SOCIÉTÉ MBMA S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 528 048 572
Dont le siège social est au [Adresse 1]

SOCIÉTÉ MBMA HOLDING S.A.S.
Prise en la personne de son Président
immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 527 552 772
Dont le siège social est au [Adresse 1]

Élisant toutes domicile au cabinet de la SCP GRAPPOTTE-BÉNÉTREAU
[Adresse 11]
[Localité 17]

Représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BÉNÉTREAU de la SCP GRAPPOTTE BÉNÉTREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111
Assistées de Maîtres Thomas LAMY et Anne-Sophie GROBELNY de la SELARL GRALL et ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0040

SOCIÉTÉ ANDROS S.N.C.
Prise en la personne de son gérant
Immatriculée au RCS de Cahors sous le numéro 428 682 447
Dont le siège social est situé [Adresse 36]

SOCIÉTÉ ANDROS ET CIE S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Cahors sous le numéro 395 287 519,
Dont le siège social est situé : [Adresse 36],

Élisant toutes domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 19]
[Localité 14]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistées de Maîtres Olivier BILLARD et Arthur HELFER de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12
SOCIÉTÉ DÉLIS S.A.
Prise en la personne de son Président du Conseil d'administration et Directeur général
Immatriculée au RCS de Rennes sous le numéro 394 134 977
Dont le siège est situé au [Adresse 6]

SOCIÉTÉ VERGERS DE CHÂTEAUBOURG S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Rennes sous le numéro 399 539 782
Dont le siège est situé au [Adresse 6]

SOCIÉTÉ GROUPE LACTALIS S.A.
Prise en la personne de son Président du directoire
Immatriculée au RCS de Laval sous le numéro 331 142 554
Dont le siège est situé au [Adresse 3]

Élisant toutes domicile au cabinet de Me François TEYTAUD
[Adresse 2]
[Localité 15]

Représentées par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistées de Me Charles-Henri CALLA de la SELARL GRALL et ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

SOCIÉTÉ B.S.A. S.A.
Prise en la personne de son Président du directoire
Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 557 350 253
Dont le siège est situé au [Adresse 9]

Élisant domicile au cabinet de l'AARPI TEYTAUD-SALEH
[Adresse 4]
[Localité 15]

Représentée par Me Nada SALEH CHERABIEH de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Nathalia KOUCHNIR CARGILL de la SELARL GRALL et ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0040

SOCIÉTÉ VALADE S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Brive sous le numéro 677 120 263
Dont le siège social est situé [Adresse 38]

SOCIÉTÉ FINANCIÈRE [Localité 25] S.A.S.
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS de Brive sous le numéro 518 672 647
Dont le siège social est situé [Adresse 38]

Élisant toutes domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 19]
[Localité 14]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistées de Me Virginie VIALLARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

SOCIÉTÉ CHARLES FARAUD S.A.S.
Prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS d'Avignon sous le numéro 328 024 898
Dont le siège social est [Adresse 35]

SOCIÉTÉ CHARLES et ALICE S.A.S.
Prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de Romans sous le numéro 347 681 074
Dont le siège social est [Adresse 37]

SOCIÉTÉ CAI DEVELOPPEMENT S.A.S.
Prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de Romans sous le numéro 794 350 843
Dont le siège social est [Adresse 23]

Élisant toutes domicile au cabinet de Me Edmond FROMANTIN
[Adresse 12]
[Localité 16]

Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Assistées de Maîtres Marie DU GARDIN et Boris RUY de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de [27], toque : 708

SOCIÉTÉ CONSERVES FRANCE S.A.
Prise en la personne de son Directeur général
Immatriculée au RCS de Tarascon sous le numéro 706 220 548
Dont le siège social est [Adresse 20]
[Localité 7]

SOCIÉTÉ CONSERVE ITALIA
Prise en la personne de son représentant légal ou statutaire
Immatriculée au registre des sociétés de Bologne (Italie) sous le numéro 02858450584
Dont le siège social est situé [Adresse 34]), ITALIE

Élisant toutes domicile au cabinet de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE
[Adresse 8]
[Localité 13]

Représentées par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistées de Me Thomas OSTER de l'AARPI BIRD et BIRD, avocat au barreau de PARIS

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Prise en la personne de sa présidente
[Adresse 5]
[Localité 13]

Représentée par Messieurs [C] [S] et [C] [EB], dûment mandatés

MONSIEUR LE MINISTRE CHARGÉ DE L'ÉCONOMIE
TELEDOC 252 - D.G.C.C.R.F.
[Adresse 21]
[Localité 18]

Représenté par Monsieur [W] [JH], dûment mandaté
COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 septembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

– Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,
– Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
– Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Madame Jocelyne AMOUROUX et Monsieur François VAISSETTE, avocats généraux

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence no 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes ;

Vu le recours formé par les sociétés Materne, MBMA et MBMA Holding par déclaration déposée au greffe le 27 janvier 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 12 mars 2020 ;

Vu le recours formé par les sociétés Andros et Andros et Cie par déclaration déposée au greffe le 29 janvier 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 12 mars 2020 ;

Vu le recours formé pas les sociétés Valade et Financière [Localité 25] par déclaration déposée au greffe le 3 février 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 12 mars 2020 ;

Vu le recours formé par les sociétés Delis, Vergers de Châteaubourg et Groupe Lactalis par déclaration déposée au greffe le 4 février 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 13 mars 2020 ;

Vu le recours formé par les sociétés Charles Faraud, Charles et Alice et CAI Développement par déclaration déposée au greffe le 5 février 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 13 mars 2020 ;

Vu le recours formé par la société BSA par déclaration déposée au greffe le 5 février 2020 et son exposé des moyens déposé au greffe le 12 mars 2020 ;

Vu le recours formé par la société Conserves France et Conserve Italia par déclaration déposée au greffe le 11 février 2020 et leur exposé des moyens déposé au greffe le 13 mars 2020 ;

Vu l'ordonnance de jonction de l'ensemble de ces recours du 27 octobre 2020 ;

Vu les observations en réponse du ministre chargé de l'économie déposées au greffe le 15 février 2021 ;

Vu les observations en réponse déposées au greffe par l'Autorité de la concurrence le 16 février 2021 ;

Vu les conclusions en réplique déposées au greffe par les demandeurs au recours le 22 juin 2021 ;

Vu les observations en duplique de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe le 26 juillet 2021 ;

Vu l'avis du ministère public du 10 septembre 2021 transmis le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 16 septembre 2021 les conseils des demandeurs au recours, qui ont été mis en mesure de répliquer, les représentants du ministre chargé de l'économie et de l'Autorité de la concurrence ainsi que le ministère public.

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE
§ 1

I. LE SECTEUR ET LES ACTEURS CONCERNÉS
§ 2

A. Le secteur concerné
§ 4

B. Les acteurs concernés
§ 10

II. LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
§ 12

III. LA DÉCISION ATTAQUÉE ET LES RECOURS ENTREPRIS
§ 25

MOTIVATION
§ 34

I. SUR LES MOYENS DE PROCÉDURE
§ 34
A. Sur les moyens pris de la violation du principe d'impartialité des services de l'instruction
§ 34

B. Sur le moyen de BSA pris d'une violation des droits de la défense et du principe de la contradiction
§ 61

C. Sur le moyen de Délis SA et Vergers de Chateaubourg, pris d'une violation des droits de la défense et du principe de la contradiction
§ 74

II. SUR LES MOYENS DE FOND
§ 87

A. Sur la matérialité des pratiques
§ 87

1. Sur les réunions multilatérales
§ 108

Sur la réunion du 5 octobre 2010
§ 109
Sur la réunion du 4 novembre 2010
§ 125
Sur la réunion du 2 décembre 2010
§ 134
Sur la réunion du 24 janvier 2011
§ 146
Sur la réunion du 17 mars 2011
§ 153
Sur la réunion du 13 avril 2011
§ 158
Sur la réunion du 10 juin 2011
§ 163
Sur la réunion du 3 novembre 2011
§ 171
Sur la réunion du 17 juillet 2013
§ 174
Sur la réunion du 3 septembre 2013
§ 183

2. Sur les échanges bilatéraux et trilatéraux
§ 194

Sur l'échange entre Materne et Coroos le 15 mars 2011
§ 195
Sur l'échange entre Materne et Coroos le 6 avril 2011
§ 196
Sur l'échange entre Materne et Conserves France le 3 novembre 2011
§ 205
Sur l'échange entre Materne et Coroos le 2 mars 2012
§ 209
Sur l'échange entre Materne et Coroos le 8 juin 2012
§ 214
Sur l'échange entre Materne et Coroos en septembre 2012
§ 216
Sur l'échange entre Coroos, Materne et Andros du 28 mai 2013
§ 222

3. Sur les échanges par messageries électroniques
§ 226

Les messages entre Coroos et Materne
§ 226
Les courriels échangés entre Materne et Andros
§ 235
Sur les courriels échangés entre Materne et Charles Faraud
§ 244

4. Sur les échanges téléphoniques
§ 245

B. Sur la qualification de l'infraction en entente unique
§ 262

C. Sur la durée de l'entente et son caractère continu
§ 291

D. Sur l'adhésion au plan d'ensemble de Charles Faraud, Valade et Délis SA
§ 313

E. Sur la responsabilité de Vergers de Chateaubourg en tant qu'auteur direct
§ 328

F. Sur la durée de la participation individuelle des entreprises
§ 341

Sur la durée de la participation individuelle du groupe Delis (Delis SA et Vergers de Chateaubourg), Charles Faraud, Materne, Conserves France et Valade
§ 358

Sur la durée de la participation individuelle d'Andros
§ 371

G. Sur l'imputabilité des pratiques aux sociétés mères
§ 383

1. L'imputabilité des pratiques à BSA, Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg
§ 387

2. L'imputabilité des pratiques à Conserve Italia
§ 418

III. SUR LES SANCTIONS
§ 436

A. Sur l'exception d'illégalité des points 33 et 37 du communiqué sanctions
§ 439

B. Sur la valeur des ventes
§ 463
Sur la valeur des ventes de Délis SA
§ 469
Sur la valeur des ventes de Valade
§ 477
Sur les valeurs des ventes d'Andros
§ 481
Sur la valeur des ventes de Materne
§ 486

C. Sur la gravité des pratiques et l'ampleur du dommage à l'économie
§ 498

Sur la gravité des pratiques
§ 499
Sur le dommage à l'économie
§ 526

D. Sur les éléments d'individualisation des sanctions
§ 567

1. Materne
§ 567
2. Andros
§ 588
3. Conserves France
§ 609
4. Valade
§ 628
5. Charles Faraud
§ 635
6. Delis
§ 662

V. SUR LES DEMANDES FAITES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE, DES DÉPENS ET ACCESSOIRE
§ 686

FAITS ET PROCÉDURE

1.La Cour est saisie par plusieurs entreprises de recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence no 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes ayant prononcé à leur encontre des sanctions pécuniaires pour avoir participé, entre le 5 octobre 2010 et 10 janvier 2014, à une entente unique et continue visant, sur le marché français des fruits transformés cuits commercialisés en coupelles et en gourdes et vendus à la grande distribution sous marques de distributeurs et aux distributeurs de la restauration hors foyer, à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes.

I. LE SECTEUR ET LES ACTEURS CONCERNÉS

2.Ces points sont présentés par la décision attaquée aux paragraphes 8 à 18 pour le secteur, et 19 à 47 pour les acteurs.

3.Il sera retenu de ces développements les éléments suivants, non contestés par les parties.

A. Le secteur concerné

4.Le secteur concerné est celui des fruits transformés vendus en coupelles et en gourdes, et plus particulièrement les compotes et purées de fruits (ci-après, regroupées sous le terme générique de « compotes »).

5.Il existe deux canaux de distribution des compotes: les grandes et moyennes surfaces de distribution (ci-après, « GMS ») y compris les enseignes de hard discount, et la restauration hors foyer (ci-après, « RHF »).

6.Les GMS sont les principaux débouchés des fabricants de compotes.

7.Une partie des compotes y est vendue sous marques dites premium ou nationales, c'est à dire les marques de fabricant (ci-après, « MDF ») comme par exemple : Materne, Pom'Potes, Andros, St-Mamet, Charles et Alice. Pour ces produits, les fabricants de compotes conviennent avec les distributeurs, à l'occasion de négociations bilatérales, de leurs conditions de référencement en rayon (prix de gros, remises, frais de référencement et promotions).

8.Une autre partie des compotes y est vendue sous marques de distributeurs (ci-après, « MDD »). Les MDD peuvent être des marques de petits prix (ci-après, « MPP ») ou des premiers prix (ci-après, « PPX »). Pour ces produits, des procédures d'appels d'offres sont généralement organisées par chaque distributeur ou centrale d'achat pour sélectionner leurs fabricants de compotes. Les distributeurs disposent de toute latitude pour décider des modalités d'organisation des appels d'offres, notamment leur fréquence, le regroupement ou la segmentation des produits, et la durée des contrats, laquelle est en règle générale annuelle. Toutefois, ainsi que le souligne Charles Faraud sans être contesté par l'Autorité, les prix fixés dans le cadre de ces appels d'offre sont susceptibles de faire l'objet de discussion et de révision au cours de l'exécution du marché. Les fabricants peuvent notamment être amenés à demander à renégocier leur prix à la hausse afin de tenir compte de l'évolution de certains coûts de production, liés par exemple à l'augmentation du prix des fruits. Il peut aussi y avoir des ventes de gré à gré, où les distributeurs négocient directement avec les fabricants de compotes, sans appel à la concurrence.

9.La RHF est le second débouché des fabricants de compotes. Elle comprend notamment la restauration collective, les hôtels et restaurants, les hôpitaux et autres établissements d'hébergement. Ces organismes recourent à des distributeurs spécialisés comme Sodexo, Compass, Pomona, Pro A Pro ou Transgourmet. Les négociations avec ces distributeurs se déroulent généralement à l'occasion de procédures d'appels d'offres qu'ils organisent.

B. Les acteurs concernés

10.Les entreprises en causes sont les fabricants de compotes suivants :

– la société Materne SAS, ainsi que ses sociétés mères MBMA et MBMA Holding ;

– la société Andros SNC, ainsi que sa société mère Andros et Cie SAS ;

– la société Conserves France SA, ainsi que sa société mère Conserve Italia societa cooperativa agricola ;

– la société Délis SA, ainsi que ses sociétés mères SAS Vergers de Châteaubourg, Groupe Lactalis SA, et B.S.A. ;

– la société Charles Faraud SA, ainsi que sa filiale Charles et Alice SAS et sa société mère CAI Développement SAS ;

– la société Valade SAS, ainsi que sa société mère Financière [Localité 25] ;

– la société de droit néerlandais Coroos Conserven BV, ainsi que ses sociétés mères Coroos Beheer BV, Coroos International N.V. et Stichting Administratiekantoor OKB.

11.Hormis les sociétés Coroos, toutes celles mises en cause sont membres de l'Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (ci-après, « l'ADEPALE »). Au sein de cette association, elles font partie de la Fédération française des industries d'aliments conservés (ci-après, la « FIAC ») et participent à des réunions du « groupe Fruits », dont elles sont membres, groupe présidé par M. [B], président de Charles Faraud, depuis 2012. Ce groupe est constitué de 36 entreprises qui produisent des compotes, confitures, conserves de fruits ainsi que des préparations à base de fruits à destination de l'industrie. La FIAC défend la profession et la filière, fait de la promotion collective des produits et a une activité de représentation auprès des pouvoirs publics.

II. LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

12.Le 28 janvier 2014, un rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence (ci-après, « l'Autorité ») a reçu une demande sommaire de clémence pour le compte des sociétés Coroos Beheer BV, Coroos Conserven BV et de toutes les autres sociétés appartenant au même groupe (ci-après, « Coroos »). Par cette demande, complétée le 3 juillet 2014 et étendue à la société Stichting Administratiekantoor OKB, Coroos a révélé l'existence d'une entente présumée dans le secteur des fruits en coupelles et en gourdes vendus dans les segments des MDD, MPP et RHF en France, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.

13.Les déclarations des demandeurs de clémence faisaient état de pratiques impliquant des répartitions de volumes dans le cadre d'appels d'offres des distributeurs sur les marchés précités et des ententes sur la hausse des prix des produits entre elles et les sociétés Andros, Charles Faraud, Conserves France, Groupe Lactalis, Délis, Materne et Valade.

14.Le rapporteur désigné pour instruire la demande de clémence (M. [V]) a déposé son rapport le 1er juin 2015 aux termes duquel il a conclu que les déclarations et divers éléments de preuve fournis, pris ensemble, formaient un faisceau d'indices suffisants pour faire présumer l'existence d'une entente interdite par l'article L.420-1 du code de commerce et partant, pour procéder ou faire procéder aux mesures d'investigation visées par l'article L.450-4 du code de commerce et a proposé, en conséquence, à l'Autorité :

– d'accorder aux demandeurs à la clémence le bénéfice conditionnel d'une exonération totale de sanction ;

– de se saisir d'office des pratiques révélées en application de l'article L.462-5 du code de commerce.

15.Par un avis no 15-AC-01 du 1er juillet 2015, l'Autorité, suivant la proposition faite par le rapporteur, a accordé aux sociétés Stichting Administratiekantoor OKB, Coroos International NV et à l'ensemble de leurs filiales le bénéfice conditionnel d'une exonération totale des sanctions éventuellement encourues en France pour les pratiques décrites dans le secteur des fruits en coupelles et en gourdes vendus à la grande et moyenne distribution sous MDD ou MPP et dans le segment de la RHF, sur le territoire français.

16.Par la décision no 15-SO-08 du même jour, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes.

17.Le 3 juillet 2015, le rapporteur général adjoint a désigné, pour instruire cette saisine, deux rapporteurs dont celui ayant instruit la demande de clémence.

18.Le 11 septembre 2015, le juge des libertés et de la détention (ci-après, « JLD ») du tribunal de grande instance (ci-après, « TGI ») de Paris a autorisé les services d'instruction à mener des opérations de visite et saisie dans les locaux des sociétés Materne, Andros, Novandie (qui appartient au groupe Andros), Charles Faraud, Valade, Délis, Vergers de Châteaubourg « Unifruit », Groupe Lactalis et Conserves France. Ces opérations se sont déroulées le 22 septembre 2015. Le même jour, des opérations de même nature se sont déroulées dans les locaux des sociétés Coroos Beheer BV et Coroos Conserven BV, avec la coopération de l'autorité de concurrence néerlandaise (Authority for Consumers and Markets, « ACM »), sur le fondement de l'article 22, paragraphe 1 du règlement 1/2003 du Conseil de l'Union européenne.

19.L'autorisation et le déroulement des opérations de visite et saisie ont fait l'objet de recours de la part des sociétés Valade, Délis, Vergers de Châteaubourg, Groupe Lactalis, Materne, Charles Faraud et Conserves France. Le délégué du Premier Président de la cour d'appel de Paris a, par des ordonnances du 28 juin 2017, confirmé l'ordonnance du JLD. Il a également rejeté les recours contre les opérations de visite et saisie, sauf en ce qui concerne deux procès-verbaux d'auditions menées dans les locaux de la société Charles Faraud, qui ont été annulés, ainsi que la saisie de certaines pièces collectées dans les locaux des sociétés Valade et Conserves France qui étaient protégées par le secret des correspondances avocat-client, et deux pièces saisies dans les locaux de la société Conserves France jugées hors du champ de l'ordonnance.

20.Le 22 février 2018, les rapporteurs ont établi la notification des griefs qui a été adressée le même jour par le rapporteur général de l'Autorité aux sociétés :

– Materne SAS pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et MBMA SAS et MBMA Holding SAS en leur qualité de sociétés mères de la société Materne SAS, mais pour la société MBMA Holding SAS uniquement à compter de mars 2011;

– Andros SNC pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et à la société Andros et Cie SAS en sa qualité de société mère exerçant une influence déterminante sur la première ;

– Conserves France SA pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe ;

– Délis SA pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et aux sociétés Vergers de Châteaubourg SAS et Groupe Lactalis SA en leur qualité de sociétés mères de la société Délis SA ;

– Vergers de Châteaubourg SAS pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et à la société Groupe Lactalis SA en sa qualité de société mère de la société Vergers de Châteaubourg SAS ;

– Charles Faraud SA pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et à la société CAI Développement SAS en sa qualité de société mère de la société Charles Faraud SA ;

– Charles et Alice SAS pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et aux sociétés Charles Faraud SA et CAI Développement SAS en leur qualité de société mère de la société Charles et Alice SAS ;

– Valade SAS pour la période du 4 novembre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et à la société Financière [Localité 25] en sa qualité de société mère de la société Valade SAS ;

– Coroos Conserven BV pour la période du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 en raison de sa participation directe et aux sociétés Coroos Beheer BV, Coroos International N.V et OKB en leur qualité de sociétés mères de Coroos Conserven BV.

21.Cette notification des griefs a reproché à ces entreprises d'« avoir, dans le secteur des fruits transformés cuits commercialisés en coupelles et en gourdes et vendus à la grande distribution sous marques de distributeur et aux distributeurs de la restauration hors foyer sur le territoire français, participé à une entente visant à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes. Ces comportements ont un objet anticoncurrentiel et sont prohibés par les articles 101, paragraphe 1, TFUE et L.420-1 du code de commerce ».

22.Par une notification de griefs complémentaire du 28 mai 2018, le grief précité a été notifié à :

– la société B.S.A. en tant que maison mère contrôlant les sociétés Délis SA, SAS Vergers de Châteaubourg et Groupe Lactalis SA précitées ;

– la société de droit italien Conserve Italia societa cooperativa agricola (ci-après « Conserve Italia ») en tant que maison mère contrôlant la société Conserves France SA précitée.

23.Les entreprises mises en cause ont adressé leurs observations. Le rapport, établi le 23 novembre 2018, a maintenu le grief notifié.

24.L'affaire a été examinée par le collège de l'Autorité lors de sa séance du 10 juillet 2019.

III. LA DÉCISION ATTAQUÉE ET LES RECOURS ENTREPRIS

25.Par la décision no 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes (ci-après, « la décision attaquée »), l'Autorité a considéré que les pratiques visées par le grief étaient établies et a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés mises en cause à l'exception des sociétés du groupe Coroos auxquelles elle a accordé une exonération totale de sanction au titre de la clémence.

26.L'Autorité a également enjoint aux sociétés sanctionnées de publier un résumé de la décision attaquée dans l'édition papier et sur le site Internet des journaux Le Monde, Les Echos et LSA.

27.Les sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS (ci-après ensemble, « Andros »), les sociétés Materne SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS, (ci-après ensemble, « Materne »), les sociétés Charles Faraud, Charles et Alice et CAI Développement (ci-après ensemble, « Charles Faraud »), les sociétés Valade SAS et Financière [Localité 25] (ci-après ensemble, « Valade »), les sociétés Délis SA, SAS Vergers de Châteaubourg et Groupe Lactalis SA (ci-après ensemble, « Délis »), la société B.S.A, et les sociétés Conserves France et Conserve Italia (ci-après ensemble, « Conserves France ») ont respectivement formé un recours en annulation ou en réformation à l'encontre de cette décision.

28.Au soutien de ces recours en annulation, sont présentés des moyens de procédure pris de la violation du principe d'impartialité des services de l'instruction, de la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense.

29.Sont également présentés des moyens de fond tendant à contester l'existence de certains contacts et échanges retenus dans la décision attaquée, la participation à certains de ces échanges, leur caractère anticoncurrentiel, la qualification d'entente visant à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes, le périmètre de l'entente, sa durée et son caractère continu.

30.Enfin, sont présentés des moyens tendant à la réformation de la décision sur le montant des sanctions. Andros a soulevé, avant tout débat au fond, l'illégalité des points 33 et 37 du communiqué de l'Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.

31.L'Autorité conclut au rejet des recours.

32.Le ministre chargé de l'économie demande à la Cour de rejeter les moyens de procédure et de fond mais de réformer la décision attaquée sur le montant des sanctions infligées qu'il estime trop élevé.

33.Le ministère public invite également la Cour à rejeter les recours en annulation mais à réformer la décision attaquée sur le montant des sanctions infligées qu'il considère trop élevé.

MOTIVATION

La note adressée par Charles Faraud en cours de délibéré, dont la production n'a pas été demandée ou autorisée par la Cour, est irrecevable en application de l'article 445 du code de procédure civile.

I. SUR LES MOYENS DE PROCÉDURE

A. Sur les moyens pris de la violation du principe d'impartialité des services de l'instruction

34.Délis fait valoir que l'instruction a été menée en méconnaissance du principe d'impartialité dès lors que les mêmes rapporteurs ont, tour à tour, exercé des fonctions de poursuite ? en proposant notamment à l'Autorité d'adopter l'avis de clémence, convaincus par conséquent par les allégations du demandeur à la clémence, puis de se saisir d'office ? et des fonctions d'instruction, en établissant la notification des griefs et en demandant que des opérations de visite et saisie soient diligentées confirmant ainsi qu'ils faisaient leurs les conclusions qu'ils avaient pu avoir à l'écoute des déclarations du demandeur à la clémence.

35.Délis affirme que cette alternance des fonctions démontre que l'instruction n'a pas pu être menée de façon parfaitement objective mais n'a visé qu'à corroborer la thèse du demandeur de clémence, à laquelle il avait été accordé toute crédibilité dès lors qu'a été présenté un rapport sollicitant l'acceptation de la demande de clémence de Coroos et que l'Autorité, sur cette base, a été invitée à se saisir d'office. L'ensemble de ces éléments suffit, selon Délis, pour considérer que la participation du même rapporteur à ces différentes phases de l'enquête a pu faire naître des craintes objectivement justifiées d'un défaut d'impartialité des services d'instruction.

36.Délis souligne que le législateur, en décidant la suppression de l'avis de clémence (art.37, III, 7o de la loi no 2020-1508 du 3 décembre 2020, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière), a confirmé qu'une telle situation était de nature à entraîner la violation du principe d'impartialité, comme l'établissent ses travaux préparatoires et en particulier l'analyse faite dans l'étude d'impact du projet de loi « relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique » , qui a été reprise tant par l'exécutif que par le législateur pour le projet de loi « portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière », et selon laquelle, il existe un risque que l'avis de clémence, qui intervient très en amont de la procédure, puisse apparaître comme une forme de pré-jugement en ce qu'il identifie des pratiques qui sont susceptibles de tomber sous le coup de l'article L.420-1 du code de commerce.

37.Materne soutient, en premier lieu, que la rapporteure générale, le rapporteur général adjoint, ainsi que le rapporteur [V], ont, tour à tour, et sans distinction, exercé des fonctions de poursuite ? en proposant notamment d'adopter l'avis de clémence ainsi qu'en demandant à l'Autorité de la concurrence de se saisir d'office ? et d'instruction lorsqu'ils ont notamment établi la notification des griefs, et que ce cumul des fonctions de poursuite et d'instruction caractérise une violation du droit à un procès équitable garanti à l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH », lequel implique la nécessité d'assurer la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction afin de garantir une instruction menée sans a priori, à charge et à décharge.

38.Elle souligne que cette confusion des fonctions de poursuite et d'instruction démontre en l'espèce, que l'instruction n'a, structurellement, pas pu être menée de façon objective : les rapporteurs ne peuvent en effet que rechercher les moyens de corroborer leur thèse, et celle du demandeur de clémence, à laquelle ils ont déjà accordé toute crédibilité dès lors qu'ils ont présenté un rapport sollicitant l'acceptation de la demande de clémence. Elle estime que leur impartialité lors de l'instruction de l'affaire est donc sujette à caution et que cette situation suggère que l'instruction a pu être menée à charge.

39.Elle ajoute, à l'instar de Délis, que le législateur a décidé de supprimer l'avis de clémence au motif que ce dernier pouvait apparaître comme un pré-jugement, contredisant ainsi l'Autorité qui dans la décision attaquée a affirmé le contraire au motif que l'avis de clémence et l'auto-saisine ne constituaient pas des actes de poursuite.

40.Materne fait valoir, en second lieu, que l'instruction a été menée à charge, les rapporteurs ayant dénaturé des pièces, procédé à une analyse parcellaire de pièces du dossier, tout en tronquant les déclarations des différentes parties pour ne retenir que les passages à charge, ce qui caractérise une violation du principe d'impartialité.

41.L'Autorité répond, en premier lieu, en renvoyant aux paragraphes 326 à 334 de la décision attaquée qui indiquent que ni la procédure de clémence ni la procédure de saisine d'office ne constituent, en elles-mêmes, des actes de poursuite puisque l'Autorité ne se prononce sur aucun grief, que le fait que les rapporteurs aient successivement instruit l'avis de clémence et la demande de saisine d'office ne pose aucun problème d'impartialité. Elle ajoute que la circonstance que l'étude d'impact du projet de loi précité indique que l'avis de clémence peut apparaître comme un pré-jugement est sans incidence, s'agissant d'une étude élaborée par le pouvoir exécutif, et plus précisément par le ministre responsable du projet de loi, qui ne peut donc constituer une prise de position du législateur.

42.Elle observe, en second lieu, que les exemples donnés par Materne pour contester l'impartialité des services d'instruction n'attestent aucune déloyauté des rapporteurs mais reposent sur une divergence d'interprétation des éléments de preuve ou d'analyse des éléments du dossier qui relève de l'appréciation des questions de fond.

43.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent cette analyse.

Sur ce, la Cour,

44.À titre liminaire, il convient de rappeler que le droit à un procès équitable, consacré à l'article 6§1 de la CSDH, comprend celui d'être jugé par un tribunal impartial.

45.Cette exigence d'impartialité s'applique au rapporteur désigné pour instruire une plainte ou une saisine portant sur des faits susceptibles de constituer des pratiques anti-concurrentielles dès lors que ces faits peuvent donner lieu au prononcé d'une sanction ayant le caractère d'une punition.

46.S'agissant, en premier lieu, de la violation du principe d'impartialité résultant du cumul des fonctions d'instruction et de poursuite invoquée par Délis et Materne, le grief renvoie à l'exigence d'une impartialité objective qui requiert qu'un juge qui se prononce sur une affaire ne l'ait pas déjà connue dans une autre fonction afin d'exclure tout doute légitime quant à l'absence de préjugé ou de parti pris de sa part.

47.Le moyen soutient que le rapporteur, en instruisant la demande de clémence, et dans ce cadre, en proposant à l'Autorité d'adopter l'avis de clémence et de se saisir d'office des pratiques révélées par le demandeur de clémence, a exercé des fonctions de poursuite, le conduisant à prendre parti sur l'existence et l'auteur d'une pratique prohibée, et partant à faire naître un doute objectivement justifié sur son impartialité lors de l'instruction au fond de la saisine.

48.Le moyen est ainsi fondé sur un double postulat : l'un consiste à considérer que l'instruction d'une demande de clémence qui aboutit à une proposition d'adoption d'un avis de clémence et d'une saisine d'office, relève d'une fonction de poursuite ; l'autre à considérer que le cumul des fonctions d'instruction et de poursuite est de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité du rapporteur.

49.Sur le premier point, il convient de rappeler que l'avis de clémence adopté par l'Autorité en application de l'article L.464-2, IV du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2020-1508 du 3 décembre 2020, tend à préciser les conditions d'octroi du bénéfice de l'exonération de la sanction que l'Autorité pourrait être amenée à prononcer au profit de l'entreprise qui, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement, a contribué à l'établissement de la réalité d'une pratique anticoncurrentielle et à identifier ses auteurs.

50.Il est adopté sur proposition d'un rapporteur, désigné par le rapporteur général de l'Autorité, et dont la mission consiste, en application de l'article R.464-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure au décret no 2021-568 du 10 mai 2021, à élaborer des propositions d'exonération totale ou partielle de sanction et de préciser les conditions auxquelles l'Autorité pourrait soumettre cette exonération. Pour ce faire, le rapporteur apprécie la cohérence, la pertinence et le sérieux des éléments fournis par le demandeur de clémence afin de déterminer dans quelle mesure ces éléments peuvent contribuer à établir l'existence d'une entente. En l'espèce, il résulte du rapport de clémence que l'instruction a consisté à apprécier la valeur probante des éléments fournis par le demandeur de clémence afin de déterminer si ces éléments étaient de nature à permettre à l'Autorité de procéder à des mesures d'investigations prévues à l'article L.450-4 du code de commerce et dans quelle mesure, si ces éléments étaient corroborés par ceux recueillis au cours d'une instruction au fond, notamment grâce aux mesures d'investigation précitées, ils étaient de nature à contribuer à la preuve de l'existence d'une infraction et à l'identification de ses auteurs.

51.L'instruction de la demande de clémence a ainsi consisté à apprécier si les déclarations et éléments apportés par le demandeur de clémence étaient de nature à faire présumer l'existence d'une infraction, et ce, dans le seul but, à ce stade, d'élaborer des propositions d'exonération totale de sanction au profit du demandeur de clémence, et non d'imputer une infraction à des personnes déterminées.

52.L'Autorité, après en avoir délibéré sans la participation du rapporteur, demeure libre, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, d'écarter ou de suivre, totalement ou partiellement les propositions de ce dernier, voire de les compléter.

53.Le rapporteur, lorsqu'il instruit une demande de clémence, n'exerce ainsi, par principe, que des fonctions d'instruction et non de poursuite. Il ne fait qu'élaborer des propositions destinées au collège de l'Autorité qui, seul, adopte l'avis de clémence et décide, le cas échéant, de se saisir d'office des pratiques dénoncées en vue d'une instruction au fond. La circonstance qu'en l'espèce, le rapporteur de la demande de clémence ait également proposé à l'Autorité, aux termes de son rapport, de se saisir d'office des pratiques dénoncées, n'est pas de nature à lui conférer des fonctions de poursuite, s'agissant d'une simple proposition laissée à l'appréciation du collège. Au demeurant, la saisine d'office par l'Autorité n'est pas un acte de poursuite.

54.Le postulat selon lequel le rapporteur, en instruisant une demande de clémence, exerce des fonctions de poursuite n'est donc pas fondé.

55.À titre surabondant, sur le second point, il convient de rappeler que si le principe d'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la CSDH requiert une séparation des fonctions de poursuite et de jugement, ou encore des fonctions d'instruction et de jugement, il ne résulte ni de ce texte, ni de la jurisprudence européenne que ce principe requiert la séparation des fonctions d'instruction et de poursuite (Cass. Crim, 23 novembre 2016, no 15-81.131).

56.Enfin, au demeurant, contrairement à ce que suggère le moyen qui tend à opérer une distinction entre l'instruction de la demande de clémence et celle de la saisine afin de reprocher au rapporteur d'avoir pris parti, dans le cadre de l'instruction de la demande de clémence sur l'existence et l'auteur de l'infraction dénoncée, il y a lieu de rappeler que le rapporteur, qu'il instruise une demande de clémence et/ou une saisine portant sur les faits dénoncés par le demandeur de clémence, exerce ses fonctions d'instruction dans le cadre d'une même affaire. Cette fonction consiste à effectuer, sous le contrôle du rapporteur général, des actes tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction de faits, susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, qui ont été portés à la connaissance de l'Autorité par le demandeur de clémence et qui constituent également l'objet de sa saisine. La circonstance que l'examen de la demande de clémence précède l'instruction au fond est sans incidence, la procédure de clémence s'inscrivant dans le cadre de la mission des services de l'instruction de détection de pratiques anticoncurrentielles, objet de la saisine.

57.Il s'ensuit que le moyen pris d'une violation du principe d'impartialité du rapporteur pour avoir instruit la demande de clémence puis la saisine au fond n'est pas fondé.

58.S'agissant, en second lieu, du grief pris d'une instruction menée à charge, qui renvoie à l'exigence d'impartialité subjective du rapporteur et requiert de ce dernier qu'il mène son instruction de manière loyale, force est de constater que les reproches faits par Materne aux services de l'instruction dans leur présentation et analyse des pièces du dossier relèvent davantage de divergences d'interprétation de ces pièces que d'un comportement partial ou déloyal de nature à porter atteinte à ses droits de la défense étant en outre observé que les entreprises mises en cause ont été mises en mesure de présenter leurs observations sur l'ensemble des éléments sur lesquels les services de l'instruction se sont fondés dans la notification des griefs et le rapport.

59.Ces divergences d'interprétation relèvent de l'appréciation des questions fond qui seront abordées lors de l'examen des moyens d'annulation et réformation tenant aux erreurs d'appréciation reprochées à l'Autorité.

60.Le moyen est, par conséquent, écarté.
B. Sur le moyen de BSA pris d'une violation des droits de la défense et du principe de la contradiction

61.Dans la décision attaquée, l'Autorité a sanctionné BSA en sa qualité de société mère des sociétés Délis SA, Vergers de Chateaubourg et Groupe Lactalis en application de la présomption d'influence déterminante fondée sur sa détention directe ou indirecte de la quasi-totalité ou la totalité du capital de ces sociétés.

62.Elle a écarté le moyen présenté par BSA, pris de la violation du principe d'égalité de traitement résultant, selon cette dernière, de l'absence de mise en cause de la société LBO France gestion en sa qualité de société mère de Materne en dépit de leur lien capitalistique qui, tel que présenté dans la notification des griefs, lui rendait applicable la présomption d'influence déterminante.

63.Pour écarter ce moyen, l'Autorité a retenu, en se fondant sur la cote 10 785, pièce émanant de Materne et couverte par le secret des affaires, que « la situation de B.S.A. n'était pas comparable à celle de LBO Holding » au motif que « LBO France ne contrôlait pas, au cours de la période pendant laquelle les pratiques ont été mises en oeuvre, l'intégralité ou la quasi-intégralité du capital de MBMA Holding à travers les fonds d'investissement White Khight et MF Private Equity IV ».

64.BSA soutient, que ce faisant, la décision attaquée méconnaît le principe de la contradiction et des droits de la défense ainsi que celui de l'égalité des armes en ce qu'elle est fondée sur une pièce qui ne lui pas été communiquée dans son intégralité mais dans une version partiellement confidentialisée inexploitable. Elle affirme que cette pièce était nécessaire à ses droits de la défense en ce qu'elle lui a été opposée pour écarter un moyen pris de la violation du principe de l'égalité de traitement. Elle ajoute que le refus des services de l'instruction de verser au dossier la version confidentielle des pièces litigieuses, en dépit de ses demandes, est d'autant moins compréhensible que l'Autorité a procédé, en violation du secret des affaires, à la déconfidentialisation de certaines pièces concernant la détention capitalistique de Délis, Vergers de Chateaubourg et Groupe Lactalis et que les organigrammes concernant Materne et LBO France étaient devenus obsolètes, LBO France ayant cédé ses participation dans Materne en 2016 et que ces pièces dataient pour l'essentiel de plus de 5 ans.

65.L'Autorité répond que les pièces invoquées par BSA ne lui étaient pas utiles pour se défendre au grief notifié et qu'en tout état de cause, ces pièces lui ont été transmises dans une version lui permettant de vérifier le bien-fondé de l'appréciation des services de l'instruction de la différence de situation entre BSA et LBO France.

66.Le ministre chargé de l'économie invite la Cour à rejeter le moyen. Il observe que la décision a indiqué que son analyse reposait en partie sur des données publiques et que ces éléments sont aisément vérifiables au moyen de la consultation de banques de données, de sorte que la violation n'apparaît pas pouvoir être constatée.

Sur ce, la Cour,

67.Il convient de rappeler, en premier lieu, que le principe de la contradiction ne revêt pas un caractère absolu. Son étendue varie en fonction des spécificités des procédures en cause. Il doit en outre être concilié avec le secret des affaires et il appartient à la partie qui se plaint du défaut de communication de pièces de démontrer que cette absence de communication lui a fait grief.

68.En second lieu, le principe d'égalité de traitement requiert, lorsque l'Autorité adopte une méthode pour apprécier la responsabilité des sociétés mères mises en cause devant elle à raison du comportement de leurs filiales, qu'elle leur applique à toutes la même méthode, sauf à justifier de circonstances particulières (Voir en ce sens CJUE, 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco, C-628/10, p. 57 à 61).
69.Ce principe n'a toutefois vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause devant l'Autorité. Une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101§1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce ne saurait donc invoquer l'absence de mise en cause, et partant de sanction, d'une entreprise dont la responsabilité aurait également pu être engagée, pour échapper à sa propre responsabilité dès lors que celle-ci a été établie de manière régulière. (Voir en ce sens, arrêt CJCE dit « Pâte de bois » du 31 mars 1993, C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85).

70.L'Autorité dispose de la faculté, mais non de l'obligation, d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère, lorsque les conditions d'une telle imputation sont remplies, et donc la faculté et non l'obligation d'engager des poursuites en lui notifiant les griefs.

71.Il s'en déduit, en l'espèce, qu'à supposer que, comme le soutenait BSA devant l'Autorité, LBO France détienne indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital de la société Materne au cours de la période visée par le grief, le moyen tiré de l'absence de mise en cause de cette société LBO France en qualité de société mère, ne pouvait être opposé par BSA pour échapper à sa propre responsabilité en qualité de société mère des sociétés Délis SA, Vergers de Chateaubourg et Lactalis.

72.En conséquence, l'absence de communication à BSA des pièces relatives à la détention capitalistique indirecte par la société LBO France de la société Materne, en leur version intégrale, n'a pas pu méconnaître ses droits de la défense.

73.Le moyen est rejeté.

C. Sur le moyen de Délis SA et Vergers de Chateaubourg, pris d'une violation des droits de la défense et du principe de la contradiction

74.Délis SA et Vergers de Chateaubourg demandent à la Cour de réformer la décision attaquée en ce qu'elle a retenu leur participation à la réunion multilatérale du 10 juin 2011 alors que ni la notification des griefs, en ses paragraphes 459 et 474, ni le rapport, en son paragraphe 305 ne l'avaient retenue, ce que l'Autorité admet elle-même au paragraphe 540 de sa décision.

75.L'Autorité observe que si les paragraphes 459 et 474 de la notification de griefs, qui récapitulent la participation individuelle de Délis SA aux pratiques en cause, ne font pas état de sa participation à la réunion du 10 juin 2011, il ressort toutefois clairement des paragraphes 193 et 406 de la notification de griefs que les rapporteurs ont constaté et pris en considération cette participation. Elle ajoute que la circonstance que le rapport omette de mentionner à nouveau cette participation est sans incidence dès lors que les services de l'instruction ne sont pas revenus expressément sur leur position exprimée dans la notification des griefs.

Sur ce, la Cour,

76.Les paragraphes 190 à 198 de la notification des griefs, figurant dans la partie I, intitulée « Constatations », décrivent les éléments relatifs à la réunion du 10 juin 2011 recueillis au cours de l'instruction quant à son objet et à ses participants. Cette description, s'agissant des participants, a pris la forme d'un tableau, figurant au paragraphe 193, qui récapitule les entreprises présentes, les personnes physiques qui les représentaient ainsi que les éléments de preuve retenus.

77.Ce tableau mentionne expressément que Délis, désignée ici comme l'entreprise comprenant notamment les sociétés Délis SA et Vergers de Chateaubourg SAS en application de la convention d'écritures posée au § 72 de la notification des griefs, était présente et représentée par MM. [VF] et [R], et s'agissant des éléments de preuve, le tableau renvoie à la réponse écrite de M. [DG] (Andros) ainsi qu'aux déclarations du demandeur de clémence.

78.Dans les développements consacrés à la participation individuelle des entreprises figurant au 4 du « II . Qualification juridique des pratiques » de la notification des griefs, les rapporteurs, après avoir rappelé les règles applicables et la notion de participation à une entente, reprennent pour chaque entreprise les réunions multilatérales auxquelles leur participation est établie, ou, lorsque l'entreprise a participé à toutes les réunions, au nombre de dix, se contentent d'indiquer « la participation de [ ...] est établie pour toutes les réunions du 5 octobre 2010 au 3 septembre 2013. ».

79.S'agissant de Délis, au paragraphe 459, les rapporteurs ont indiqué « La participation de Délis, par l'intermédiaire de ses représentants MM. [VF] ou [R] (Délis), est établie pour les réunions des 5 octobre 2010, 4 novembre 2010, 2 décembre 2010, 24 janvier 2011, 17 mars 2011, 13 avril 2011, 3 novembre 2011, 17 juillet 2013 et 3 septembre 2013 ». Ne figure pas dans cette liste la réunion du 10 juin 2011.

80.Tandis qu'au stade de l'examen de l'imputabilité, la notification des griefs se borne aux § 497 et 498 à indiquer que la responsabilité de Delis SA est retenue en tant qu'auteur des faits par l'intermédiaire de M. [VF], et celle de Vergers de Chateaubourg, en tant qu'auteur des faits, par l'intermédiaire de M. [R], sans autre précision sur les dates et/ou nature des échanges auxquels ces sociétés avaient participé.

81.Ainsi, si la participation de Delis SA et Vergers de Chateaubourg à la réunion du 10 juin 2011est relevée au stade des constatations des pratiques, elle ne l'est pas au stade de l'analyse de leur participation individuelle, et partant de leur responsabilité. Ce faisant, la notification des griefs n'a pas tiré de conséquence juridique du constat qu'elle avait fait de la présence de MM. [VF] et [R] à cette réunion, le premier en qualité de directeur de ventes de Delis SA, le second en qualité de directeur du site de Vergers de Chateaubourg.

82.Contrairement à ce que soutient l'Autorité, Délis SA et Vergers de Chateaubourg ne pouvaient alors raisonnablement prévoir que leur participation à cette réunion était retenue contre elles par la notification des griefs, et donc y défendre.

83.Et c'est d'ailleurs ainsi qu'elles ont interprété la notification des griefs. En effet, leurs observations adressées suite à la réception de cette notification, comportent un développement intitulé :

« 2. En deuxième lieu, la participation à 9 réunions multilatérales, retenue dans la Notification de Griefs à l'encontre de Délis, est infondée » et concluant de la manière suivante : « Sur les 9 réunions multilatérales visées par la Notification de Griefs, il a été démontré que Délis :

– en 2010, n'était pas présente à la première réunion alléguée, en date du 5 octobre,

– en 2011, n'était en tout état de cause pas présente à la moitié des réunions incriminées (notamment à la dernière réunion en date du 3 novembre 2011),

– en 2013, n'a participé à aucune des prétendues réunions visées. » (Souligné par la Cour).

84.Le rapport, destiné notamment à répondre aux observations des parties, constate au paragraphe 84 que « la participation à cette réunion [réunion du 10 juin 2011] d'Andros, Coroos, Délis et Materne n'est pas contestée », partant ainsi du postulat que la participation de Délis avait été retenue par la notification des griefs. Toutefois, au paragraphe 304, il indique « Sur les neuf réunions auxquelles la participation de Délis a été établie par la notification des griefs, les observations de Délis la contestent pour six réunions (...) » et, présentant la position des services de l'instruction, affirme au paragraphe 305 : « Comme indiqué dans la partie du présent rapport sur les constatations, la participation de Délis à neuf réunions reste établie aux dates suivantes : 5 octobre 2010, 4 novembre 2010, 2 décembre 2010, 24 janvier 2011, 17 mars 2011, 13 avril 2011, 3 novembre 2011, 17 juillet 2013 et 3 septembre 2013. ».

85.Il s'en déduit que ni la notification des griefs, ni le rapport n'ont retenu, de manière claire et précise, la responsabilité de Delis SA et de Vergers de Chateaubourg à raison de leur participation à la réunion du 10 juin 2011 de sorte que l'Autorité ne pouvait, dans la décision attaquée, la retenir sans méconnaître les droits de la défense de ces sociétés, qui n'ont pas été en mesure de présenter de manière utile leurs observations pour contester leur participation, et sans aggraver leur situation au regard du périmètre des griefs notifiés.

86.Toutefois, cette violation des droits de la défense ne porte que sur la participation de l'entreprise Delis à une réunion multilatérale sur les dix retenues, avec d'autres échanges, comme constitutives de l'entente unique. Elle ne saurait donc emporter l'annulation de la décision. Ainsi qu'il sera vu, cette circonstance n'a aucune incidence sur la caractérisation de l'entente, sur sa durée et son caractère continu.

II. SUR LES MOYENS DE FOND

A. Sur la matérialité des pratiques

87.Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu que les pratiques, constitutives d'une entente unique et continue, ont consisté en de nombreux échanges destinés à permettre aux entreprises en cause d'augmenter le prix des biens vendus à la grande distribution en MDD et aux distributeurs de la RHF et de se répartir les clients.

88.L'Autorité a considéré que la réalisation de cet objectif passait par le trucage d'appels d'offres de la grande distribution et de distributeurs RHF, et lorsque les résultats des appels d'offres n'étaient pas conformes à ce qui avait été convenu, un mécanisme de compensation permettait à l'entreprise concernée d'équilibrer ses pertes.

89.Elle a retenu que ces échanges avaient duré du mois d'octobre 2010 au 10 janvier 2014, et avaient pris la forme :

– de 10 réunions multilatérales : les 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010, les 24 janvier, 17 mars, 13 avril, 10 juin et 3 novembre 2011 et les 17 juillet et 3 septembre 2013 ;

– de rendez-vous bilatéraux ou trilatéraux :

? le 15 mars 2011 au café Starbucks de la gare Saint-Lazare entre Materne et Coroos,
? le 6 avril 2011 à Roissy entre Materne et Coroos,
? le 3 novembre 2011 entre Materne et Conserves France,
? le 2 mars 2012 au Novotel de [Localité 24] entre Materne et Coroos ,
? le 8 juin 2012 au café Starbucks de la gare Saint-Lazare entre Materne et Coroos,
? en septembre 2012 à la gare du Nord entre Materne et Coroos,
? le 28 mai 2013 entre Materne, Coroos et Andros,

– de prises de contact par messageries électroniques :

? entre Coroos et Materne, une dizaine de courriels échangés entre 2011 et 2013,
? entre Materne et Andros, un échange de deux courriels les 19 et 28 juillet 2013,
? entre Materne et Charles Faraud, sans précision de date,

– de prises de contact par téléphone.
90.Materne conteste, en premier lieu, l'existence de rencontres bilatérales avec Coroos le 3 novembre 2011 à 18 heures à l'hôtel Mercure de Gare de [27] (cote 9833), au mois de septembre 2012 en gare du Nord à [Localité 30], les 15 mars 2011 et 8 juin 2012 au Starbucks Café de la gare [33], ainsi que les « autres rencontres » retenues par l'Autorité dans la décision attaquée, les éléments retenus par cette dernière ne répondant pas au standard de preuve posé tant par la jurisprudence que par la pratique décisionnelle de l'Autorité.

91.Elle conteste, en second lieu, l'objet anticoncurrentiel de chacun des échanges retenus par l'Autorité comme caractérisant l'entente unique, en faisant valoir l'absence de caractère confidentiel d'une partie des échanges allégués au regard du caractère public et/ou passé des informations échangées et la violation du standard de preuve par la décision attaquée, l'Autorité ne se fondant que sur les déclarations du demandeur de clémence, sans relever d'autres éléments sérieux permettant de les corroborer. S'agissant en particulier des échanges téléphoniques, elle souligne que l'Autorité s'est fondée sur les notes du demandeur de clémence qui toutefois ne sont pas datées et corroborées par des pièces écrites faisant état de ces échanges téléphoniques et ce, en violation du standard de preuve qui exige que le contenu des échanges par téléphone soit systématiquement corroboré par des pièces écrites, ainsi que sur les déclarations des autres entreprises mises en cause, au prix d'une interprétation erronée de ces déclarations.

92.Elle souligne que les parts de marché des parties à l'entente ne sont pas restées stables sur la période en cause, comme l'a constaté l'Autorité au paragraphe 667 de la décision attaquée.

93.Délis SA conteste sa participation aux réunions multilatérales des 5 octobre 2010, 13 avril 2011, et 3 septembre 2013 en invoquant des notes de frais de M. [VF] établissant selon elle que ce dernier ne pouvait être à [Localité 30] aux dates litigieuses, ainsi qu'à la réunion du 10 juin 2011, faute d'avoir été retenue à charge par la notification des griefs. Elle conteste également l'objet anticoncurrentiel des réunions des 5 octobre 2010 et 17 mars 2011 en ce qu'il porterait sur la RHF.

94.Délis SA conteste sa responsabilité à raison de sa présence au dîner du 3 novembre 2011 en faisant valoir que les éléments retenus par l'Autorité ne permettent pas d'établir l'objet anticoncurrentiel de ce dîner.

95.S'agissant des échanges téléphoniques, Délis SA soutient que l'Autorité n'est pas fondée à affirmer que ces échanges sont « matériellement établis » (§ 541 de la décision attaquée) alors qu'elle a constaté que « les relevés d'appels [des téléphones professionnels saisis, dont celui de M. [VF] (Délis)] ne permettent pas de remonter à la période précédant l'année 2015 » (§ 262 de la décision attaquée). Elle fait valoir, en outre, que le standard de preuve requis n'est pas respecté par l'Autorité, cette dernière se fondant, s'agissant du contact prétendu avec Coroos, sur la seule déclaration du demandeur de clémence, laquelle est remise en cause par les éléments qu'elle a produits, et s'agissant du contact prétendu avec Materne, sur une interprétation erronée des déclarations de cette dernière au cours de son audition.

96.Vergers de Chateaubourg conteste sa participation, en tant qu'auteure directe, à la réunion du 2 décembre 2010 dès lors que M. [R] y était perçu par les autres participants comme représentant exclusivement Délis, à la réunion du 10 juin 2011, faute d'avoir été retenue par la notification des griefs et à celle du 17 juillet 2013, la seule présence de M. [R] à [Localité 30] le jour de la réunion n'était pas suffisante à établir qu'il y a participé et ce d'autant qu'à cette date, il était démissionnaire.

97.Valade conteste, en premier lieu, l'objet anticoncurrentiel des échanges au cours desquels ont été présentés les documents « PetL et PetL2 », s'agissant de présentations générales du secteur faites par un opérateur dans le cadre de la veille concurrentielle qu'il organisait, grâce notamment à la circulation des informations tarifaires orchestrée dans ce secteur par les clients directs (GMS et RHF) et grossistes. Elle soutient que la décision ne démontre pas davantage à suffisance l'existence d'une concertation sur les appels d'offres. À cet égard, elle conteste une prétendue répartition d'un appel d'offres Carrefour lors de la réunion du 4 novembre 2010, ainsi que l'objet anticoncurrentiel de la réunion du 3 septembre 2013 en ce qu'elle aurait porté sur une mesure de compensation entre elle et Conserves France et une mesure de répartition et de compensation à son profit pour une référence [E]/Galec.

98.Valade conteste, en deuxième lieu :

– sa présence à la réunion du 17 mars 2011 ;

– l'objet anticoncurrentiel de l'unique échange téléphonique avec Coroos retenu contre elle, et souligne que les informations contenues dans les notes que ce dernier aurait prises lors de cet échange sont fausses ;

– avoir eu un échange téléphonique avec Charles Faraud et fait valoir, au soutien de sa contestation, que le SMS interne à Charles Faraud sur lequel se fonde l'Autorité est particulièrement ambigu et ne peut établir un contact anticoncurrentiel.

99.Conserves France conteste sa participation à deux réunions multilatérales, celles du 2 décembre 2010 et du 10 juin 2011. Elle conteste la tenue d'une rencontre bilatérale le 3 novembre 2011 avec Materne, ainsi que les deux échanges téléphoniques retenus contre elle par la décision attaquée, l'un avec Coroos, l'autre avec Délis. Elle fait valoir que les éléments retenus par la décision attaquée ne répondent pas au standard de preuve.

100.Charles Faraud soutient que sa présence aux réunions multilatérales des 4 novembre 2010, 2 décembre 2010 et 17 juillet 2013 n'est pas établie à standard de preuve suffisant et fait valoir que les éléments retenus par l'Autorité pour retenir une concertation sur le segment de la RHF, et en particulier pour les réunions des 5 octobre et 2 décembre 2010, des 17 juillet et 3 septembre 2013, sont insuffisants.

101.Elle conteste les échanges téléphoniques retenus contre elle par la décision attaquée :

– avec Andros, l'Autorité s'étant exclusivement fondée sur les allégations d'Andros lesquelles ne sont pas corroborées par d'autres éléments,

– avec Valade au prix d'une interprétation erronée d'un sms interne entre M. [B] et M. [TE],

– avec Conserves France en se fondant sur un sms interne à Conserves France sans que cette dernière n'ait été invitée à s'expliquer et sans autre élément corroborant l'échange évoqué dans ce sms.

102.Andros conteste toute participation à l'entente au-delà du 3 novembre 2011, et en particulier : la nature anticoncurrentielle de la rencontre purement fortuite avec Coroos et Materne lors du salon professionnel PMLA du 28 mai 2013, les échanges téléphoniques avec Materne et Coroos que l'Autorité ne peut dater avec précision de sorte qu'ils ne sauraient être retenus contre elle pour établir sa participation au-delà du 3 novembre 2011 et les échanges par courriels avec Materne les 19 et 28 juillet 2013.

103.L'Autorité répond que les éléments issus de l'instruction et retenus dans la décision attaquée suffisent à établir tant l'existence des échanges, leur objet que la participation des entreprises mises en cause.

Sur ce, la Cour,

104.À titre liminaire, la Cour rappelle, en premier lieu, qu'il résulte d'une jurisprudence constante que dans la plupart des cas l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de concurrence (CJUE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland, C-204/00, C-205/00, C-211/00, C-213/00, C-217/00 et C-219/00, point 57). S'agissant d'une infraction complexe, unique et continue, chaque manifestation corrobore par ailleurs la démonstration qu'une telle infraction a effectivement eu lieu. Les différentes manifestations de l'infraction en cause doivent être appréhendées dans un contexte global qui explique leur raison d'être. (TUE, 8 juillet 2008, BPB plc, T-53/03).

105.En deuxième lieu, comme le soulignent les demanderesses au recours, les seules déclarations du demandeur de clémence ne peuvent à elles seules établir l'existence de pratiques anticoncurrentielles et doivent être corroborées par d'autres indices. Toutefois, lorsque ces déclarations sont cohérentes, précises et circonstanciées, elles constituent un indice particulièrement fiable de sorte que le degré de corroboration requis est moindre, aussi bien en terme de précision qu'en terme d'intensité, qu'il ne le serait ci ces dernières n'étaient pas particulièrement fiables (voir en ce sens TUE, JFB Engineering, 8 juillet 2014, T-67/00 ; point 219 et 220).

106.Enfin, il découle du texte même de l'article 81, paragraphe 1, CE devenu l'article 101, § 1 du TFUE, que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu'ils ont un objet anticoncurrentiel (voir, notamment, CJCE, 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni, point 123).

107.C'est à l'aune de ces principes qu'il y a lieu de vérifier si les éléments retenus par l'Autorité permettent à suffisance d'établir l'objet anticoncurrentiel des échanges ainsi que la participation des entreprises en cause à ces échanges.

1. Sur les réunions multilatérales

108.La décision attaquée a retenu dix réunions multilatérales au cours de la période du 5 octobre 2010 au 3 septembre 2013.

Sur la réunion du 5 octobre 2010

109.Il résulte des éléments recueillis au cours de l'instruction, décrits aux paragraphes 53 à 56 de la décision attaquée, qu'une première réunion a eu lieu à l'hôtel Concorde Opéra à [Localité 30] le 5 octobre 2010 à laquelle étaient présentes Coroos (demandeur de clémence), Materne, Andros, Conserves France, Charles Faraud, ainsi que Délis SA qui seule conteste sa participation.

110.Pour retenir la participation de cette dernière (Délis SA) en la personne de son « directeur clients », M. [VF], l'Autorité s'est fondée, d'une part, sur les déclarations du demandeur de clémence (cote 12, et cote 8 dossier 14/0055 AC) qui indiquent expressément que toutes les entreprises mises en cause étaient présentes, sur celles de M. [DG] (Andros, cote 14729) qui corroborent les premières et, d'autre part, sur des notes manuscrites prises sur papier à entête d'un hôtel Concorde datées du 5 octobre 2010, qui ont été saisies, lors des perquisitions, dans le bureau de M. [VF] chez Délis SA (cotes 4482 et 4483, annexe 155 de la NG) et dont ce dernier a reconnu être l'auteur au cours de son audition (cote 15162), tout en contestant avoir été présent à cette réunion.

111.Délis soutient que M. [VF] ne pouvait être à [Localité 30] le 5 octobre dès lors qu'il déjeunait à Chateaubourg le même jour comme l'établit, selon elle, ses notes de frais attestant qu'il a déjeuné dans un restaurant situé à Chateaubourg, qu'il s'est rendu à un rendez-vous médical à [Localité 31] à 17h30 et qu'une attestation d'une de ses salariées indique que M. [VF] n'était pas en déplacement à cette date.

112.Toutefois, les notes saisies dans le bureau de M. [VF] ont été prises par ce dernier sur un papier à entête de l'hôtel où a eu lieu la réunion et sont datées du 5 octobre 2010, date de la réunion. Elles reprennent à l'identique la quasi-intégralité des données figurant dans un document « Power Point » qui a été présenté au cours de cette réunion, ainsi qu'il va être vu ultérieurement. Ces constatations factuelles corroborées par les déclarations d'Andros et du demandeur de clémence, constituent un faisceau d'indices graves précis et concordants établissant la présence de M. [VF] à cette réunion que ne suffisent à remettre en cause ni le reçu de paiement d'un déjeuner à Chateaubourg, en Ille et Vilaine, par carte bancaire, fût-il enregistré dans les notes de frais de M. [VF], ni un rendez-vous médical de ce dernier à 17h30 à [Localité 31], lequel n'est pas incompatible avec une réunion le matin à [Localité 30], ni l'attestation précitée faute d'être suffisamment circonstanciée.

113.Il en résulte que c'est par une juste appréciation des éléments qui lui étaient soumis que l'Autorité a retenu que Délis SA, en la personne de M. [VF], avait participé à la réunion du 5 octobre 2010.

114.S'agissant de l'objet de cette réunion, la Cour constate, en premier lieu, comme l'Autorité le fait aux paragraphes 58 et suivants de la décision attaquée, que le demandeur de clémence a déclaré que M. [G], directeur général de la société Materne, a présenté aux participants un document « Powerpoint » contenant une étude des livraisons de fruits en coupelles et en gourdes MDD à la grande distribution et à la RHF et que les notes de M. [VF], précitées, reprennent à l'identique la quasi intégralité des données figurant sur un document « Powerpoint » saisi chez Materne intitulé « PetL novembre 2010 » dont le directeur commercial de Materne a indiqué être l'auteur.

115.C'est donc à juste titre que l'Autorité en a déduit que si la présentation saisie chez Materne est datée de novembre 2010, les notes de M. [VF], datées du 5 octobre 2010, attestent du fait qu'un document similaire, probablement mis à jour en novembre 2010, a été présenté lors de cette réunion du 5 octobre 2010. Ces éléments, pris ensemble, constituent un faisceau d'indices précis, graves et concordants permettant de retenir que c'est bien ce document qui a servi de base aux discussions et échanges entre les participants à cette première réunion.

116.En second lieu, le demandeur de clémence a déclaré « (...) au cours de cette réunion, les participants ont discuté de manière détaillée les prix et hausses de prix relatives aux livraisons aux supermarchés français. Ces discussions étaient assez détaillées, par MDD (« Marque de Distributeurs »), par MPP, par volume et tant pour Epicerie que pour Ultra Frais, et avec (bi-fruit) ou sans ajouts (pur nature) de fruits autres que la compote de pomme, les prix avec et sans frais de transport (franco). Les participants estimaient que les augmentations de prix étaient nécessaires parce que les prix étaient bien en-dessous des coûts. » (Cote 7, dossier 14/0055AC).

117.Ces déclarations du demandeur de clémence faisant état de la volonté commune des participants de pratiquer des hausses de prix sont corroborées, d'une part, par les éléments figurant dans le document « Powerpoint » présenté par Materne, qui indiquent les objectifs des participants pour 2010 et 2011 en termes de prix et de profitabilité, en particulier celui consistant à « couvrir l'intégralité des hausses de prix de revient des produits et de remonter le niveau de profitabilité de l'ensemble du marché », et qui listent les marchés en cours et à venir à rentabilité négative ou faible et, d'autre part, par les notes de M. [VF] qui indiquent pour ces marchés « revoir les prix nets nets » (cote 4482).

118.Ces éléments suffisent à établir que dès le 5 octobre 2010 les participants ont échangé sur le niveau de prix des compotes en MDD en vue d'augmenter leur profitabilité sur le marché, et partant l'objet anticoncurrentiel de cette réunion, peu important que les hausses de prix à appliquer n'ont pas été précisément fixées à l'égard de l'ensemble des opérateurs présents à cette réunion.

119.Par ailleurs, il résulte de la présentation « Powerpoint » faite au cours de cette réunion du 5 octobre 2010 et des notes concordantes de M. [VF], reprises en page 19 de la décision attaquée, que les participants ont entendu fixer des objectifs de répartition des appels d'offres en cours et à venir sur le secteur des MDD, et ont échangé, s'agissant de la RHF, non seulement sur les volumes actuels par fabricant mais également sur les projections de quatre d'eux pour 2011, à savoir Charles Faraud, Valade, Délis SA et Coroos.

120.À cet égard, la Cour observe que le 12 octobre 2010, soit quelques jours après la réunion du 5, M. [VF] a adressé un courriel en interne auquel était joint un tableau intitulé « Délis Projection atterrissage Budget tarification 2011 », présentant « les différents paramètres pour exécuter/réaliser nos objectifs 2011 » (cote 7535 à 7536) et comportant des mentions et précisions faisant écho à la présentation « Powerpoint » et aux notes prises par M. [VF] lors de la réunion, comme l'a justement relevé l'Autorité au paragraphe 78 de la décision attaquée, étant souligné que ce tableau a été saisi dans le bureau de ce dernier dans le même dossier que les notes manuscrites correspondant aux premières réunions multilatérales. Il s'en déduit que Délis SA a mis en oeuvre les principes discutés lors de cette réunion.

121.La circonstance, selon Materne, que les objectifs la concernant, en particulier sur un appel d'offres, n'aient pas été atteints n'est pas de nature à remettre en cause la volonté commune des participants de se répartir les volumes de ces appels d'offres.

122.Enfin, a également été saisi dans le bureau de M. [VF] un tableau édité en décembre 2010 portant sur la répartition de volumes sur le segment RHF en tonnes par producteur et par client concernant les compotes en coupelles, et dont les données sont identiques à celles fournies par le demandeur de clémence que ce dernier a indiqué avoir obtenues lors de la réunion du 5 octobre. Il s'en infère, dans le contexte déjà analysé, que la source du tableau établi par Délis SA en décembre 2010 est la même. Ces éléments établissent, ainsi que le relève la décision attaquée (§ 74), que les participants au cours de cette réunion du 5 octobre 2010 ont échangé sur la répartition des fournisseurs et clients sur le segment de la RHF. Ainsi que le souligne l'Autorité au § 470 de la décision attaquée, s'il est admis que les appels d'offres et leurs attributions sur ce segment soient des informations publiques, la répartition plus fine entre deux concurrents fournissant un même client, qui ressort de ces documents, constitue une information confidentielle.

123.C'est donc par une juste appréciation de ces éléments que l'Autorité a considéré aux paragraphes 82 et 379 de la décision attaquée, que la réunion du 5 octobre 2010, loin de se borner à de simples échanges d'informations publiques ou de sujets d'intérêt commun comme le prix de la pomme, avait pour objet de :

– faire le point sur le niveau des prix et des marges ;

– fixer les objectifs des participants pour 2010-2011 ;

– discuter de la répartition du marché français MDD et RHF des fruits en coupelles et en gourdes entre producteurs en l'état (2010) et à venir (2011) ;

– échanger sur les prix ;

– échanger sur les appels d'offres en cours et à venir et,

– répartir les clients et appels d'offres entre concurrents.

124.L'objet anti-concurrentiel de cette première réunion est ainsi établi.

Sur la réunion du 4 novembre 2010

125.Les éléments du dossier, repris aux paragraphes 84 à 86 de la décision attaquée, attestent de la tenue d'une réunion le 4 novembre 2010, à l'hôtel parisien Concorde Opéra.

126.Ceux retenus au paragraphe 87 établissent que l'ensemble des entreprises mises en cause, à savoir Andros, Charles Faraud, Conserves de France, Coroos, Délis SA, Materne et Valade, étaient présentes à cette réunion.

127.C'est en vain que Charles Faraud conteste avoir participé à cette réunion En effet, les déclarations du demandeur de clémence qui indiquent que Charles Faraud y était représenté soit par M. [B], soit par M. [O] (cote 12), et celles de Valade selon lesquelles, il y avait « toute la profession française (les fabricants de compotes français) : Andros, Faraud, Conserves France, Materne. » (cote 14 690), convergent pour établir la présence d'un représentant de Charles Faraud à cette réunion. Les pièces apportées par cette dernière au cours de la phase contradictoire de l'instruction ayant établi que M. [TE] ne pouvait pas y avoir assisté, et en l'absence d'élément excluant la présence de M. [B], c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que Charles Faraud était présente à la réunion du 4 novembre 2010 en la personne de celui-ci.

128.Quant à l'objet de cette réunion, c'est par une juste appréciation des éléments recueillis au cours de l'instruction que sont notamment, d'une part, le document « PetL novembre 2010 » saisi chez Materne (cotes 1734 à 1744) ? présenté au cours de cette réunion ainsi que l'a déclaré Valade (cote 14691) ?, d'autre part, les notes manuscrites sur papier à entête de l'hôtel Concorde saisies dans le bureau de M. [VF] au sein de Délis SA ? qui correspondent à la dernière page de ce document saisi chez Materne et aux notes manuscrites de Coroos sur papier à entête Concorde ? qu'elle a analysés aux paragraphes 88 à 94 de la décision attaquée ?, que l'Autorité en a déduit que cette réunion avait porté :

– sur la répartition entre fournisseurs d'un appel d'offres de Carrefour (Carrefour classique, ED, Carrefour discount) pour des gourdes et des coupelles de compotes au rayon épicerie, d'une part, entre Coroos et Lactalis pour un bloc Carrefour discount et Ed, et d'autre part, entre Charles Faraud et Valade pour un bloc Carrefour classique et sans sucres ajoutés ;

– sur les hausses de prix envisagées pour ces différents produits, avec des hypothèses de marge sur coût variable de 0,30, 0,40 et 0,50 euros afin de déterminer « à concurrence de combien les prix des producteurs devraient augmenter » pour obtenir ces marges, le dernier tableau figurant dans les notes de M. [VF] (cote 4496) présentant un application pratique de ces hausses pour l'hypothèse d'une marge de 30 centimes.

129.Materne soutient que les notes de M. [VF] (Délis SA) et celles du demandeur de clémence de (Coroos) sur lesquelles l'Autorité s'est appuyée ne sont pas datées de sorte qu'elles ne peuvent être rattachées à la réunion du 4 novembre 2010 et que le demandeur de clémence les avait lui-même rattachées à la première réunion d'octobre 2010 dans sa demande de clémence. Toutefois, comme l'Autorité l'a observé à juste titre aux paragraphes 95 et 381 de la décision attaquée, les notes de M. [VF] et celles du demandeur de clémence, correspondent en grande partie à la dernière page de la présentation « PetL novembre 2010 » qui, selon les dires de Valade, a été projetée lors de la réunion en cause. En outre, les notes manuscrites de M. [VF] comportent la date de la réunion suivante, soit le 2 décembre 2010 à 13h30.

130.Ces éléments, pris ensemble, permettent de rattacher ces notes à la réunion du 4 novembre 2010, contrairement à ce que soutient Materne, peu important que le demandeur de clémence les ait initialement rattachées à la première réunion.

131.La circonstance que la répartition des appels d'offres Carrefour n'a pas été envisagée en faveur de Materne n'est pas de nature à mettre cette dernière hors de cause. Les éléments ci-dessus établissent que les entreprises participantes se sont accordées sur un projet de répartition, impliquant que chacune d'entre elles accepte d'adapter son comportement en réponse aux appels d'offre.

132.Par ailleurs, si Valade et Charles Faraud ont maintenu, après la réunion, les positions qu'elles avaient antérieurement sur le marché précité, respectivement de 35 % et de 65 %, cet élément n'est pas de nature à remettre en cause le fait qu'au cours de cette réunion, les participants se sont entendus pour répartir ce marché à 50 % - 50 % entre ces deux opérateurs ? impliquant notamment que les autres participants ne viennent pas les concurrencer sur ce marché ? mais à établir que l'objectif de répartition ainsi convenu n'a pas été atteint.
133.Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que lors de la réunion du 4 novembre 2010, les participants ont échangé pour se répartir des appels d'offre MDD (Carrefour) pour différents produits et les prix à pratiquer pour ces produits.

Sur la réunion du 2 décembre 2010

134.Les éléments du dossier, repris aux paragraphes 98 à 100 de la décision attaquée, attestent de la tenue d'une réunion le 2 décembre 2010 à l'hôtel Best Western Opéra Diamond, situé [Adresse 32].

135.Ceux retenus au paragraphe 101 établissent que les sociétés Andros, Charles Faraud, Conserves France, Coroos, Délis SA, Vergers de Chateaubourg, Materne, étaient présentes à cette réunion.

136.S'agissant de la participation de Charles Faraud, l'Autorité s'est fondée notamment sur la réponse écrite de M. [DG] (Andros) selon lequel étaient présents à cette réunion notamment « M. [B] et/ou M. L. [TE] de chez Faraud » (cotes 14652 et 14653). Cette déclaration est confortée par les notes de frais de M. [B] (Charles Faraud) attestant qu'il a été pris en charge par un taxi parisien dans le quartier Lafayette, à proximité immédiate de l'hôtel où a eu lieu la réunion, à 15h30, soit à un horaire proche de celui auquel M. [DG] (Materne), qui admet avoir été présent à cette réunion, l'a quittée pour reprendre son véhicule comme en atteste son ticket de parking (cote 10 666). Ces éléments suffisent ainsi à établir la présence de Charles Faraud à cette réunion en la personne de M. [B].

137.S'agissant de la participation de Conserves France, l'Autorité s'est fondée notamment sur un échange de courriels entre deux de ses préposés, MM. [RO] et A. [TE] la veille du 2 décembre 2010 (cote 9801), qui précisent le lieu et l'heure de la réunion qualifiée de « réunion compotes » et dont il résulte expressément que ces derniers s'organisaient pour y participer.

138.La circonstance que M. [G] (Materne) ait indiqué, au cours de son audition, que Conserves France était présente en la personne de M. [M], qui a succédé à M. [RO], loin de remettre en cause la participation de Conserves France, tend au contraire à confirmer que pour Materne, Conserves France était bien représentée à cette réunion.
.
139.L'échange de courriels précité, établissant la volonté de Conserves France de participer à cette réunion et les déclarations de Materne, attestant de la présence de Conserves France, sont des éléments concordants permettant de considérer que cette dernière était bien présente à cette réunion. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu sa participation.

140.Enfin, il n'est pas contesté que M.[R], directeur du site des Vergers de Chateaubourg, était présent à cette réunion. La question de la responsabilité de Vergers de Chateaubourg à raison de la présence de M. [R] à cette réunion sera appréciée lors de l'examen de l'imputabilité des pratiques.

141.S'agissant de l'objet de la réunion du 2 décembre 2010, c'est par une juste appréciation des éléments recueillis au cours de l'instruction, qu'elle a analysés aux paragraphes 102 à 113 de la décision attaquée, que l'Autorité a retenu que cette réunion avait pour objet de :

– couvrir les hausses de prix de revient (matières premières notamment) et mettre au point un discours pour justifier ces hausses auprès des clients ;

– fixer des objectifs de hausse de 0,19 à 0,22 euro par kg notamment pour les coupelles et les gourdes) ;

– fixer des fourchettes de prix cibles par produit et,

– s'entendre sur certains appels d'offre au cas par cas.
142.À cet égard, la Cour observe, d'une part, qu'Andros, au cours de l'instruction, a indiqué « que certains participants ont évoqué des besoins chiffrés de hausse en MDD et RHF » (cote 14 653) et, d'autre part, que le document PetL2 ? qui a été présenté au cours de cette réunion ainsi qu'en attestent les déclarations du demandeur de clémence, celles d'Andros et des notes manuscrites concordantes prises par M. [VF] (Délis SA) ? ne se borne pas à présenter l'augmentation du coût des matière premières qui sont des informations publiques, mais mentionne des objectifs de hausse générale des prix de 0,19 à 0,22 euros par kilogramme pour les compotes tant en gourdes, en coupelles, qu'en bocaux, et précise, pour plusieurs variétés de compotes en gourde et coupelles des fourchettes de prix cibles en euros par unité de vente conditionnée (uvc).

143.En outre, la version imprimée du document PetL2 saisie chez Délis SA comporte une page supplémentaire (cote 4671), intitulée « Point sur les appels d'offres » qui dresse la liste de clients de la grande distribution et du hard discount, à savoir : « Lidl, Carrefour Coupelles Epicerie, Carrefour UF : coupelles et gourdes, Le Mutant, Intermarché Gourdes et EMC », élément qui permet d'établir qu'au cours de cette réunion, les participants se sont entendus Sur certains appels d'offre de la GMS.

144.Cette présentation PetL2, interprétée à la lumière des déclarations du demandeur de clémence, d'Andros et de celles de Valade, à qui la présentation a été transmise comme l'établissent les constatations faites aux paragraphes 104 à 105 de la décision attaquée, permettent d'établir à suffisance que les participants à cette réunion se sont entendus, d'une part, sur certains appels d'offre de la GMS en vue de se les répartir, et d'autre part, sur des objectifs généraux de hausse de prix tant sur le segment des MDD que sur celui de la RHF, et qu'ils ont chiffrés plus précisément pour plusieurs variétés de produits, contrairement à ce que soutient Materne.

145.La circonstance que ces objectifs de hausse n'ont pas été atteints ou qu'ils aient été, pour certains, « irréalistes » comme le soutient Valade, n'est pas de nature à remettre en cause la volonté commune des participants de pratiquer des hausses de prix dont ils ont fixé des ordres de grandeur.

Sur la réunion du 24 janvier 2011

146.L'Autorité, a retenu que Materne, Coroos et Délis SA se sont réunis le 24 janvier 2011 dans un hôtel Novotel à [Localité 26].

147.Ces trois sociétés ne contestent ni l'existence ni leur participation à cette réunion.

148.Pour déterminer l'objet de cette réunion, l'Autorité a analysé les notes saisies dans le bureau de M. [VF] de Délis SA (cotes 4488 à 4490).

149.Si, comme le souligne Materne, ces notes ne sont pas datées, il convient de relever qu'elles ont été prises sur du papier à entête Meeting@Novotel et mentionnent des échéances au 1er février 2011 et au 15 février 2011 ainsi que la date « 24/01/2011 » à propos de Leader Price avec la mention « pas de retour ». Ces éléments, pris ensemble, permettent d'inférer que ces notes ont été prises lors de la réunion par M. [VF] de Délis SA et ainsi que l'a, à juste titre, retenu l'Autorité au paragraphe 123 de la décision attaquée, étant observé que Délis SA ne le conteste pas devant la Cour.

150.Ces notes mentionnent des appels d'offres à venir de Lidl, « BVio », Leader Price, Scamark ([E]), Intermarché et EMC (Casino et Monoprix) avec des prix, des prix cibles, ainsi que la réponse à un appel d'offre en cours de Carrefour où il est question d'une hausse de prix de 19 % à 16 % , et un appel d'offre de Leader Price pour des produits « bio » et sans sucre ajouté (SSA) où il est indiqué une application à l'égard de Coroos au 15 février 2011 et Materne au 1er février 2011, et mentionnent « AO : premier appel l'autre ».

151.Ainsi, contrairement à ce que soutient Materne, ces notes font référence à des prix pour des appels d'offres en cours ou à venir à répartir entre les participants. Elles corroborent les déclarations du demandeur de clémence selon lesquelles, au cours de cette réunion, « les dossiers en cours, à savoir, des offres en cours et des hausses de prix ont été discutés » (cote 13, dossier de clémence).

152.L'objet anticoncurrentiel de cette réunion, en ce qu'elle porte sur les MDD est donc établi.

Sur la réunion du 17 mars 2011

153.Des notes saisies dans le bureau de M. [VF] (Délis SA), datées du 17 mars 2011, prises sur du papier à entête « Hôtel Concorde » (cotes 4491 à 4492 ) et dont ce dernier reconnaît être l'auteur (cote 14 626) ainsi que des notes de frais de Materne exposés à l'hôtel Concorde Opéra à [Localité 30] le 17 mars 2011 (location d'une salle, cote 10 824) et celles de Coroos (billets de train et notes de taxis de M.[UU], cotes 10979 et 10980) établissent qu'une réunion s'est tenue dans cet hôtel le 17 mars 2011, dans l'après-midi ; et que ces trois sociétés y ont participé, ce qu'aucune d'elles ne conteste devant la Cour.

154.Les notes de Délis SA mentionnent par ailleurs Valade à deux reprises pour un appel d'offres Auchan, d'abord pour des PPX où il est question d'une augmentation de prix de 14 %, puis pour des « SSA » (sans sucres ajoutés), où il est indiqué « Valade (..) OK ». Les notes de frais de M. [T] (Valade), correspondant à des frais de carburant et de déjeuner attestent de la présence de ce dernier à [Localité 30] le jour de la réunion, étant observé que Valade a son siège social à [Localité 25] (19). La circonstance que cette note de frais corresponde à un déjeuner réglé à 13h00 dans le quartier Montparnasse, laquelle établit la présence de M.[T] à [Localité 30] ce jour là, n'exclut pas sa présence dans l'après-midi dans le quartier Opéra. Ces éléments constituent un faisceau d'indices graves précis et concordants permettant d'établir la présence de Valade à cette réunion ainsi que l'a, à juste titre, retenu l'Autorité au paragraphe 132 de la décision attaquée.

155.S'agissant de l'objet de cette réunion, le contenu des notes de M. [VF] de Délis SA, décrit aux paragraphes 133 à 139 de la décision attaquée, établit qu'au cours de cette réunion ont été échangées des informations sur le prix et les volumes de produits MDD pour des appels d'offres en cours ou à venir. Si, comme le fait observer Materne, cette réunion n'a pas été évoquée par le demandeur de clémence, ces notes se présentent toutefois de manière similaire à celles que Délis a prises lors des réunions précédentes, avec la mention du nom du distributeur, auteur de l'appel d'offres, des produits concernés (coupelles, gourdes, frais ou épicerie) ainsi que les volumes et/ou les prix, peu important, à cet égard, que les prix ou les volumes effectivement vendus par Materne ne correspondent pas à ceux mentionnés dans ces notes. Cette réunion, au regard de son ordre du jour tel que mentionné dans ces notes et précisé par Délis au cours de son audition, s'inscrit dans le même contexte d'augmentation du coût de matières premières que les opérateurs ne parvenaient pas à répercuter auprès de la grande distribution.

156.En outre, l'ordre du jour mentionné dans les notes précitées fait état de la RHF, ce dont il s'infère que les participants à la réunion ont échangé sur ce secteur.

157.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que ces notes permettent d'établir l'objet anticoncurrentiel de cette réunion, consistant en un échange d'informations sur des appels d'offres en cours MDD en termes de volumes et de prix, et sur le segment de la RHF.

Sur la réunion du 13 avril 2011

158.Il résulte des éléments recueillis au cours de l'instruction, décrits aux paragraphes 140 à 143 de la décision attaquée qu'une réunion s'est tenue l'après-midi du 13 avril 2011 à l'Espace Vocation Saint Lazare à [Localité 30], en présence de Coroos, Charles Faraud, Materne et Andros.

159.Les déclarations du demandeur de clémence (cote 12) et celles d'Andros (cote 14653) convergent sur la présence de Délis SA en la personne de M. [VF] de sorte que la note de frais de ce dernier correspondant à un déjeuner à [Localité 28] ne suffit pas à remettre en cause sa participation, étant observé que les justificatifs accompagnant cette note de frais ne sont pas nominatifs.

160.S'agissant de l'objet de cette réunion, ainsi que l'Autorité l'a relevé, aux paragraphes 144 à146 de la décision attaquée, il résulte des déclarations du demandeur de clémence (cote 14, dossier 14/0055AC), d'Andros (cote 14653) et de Materne (cote 14708) que lors de cette réunion, les entreprises ont dressé un bilan de la situation du marché des MDD au regard des résultats des différents appels d'offres en termes de prix et de volume afin, notamment, comme l'a souligné Materne, de « (...) commencer à compter les dossiers pris par Coroos et les appels d'offres déjà attribués ».

161.Ainsi, contrairement à ce que soutient Materne, il s'infère de ces déclarations que l'objet de cette réunion a consisté à faire le point sur les résultats des appels d'offres au regard des objectifs de répartition définis lors des précédentes réunions.

162.L'objet anticoncurrentiel de cette réunion est donc établi.

Sur la réunion du 10 juin 2011

163.Il résulte des éléments recueillis au cours de l'instruction, décrits aux paragraphes 148 à 150 de la décision attaquée, qu'une réunion s'est tenue le 10 juin 2011 à l'Espace Vocation Saint-Lazare à [Localité 30] en présence de Coroos, Charles Faraud, Andros, Materne et Conserves France.

164.S'agissant de Délis, si les services de l'instruction ont constaté que les déclarations d'Andros et du demandeur de clémence permettaient de retenir sa présence à cette réunion, ils ne l'ont pas retenue à charge, comme il a été vu aux paragraphes 76 et suivants du présent arrêt, de sorte que c'est à tort que l'Autorité se prévaut de la participation de Délis SA et de Vergers de Chateaubourg à cette réunion.

165.C'est en vain que Conserves France conteste sa présence à cette réunion. La déclaration du demandeur de clémence qui, lors de son audition du 4 juillet 2015, a indiqué que Conserves France était représentée « soit [par] M.[RO], soit [par]M. [M], car M. [RO] devait prendre sa retraite à cette époque-là » (cote 13), est corroborée par la note de frais de M.[M] correspondant à une nuitée dans un hôtel place de [Localité 22], réglée à 8h17 (cote 4925). Ces éléments établissent à suffisance qu'un représentant de Conserves France, dont le siège social est à [Localité 7] (13), était ainsi à [Localité 30] au même moment et que cette société a bien été représentée à cette réunion par M. [M].

166.S'agissant de l'objet de cette réunion, le demandeur de clémence a indiqué, lors de son audition du 3 juillet 2015, qu'il avait été question notamment de compensations (cote 13).

167.Ces déclarations sont corroborées par Andros qui, en réponse à un questionnaire écrit, a indiqué qu'au cours de cette réunion, un point avait été fait sur l'évolution des MDD et qu'il avait été question de « gel de volumes MDD, de compenser des pertes » (cote 14 653).

168.La circonstance qu'Andros ait précisé dans ce questionnaire, qu'il avait décidé ce jour-là, de ne plus participer aux réunions n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité de sa réponse sur le contenu des échanges.

169.Ces déclarations convergentes suffisent à établir qu'au cours de cette réunion ont été évoqués des volumes, leur répartition et la compensation des « pertes de volumes » des précédents appels d'offres, ainsi que l'a, à juste titre, retenu l'Autorité aux paragraphes 154 et 396 de la décision attaquée.

170.L'objet anticoncurrentiel de cette réunion, en ce qu'elle a consisté en des échanges portant sur des répartitions de volumes et de compensation de pertes de volumes sur les MDD, est donc établi.
Sur la réunion du 3 novembre 2011

171.Les éléments recueillis au cours de l'instruction, décrits aux paragraphes 156 à 160 de la décision attaquée, attestent d'une réunion, le 3 novembre 2011, dans un restaurant parisien, à laquelle étaient présentes Andros, Charles Faraud, Coroos, Materne ainsi que Vergers de Chateaubourg en la personne de M. [R].

172.S'agissant de l'objet de cette réunion, le demandeur de clémence a déclaré « La réunion n'avait pas d'objectif précis, mais les participants ont parlé du marché en général » (cote 16 dossier 14/0055AC). De son côté, M. [ON] (Materne), lors de son audition (cote 14709 VC), a indiqué « le sujet était toujours le même, la situation des MDD » et qu'il y avait un lien avec son « document de travail » intitulé « PetL », étant observé que ce dîner a été inscrit dans son agenda sous le titre « dîner PetL ». Ainsi qu'il a été vu, ce document PetL, a servi de support aux trois premières réunions multilatérales.

173.Il se déduit du rapprochement de l'ensemble de ces éléments que les participants, principaux fabricants de compotes, ont échangé sur le marché des compotes MDD, poursuivant ainsi les échanges qu'ils avaient eus lors des réunions précédentes.

Sur la réunion du 17 juillet 2013

174.Les éléments recueillis au cours de l'instruction, repris aux paragraphes 163 à 167 de la décision attaquée, attestent de la tenue d'une réunion à l'hôtel Concorde Opéra à [Localité 30] le 17 juillet 2013 où Charles Faraud, Coroos, Vergers de Chateaubourg et Materne étaient présents.

175.Les éléments invoqués par Charles Faraud pour contester sa présence à cette réunion ne suffisent pas à remettre en cause le faisceau d'indices précis, graves et concordants constitué de la déclaration du demandeur de clémence (cote 13), d'une note de frais d'une nuitée à l'hôtel Mercure Opéra de M. [B], président de Charles Faraud (cote 10 441), et de la mention, dans l'agenda de ce dernier, du prénom de M.[G], président de Materne au jour de la réunion (cote 7432), étant observé d'une part que MM. [G] et [B] sont respectivement vice-président et président de la FIAC, qu'ils ont déjà participé à plusieurs réunions multilatérales, expliquant ainsi que M. [B] puisse s'adresser à M. [G] par son prénom et l'utiliser pour inscrire la réunion sur son agenda, et, d'autre part, que l'attestation produite n'est ni précise ni circonstanciée pour permettre d'établir que M. [B] avait rendez-vous avec un de ses amis ayant le même prénom que M. [G].
176.Les éléments invoqués par Vergers de Chateaubourg pour contester sa présence à cette réunion ne sont pas de nature à remettre en cause le faisceau d'indices précis, graves et concordants retenu par l'Autorité, constitué de la déclaration du demandeur de clémence (cote 13) et de la note de frais de M. [R], directeur du site de Vergers de Chateaubourg, situé à Chateaubourg (35), portant sur des frais de parking et tickets de métro (cotes 5063 et 5064) attestant de la présence de ce dernier à [Localité 30], étant observé que Vergers de Chateaubourg ne verse aucun élément établissant qu'à la date de cette réunion, M. [R] avait effectivement quitté l'entreprise et n'exerçait plus ses fonctions.

177.S'agissant de l'objet de cette réunion, selon Coroos, (cote 22, dossier 14/055AC) celle-ci a, au cours de cette réunion, « à nouveau indiqué, et avec plus de force, qu'elle a subi une perte de volume et qu'elle en exige[ait] de la compensation », précisant que « cette perte de volume était trop importante pour elle ».

178.Cette déclaration du demandeur de clémence, qui évoque ses pertes et sa volonté d'obtenir des compensations, est corroborée et complétée par un courriel interne à Charles Faraud, daté de la veille de la réunion, qui dresse un bilan particulièrement précis des « gains » et « pertes » en volume des uns et des autres auprès de différents clients en citant Andros, Materne, Valade, Coroos, Lactalis (Délis) et Saint-[I] (Conserves de France) et ce, tant sur la RHF que sur les MDD, (cote 7346).

179.Ainsi, contrairement à ce que soutiennent Charles Faraud et Materne, ce courriel visait à préparer la réunion du lendemain pour permettre aux participants de tirer les conséquences du bilan résultant de la veille concurrentielle qu'il contient.

180.En outre, ainsi que le relève l'Autorité au paragraphe 399 de la décision attaquée, le tableau échangé par courriel entre Materne et Andros le 19 juillet 2013, soit deux jours après la réunion en cause, ainsi qu'il sera vu aux paragraphes 235 et suivants du présent arrêt, mentionne les volumes de production pour la MDD et la RHF qui ont changé de producteur ou bien qui sont nouveaux. En particulier, deux marchés de RHF (Sodexo et AP-HP) y sont mentionnés. Ce document présente les gains et les pertes de volumes par produit, concurrent et client. Il en ressort notamment que Charles Faraud (CetA) a pris 1000 tonnes à Coroos pour le client Sodexo et que Délis SA (Lactalis) a pris 550 tonnes à Andros chez le client APHP (cote 7203).

181.Enfin, l'échange de courriels entre Materne et Andros, dix jours après l'échange du 19 juillet, établit que ces deux entreprises ont échangé des prix en vue de répondre à un appel d'offre d'un distributeur de la GMS, ainsi qu'il sera démontré aux paragraphes 235 et suivants du présent arrêt.

182.C'est donc par une juste appréciation de ces éléments que l'Autorité en a déduit, aux paragraphes 168 à 171 de la décision attaquée, que cette réunion a eu pour objet de dresser un bilan des gains et pertes des participants à la pratique reprochée à l'issue des appels d'offres passés et de discuter des compensations et récupérations à prévoir, et ce tant sur le marché des MDD que celui de la RHF.

Sur la réunion du 3 septembre 2013

183.Les éléments recueillis au cours de l'instruction, décrits aux paragraphes 172 à 177 attestent d'une réunion le 3 septembre 2013, dans l'après-midi, au Novotel de la gare de [27] à [Localité 30], en présence de Coroos, Charles Faraud, Conserves France, Délis SA, Materne et Valade.

184.La note de frais de M. [VF] (Délis SA) correspondant à un déjeuner en Bretagne, invoquée par Délis pour contester sa présence à cette réunion, n'est pas de nature à écarter sa participation dès lors qu'un déjeuner en Bretagne n'est pas incompatible avec une réunion dans l'après-midi à [Localité 30], que cette note de frais du 3 septembre 2013 de M. [Z] porte également sur une nuitée à l'hôtel Pullman Montparnasse attestant de sa présence à [Localité 30] (cote 5074), et que tant le demandeur de clémence que Valade ont déclaré que Délis était présente à cette réunion (cote14 691, cote 22 du dossier 14/055AC).

185.S'agissant de l'objet de cette réunion, pour retenir que les participants avaient discuté en détail de la répartition des volumes et des clients, de compensations et volumes perdus et des prix sur les segments MDD et RHF, l'Autorité s'est fondée sur les déclarations du demandeur de clémence (cotes 22 et 23, dossier 14/0055 AC), sur les notes saisies dans le bureau de M.Q, président de Valade dont ce dernier a reconnu être l'auteur (cotes 1775 à 1780) et celles concordantes prises par Coroos, le demandeur de clémence (cotes 350 à 354, dossier 14/0055 AC).

186.Il convient d'observer que si la date du 3 septembre 2013 ne figure que sur les deux premières pages des notes de Valade, la troisième n'en comporte pas moins des éléments identiques à ceux figurant sur les notes que Coroos a déclaré avoir prises à l'occasion de cette réunion.

187.Ainsi, contrairement à ce que soutient Materne, ces éléments concordants permettent de rattacher à cette réunion l'ensemble des notes saisies chez Valade (cotées 1775 à 1780), étant relevé, en outre, que Valade ne conteste pas devant la Cour que ces notes ont été prise au cours de la réunion.

188.C'est donc par une juste appréciation des déclarations du demandeur de clémence, des notes qu'il a prises au cours de cette réunion ainsi que celles de Valade, telles qu'analysées aux paragraphes 180 et 189 de la décision attaquée, que l'Autorité a retenu qu'au cours de cette réunion, les participants ont discuté en détail de la répartition des volumes et des clients, des compensations de volumes perdus et des prix, sur les segments MDD et RHF et que Coroos et Valade ont bénéficié d'une mesure de compensation.

189.La Cour observe qu'il a notamment été évoqué :

– la RHF : les notes du demandeur de clémence indiquent que Conserves France (Saint [I]) recherchait « 1500 tonnes et en avait déjà reçu 450 t de Valade », celles de Valade qui précisent : « quotation marché : 5 % d'écart avec Saint mamet, réaction 1500 t sur RHF », et tant les notes de Valade que celles de Coroos mentionnent qu'Andros devait « rendre du volume » dès lors qu'elle avait gagné 4000 à 5000 tonnes depuis 2010 sur la RHF,

– les MDD, où des nouveaux marchés (Scamarck/Galec) ont été attribués, l'un à Valade pour 560 tonnes, l'autre à Saint-[I] (Conserves France) pour 216 tonnes, et le dernier à Materne pour 630 tonnes. Les notes de Coroos précisent qu'Andros « doit rendre du volume GMS » précision suivie de la mention du prénom de Mme [FR], directrice générale adjointe d'Andros.

190.S'agissant en particulier de l'attribution faite à Valade, les notes de son représentant indiquent « Scamarck (...) 560Tx16 OK », mention qui conforte les notes de Coroos sur l'attribution de ce nouveau marché à Valade (cotes 353 et 356, dossier 14/0055AC) et qui atteste de l'accord de Valade pour cette mesure de répartition (cote 1779). Les courriels internes à Valade du 6 septembre 2013 n'ayant pas été retenus contre elle par la décision attaquée lors de l'examen de sa responsabilité, ses contestations sur l'interprétation de ces courriels sont inopérantes.

191.Ces éléments forment un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant d'établir qu'au cours de cette réunion, les participants se sont entendus notamment en faveur de Valade, qui avait perdu du volume pour que celle- ci en récupère à l'occasion de nouveaux appels d'offre, de sorte que l'objet anticoncurrentiel de cette réunion est établi, peu important que les effets attendus de cet accord n'aient pu être intégralement atteints ou encore l'origine de la perte de volume de Valade.

192.En outre, aux termes d'un échange de courriels interne à Valade du 6 septembre 2013, son président, répondant à l'interrogation de son directeur MDD sur une réponse à donner à un appel d'offre d'une centrale d'achat de distributeurs néerlandais, lui indique « On n'y touche pas. On évite de chatouiller Coroos sur son marché domestique pour un volume aussi faible. Donnez des prix hauts. » (cote 7274). Cet échange, intervenu trois jours après la réunion du 3 septembre 2013 où Coroos se plaignait d'avoir perdu du volume, démontre que Valade a respecté les orientations qui y avaient été définies dans une optique de compensation en s'abstenant de concurrencer Coroos sur certains marchés.

193.L'objet anticoncurrentiel de cette réunion est donc établi.

2. Sur les échanges bilatéraux et trilatéraux

194.Outre les réunions précitées, au cours desquelles les participants ont discuté en détail de la répartition des volumes, des clients, des prix ou encore des compensations nécessaires, la décision attaquée a identifié des échanges bilatéraux et trilatéraux, qui s'intercalent entre les réunions précitées et s'échelonnent entre le 15 mars 2011 et le 28 mai 2013.

Sur l'échange entre Materne et Coroos le 15 mars 2011

195.Cet échange, retenu contre Materne au § 509 de la décision attaquée par renvoi aux constatations faites aux § 191 à 247, est suffisamment établi par les éléments convergents, issus de l'instruction, respectivement décrits aux paragraphes 216 et 215, tenant :

– d'une part, aux déclarations du demandeur de clémence qui font état d'une rencontre avec M. [DG] (Materne) dans un café « Starbucks » de la gare [33] pour échanger sur des appels d'offres et leur répartition, et à la note de taxi de Coroos correspondant à une course entre la gare du [29] et la gare [33] le 15 mars 2011 ;

– d'autre part, aux déclarations de M. [DG] (Materne) qui a admis, pendant son audition, avoir rencontré au cours de l'année 2011 des concurrents dans des cafés.

Sur l'échange entre Materne et Coroos le 6 avril 2011

196.Materne ne conteste pas l'existence d'une rencontre avec Coroos le 6 avril 2011 à l'hôtel Hyatt de Roissy, rencontre au demeurant établie par les éléments fournis par le demandeur de clémence et les notes de frais de M. [ON] (Materne), décrits aux paragraphes 194 et 195 de la décision attaquée.

197.Elle conteste l'objet anticoncurrentiel de cette rencontre qui ne peut être déduit, selon elle, comme l'a fait l'Autorité, de la simple évocation du « même sujet » par M. [ON] (Materne), lors de son audition. Elle fait valoir que lorsque ce terme est repris par MM. [G] et [ON] (Materne) au cours de leur audition commune, il renvoie à la volonté de Coroos de pénétrer sur le marché français et non à un accord sur les prix ou la répartition d'appels d'offres.

198.Toutefois, au cours de cette même audition, M. [G], évoquant la première réunion multilatérale (5 octobre 2010), en a imputé l'initiative à Coroos en indiquant : « L'initiative de cette réunion faisait suite à un contact téléphonique de Coroos qui m'avait fait part de surcapacités dans ses usines, notamment en gourdes, et qui voulait entrer sur le marché français. (...) Le sujet était la volonté de Coroos d'entrer sur le marché français. Coroos nous a dit qu'il avait de la surcapacité et nous a demandé comment on s'organise » (cotes 14729, 14730 et 14731 VNC, souligné par la Cour).

199.Puis, évoquant la réunion multilatérale du 2 décembre 2010, il a déclaré : « On était dans la continuité de la réunion du mois d'octobre avec la pression de Coroos de prendre des volumes. Il y avait un contexte de guerre des prix et de pression des distributeurs dans le cadre des appels d'offres qui arrivent souvent à cette période de l'année. (...) Nous étions dans une situation inextricable avec un concurrent qui menaçait de prendre des volumes à n'importe quel prix. (...) On essayait de contenir les velléités de notre concurrent [Coroos] en essayant de le convaincre que la situation était très compliquée et que le statu quo s'imposait » (cotes 14729, 14730 et 14731 VNC, souligné par la Cour).

200.Dans sa demande de clémence (cotes 6 et 7, dossier 14/055AC), Coroos impute l'origine des premiers contacts à Materne, laquelle lui aurait exposé qu'il était perçu comme une menace par les producteurs français en raison essentiellement de sa capacité de production de nature à entraîner une surcapacité sur le marché français de coupelles et de gourdes et au fait qu' « il avait déjà gagné des offres au détriment de concurrents français et si cela devait se poursuivre, le prix chuterait ». Materne lui aurait proposé une entente : « D'un côté, un certain volume sur le marché français serait accordé à Coroos. De l'autre côté, les fournisseurs français obtiendraient une protection contre une poursuite de l'expansion de Coroos de sorte que leur position de marché ne serait plus ébranlée. ». Le demandeur de clémence précise qu'après avoir, dans un premier temps, refusé la proposition faite par Materne en raison de l'insuffisance du tonnage envisagé par cette dernière, il lui a indiqué, au cours d'un rendez-vous en août/ septembre 2010, soit peu de temps avant la première réunion multilatérale du 5 octobre 2010, « que Coroos était disposée à parvenir à des accords » en raison principalement « [des]prix déplorables, en particulier des prix inférieurs aux coûts, que Coroos obtenait pour ses coupelles et ses gourdes en France ».

201.Au-delà de la position divergente des parties sur la question de savoir laquelle a pris l'initiative des contacts, leurs déclarations convergent pour établir que, face à l'entrée de Coroos sur le marché français, susceptible d'entraîner une baisse des prix, celui-ci et Materne ont cherché à mettre en place des accords avec les autres fournisseurs pour que son arrivée ne déstabilise pas le marché.

202.Il a été démontré qu'au cours des deux réunions précitées, celles des 5 octobre et 2 décembre 2010, mais également de celle du 4 novembre 2010, les échanges intervenus entre les principaux producteurs de compotes français et Coroos ont eu pour objet de répartir entre eux des appels d'offres et de définir des comportements pour parvenir à une hausse des prix, sur le secteur des MDD.

203.Aussi, lorsque M. [G] (Materne) déclare, au cours de son audition, que l'objet du rendez-vous entre Materne et Coroos le 6 avril 2011 portait « toujours sur le même sujet », il ne saurait être compris comme se limitant à renvoyer aux « velléités de Coroos de prendre des parts de marchés en France », mais doit être interprété comme visant également les accords de répartition conclus pour préserver les parts de marché de chacun sur ce secteur, étant observé que ce rendez-vous a eu lieu peu de temps avant la réunion multilatérale du 13 avril 2011 au cours de laquelle les entreprises ont dressé un bilan de la situation du marché des MDD au regard des résultats des différents appels d'offres.

204.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu qu'au cours de ce rendez-vous bilatéral du 6 avril 2011, Materne et Coroos ont échangé sur la situation des MDD.

Sur l'échange entre Materne et Conserves France le 3 novembre 2011

205.Aux termes d'un échange de courriels interne à Conserves France du 26 octobre 2011, M. [M], directeur commercial, avise M. [A], directeur d'exploitation, du souhait de Materne de les rencontrer à [Localité 30] le 4 novembre 2011 afin d'évoquer les conditions de marché de Conserves France, en particulier, sur la MDD.

206.L'agenda électronique de M. [M] (Conserves France, cote 9833) mentionne un rendez-vous entre celui-ci et M. [ON] (Materne), le 3 novembre 2011, entre 17h et 18h à l'hôtel Mercure de la gare de [27] ,soit juste avant le dîner qui a réuni Andros, Charles Faraud, Coroos, Délis SA et Materne au restaurant Visconti.

207.Ces deux éléments, dont la matérialité n'est pas contestée, sont des indices convergents permettant d'établir que la rencontre souhaitée par Materne avec son concurrent a eu lieu, non le 4 novembre 2011 comme initialement envisagé, mais la veille et qu'elle a eu pour objet d'échanger sur le marché de la MDD.

208.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu cette rencontre et son objet anticoncurrentiel.

Sur l'échange entre Materne et Coroos le 2 mars 2012

209.Le demandeur de clémence a déclaré avoir rencontré M. [G] (Materne) le 2 mars 2012 au Novotel de [Localité 24] à 9h afin d'évoquer les pertes qu'il avait subies en dépit des accords de préservation de volumes conclus deux ans auparavant, et son souhait d'obtenir des compensations qu'il voulait que M. [G] mette en place avec les autres acteurs. Il a précisé qu'au cours de cette rencontre, MM [UU] (Coroos) et [G] (Materne) avaient « calculé qui avait gagné/perdu quels volumes, chez quels clients et pour quels produits. De cette manière, ils avaient un plan général en vue de la compensation. » (cotes 17 et 18, dossier 14/0055AC).

210.Ces déclarations sont corroborées par les notes produites par le demandeur de clémence que ce dernier indique avoir prises afin de préparer cette rencontre, ces notes faisant précisément un bilan des pertes et gains de chacune des entreprises mises en cause, indiquant les types de produits et les clients concernés sur le marché de la RHF (Sodexo) et des MDD (cote 263, dossier 14/0055AC).
211.Materne ne conteste pas avoir rencontré Coroos le 2 mars 2012 au Novotel de [Localité 24], sa présence en la personne de M. [G] étant au demeurant établie par les notes de frais de ce dernier.

212.Dans ces conditions, les déclarations précises du demandeur de clémence corroborées par les notes qu'il a produites constitue un faisceau d'indices précis, graves et concordants tant de la tenue de ce rendez-vous que de son objet anticoncurrentiel, peu important que les notes ne contiennent aucun élément temporel permettant de les rattacher à ce rendez-vous.

213.Au demeurant, Materne n'invoque aucune explication plausible de sa rencontre avec Coroos ce 2 mars 2012 à [Localité 24] pour combattre ce faisceau d'indices.

Sur l'échange entre Materne et Coroos le 8 juin 2012

214.Cet échange, retenu contre Materne au § 509 de la décision attaquée par renvoi général aux constatations faites aux § 191 à 247, est suffisamment établi par les éléments issus de l'instruction, décrits au paragraphe 217 de la décision attaquée, tenant :

– d'une part, aux déclarations du demandeur de clémence qui a indiqué avoir retrouvé M. [G] (Materne) dans la matinée du 8 juin 2012 au café « Starbucks » de la gare [33] ;

– d'autre part, aux déclarations de M. [G] (Materne) qui a admis, pendant son audition, avoir rencontré une fois, au cours de l'année 2012, M. [UU] (Coroos) au café « Starbucks » de la gare [33] « toujours sur le même sujet, ses vélléités de prise de parts de marché en France ».

215.Il se déduit de cette déclaration que cette rencontre, qui a eu lieu plus d'un an et demi après les premières réunions multilatérales, a eu pour objet d'échanger sur la mise en oeuvre des objectifs définis au cours de ces premières réunions.

Sur l'échange entre Materne et Coroos en septembre 2012

216.Le demandeur de clémence a déclaré avoir rencontré Materne, en la personne de M. [G], à la gare du [29], en 2012 et qu'au cours de cette rencontre, Materne l'a informé que le 2 octobre 2012, l'organisation interprofessionnelle FIAC allait invoquer la pénurie de pommes comme cas de force majeure. Grâce à cette information Coroos savait qu'il devait différer sa réponse aux appels d'offres de clients pour les nouveaux prix à partir du 1er novembre 2012. Le projet de lettre de la FIAC, saisie dans l'ordinateur de M. [G], et les notes manuscrites que Coroos a indiqué avoir prises au cours de cette entrevue corroborent les déclarations du demandeur de clémence.

217.Ce dernier a également précisé qu'au cours de cette entrevue, Materne avait indiqué un ordre de grandeur de hausse de ses prix sur le MDD le 1er octobre 2012, applicables à compter du 1er novembre suivant, ainsi que la hausse des prix d'Andros, et informé que Materne allait augmenter ses prix chez Système U, ce qui provoquerait un nouvel appel d'offres de la part de ce distributeur et permettrait à Coroos d'obtenir une compensation.

218.Ces déclarations sont corroborées par les notes manuscrites précitées qui mentionnent notamment les ordres de grandeur des hausses de prix d'Andros et de Materne, la FIAC et le cas de force majeure.

219.La seule circonstance que ces notes indiquent que c'est Andros et non Materne qui allait augmenter ses prix chez Système U, comme déclaré par erreur par Coroos n'est pas de nature à affaiblir leur force probante.

220.Enfin, ces notes contiennent des éléments temporels suffisants, notamment s'agissant des nouveaux de prix de Materne du 1er octobre 2012, pour situer cette rencontre au mois de septembre 2012.
221.C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que Coroos et Materne avaient échangé sur les prix et les volumes au cours du mois de septembre 2012.

Sur l'échange entre Coroos, Materne et Andros du 28 mai 2013

222.Le demandeur de clémence a déclaré que Coroos, Andros et Materne s'étaient rencontrés lors de la foire dite PMLA ( « Private Label Manufacturers Association », association des producteurs de MDD) qui s'est tenue à Amsterdam les 28 et 29 mai 2013 et avaient discuté des offres pour EMC, centrale d'achats de Casino et Leaderprice, et en particulier du niveau des prix pour les nouveaux contrats applicables jusqu'en 2014, le but était de s'assurer que les trois entreprises maintiendraient leurs volumes chez EMC (cote 21, dossier 14/0055 AC).

223.Si Mme [FR] (Andros) a indiqué avoir été simplement présentée à M. [UU] (Coroos) lors de cette foire PMLA, M. [G] (Materne) a, au cours de son audition, indiqué avoir eu une conversation avec ces deniers : « On a pris un café. Ça a dû durer une demi-heure ». Il a précisé qu'ils ont discuté du « sujet dont on parle depuis le début de cette audition, les velléités de Coroos de prendre des parts de marché en France ». (cote 14 710). Or, comme il a été exposé aux paragraphes 198 à 203 du présent arrêt, dans le contexte de cette audition, le sujet évoqué par M. [G] (Materne) porte bien sur la situation des MDD et sur un accord de statu quo destiné à préserver les parts de marché.

224.Ces deux déclarations convergent pour établir que Materne, Andros et Coroos ne se sont pas bornés à évoquer de manière générale le marché des MDD mais ont échangé en vue de préserver les parts de chacun sur ce marché, en particulier au regard des appels d'offres en cours ou à venir.

225.Ainsi, contrairement à ce que soutiennent Materne et Andros, cette rencontre trilatérale avait un objet anticoncurrentiel en ce qu'elle s'inscrivait dans la lignée des accords conclus en 2010 et 2011 lors des réunions multilatérales, et ce, peu important qu'elle ait eu lieu à l'occasion d'une manifestation professionnelle à destination des fournisseurs de produits MDD ou encore que Casino n'avait pas, à cette date, lancé d'appel d'offres.

3. Sur les échanges par messageries électroniques

Les messages entre Coroos et Materne

226.L'Autorité a constaté des échanges de courriels entre Coroos et Materne via leur messagerie personnelle, qu'elle a décrits aux paragraphes 224 (courriels des 6 et 9 septembre 2011), 226 ( courriel du 12 septembre 2012), 227 (courriel du 16 novembre 2012), 228 (courriels des 25 octobre et 23 novembre 2012) et 230 (courriel du 7 février 2013), et considéré que ces échanges étaient anticoncurrentiels en ce qu'ils portaient sur des informations confidentielles et sensibles du point de vue du droit de la concurrence et en particulier, que « les courriels échangés les 25 octobre, 16 et 23 novembre 2012 ont permis d'échanger des courriers relatifs à la hausse des prix des produits en cause sollicitée auprès de la grande distribution » et s'inscrivaient ainsi dans la continuité des discussions relatives à la stratégie anticoncurrentielle concernant les hausses des prix décidées au cours des réunions multilatérales par les parties en cause.

227.Si, ainsi que le souligne Materne, les courriels des 25 octobre et 23 novembre 2012, par lesquels Materne a transmis à Coroos les projets de lettre que la FIAC envisageait d'adresser à la grande distribution pour faire valoir que les prix devaient être renégociés à la hausse du fait de l'augmentation de ceux des fruits (cotes 10 075, 10 076, 10 080 et 10 081), ne contiennent, en eux-mêmes, aucune information sensible et confidentielle sur les politiques commerciales de Coroos ou de Materne ni n'évoquent aucun appel d'offres à venir ou en cours, cet échange s'inscrit toutefois dans la continuité de la rencontre ayant eu lieu entre ces deux concurrents en septembre 2012 dont l'objet anticoncurrentiel vient d'être établi, de sorte que c'est à juste titre que l'Autorité l'a retenu contre Materne.

228.S'agissant du courriel du 6 septembre 2011, par lequel Coroos a transmis à Materne la liste de ses clients en Allemagne et aux Pays-Bas en indiquant « Comme convenu l'aperçu autres Marches, Merci de me communiquer une RV avec Andros pour cette démarche » (cotes 1667 et 1668), il vient corroborer les déclarations du demandeur de clémence selon lequel (cotes 15, 206 et 209, dossier 14/0055AC), il a invité Materne, par courriel, à organiser un rendez-vous avec Andros pour obtenir de celui-ci « de ne pas toucher » à ses clients. Il y précise qu'il n'aurait pas d'intérêt à participer à des accords sur la préservation des volumes et la rétention de clients en France si en même temps il était attaqué par des producteurs français dans les autres pays. Cette déclaration est également corroborée par un échange de courriel interne à Valade du 6 septembre 2013, déjà évoqué, par lequel son président, répondant à l'interrogation de son directeur MDD sur une réponse à donner à un appel d'offre d'une centrale d'achat de distributeurs néerlandais, lui indique « On n'y touche pas. On évite de chatouiller Coroos sur son marché domestique pour un volume aussi faible. Donnez des prix hauts. » (cote 7274). C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu l'objet anticoncurrentiel de cet échange du 6 septembre 2011.

229.S'agissant du courriel du 6 septembre 2012 (cotes 1691 et 1692) par lequel Coroos a transmis à Materne, pour avis, une lettre que lui a adressée la centrale Scamark. Cette lettre indique à Coroos que les conditions générales de vente du producteur étaient inopposables au distributeur « dans le cadre d'une relation de fabrication de produit à marque de distributeur » de sorte que Coroos n'était pas en situation de les invoquer pour soutenir que leur méconnaissance le placerait dans une situation de discrimination à l'égard de ses autres distributeurs MDD qu'il serait tenu de justifier.

230.Si cette lettre ne contient aucune indication ou données chiffrées sur le niveau de prix ou de volume dans les relations commerciales entre Coroos et la Scamarck, elle relève des relations commerciales entre ces entités et n'avait donc pas vocation à être transmise par Coroos à l'un de ses concurrents français. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que la transmission de cet échange confidentiel entre concurrents constituait un indice qui, pris avec les autres éléments relevés, caractérisait une manifestation de l'entente.

231.C'est également à juste titre que l'Autorité a retenu les autres courriels, ceux des 16 novembre 2012 et 7 février 2013.

232.Par le courriel du 16 novembre 2012, Materne a transféré à Coroos la lettre qu'elle a adressée à la centrale Scamarck l'informant, qu'en raison du refus de cette dernière d'accepter ses demandes d'augmentations tarifaires, elle ne pourra pas garantir les approvisionnements.

233.Si cette lettre, ainsi que le souligne Materne, ne contient aucune mention du prix de vente appliqué à cette époque entre les parties, ni du montant de la proposition de prix faite par la Scamarck dans le cadre de ses négociations tarifaires, ni de la hausse de prix demandée par Materne, elle expose toutefois clairement la politique menée par Materne pour tenter de faire passer auprès de ce distributeur une hausse des prix du fait de la hausse de celui de la pomme, politique de nature à conduire le distributeur à lancer un nouvel appel d'offres. Elle s'inscrit donc dans la lignée des accords conclus lors des réunions plénières de 2010 et de 2011 visant à se répartir des appels d'offres.

234.Par le courriel du 7 février 2013, Coroos a transmis à Materne un projet de contrat que lui propose de signer une enseigne de la grande distribution. Ce faisant, Coroos a porté à la connaissance de Materne de ce qu'il s'apprête à signer un contrat MDD avec un nouveau client, information confidentielle dont la transmission à Materne, dans le contexte précité, s'inscrit dans la lignée les accords visant en une répartition des appels d'offres en vue de préserver les volumes de chacun des participants à ces accords.

Les courriels échangés entre Materne et Andros

235.Il résulte des éléments recueillis au cours de l'instruction, détaillés aux paragraphes 232 et 233 de la décision attaquée, que le 19 juillet 2013, soit deux jours après la tenue de la réunion multilatérale du 17 juillet, M. [G] (Materne) a adressé de sa messagerie personnelle à Mme [FR] (Andros), un message sans texte comportant en pièce jointe un tableau dressant un bilan des pertes et des gains des acteurs du marché des gourdes et coupelles MDD et RHF par produit et par client, et précisant le « détenteur » du marché ainsi que les volumes gagnés et perdus par producteur, étant observé que si le titre de ce tableau dans le document indique 2012, le nom du document joint mentionne bien l'année 2013.

236.Or, ce bilan correspond précisément à l'objet de la réunion du 17 juillet 2013, à laquelle Andros n'était pas présente et au cours de laquelle il a été question de mesure de compensation destinée à compenser des pertes de volume, comme cela a été indiqué aux paragraphes 174 et suivants du présent arrêt.

237.Il convient de relever que M. [G] (Materne) avait reçu ce même tableau sur sa messagerie professionnelle qu'il a transféré vers sa boîte personnelle avant de l'envoyer à Mme [FR] (Andros) (cote 7202). En outre, ce même tableau figure avec trois autres documents en pièce jointe d'un courriel interne à Materne, lequel y précise qu'il s'agit de documents confidentiels « car ils englobent aussi nos concurrents et il n'y a pas de Nielsen par fabricant MDD » (cotes 9933 et 9934). C'est donc en vain que Materne soutient que les informations contenues dans ce tableau ne sont pas confidentielles.

238.Quoi qu'il en soit de la nature confidentielle de ces données, leur transmission entre deux concurrents, deux jours après une réunion multilatérale au cours de laquelle les participants avaient échangé sur les pertes et gains de volumes sur le marché des MDD et RHF en vue de discuter de mesures de compensation, permet de considérer que cet échange de courriel s'inscrivait dans la lignée de cette réunion dont l'objet anticoncurrentiel a été établi.

239.Par ailleurs, il résulte des extractions informatiques de l'ordinateur portable de M. [G] (Materne) qu'en réponse à ce courriel du 19 juillet, Mme. [FR] (Andros) a adressé, de sa messagerie personnelle, à Materne le 28 juillet 2013, une liste de trois prix pour le client Aldi (cotes 1636 et 1637). Or, comme le précise Materne dans ses écritures, Aldi n'est pas un de ses clients.

240.En outre, le demandeur de clémence a fourni un tableau récapitulant tous les produits qu'il vend à Aldi en France en exécution de contrats en cours 2012/2013. Sur ce tableau, M. [UU] (Coroos) a fait des annotations manuscrites reprenant notamment deux des trois prix déjà fournis par Andros à Materne qu'il a déclaré avoir à son tour obtenu de Materne au cours d'une conversation téléphonique en vue d'un appel d'offres Aldi, étant observé que ces trois prix ont été reproduits sans erreur par Coroos au dos d'une carte de visite (cote 398, dossier 14/0055AC), qui comporte la mention Aldi FR - Andros.

241.Ces éléments constituent un faisceau d'indices précis graves et concordants établissant que dans les jours suivant la réunion du 17 juillet 2013, les parties ont échangé des prix avant un appel d'offres Aldi, Materne ayant servi d'intermédiaire entre Andros et Coroos, et que cet échange visait à mettre en place une mesure de compensation en faveur de Coroos, conformément aux accords intervenus entre eux au cours de cette réunion.

242.Ces éléments corroborent également les déclarations du demandeur de clémence selon lequel Materne jouait le rôle de coordonnateur de l'entente.

243.Enfin, il résulte de l'audition de M. [G] (Materne), en cote 14 736, que ce dernier a utilisé sa messagerie personnelle à des fins professionnelles « pour des raisons de confidentialité », et en particulier pour échanger sur des prix avec Mme [FR] (Andros) et avec M. [UU] (Coroos).

Sur les courriels échangés entre Materne et Charles Faraud (§ 246)

244.L'Autorité retient des échanges par courriels entre ces deux entreprises, en se fondant sur les déclarations de M. [ON] (Materne) qui a indiqué qu'il avait pu échanger avec Charles Faraud pour s'envoyer des documents qui pouvaient être récupérés chez leurs clients, comme des cadenciers par exemple. Toutefois, une telle déclaration, qui est imprécise, n'est pas corroborée par d'autres éléments qui permettraient de rattacher, ensemble, ces échanges à l'entente de sorte que c'est à tort que l'Autorité a retenu que les échanges de courriels évoqués dans la déclaration de Materne en constituaient une manifestation.

4. Sur les échanges téléphoniques

245.Il convient de relever, ainsi que le fait l'Autorité aux § 248 à 257 de la décision attaquée, que le demandeur de clémence a déclaré qu'à la fin de la première réunion multilatérale, les participants ont échangé leurs numéros de téléphone, afin de pouvoir mettre en oeuvre, au moment des appels d'offres, les principes convenus relatifs à la préservation des volumes et à l'augmentation des prix. Ainsi, « pour chaque appel d'offre d'un détaillant, les participants se mettaient d'accord sur qui pourrait s'engager pour quel volume afin qu'un des participants - conformément aux accords concernant la préservation de volume et la rétention de clients - remplisse les conditions pour l'offre. Ces contacts avaient lieu par téléphone, au début en direct avec les différents participants concernés, après - plutôt vers la fin de la participation de Coroos à l'entente - via M. [G] comme personne de contact pour Coroos » (cote 8, dossier 14/0055AC). Lors de son audition, il a également indiqué que : « tous les fournisseurs ne participaient pas nécessairement à tous les appels d'offres ou à tous les produits référencés dans l'appel d'offre initié par un client ». « Parfois il arrivait que le fournisseur titulaire du volume indique (par l'intermédiaire de M. [G] à Coroos) aux autres participants le prix en dessous duquel ces derniers ne pouvaient offrir. Les autres participants indiquaient alors le prix qu'ils envisageaient d'offrir. L'augmentation générale convenue pour la saison n'était pas toujours réalisable auprès de certains clients. À ce moment, les contacts fréquents entre concurrents permettaient d'adapter le scénario de prix afin d'arriver à une hausse de prix réalisable » (cote 467, dossier 14/0055AC).

246.Ces déclarations, en ce qu'elles évoquent des échanges téléphoniques entre les mises en cause, sont corroborées, en premier lieu, par les éléments recueillis lors des opérations de visites et saisies (données figurant dans les téléphones et messageries ou notes manuscrites), décrits aux paragraphes 257 à 260 de la décision attaquée, qui établissent que :

– M. [VF] (Délis SA) a noté les numéros de M. [RO] (Conserves France) et de M. [MY] (Valade) dans ses notes de présentation du document PetL2 ;

– le téléphone de M. [ON] (Materne) contient les coordonnées téléphoniques des représentants de chaque entreprise mise en cause : Coroos (M. [UU]), Andros (M. [DG]), Charles Faraud (M. [B]), Délis SA (M. [VF]), Vergers de Chateaubourg (M. [R]), Conserves France (M. [M]) et Valade (M. [T]), présents à toutes ou à certaines des réunions multilatérales, tandis que sont enregistrées dans celui de M. [G] (Materne) les coordonnées de MM. [B] (Charles Faraud) et A. [TE] (Conserves France) ;

– le téléphone de M. [DG] (Andros) contient les coordonnées téléphoniques des représentants de Charles Faraud, Coroos et Materne ;

– le téléphone de M. [B] (Charles Faraud) contient les coordonnées des représentants d'Andros, Materne, Délis SA (M. [VF]) et Coroos tandis que celui de M. [O] (Charles Faraud) contient celles des représentants de Materne (M. [ON]), Délis SA (M. [VF]) et de Coroos (M. [UU]) ;

– la messagerie électronique de M. [T] (Valade) contient les coordonnées de M. [UU] (Coroos) ainsi que celle de M ; [G] (Materne) qui ont été ajoutées le 25 novembre 2010 soit peu de temps après la réunion du 4 novembre 2010, première réunion multilatérale à laquelle Valade a participé ;

– que M. [UU] (Coroos), M.L. [TE] (Charles Faraud) et MM.[G] et [ON] (Materne) utilisaient des téléphones spéciaux dédiés.

247.S'agissant des échanges proprement dits, si l'Autorité a constaté que les relevés des appels des téléphones saisis ne retraçaient que les appels passés à partir de 2015, soit postérieurs à la période infractionnelle, elle a également relevé que les éléments issus de l'inspection de ces téléphones (SMS, rendez-vous d'agenda et messages vocaux), croisés avec ceux fournis par le demandeur de clémence et les déclarations des entreprises mises en cause, permettaient d'établir que les parties ont eu des échanges portant sur les prix, la répartition des clients et des volumes.

248.S'agissant, en premier lieu, des échanges entre Coroos et les entreprises mises en cause, le demandeur de clémence a produit des notes manuscrites ou dactylographiées, qui sont décrites et analysées aux paragraphes 265 à 268 et 272 à 291 de la décision attaquée, notes qu'il a indiqué avoir prises au cours de conversations téléphoniques qu'il a eues avec Materne, Charles Faraud, Conserves France et Valade.

249.Ces notes contiennent des informations précises sur des prix et/ou volumes pratiqués par ses concurrents à l'égard de la GMS et/ou de la RHF, pour des appels d'offres, ainsi que des indices temporels qui, pour certains, sont suffisamment précis, et pour d'autres, sont complétés par d'autres éléments recueillis au cours de l'instruction, et suffisent ainsi à dater ces informations et partant, les échanges téléphoniques entre les entreprises en cause. La convergence des déclarations du demandeur de clémence, avec les notes qu'il a produites lorsqu'elles contiennent des informations suffisamment précises et détaillées sur les prix, les volumes, les produits et les clients concernés par les appels, suffisent à établir qu'elles ont eu des échanges téléphoniques portant sur le marché, les clients, les appels d'offres et les prix au cours de la période infractionnelle.

250.Ainsi, s'agissant des échanges entre Coroos et Materne, il convient de relever que, répondant à la question du rapporteur sur l'existence d'échanges téléphoniques et de leur fréquence, et ce bien après avoir évoqué les rencontres multilatérales, M. [EW] a admis avoir téléphoné fréquemment à M. [UU] (Coroos) « toujours sur le même sujet », expression qui, comme il a déjà été vu, ne renvoie pas aux seules velléités de Coroos de pénétrer sur le marché français, mais vise les accords conclus lors des premières réunions multilatérales pour maintenir le « statu quo » et partant, préserver les parts de marché de chacun.

251.En outre, le demandeur de clémence a produit une première série de notes, détaillées au paragraphe 267 de la décision attaquée, qui ont été prises au verso d'un document portant la date d'impression du 17 janvier 2011 et qui font état des prix de Materne, Andros, Charles Faraud (Hero) et Délis pour certaines catégories de produits que ces derniers souhaitaient facturer à compter du 1er février 2011 à l'égard de [E] (Andros, Materne, Charles Faraud et Délis.) et Carrefour (Materne) ainsi que des prix de Délis à l'égard de Lidl (cotes 131, 132 et 134, dossier 14/0055 AC). Ces notes, qui contiennent des informations confidentielles, comportent ainsi des indices temporels suffisants permettant de dater ces informations entre le 17 janvier 2011 et, au plus tard, le 1er février 2011, contrairement à ce que soutient Materne. Selon le demandeur de clémence (cotes 13 et 14), ces prix correspondent à ceux que les fournisseurs historiques de [E] (Andros, Faraud, Materne) et Carrefour(Faraud) voulaient facturer à compter du 1er février 2011 et qui ont été discutés entre eux pour éviter que certains n'offrent des prix plus bas et gagnent des contrats, et ce dans le prolongement de ce qui avait été décidé lors des premières réunions multilatérales de l'automne 2010. Il importe peu que le demandeur de clémence ait hésité entre avoir pris ces notes au cours d'une conversation avec M. [G] (Materne) ou au cours de la réunion multilatérale du 24 janvier 2011 dès lors que ces notes, au regard des informations confidentielles qu'elles contiennent, en particulier celles portant sur les prix futurs envisagés par les fournisseurs précités, sont suffisantes à établir des échanges entre Materne, Coroos, Andros, Charles Faraud et Délis tendant à se concerter sur les prix à pratiquer à compter du 1er février 2011 à l'égard d'enseignes de la GMS.

252.Est produite une deuxième série de notes, détaillées au paragraphe 268 de la décision attaquée, qui ont été prises sur un document imprimé le 16 juillet 2012 (cotes 289 et 291), ce qui permet de les situer à cette date, à quelques jours près. Ces notes mentionnent une hausse de prix de 9 centimes d'euros appliquée par Materne à l'égard de Carrefour, listent les prix pratiqués à l'égard de ce dernier par Materne, Délis, Saint-[I] (Conserves France) et Charles Faraud pour certains produits, les nouveaux produits demandés par Carrefour et précisent, selon Coroos, à droite du document, les prix que Coroos devait pratiquer pour ces nouveaux produits et les PPX afin de respecter la répartition convenue. Ces éléments corroborent les déclarations du demandeur de clémence selon lesquelles ces informations ont été transmises par Materne au cours de l'été 2012 en vue d'un appel d'offres Carrefour.

253.Les échanges téléphoniques décrits aux § 269 à 271 de la décision attaquée, par lesquels Materne a informé Coroos à l'automne 2012 de la renégociation de contrats avec trois distributeurs de la GMS à compter du 1er novembre 2012, et en décembre 2012 de prix pratiqués par Materne en 2012 et ceux qu'elle envisage d'appliquer en 2013 pour certains produits à l'égard de Leader Price, sont suffisamment établis par les notes produites par Coroos qui font état de ces renégociations de contrat et mentionnent les prix actuels de Materne et ses prix futurs pour certaines catégories de compotes en coupelles.

254.La troisième série de notes produite par le demandeur de clémence, détaillée aux paragraphes 272 à 274 de la décision attaquée, permet d'établir, au vu des indices temporels et informations qu'elles contiennent, l'existence de trois échanges téléphoniques en décembre 2012/ début 2013 par lesquels Materne a communiqué à Coroos :

– les prix pratiqués par Andros en 2012 et à compter du 1er mars 2013 à l'égard de Leader Price/ Casino pour des coupelles, avec l'indication d'une augmentation de 17 à 19 centimes par Kg à partir du 1er mars 2013 des prix au rayon frais, étant souligné que ces notes ont été prises sur un document mentionnant un rendez-vous au 21 décembre 2012 (cotes 1005 et 1007, dossier 14/0055AC) ;

– les prix pratiqués par Andros à l'égard de Casino à compter du 1er mars 2013 pour des coupelles et des gourdes, (cotes 310 et 312, dossier 14/0055AC) ;

– les prix pratiqués par Materne ainsi que la hausse envisagée par cette dernière pour des compotes en gourdes à l'égard de Casino/Leaderprice, notes prises sur un document daté au verso du 2 décembre 2012 (cotes 315 et 318).

255.Enfin, la quatrième série de notes (cotes 326,327 et 329, dossiers 14/0055AC), prises au verso d'un contrat Carrefour daté du 16 juillet 2013, et détaillée au paragraphe 275 de la décision attaquée, mentionne des prix pratiqués par Materne, Délis et Saint [I], des objectifs de prix de Materne ainsi que des prix de Coroos, souvent plus élevés que ceux de ses concurrents. Ces notes, qui contiennent un indice temporel suffisant permettant de les situer au cours de l'été 2013, corroborent les déclarations du demandeur de clémence selon lesquelles elles ont été prises au cours d'une conversation avec Materne, pour préparer un appel d'offres Carrefour afin que les fournisseurs historiques de ce dernier maintiennent leur position, Coroos devant offrir des prix plus élevés que ceux de ses concurrents. La Cour observe que les objectifs de prix de Materne n'ont pu être communiqués que par cette dernière et que les autres fabricants concernés ne contestent pas les prix mentionné dans ces notes. Les éléments produits par Materne tenant aux prix qu'elle aurait effectivement appliqués à Carrefour, sur toute l'année 2013, pour les produits listés dans les notes précitées ne suffisent pas à remettre en cause les déclarations et notes du demandeur de clémence qui établissent l'existence d'un échange entre ces fabricants ayant un objet anticoncurrentiel.

256.S'agissant des échanges entre Coroos et les autres entreprises mises en cause, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que les éléments recueillis au cours de l'instruction permettaient d'établir l'existence d'échanges téléphoniques :

– entre Coroos et Andros, ce dernier ayant indiqué au cours de la procédure avoir eu à trois ou quatre reprises au téléphone le représentant de Coroos, lequel voulait s'assurer qu'il ne lui prendrait pas « de volumes » (§ 277, cote 14 654) ;

– entre Coroos et Conserves France en octobre 2011 au sujet de la réponse de Conserves France à un appel d'offres Sodexo et en particulier sur les prix envisagés, ainsi qu'il résulte de courriels internes à Conserves France, contemporains de cet appel d'offre, par lesquels M.[M] transfert à son directeur RHF le mail que Coroos vient de lui adresser sollicitant un contact par téléphone et lui demande ce qu'il doit lui dire et ne pas lui dire, son directeur RHF lui répondant « c'est Cooros ? si oui, tu peux leurs ( sic ) dire la même chose que j'ai dit à Faraud la semaine dernière : – que nous allons répondre sur une partie seulement de l'appel d'offre (pas la totalité) mais sur la base des prix des marchés publics français afin de rentrer dans la compétition » (cote 9839). Cet échange de courriels et les notes du demandeur de clémence prises sur le formulaire de réponse à un appel d'offres Sodexo du 3 octobre 2011 mentionnant les prix de Saint-[I], cotées 221 suffisent à établir l'existence d'un échange entre Coroos et Conserves France sur cet appel d'offre ;

– entre Coroos et Valade au cours de l'automne 2011 sur un appel d'offres Carrefour, ainsi qu'il résulte des déclarations du demandeur de clémence (cote 16, dossier 14/0055AC) selon lesquelles M. [T] (Valade) lui a indiqué que Carrefour avait deux fournisseurs, à savoir Valade et Conserves France et transmis ses prix ainsi que ceux de Conserves France et ce, afin de s'assurer que Coroos n'offrirait pas des prix inférieurs pour les produits énumérés, déclarations corroborées par les notes prises par Coroos (cote 216 et 218, dossier 14/0055AC) mentionnant les prix de Valade et Conserves France concernant Carrefour à compter vraisemblablement du 12 janvier 2012, date figurant en pas de page. Ces éléments établissent que Valade, Coroos mais également Conserves France ont échangé sur les prix à pratiquer pour un appel d'offres Carrefour en 2012. Au cours de son audition (cotes 14 693 et 14 694 annexe 387) Valade a confirmé avoir eu au téléphone Coroos tout en contestant lui avoir transmis ces informations en faisant valoir que ses prix pratiqués en 2012 ne correspondaient pas à ceux mentionnés dans les notes, qu'elle ne produisait pas certains des produits listés dans ces notes (pomme framboise) et que Conserves France n'a jamais été fournisseur de Carrefour. Toutefois ces contestations ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence d'un échange entre ces trois fournisseurs dès lors que les prix mentionnés dans les notes n'étaient non pas ceux effectivement appliqués mais ceux que Valade souhaitait pratiquer, que la référence pomme framboise ne concerne que Conserves France qui apparaît, en outre, dans d'autres échanges portant sur des appels d'offres Carrefour. Ces éléments sont donc suffisants à établir que Coroos et Valade ont échangé sur un appel d'offres en cours comme le retient à juste titre l'Autorité dans la décision attaquée ;

– entre Coroos et Charles Faraud en octobre 2013 sur les prix pratiqués par ce dernier à l'égard de [E], Casino/Leaderprice et Sodexo, ainsi qu'il résulte des déclarations et notes manuscrites fournies par le demandeur de clémence (cote 371, dossier 14/0055AC) qui mentionnent les prix précités et qu'était attendu un retour pour ceux pratiqués à l'égard de Sodexo pour le 10 octobre 2013, corroborées par l'examen du téléphone de M. [U] [TE] (Charles Faraud) qui révèle des appels manqués et un appel sortant le 14 octobre 2013 vers Coroos, échange non contesté par Charles Faraud devant la Cour (§ 279 et 280) ;

– entre Coroos et Délis SA (M. [VF]) au cours de l'été 2012 (§ 287 à 291) sur des prix et appels d'offres en particulier de Lidl, ainsi qu'il résulte des déclarations du demandeur de clémence et des notes manuscrites prises par ce dernier sur un document dactylographié interne daté du 16 août 2012 qui détaille les coûts de production d'une coupelle pomme-banane. Ces notes mentionnent le tarif de 0,86 euro d'une coupelle Coroos, le prix de 1 euro auquel Coroos souhaitait parvenir et, en marge, celui de 1,042 que Délis devait proposer pour que le contrat reste chez Coroos, ainsi que le prix que Délis allait offrir à Lidl pour des coupelles, étant observé, d'une part que ces notes visent le prix de compote en coupelles sans préciser leur parfum et d'autre part, que le demandeur de clémence a fourni un autre document manuscrit très précis concernant des coupelles fournies par Délis SA au client Lidl (dossier 14/0055 AC, cotes 21, 321 et 323). Ces éléments, pris ensemble, suffisent à établir l'existence d'un échange au cours du mois d'août sur des appels d'offres et des prix, peu important que Delis SA ne commercialisait pas à l'époque de coupelle pomme banane. Il importe peu également que M. [VF] (Délis SA) ait été en congé le 16 août 2012, dès lors que si le document utilisé pour retranscrire l'échange comporte la date dactylographiée du 16 août 2012 et permet de situer cet échange au cours du mois d'août, il ne peut en être déduit que celui-ci a nécessairement eu lieu le 16 août 2012, et non postérieurement.

257.S'agissant, en second lieu, des autres échanges téléphoniques, il ressort des déclarations de Materne que MM. [ON] et [G] ont admis avoir appelé M. [VF] (Délis SA) au téléphone « pour parler du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui et pour échanger sur les appels d'offres, sur ce qui se passe sur le marché, sur les attitudes de nos clients distributeurs » (cote 14 710) étant rappelé que le terme « sujet », dans le contexte de cette audition, doit être interprété comme visant les accords conclus lors des réunions multilatérales pour les motifs exposés aux paragraphes 198 et 203 du présent arrêt. Si M. [VF] (Délis SA), de son côté, a tenté de limiter la portée de ces échanges à des questions de conditionnement et d'emballage de produits, force est de constater qu'il admet l'existence d'appels téléphoniques et ne remet pas utilement en cause leur objet, établi par les déclarations concordantes de MM. [ON] et [G]. C'est donc à juste titre que l'Autorité a déduit de ces déclarations que MM. [ON] et [G] (Materne) et M. [VF] (Délis SA) ont eu des conservations téléphoniques sur des appels d'offres et des clients ( paragraphes 292 à 294 de la décision attaquée ).

258.C'est également à juste titre que l'Autorité a retenu l'existence d'échanges téléphoniques :

– entre Materne et Charles Faraud en se fondant sur les déclarations de M. [ON] (Materne) qui a indiqué avoir eu souvent au téléphone M. L. [TE] (Charles Faraud) « sur le sujet dont on parle depuis ce matin, sur la veille sur le marché, notamment à propos de nos clients » et sur l'analyse du téléphone et de la tablette numérique de M. [B] (Charles Faraud) qui fait ressortir pas moins de 11 messages téléphoniques avec M. [G] ( Materne) entre octobre 2012 et juillet 2013 (cotes 7398 à 7412, paragraphes 295 à 297 de la décision attaquée ) ;

– entre Materne et Andros en se fondant sur les déclarations de M. [G] (Materne) qui a admis des échanges par téléphone « sur la situation des appels d'offres MDD et des informations clients que je pouvais glaner à droite ou à gauche » et de M. [DG] (Andros) selon lequel « M. [G] cherchait à s'assurer que je n'essayais pas de leur prendre des volumes » (cote 17654), reprises aux paragraphes 299 et 300 de la décision attaquée, déclarations qui contrairement à ce que soutient Materne devant la Cour établissent que ces entreprises n'ont pas simplement évoqué « l'agressivité commerciale » d'Andros sur le marché. Les déclarations des parties, formulées de manière très générale, décrivent un mécanisme de prises de contact entre concurrents, sans qu'aucun élément ne permette, dans le contexte analysé, d'en limiter la portée à la période antérieure à 2011 ;

– entre Andros et Délis, en se fondant sur les déclarations d'Andros (cote 14655) qui a indiqué se souvenir avoir eu au téléphone environ cinq ou six fois M. [VF] (Délis SA) entre 2010 et 2011 : « Il m'a appelé trois ou quatre fois sur mon portable (?) surtout pour s'assurer que je n'essayais pas de lui prendre des volumes chez Lidl car nous étions en marché partagé, ce que j'ai effectivement réussi à faire après deux ou trois appels d'offre en 2013 ou 2014 en devenant fournisseur exclusif de Lidl. Je l'ai également rappelé sur son portable (?) deux ou trois fois » ; déclaration qui n'est pas contestée par Délis SA ;

– entre Charles Faraud et Conserves France, en se fondant sur l'échange déjà évoqué au paragraphe 256 du présent arrêt, échange qui n'est pas contesté par Conserves France devant la Cour ;

– entre Délis et Conserves France, établi non par les 69 occurrences relevées dans le téléphone du premier vers le second, qui sont relatives à des appels postérieurs à la date de fin des pratiques, mais par les notes prises par le premier sur un appel d'offres Intermarché de début 2011 qui indiquent : « pour couper court, il faut dire que St-Mamet et Délis SA vont se tel semaine prochaine » (cote 4481), qui corroborent le recours à des contacts téléphoniques entre eux pour définir ensemble leur ligne de conduite sur certains appels d'offres.

259.C'est également à juste titre que l'Autorité a retenu un échange entre Valade et Charles Faraud en se fondant sur un Short Message Service (dit SMS) de M. [U] [TE] (Charles Faraud) à M. [B] (Charles Faraud) du 13 août 2013 selon lequel : « St [I] a baisser ces prix marches de 4 % notre écart est maintenant de 6% j'attends validation info valade » (sic) (cote 7421). Ce message établit que Valade et Charles Faraud étaient en contact au sujet des prix pratiqués par Conserves France et fait écho aux notes prises par Valade lors de la réunion du 3 septembre 2013 qui précisent : « quotation marché : 5 % d'écart avec Saint [I], réaction 1500 t sur RHF ».

260.C'est encore à juste titre que l'Autorité a retenu qu'Andros et Charles Faraud avaient échangé au sujet des prix, dès lors que dans leurs déclarations reprises aux paragraphes 305 à 307 de la décision attaquée, les représentants de ces entreprises ont admis avoir eu des échanges téléphoniques, au cours desquels ils ont évoqué « les difficultés à passer des hausses de prix », objet même de leur entente, peu important que ce sujet ait pu également être évoqué au sein de la FIAC.

261.Enfin, sur la question plus spécifique des échanges téléphoniques de M. [VF] (Délis) avec ses concurrents, dont la matérialité a été examinée aux § 287 à 291 et 292 à 294 de la décision attaquée, la Cour constate que ces échanges concernent les contacts noués avec Coroos et Materne par l'intermédiaire du directeur des clients de Délis SA (filiale à 99,99 % de Vergers de Châteaubourg) et que l'incidence de ces échanges sur la responsabilité de Vergers de Châteaubourg retenue en qualité d'auteur, évoquée aux § 685 et 531 de la décision attaquée, fera l'objet d'une analyse distincte dans le cadre des développements du présent arrêt qui seront consacrés à cette question en partie E.

B. Sur la qualification de l'infraction en entente unique

262.Charles Faraud soutient, en premier lieu, que la décision ne répond pas au standard de preuve établi dans l'affaire des produits laitiers pour caractériser à suffisance la conclusion d'un accord sur les prix ou les volumes certes initialement voulu par Coroos, mais dont l'invitation n'a pas été suivie d'effets. Elle estime que l'Autorité n'a pas identifié les contours du prétendu accord sur les prix, c'est à dire le montant convenu par les membres de l'entente, sur les volumes, et sur les marchés (distributeurs concernés), ni identifié les comportements communs adoptés par les membres de l'entente.

263.Elle souligne que les échanges intervenus au cours des réunions plénières se bornent à dresser l'état des volumes et à des déclarations d'intention générales d'une minorité d'acteurs, principalement Coroos et Materne et que rien n'indique si ces initiatives ont été suivies d'un échange de consentement pour un appel d'offres donné, et en particulier un échange l'impliquant, ou encore un parallélisme de comportement tel que l'envoi coordonné des hausses tarifaires.

264.Elle fait valoir, en second lieu, la faiblesse des éléments retenus par la décision attaquée pour conclure à l'existence d'un accord sur le canal de la RHF, accord qui n'a fait l'objet d'aucune motivation spécifique dans la décision attaquée

265.Valade conteste, en premier lieu, l'existence du plan d'ensemble, en soulignant que selon les propres déclarations du demandeur de clémence, s'agissant en particulier des prétendus « principes de répartition et de volume », « il n'y avait rien d'institutionnalisé à la base, c'était toujours au coup par coup » , ou encore qu' « il n'y avait pas de système préconçu, c'était au fur et à mesure des appels d'offres et des membres présents » , et souligné la difficulté de fixer des objectifs communs de hausse de prix : « au fur et à mesure des négociations on comprenait que devant le client ça pouvait changer » (Cote 15, 16 et 18 Annexe 5,). Elle soutient que les présentations « PetL » et « PetL2 » ne peuvent apporter la preuve d'un accord entre concurrents, s'agissant de simples présentations générales du secteur résultant de la veille concurrentielle organisée par Materne et ne permettent pas d'établir une concertation entre les entreprises mises en cause sur une hausse de prix.

266.Elle souligne que, selon l'Autorité, l'adoption du plan d'ensemble par les entreprises mises en cause se serait manifestée par la « participation répétée à des réunions secrètes » alors que seule l'existence de très peu ? voire aucune pour l'année 2012 ? de réunions réunissant la majorité des entreprises a été établie.

267.Enfin, elle fait valoir que la hausse de prix de 0,19 à 0,22 €/kg indiquée par le « PetL2 », n'était tout simplement pas réalisable de sorte qu'il est tout aussi irréaliste de penser que les entreprises mises en cause aient pu envisager pouvoir procéder à une telle augmentation des prix et donc s'accorder sur celle-ci.

268.Elle conteste, en second lieu, le périmètre de l'entente en ce qu'il inclut le secteur de la RHF. Elle souligne que la décision attaquée ne distingue pas clairement la mise en oeuvre des pratiques sur ces deux marchés distincts, que les services d'instruction n'ont jamais auditionné des acteurs de la RHF ni posé aucune question aux entreprises mises en cause pour s'expliquer sur des pièces qui porteraient sur ce secteur. Elle fait valoir que le demandeur de clémence n'a apporté aucun élément probant sur l'existence d'une entente sur la RHF et que les appels qui auraient été discutés au cours des réunions multilatérales ne concernent que la GMS, la RHF n'étant évoquée que de manière très générale dans certains des échanges et sans jamais la mettre en cause. Elle souligne que les présentations « PetL » et les notes du demandeur de clémence ne portent que sur une estimation du poids des acteurs qui peut être réalisée grâce aux informations tarifaires que font circuler les grossistes et les clients directs, ce que l'Autorité a admis au paragraphe 470 de la décision attaquée. Elle ajoute que le fonctionnement du marché marqué par la grande transparence des prix et des appels d'offres, les grossistes ou clients directs ayant pour habitude de communiquer aux fournisseurs les prix proposés par leurs concurrents, rend impossible l'existence d'une entente sur le marché.

269.Délis soutient que les pratiques n'ont consisté qu'en de simples échanges d'informations et n'ont pas pu reposer sur un plan d'ensemble visant à une répartition de clients en volume par le recours notamment à un mécanisme de compensation. Elle fait valoir que les spécificités des appels d'offres tant en MDD qu'en RHF, en ce qu'ils portent chacun sur des volumes et produits, ne permettent pas de considérer que la perte d'un marché puisse être compensée par la récupération d'un autre, sauf à ce qu'il soit totalement identique ce qui n'est pas le cas.

270.L'Autorité répond que, comme elle l'a souligné aux paragraphes 445 à 452 de la décision attaquée, l'existence d'un plan d'ensemble est établi par l'objectif commun des divers réunions multilatérales, échanges trilatéraux ou bilatéraux et des échanges par courriel ou par téléphone.

271.Par ailleurs, elle souligne qu'il ressort de l'instruction que ces échanges ont invariablement concerné les compotes en coupelles ou en gourdes vendues sur les marchés des MDD ou de la RFH, ont eu lieu entre l'ensemble des entreprises et ont généralement été mises en oeuvre par les mêmes personnes physiques.

272.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de l'Autorité. Il considère que si certaines phrases des déclarations du demandeur de clémence, prises isolément, peuvent paraître contredire l'existence d'un plan d'ensemble, la décision a cité à de nombreuses reprises des éléments issus des déclarations de Coroos qui confortent au contraire sa conclusion quant à l'existence de ce plan et qu'en tout état de cause, les pièces relevées au cours de l'instruction établissent à suffisance l'existence d'un tel plan, même si la mise en oeuvre de ce dernier a pu se heurter parfois à des aléas nécessitant des adaptations.

273.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité et du ministre chargé de l'économie.

Sur ce, la Cour,

274.L'article 101, paragraphe 1, du TFUE interdit les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont un objet ou un effet anticoncurrentiel et qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.

275.Il résulte d'une jurisprudence européenne constante que la violation de cette interdiction peut résulter non seulement d'accords ou de pratiques concertées qui sont isolés et doivent être sanctionnés en tant qu'infractions distinctes, mais également d'une série d'actes qui s'inscrivent dans un plan d'ensemble mis en oeuvre par les entreprises concernées en vue de la réalisation d'un objectif anticoncurrentiel (voir, en ce sens, TUE 16 septembre 2013, [WV].Corp T-378/10, points 20 à 22, et la jurisprudence citée).

276.La notion d'infraction unique suppose ainsi un ensemble de comportements adoptés par différentes parties poursuivant un même but économique anticoncurrentiel. Le fait que les différentes actions des entreprises s'inscrivent dans un « plan d'ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, est déterminant pour retenir l'existence d'une infraction unique (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 47 supra, points 258 et 260.

277.En l'espèce, il résulte de l'ensemble des éléments exposés aux paragraphes 108 à 261 du présent arrêt, ainsi que l'a retenu à juste titre l'Autorité au paragraphe 445 de la décision attaquée, que l'objet des échanges, généralement secrets, a été précisé lors des trois premières réunions qui se sont tenues les 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010, auxquelles l'ensemble des entreprises mises en cause a assisté, à l'exception de la société Valade, qui n'était présente qu'à celle du 4 novembre 2010.

278.Ces mêmes éléments établissent qu'au cours de ces réunions, les participants n'ont pas simplement échangé des informations sur le secteur en général, sur des appels d'offres ou des prix, mais se sont entendus pour adapter leur comportement sur le marché en vue de mettre en oeuvre un plan d'ensemble visant l'objectif unique de « couvrir l'intégralité des hausses de prix de revient des produits » et « remonter le niveau de profitabilité de l'ensemble du marché ».

279.Ils ont ainsi fixé des objectifs de hausse des prix, des prix cibles par type de produit, qui servaient de base de négociation avec les distributeurs, ainsi que le précise le demandeur de clémence lors de son audition du 15 juillet 2015 « lors de la réunion d'octobre 2010 Materne avait constitué (...), sur une présentation powerpoint, un tableau avec les prix(..). Par rapport aux prix pratiqués c'était une sacrée hausse. C'était une hausse en général (...). C'était le point de départ des négociations, avec des prix concrets applicables à tous les clients. Mais après il y a la négociation de chaque fournisseur avec le client. Au fur et à mesure des négociations on comprenait que devant le client ça pouvait changer. Définir un niveau de prix général n'était faisable que la première fois. On s'est mis d'accord la première fois sur un niveau ; la négociation commerciale a pu aboutir sur un prix moindre, mais qui servait ensuite de base pour le round de négociation suivant. » (cote 15).

280.La circonstance que les hausses de prix convenues étaient difficiles à imposer aux distributeurs ne remet pas en cause le fait que les membres de l'entente ont eu pour objectif d'y parvenir et qu'ils ont défini un discours commun pour les justifier auprès des clients.

281.Ce plan d'ensemble, ainsi que l'a à juste titre retenu l'Autorité, a également reposé sur une répartition des clients et de volumes, et ce afin de préserver les parts de marché de chacun, comme en attestent l'objet des échanges au cours de ces réunions et décrit aux paragraphes 109 à 145 les déclarations du demandeur de clémence (cote 6, dossier 14/0055AC ; cote 15) et celles de Materne analysées aux paragraphes 198 et 199 du présent arrêt.

282.À cet égard, la Cour observe que tant les notes du demandeur de clémence que celles prises par d'autres entreprises figurant au dossier établissent que cette répartition de clientèle a été définie en fonction des volumes de chacun des membres, selon les appels d'offres de leurs clients de la GMS et de la RHF. Les discussions et les échanges au cours des réunions organisées en 2013, qui visaient à faire le bilan de pertes et gains de chacun, ont également été menés au regard des volumes pris ou perdus au gré des appels d'offres, sans considération de la nature des produits (parfum, gourde, coupelle, épicerie ou ultra-frais).

283.Les échanges établis aux paragraphes 146 à 261 du présent arrêt établissent que ces principes ont été déclinés en pratique, essentiellement par téléphone, au fil des appels d'offres lancés par les distributeurs de la GMS et ceux de la RHF, éléments qui corroborent les déclarations du demandeur de clémence rappelées au paragraphe 245 du présent arrêt.

284.La circonstance que les éléments issus de l'instruction n'ont pas permis, en l'espèce, de constater une application concrète et systématique des prix discutés et des répartitions des appels d'offres est sans incidence sur la qualification d'entente unique, dès lors que ces éléments, pris ensemble, établissent que les comportements mis en oeuvre poursuivaient un objectif anticoncurrentiel unique.

285.De la même manière, est sans incidence sur la qualification de l'entente le fait que certains échanges n'ont pas été retenus par la Cour dès lors que de nombreux autres le sont et suffisent à démontrer, ensemble, l'objectif unique poursuivi par les participants.

286.S'agissant du périmètre de l'entente, les éléments décrits aux paragraphes 109 à 223, 134 à 145 et 153 à 157 du présent arrêt établissent que le secteur de la RHF a été discuté lors des réunions multilatérales des 5 octobre et 2 décembre 2010, où les participants se sont entendus sur des objectifs généraux de hausse de prix et de répartition de volume pour l'année 2011, et que les membres de l'entente ont également échangé sur ce secteur au cours de la réunion du 17 mars 2011. Il a également été établi qu'en octobre 2011, Conserves France a échangé sur ses prix avec Coroos et Charles Faraud en vue d'un appel d'offre Sodexo. En outre, au cours des réunions des 17 juillet et 3 septembre 2013, les discussions sur les pertes et gains des membres de l'entente ont porté tant sur le marché des MDD que sur la RHF afin de déterminer des mesures de compensation sur ces deux secteurs, ce qui démontre qu'aux cours des mois précédents, les participants avaient également échangé pour se répartir des appels d'offres sur le segment de la RHF. Enfin, il a été établi au paragraphe 256 du présent arrêt que Coroos et Charles Faraud ont échangé en octobre 2013 sur un appel d'offres Sodexo.

287.Ces différents éléments, confortés par les déclarations du demandeur de clémence, établissent que le plan d'ensemble poursuivi par les participants visant à faire passer des hausses de prix et se répartir des marchés, concernait les deux secteurs de distributions des compotes, MDD et RHF.

288.L'évolution des parts de marché des membres de l'entente au cours de la période de l'infraction, telle que constatée par l'Autorité au paragraphe 667 de la décision attaquée, n'est pas de nature à remettre en cause l'existence du plan d'ensemble poursuivi par les membres de l'entente et leur volonté de se comporter de manière coordonnée sur le marché, mais seulement à démontrer que l'objectif de ce plan n'a pas été totalement atteint.

289.Enfin, la Cour rappelle que l'établissement de l'existence d'une entente unique ne requiert pas de démontrer que toutes les entreprises mises en cause ont participé à toutes les manifestations de l'entente, cette participation relevant de l'appréciation de la responsabilité individuelle de chacune dans l'infraction et non de la qualification de l'infraction.

290.Les moyens tendant à contester l'existence d'une entente unique sont rejetés.

C. Sur la durée de l'entente et son caractère continu

291.Materne et Andros soutiennent que la date de fin de pratiques n'est pas le 10 janvier 2014, comme retenu à tort par l' Autorité dans la décision attaquée, mais le 3 septembre 2013 ou à tout le moins au mois d'octobre 2013, faute pour l'Autorité d'établir l'existence de pratiques mises en oeuvre postérieurement à cette date, les courriels et échanges téléphoniques postérieurs au 3 septembre 2013, relevés aux paragraphes 482 et suivants de la décision attaquée, n'ayant aucun objet anticoncurrentiel et ne pouvant donc être retenus comme une manifestation de l'entente.

292.Andros, Materne et Délis font valoir que faute de preuve de l'existence d'échanges entre le 3 novembre 2011 et le 17 juillet 2013, les pratiques se sont interrompues pendant cette période et que l'infraction ne présente donc pas un caractère continu. Elles soulignent que le fonctionnement du secteur, reposant essentiellement sur des appels d'offres annuels, impliquait que les parties se réunissent pendant cette période de 21 mois. Elles estiment que l'Autorité a renversé la charge de la preuve en considérant qu'il n'existe aucune preuve ou indice que la pratique litigieuse se soit interrompue entre le 3 novembre 2011 et le 17 juillet 2013. Enfin, Délis SA indique que l'augmentation des parts de marché d'Andros et la diversité des appels d'offres rendent impossible l'existence de mécanismes de compensation entre les participants à l'entente, si bien que l'Autorité ne pouvait se fonder sur la mise en oeuvre de tels mécanismes pour justifier de la continuité des pratiques.

293.L'Autorité, s'agissant de la date de fin des pratiques, renvoie aux éléments retenus aux paragraphes 481 à 487 de la décision attaquée relatifs à la déclaration du demandeur de clémence qui fixe la date de la fin de sa participation à l'entente le 10 janvier 2014, et à l'existence d'appels téléphoniques de M. [UU] (Coroos) à M. [G] (Materne) en novembre et décembre 2013, à M. [O] (Charles Faraud) en octobre et novembre 2013, et de ce dernier à M. [VF] (Délis) les 18 octobre 2013, 14 janvier et 4 février 2014, et au fait que les mesures de compensation prises lors de la réunion multilatérale du 3 septembre 2013 ont été mises en oeuvre à l'automne 2013.

294.S'agissant du caractère continu de l'entente, l'Autorité renvoie aux éléments retenus aux paragraphes, 489 à 499 de la décision attaquée tenant à l'élaboration au cours des trois premières réunions multilatérales du plan d'ensemble, au constat que toutes les entreprises ont participé à l'infraction avant le 3 novembre 2011 et après le 17 juillet 2013 et aux indices graves, précis et concordants démontrant que les pratiques ont bien perduré pendant cette période. Elle souligne que ces indices ont été appréciés « au regard du contexte du fonctionnement de l'entente » dont les principes ont été fixés au cours des premières réunions multilatérales, et qui n'exigeait pas l'organisation de réunions régulières de l'ensemble des entreprises en cause en raison du caractère annuel d'une très grande partie des arbitrages commerciaux concernant la vente des fruits en coupelle et en gourdes.

295.Le ministre chargé de l'économie considère que les éléments retenus par l'Autorité établissent à suffisance la date de fin des pratiques et le caractère continu de l'entente, et ce par une juste application des principes jurisprudentiels.

296.Le ministère public partage l'analyse faite par l'Autorité dans la décision attaquée et invite par conséquent la Cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la Cour,

297.S'agissant, en premier lieu, de la date de fin des pratiques, il résulte d'une jurisprudence constante que « dans la plupart des cas, l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de concurrence. De tels indices et coïncidences permettent, lorsqu'ils sont évalués globalement, de révéler non seulement l'existence de comportements ou d'accords anticoncurrentiels, mais également la durée d'un comportement anticoncurrentiel continu et la période d'application d'un accord conclu en violation des règles de concurrence » (voir notamment, TUE, 9 décembre 2014, Alfa Acciai, T-85/10, point 192 et la jurisprudence citée).

298.En l'espèce, la date de fin des pratiques ne peut être fixée au 3 septembre 2013, date de la dernière réunion multilatérale, comme le soutiennent à tort Materne et Andros. En effet, il est établi qu'un échange, s'inscrivant dans le plan d'ensemble, a eu lieu le 14 octobre 2013 par téléphone entre Charles Faraud et Coroos concernant les prix de ce dernier à l'égard de [E], Casino/Leaderprice et Sodexo. En outre, des mesures de compensation ayant été décidées lors de la réunion du 3 septembre 2013 par l'attribution d'appels d'offre notamment en faveur de Valade à qui a été attribué un appel d'offre [E], il s'en déduit que les participants ont accepté de coordonner leur comportement afin de permettre aux bénéficiaires de ces mesures de remporter certains appels d'offres. Or, Valade a précisé avoir déposé son offre à [E] le 22 novembre 2013 et c'est d'ailleurs cette date qui est considérée par Valade comme marquant la fin de sa participation à l'entente. Enfin, les analyses des téléphones spéciaux de [K] (Coroos) et de M. [P] (Charles Faraud), décrits aux § 483 et 484 de la décision attaquée démontrent également l'existence de plusieurs appels entre Coroos, Materne (M.O), Charles Faraud (M. [P]) et Délis SA (M. [Z]) au cours des mois d'octobre et novembre 2013. Ces éléments pris ensemble, suffisent à établir que les participants à la réunion du 3 septembre 2013 ont poursuivi les échanges anticoncurrentiels jusqu'au 22 novembre 2013.

299.Enfin, le demandeur de clémence a déclaré lors de son audition par les services de l'instruction qu'il considérait avoir mis fin à sa participation à l'entente le 10 janvier 2014, date à laquelle il avait informé M. [G] (Materne) qu'il n'était plus joignable sur le téléphone spécial, dédié à l'entente. Cette déclaration est corroborée par l'analyse de ce téléphone qui montre l'existence d'un échange téléphonique avec M. [G] le 10 janvier 2014. Par ailleurs, l'extraction de ce même téléphone établit que Coroos a échangé avec Materne au cours du mois de décembre 2013 à quatre reprises. Ces deux éléments, ajoutés au rôle pivot joué par Materne dans le fonctionnement de l'entente permettent d'établir que des échanges s'inscrivant dans le plan d'ensemble se sont poursuivis entre Materne et Coroos jusqu'au 10 janvier 2014.

300.Ces éléments pris ensemble ? la mise en oeuvre des mesures de compensation en faveur de Valade au cours de l'automne 2013, les échanges téléphoniques via des téléphones spéciaux entre Coroos, Materne, Charles Faraud et Délis en octobre, novembre 2013 puis entre Materne et Coroos en décembre 2013 ainsi que les déclarations de ce dernier ? constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordant établissant que l'infraction s'est poursuivie au moins jusqu'au 10 janvier 2014.

301.En second lieu, s'agissant du caractère continu de l'infraction, selon une jurisprudence européenne constante, l'absence de preuve de l'existence d'un accord au cours de certaines périodes déterminées, ou, tout au moins, de sa mise en oeuvre par une entreprise au cours d'une période donnée, ne fait pas obstacle à ce que l'infraction soit regardée comme constituée durant une période globale plus étendue que celles-ci, dès lors qu'une telle constatation repose sur des indices objectifs et concordants (voir, notamment, CJUE, 6 décembre 2012, Verhuizingen Coppens NV, C-441/11 P, point 72 et la jurisprudence citée, et 18 mars 2021, Prometon SpA, C-440/19 P, point 112).

302.Il a également été précisé que si, dans le cadre d'un accord global s'étendant sur plusieurs années, un décalage de quelques mois entre les manifestations de l'entente importe peu, l'élément déterminant étant que les différentes actions s'inscrivent dans un plan d'ensemble, il est néanmoins nécessaire de se fonder sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que l'infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir, notamment, CJUE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a., point 260, et TUE, 10 novembre 2017, Icap plc, T-180/15, point 219).
303.Si la période séparant deux manifestations d'un comportement infractionnel est un critère pertinent afin d'établir le caractère continu d'une infraction, il n'en demeure pas moins que la question de savoir si ladite période est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption de l'infraction ne saurait être examinée dans l'abstrait. Au contraire, il convient de l'apprécier dans le contexte du fonctionnement de l'entente en question (voir TUE, Icap précité, point 219 et jurisprudence citée).

304.En l'espèce, il résulte des éléments rappelés aux paragraphes consacrés aux échanges bilatéraux par courriel et par téléphone, qu'au cours de la période séparant la dernière réunion multilatérale de 2011, qui s'est tenue le 3 novembre, et la première de 2013, qui s'est tenue le 17 juillet, plusieurs échanges ont eu lieu entre les parties au sujet d'appels d'offres, en cours ou à venir, en vue de se les répartir et/ou obtenir des hausses de prix.

305.Ainsi, il a été établi que :

– que Coroos et Valade avaient échangé par téléphone en novembre 2011 pour préparer un appel d'offre Carrefour de janvier 2012 ;

– que Materne et Coroos avaient échangé par téléphone au cours de l'été 2012 pour préparer un appel d'offre Carrefour ; en novembre et décembre 2012 pour préparer un appel d'offre Leader Price, puis à nouveau à trois reprises en décembre 2012, début 2013 pour préparer des appels d'offres Leader Price et Casino ;

– que Coroos et Délis avaient échangé des prix au cours de l'été 2012 pour un contrat chez Lidl ;

– que Materne, Andros et Coroos s'étaient rencontrés le 28 mai 2013 et avaient échangé sur des appels d'offres de Casino/Leader Price et sur les niveaux de prix pour les nouveaux contrats à compter de 2014.

306.En outre, il a également été établi des échanges qui, sans pouvoir être rattachés à des appels d'offres en particulier, s'inscrivaient néanmoins dans le plan d'ensemble poursuivi par l'entente.

307.Ainsi, ont été retenus des échanges entre :

– Materne et Coroos par courriel les 6 septembre et 16 novembre 2012 et le 7 février 2013 au sujet de deux distributeurs de la GMS ;

– Materne et Coroos lors d'une rencontre le 8 juin 2012 pour échanger sur le fonctionnement de l'entente ;

– Materne et Charles Faraud par téléphone à plusieurs reprises entre octobre 2012 et juillet 2013 pour évoquer les accords en vue de préserver les parts de marché.

308.L'ensemble de ces échanges constitue un faisceau d'indices graves précis et concordant démontrant que les comportements anticoncurrentiels visant à se répartir des appels d'offres et obtenir des hausses de prix, se sont poursuivis entre novembre 2011 et juillet 2013.

309.Il a été établi que les objectifs du plan d'ensemble, visant des hausses de prix et la préservation des volumes et des clients, ont été définis au cours des premières réunions multilatérales de fin de 2010 pour être ensuite déclinés, lors de réunions multilatérales et/ ou d'échanges bilatéraux, essentiellement par téléphone, au fil des appels d'offres, lesquels pouvaient intervenir tout au long de l'année. En outre, le demandeur de clémence a déclaré « il y a eu moins de réunions après la réunion du 3 novembre 2011, puisqu'un des acteurs les plus importants (avec Coroos et Materne France), Andros, ne voulait plus participer aux réunions. Les contacts anticoncurrentiels de Coroos avaient lieu pour la plus grande partie par téléphone, entre M. [J] de Coroos] et M. [X] de Materne]. M. [X] de Materne] gardait le contact avec les représentants des autres participants (en ce compris Andros). Les entreprises échangeaient et convenaient des prix par téléphone afin d'assurer que les fournisseurs historiques obtiendraient le contrat » (cote17, dossier 14/0055AC).
310.Ces déclarations, soulignant le rôle pivot joué par Materne, sont corroborées par les échanges téléphoniques établis par la décision attaquée et retenus aux paragraphes 250 à 255 et suivants du présent arrêt. Ainsi, la circonstance qu'aucune réunion multilatérale n'a eu lieu au cours de l'année 2012 et les particularités du secteur des MDD et de la RHF tenant, en particulier, à la grande fréquence des appels d'offres pour les MDD invoquée par certaines parties, ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère continu de l'entente.

311.Les réunions multilatérales des 17 juillet et 3 septembre 2013, qui ont eu pour objet des faire le bilan des pertes et gains de chacun et de prévoir des mesures de compensation en faveur de ceux ayant perdu du volume, loin de suggérer que les pratiques avaient cessé, démontrent au contraire qu'elles avaient perduré sans toutefois totalement atteindre les objectifs fixés.

312.Le caractère continu de la pratique est donc établi. Les moyens sont rejetés.

D. Sur l'adhésion au plan d'ensemble de Charles Faraud, Valade et Délis SA

313.Charles Faraud soutient que son adhésion à un plan d'ensemble n'est pas démontrée. Elle fait valoir que son représentant a quitté la réunion du 5 octobre 2010 au bout de trente minutes comme en attestent tant les déclarations du demandeur de clémence, qui ne la cite pas parmi les entreprises ayant exprimé un accord portant sur une préservation de volumes, que les notes manuscrites prises par M. [VF] (Délis) au cours de cette réunion, qui ne mentionnent aucun mouvement de volumes qui concernerait Charles Faraud. Elle soutient que sa participation aux 4 réunions plénières traduit une volonté de recueillir de l'information, au cours d'une période marquée par une forte hausse du cours de la pomme et une inquiétude des acteurs de la filière, mais non une volonté de s'accorder sur les hausses des prix ou des restitutions de volumes.

314.Elle souligne que de manière générale, les notes manuscrites figurant au dossier n'attribuent pas de propos à Charles Faraud. Elle conteste les déclarations du demandeur de clémence concernant la réunion du 3 septembre 2013 et selon lesquelles il aurait été convenu qu'Andros et Faraud restituent du volume à Coroos et que ce dernier recevrait un contrat pour un produit gourdes x12 chez [E], alors qu'il est établi qu'Andros n'était pas présent à cette réunion, qu'il est acquis que Faraud ne détenait aucun marché sur ce produit, et que Coroos a lui-même indiqué qu'il n'avait pas remporté le contrat sur ces produits puisque Faraud n'avait pas respecté l'accord sur les prix.

315.Valade fait valoir que les pièces retenues par la décision attaquée ? déclaration du demandeur de clémence et éléments factuels ? ne permettent en aucun cas d'établir son adhésion à une entente portant sur une répartition des volumes et des clients et sur une augmentation des prix.

316.Délis SA conteste toute participation à l'entente en ce qu'elle porte sur le secteur de la RHF. Elle fait valoir qu'elle s'est désengagée de ce secteur comme le reconnaît l'Autorité au paragraphe 36 de la décision attaquée et qu'elle est l'unique opérateur à ne pas être actif sur le segment de la RHF.

317.L'Autorité répond que les éléments retenus dans la décision attaquée établissent à suffisance l'adhésion de Charles Faraud, Valade et Délis au plan d'ensemble en application des principes jurisprudentiels rappelés aux paragraphes 502 et suivants de la décision attaquée, dont il ressort notamment que la seule participation, même passive, à une réunion anticoncurrentielle suffit à conforter le mécanisme de l'entente.

318.Elle souligne que la double circonstance que Délis SA se soit progressivement désengagée, deux ans après le début des pratiques, du marché de la RHF et que l'Autorité ait relevé qu'à la date de sa décision, les reliquats des ventes sur ce segment sont liés à l'exécution des contrats en cours sont insuffisantes pour considérer que cette société n'était pas active sur le marché en cause pendant la période des pratiques litigieuses.
319.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public rejoignent l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

320.Il résulte d'une jurisprudence européenne constante qu'il suffit que l'autorité de concurrence démontre que l'entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s'y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l'entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d'avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu'elle avait indiqué à ses concurrents qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (TUE, 30 novembre 2011, [HS] [N], T-208/06, point 47 et jurisprudence citée). En effet, il est jugé que la participation d'une entreprise à une réunion anticoncurrentielle crée une présomption du caractère illicite de cette participation, présomption que cette entreprise doit renverser par la preuve d'une distanciation publique, laquelle doit être perçue comme telle par les autres participants à l'entente (voir, en ce sens, CJUE, 3 mai 2012, Comap, C-290/11, points 74 à 76 et jurisprudence citée).

321.Ainsi, dans le cadre d'une infraction continue, dès lors qu'une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à une ou plusieurs réunions ayant un objet anticoncurrentiel et qu'elle ne se distancie pas sans délai et publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu'elle souscrit au résultat des réunions et s'y conformera, il est établi qu'elle participe à l'entente résultant de ces réunions. (Com., 4 octobre 2017, pourvoi no 14-29.542).

322.Enfin, il ressort d'une jurisprudence européenne constante, citée au paragraphe 508 de la décision attaquée , qu'« une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d'accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l'infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en oeuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu'il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque » (CJUE, 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce, C-293/13 P et C-294/13, point 157).

323.En l'espèce, s'agissant de Charles Faraud, comme le relève à juste titre l'Autorité aux paragraphes 543 et suivants de la décision attaquée, les éléments recueillis au cours de l'instruction établissent qu'elle a participé à huit des dix réunions multilatérales anticoncurrentielles ainsi qu'à des échanges téléphoniques de même nature, entendant ainsi contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants en toute connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par les autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs. Charles Faraud n'établissant pas s'être distanciée publiquement des pratiques, sa participation à ces échanges, en particulier aux trois premières réunions multilatérales des 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010 au cours desquelles le plan d'ensemble a été précisé, suffit à établir son adhésion à ce plan d'ensemble. La circonstance qu'elle ne soit pas mentionnée dans les notes prises par M. [VF] (Délis SA) au cours de la réunion du 5 octobre 2010 ou qu'elle ait quitté celle-ci « au bout d'une demi-heure ou trois quarts d'heure » (cote 14939) n'est pas de nature à remettre en cause cette adhésion, étant observé qu'il est établi qu'elle a participé par la suite à de nombreux autres échanges avec ses concurrents, ainsi que le retient à juste titre l'Autorité au paragraphe 555 de la décision attaquée.
324.S'agissant de Valade, il ressort des éléments issus de l'instruction, rappelés aux paragraphes 557 et suivants de la décision attaquée, qu'elle a participé aux réunions multilatérales qui se sont tenues les 4 novembre 2010 , 17 mars 2011 et 3 septembre 2013, qu'elle a été tenue informée des échanges ayant eu lieu au cours de la réunion multilatérale du 2 décembre 2010 et qu'elle a échangé par téléphone avec Coroos au sujet d'un appel d'offre Carrefour, et avec Charles Faraud au sujet de prix pratiqués par Conserves France. Ces éléments démontrent qu'elle entendait ainsi contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants en toute connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par les autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs. Valade n'établissant pas s'être distanciée publiquement des pratiques, sa participation à ces échanges, compte tenu de leur objet, suffit à établir son adhésion au plan d'ensemble tant en ce qu'il portait sur les MDD que sur la RHF, qu'elle a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle pouvait raisonnablement prévoir que pour mettre en oeuvre le plan auquel elle avait adhéré, les parties étaient susceptibles de se rencontrer à plusieurs reprises sans qu'elle en soit nécessairement informée, et qu'elle était prête à accepter le risque. La circonstance qu'elle n'a pas participé à l'ensemble des échanges constatés est dès lors sans incidence, et sera appréciée lors de la détermination du montant de la sanction.

325.S'agissant de Délis SA, la Cour constate que cette entreprise a été active sur le secteur de la RHF jusqu'en 2012, comme en témoigne l'évolution à la hausse de son chiffre d'affaires, sur ce secteur, de 2010 à 2012, lequel ne baisse qu'à compter de 2013. Or, les éléments relevés aux paragraphes 109 et suivant, 134 et suivants et 153 et suivants du présent arrêt établissent l'adhésion de Délis SA au plan d'ensemble, en ce qu'il concerne la RHF, cette entreprise ayant participé aux réunions des 5 octobre et 2 décembre 2010 ainsi que celle du 17 mars 2011 qui ont notamment porté sur ce secteur. Les éléments relevés à l'égard de Délis SA démontrent qu'elle entendait ainsi contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants en toute connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en oeuvre par les autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs.

326.Le désengagement progressif de Delis SA du secteur de la RHF sera apprécié au stade de la détermination de la sanction.

327.Les moyens sont rejetés.

E. Sur la responsabilité de Vergers de Chateaubourg en tant qu'auteur direct

328.Au § 596 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu la responsabilité de Vergers de Châteaubourg en tant qu'auteure des pratiques de la manière suivante :

« Il y a lieu de retenir, au titre du grief notifié, la responsabilité de la société SAS Vergers de Châteaubourg en tant qu'auteure des pratiques. En effet, il est établi que M. [R], directeur du site de Châteaubourg, a directement participé aux réunions multilatérales entre concurrents qui se sont tenues les 2 décembre 2010, 10 juin 2011, 3 novembre 2011 et 17 juillet 2017, comme l'indiquent les tableaux 4, 8, 9 et 10 qui figurent sous les paragraphes 101, 150, 160 et 167 ci-dessus. Par ailleurs, M. [R] était le responsable hiérarchique de M. [VF], directeur des clients de Délis SA, lequel a donc représenté à la fois Délis SA et SAS Vergers de Châteaubourg lors de ses échanges avec les entreprises concurrentes. ».

329.Vergers de Chateaubourg soutient, en premier lieu, que les pratiques ne peuvent lui être imputées en tant qu'auteur direct à raison de la présence de M. [R] à certaines des réunions multilatérales comme l'a fait à tort la décision attaquée, dès lors que, d'une part, ce dernier était perçu par les autres membres de l'entente comme un représentant de Délis SA et non de Vergers de Chateaubourg, et d'autre part, cette dernière n'est pas présente sur le secteur concerné par les pratiques, son activité étant la vente des produits dans des conditionnements à grands volumes à destination de l'industrie alimentaire et de l'artisanat. Elle ajoute, s'agissant des appels téléphoniques, que les deux seuls échanges retenus à charge par la notification des griefs sont des échanges entre Délis et, respectivement, Coroos et Materne, de sorte que l'Autorité ne peut, sans se contredire, aux termes d'une formulation ambigüe du paragraphe 685 de sa décision, retenir des contacts anticoncurrentiels entre Vergers de Chateaubourg et ces deux sociétés.

330.Vergers de Chateaubourg fait valoir, en second lieu, que l'Autorité, en retenant sa responsabilité en tant qu'auteur direct du fait de la présence de M. [R] à certaines des réunions multilatérales, sans toutefois retenir celle de Novandie, à raison de la présence de M. [DG] (Andros) à des réunions multilatérales, a violé le principe de l'égalité de traitement.

331.L'Autorité répond, en premier lieu, que M. [R] était directeur du site de Châteaubourg jusqu'au 1er janvier 2014 et responsable hiérarchique de M. [VF], directeur des clients de Délis et que c'est pour cette raison qu'elle a considéré que M. [R] représentait tant la SAS Vergers de Châteaubourg quand il participait à des échanges avec des représentants d'autres entreprises concurrentes mais également Délis SA comme l'a retenu le paragraphe 596 de la décision attaquée. Elle souligne que la circonstance que les autres participants aux pratiques litigieuses n'aient pas perçu M. [VF] comme étant un représentant de la SAS Vergers de Châteaubourg est sans incidence sur ce point.

332.Elle fait valoir, en second lieu, que les sociétés Vergers de Chateaubourg et Novandie n'étaient pas dans des situations similaires : si toutes les deux ne sont pas directement actives sur les marchés concernés, la première exerce une activité connexe à ces marchés puisqu'elle gère l'outil de production utilisé pour fabriquer les produits vendus sur ces marchés par Délis SA tandis que la seconde spécialisée dans la production de produits laitiers, n'exerce aucune activité en lien avec le secteur des produits en cause.

Sur ce, la Cour,

333.En premier lieu, il convient de relever qu'au paragraphe 596 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu la responsabilité de Vergers de Chateaubourg à raison non seulement de la participation de son directeur de site, M. [R], à quatre réunions multilatérales mais également à raison de la participation de M. [VF], directeur des ventes de Délis SA, à des échanges avec des entreprises concurrentes (réunions multilatérales et échanges téléphoniques). Elle a relevé que M. [R] était le responsable hiérarchique de M. [VF] pour en déduire que ce dernier représentait tant Délis SA que Vergers de Chateaubourg lors de ses échanges anticoncurrentiels.

334.S'agissant de la responsabilité de Vergers de Chateaubourg à raison de la participation de M. [R] à des réunions multilatérales, il n'est pas contesté que ce dernier, en sa qualité de directeur de site, avait la capacité d'engager Vergers de Chateaubourg de sorte que la circonstance qu'il ait été perçu, au cours de ces réunions, par les autres membres de l'entente comme un représentant de Délis SA n'est pas de nature à écarter sa responsabilité.

335.S'agissant de la responsabilité de Vergers de Chateaubourg à raison de la participation de M. [VF] (Délis SA ) à des échanges entre concurrents, force est de constater que ne sont contestés ni le lien hiérarchique unissant M [R] à M. [VF], tel que celui-ci résulte de l'organigramme de Vergers de Chateaubourg transmis à l'Autorité (cote 15145) ni que la responsabilité de Vergers de Chateaubourg, en qualité d'auteur des pratiques, puisse être engagée à raison de la participation de M. [VF] aux réunions multilatérales et aux échanges téléphoniques.

336.Au demeurant, sur ce point, la Cour observe que Délis SA est une filiale à 99,99 % de Vergers de Chateaubourg. Il ressort en outre des éléments de la procédure, qui ont été rappelés dans les développements consacrés à la matérialité des pratiques, que ces deux responsables au sein du groupe Délis ont conjointement ou alternativement participé aux réunions multilatérales précédemment analysées et pris part au plan d'ensemble défini à ces occasions, de sorte que c'est à juste titre, dans ce contexte révélant une absence d'autonomie de la filiale, que la décision attaquée a retenu, au paragraphe 596, que M. [VF] engageait tant Vergers de Chateaubourg que Delis SA lors de ses échanges avec les entreprises concurrentes

337.Comme il sera vu dans les développements consacrés à l'imputabilité des pratiques, Vergers de Chateaubourg ne conteste pas, en tant que telle, l'application de la présomption d'influence déterminante à raison de sa détention de la totalité du capital de sa filiale Délis SA de sorte que cette dernière est présumée avoir appliqué la politique commerciale déterminée par sa mère. Ainsi, la responsabilité de Vergers de Chateaubourg est, en tout état de de cause, engagée. Qu'elle le soit en qualité d'auteur direct ou de société mère n'enlève rien, en l'espèce, à la nature ou l'étendue de cette responsabilité qui pourra donner lieu à une sanction unique infligée solidairement à Délis SA et à Vergers de Chateaubourg, en tant que personnes juridiques appartenant à une seule et même entreprise.

338.En second lieu, ainsi qu'il a déjà été exposé au paragraphe 69 du présent arrêt, le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause devant l'Autorité. Une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101 § 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce ne saurait donc invoquer l'absence de mise en cause, et partant de sanction, d'une entreprise dont la responsabilité aurait également pu être engagée, pour échapper à sa propre responsabilité dès lors que celle-ci a été établie de manière régulière.

339.En conséquence, en l'espèce, Vergers de Chateaubourg ne peut invoquer une rupture d'égalité de traitement pour échapper à sa propre responsabilité au seul motif de l'absence de mise en cause de Novandie.

340.Le moyen est rejeté.

F. Sur la durée de la participation individuelle des entreprises

341.Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu une participation individuelle de l'ensemble des entreprises mises en cause pendant toute la durée de l'entente, soit du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014.

342.Charles Faraud fait valoir qu'elle a interrompu sa participation entre le 4 novembre 2011 et 17 juillet 2013 et que la fin de sa participation se situe au 18 octobre 2013, date du dernier échange téléphonique avec un concurrent membre de l'entente.

343.Délis soutient qu'il résulte de la jurisprudence européenne qu'il n'est pas permis de présumer la continuité de l'adhésion d'une partie à un accord anticoncurrentiel au-delà de sa dernière participation prouvée à une mesure de mise en oeuvre dudit accord. Elle considère que la date de début de sa participation aux pratiques est le 4 novembre 2010, et celle de fin correspond à la dernière réunion à laquelle elle a participé, soit le 17 mars 2011, et subsidiairement, le 3 septembre 2013. Elle souligne que les mesures de compensation qui auraient été prises lors de cette réunion ne la concernent pas de sorte qu'il n'est pas permis de retenir sa participation au-delà de cette date. Enfin, elle invoque à nouveau l'interruption des pratiques pendant près de deux ans, ce qui réduit la durée de sa participation à l'entente.

344.Materne fait valoir que l'Autorité a commis une erreur en fixant la durée de sa participation du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014 alors que les pratiques se sont interrompues du 3 novembre 2011 au 17 juillet 2013 et qu'elles ont pris fin le 3 septembre 2013.

345.Valade soutient, en premier lieu, que c'est en méconnaissance du standard de preuve établi par la jurisprudence européenne que l'Autorité a fixé la durée de sa participation à celle de l'entente unique. Elle fait valoir l'absence de preuve de sa participation à l'entente entre le 4 novembre 2010 et le 10 janvier 2014. Elle souligne que sa participation aux échanges est très marginale puisque seules 2 réunions multilatérales et un échange par téléphone ont été établis à son égard, alors que par ailleurs elle a répondu à 21 appels d'offres sur le segment des MDD, et à plus de 250 appels et d'offres et demandes de prix spécifiques pour les grossistes au cours de la période infractionnelle. Elle ajoute que la simple présence à des réunions multilatérales n'était manifestement pas suffisante pour mettre en oeuvre l'entente décrite par la décision attaquée puisque toutes les entreprises mises en cause ? à l'exception de Valade ? les ont prolongées par des contacts bilatéraux, et que de très nombreux contacts, principalement téléphoniques, étaient nécessaires pour organiser la concertation entre les participants.

346.Elle fait valoir, en deuxième lieu, une interruption de sa participation aux pratiques entre le 3 novembre 2011 et le 17 juillet 2013, période au cours de laquelle l'Autorité ne fait état d'aucune réunion et de manière générale de quasiment aucun contact entre les entreprises mises en cause à l'exception de quelques contacts bilatéraux ou trilatéraux qui, à les supposer établis, ne concernent pas Valade.

347.Elle fait valoir, en troisième lieu, que sa participation a pris fin au mois de novembre 2013 et non le 10 janvier 2014. Elle souligne sur ce point que l'Autorité n'a pas tiré les conséquences de son affirmation selon laquelle la date de fin des pratiques se situe à la date de mise en oeuvre des mesures de compensation décidées au cours de la réunion du 3 septembre 2013, soit le 22 novembre 2013, date du dépôt de l'offre de Valade pour un nouveau marché chez [E]. Elle conclut que l'Autorité n'a pas prouvé à suffisance de droit sa participation individuelle à l'entente alléguée sur une durée de trois ans et deux mois entre le 4 novembre 2010 et le 10 janvier 2014, qu'elle aurait donc dû retenir que sa participation s'était limitée à la réunion du 4 novembre 2010 et à la période comprise entre le 3 septembre 2013 et l'automne 2013/le 22 novembre 2013, soit une durée totale de moins d'un an.

348.Conserves France soutient que l'Autorité a retenu à tort sa participation à l'entente pendant toute la durée de l'infraction. L'absence de tout contact avec ses concurrents pendant au moins 22 mois, entre le 3 novembre 2011 et le 3 septembre 2013, ce qui n'est pas contesté par l'Autorité, ne peut conduire qu'à la conclusion qu'elle a interrompu sa participation pendant cette période. Il est en effet impossible qu'elle ait pu se maintenir dans un système de répartition des appels d'offres et de fixation de prix sans avoir eu aucun échange de coordination avec les parties pendant 22 mois, au regard du fonctionnement du secteur, et en particulier du rythme particulièrement élevé des appels d'offres et de consultation du marché par les acheteurs.

349.Andros soutient, en premier lieu, que l'Autorité n'a tiré aucune conséquence du fait qu'elle se soit publiquement distanciée de l'entente et qu'elle a adopté une stratégie commerciale agressive vis à vis de ses concurrents. Elle fait valoir avoir démontré au cours de l'instruction que les éléments du dossier, en particulier ses déclarations et celles du demandeur de clémence attestant de sa volonté de ne plus participer aux réunions ni être appelé au téléphone, établissaient tant sa distanciation publique, que sa politique commerciale agressive allant à l'encontre des objectifs prétendument poursuivis par les autres participants puisqu'elle lui a permis de gagner non seulement des volumes de ventes mais également des parts de marché, au détriment de ses concurrents. Cette distanciation ne faisait aucun doute dans l'esprit des participants à l'entente alléguée, qui ont eux-mêmes déploré les gains de parts de marché réalisés par Andros à partir du 3 novembre 2011.

350.Répondant à l'Autorité qui, dans ses observations devant la Cour, affirme que la circonstance qu'Andros ait gagné des parts de marché sur ses concurrents n'est pas de nature à démontrer qu'Andros avait cessé de participer à l'entente au motif que selon la jurisprudence européenne, « la seule circonstance que le comportement d'une entreprise sur le marché n'ait pas été conforme au comportement convenu ou annoncé n'affecte en rien son adhésion à l'accord de volontés, et, par suite, sa responsabilité du chef d'une violation de 101, paragraphe 1, du TFUE », Andros souligne que la question n'est pas de savoir si le comportement d'Andros a été conforme à ce qui avait été décidé entre les membres de l'entente, mais de savoir si son comportement adopté à partir de novembre 2011 confirme, ou non, sa distanciation publique opérée par la voix de M. [L] ([DG]) le 3 novembre 2011.

351.Andros fait valoir, en second lieu, que l'Autorité n'a pas établi sa participation à l'entente au-delà du 3 novembre 2011 au regard du standard de preuve fixé par la jurisprudence européenne qui exige que l'Autorité établisse sa participation à un comportement infractionnel le 5 octobre 2010, puis le 10 janvier 2014 et l'existence de preuves directes ou, à tout le moins, d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants de comportements anticoncurrentiels, suffisamment rapprochés dans le temps, au cours de la période intercalaire. Elle souligne, s'agissant de la fin des pratiques, qu'aucun des échanges cités par la décision attaquée ne la concerne et que les éléments figurant au dossier pour la période intercalaire (2012-2013) sont insuffisants pour prouver la participation d'Andros, après le 3 novembre 2011, à une pratique continue de fixation des prix et de répartition des clients et des volumes.

352.L'Autorité répond que les pratiques litigieuses ont été mises en place lors des trois premières réunions multilatérales du dernier trimestre de l'année 2010, au cours desquelles les mises en cause se sont entendues pour manipuler les prix et se répartir les clients et les volumes sur les marchés des compotes en coupelles et en gourdes vendues en MDD et à la RHF. Elle souligne que pendant les vingt mois qui se sont écoulés entre les réunions multilatérales des 3 novembre 2011 et 17 juillet 2013, Coroos, dont l'arrivée sur le marché français a conduit à la formation de l'entente et Materne, qui a joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en oeuvre de l'entente, ont échangé à de multiples reprises. Si aucun échange n'a pu être constaté pour certains autres participants, leur participation aux deux réunions « bilans » des 17 juillet et 3 septembre 2013, à l'occasion desquelles les mises en cause se sont assurées du bon fonctionnement de l'entente et ont décidé de mettre en oeuvre des mesures de compensation, permet d'établir la continuité de leur participation aux pratiques pendant la période litigieuse. Elle renvoie aux paragraphes de la décision attaquée s'agissant de la durée de la participation individuelle de chacune des mises en cause.

353.Le ministre chargé de l'économie souligne, s'agissant de la participation d'Andros, que les éléments avancés par cette dernière sont notoirement insuffisants pour établir sa distanciation publique et qu'ils sont en outre contredits par les pièces du dossier établissant sa participation postérieurement à la réunion du 3 novembre 2011.

Sur ce, la Cour,

354.Il résulte d'une jurisprudence européenne constante que la notion de plan d'ensemble permet de présumer que la réalisation d'une infraction n'a pas été interrompue même si, pour une certaine période, il n'existe pas de preuve de la participation de l'entreprise concernée à cette infraction, pour autant que celle-ci a participé à l'infraction avant et après cette période et pour autant qu'il n'existe pas de preuves ou d'indices pouvant laisser penser que l'infraction s'était interrompue en ce qui la concerne. En ce cas, l'autorité de concurrence pourra infliger une amende pour toute la période infractionnelle, y compris la période pour laquelle elle ne dispose pas de preuve de la participation de l'entreprise concernée (voir, en ce sens, TUE, du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T-147/09 et T-148/09, point 87, et du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T-655/11, point 481).

355.Toutefois, le principe de sécurité juridique impose que, en l'absence d'éléments de preuve susceptibles d'établir directement la durée d'une infraction, l'autorité de concurrence invoque au moins des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T-655/11, EU:T:2015:383, point 482 et jurisprudence citée).

356.Si la période séparant deux manifestations d'un comportement infractionnel est un critère pertinent, il n'en demeure pas moins que la question de savoir si ladite période est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption de l'infraction ne saurait être examinée dans l'abstrait. Au contraire, il convient de l'apprécier dans le contexte du fonctionnement de l'entente en question (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T-655/11, point 483 et jurisprudence citée).

357.C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner la durée de la participation individuelle des entreprises mises en cause, en distinguant la situation d'Andros, qui soutient être sortie de l'entente à compter du 3 novembre 2011, de celle des autres entreprises mises en cause qui soutiennent avoir interrompu leur participation à l'entente au cours de la période infractionnelle.

Sur la durée de la participation individuelle du groupe Delis (Delis SA et Vergers de Chateaubourg), Charles Faraud, Materne, Conserves France et Valade

358.S'agissant de la date de début de participation aux pratiques, il résulte des développements figurant aux paragraphes 109 et 126 du présent arrêt que toutes ces entreprises sont entrées dans l'entente en participant à la première réunion multilatérale du 5 octobre 2010, à l'exception de Valade qui n'est entrée dans l'entente que le 4 novembre 2011, date de la première réunion multilatérale à laquelle elle a participé.

359.S'agissant de la date de fin de participation aux pratiques, toutes ces entreprises ont participé à la réunion du 3 septembre 2013 au cours de laquelle, ainsi qu'il a été établi au paragraphe 185 à 193 du présent arrêt, les membres de l'entente se sont entendus pour attribuer, à titre de compensation, des nouveaux appels d'offres à trois d'entre eux, dont Valade. Les participants ont ainsi exprimé leur volonté commune d'adapter leur comportement sur le marché afin de permettre à chacun de ces trois concurrents, dont Valade, de remporter l'appel d'offres qui lui a été attribué. Le dépôt de la proposition de Valade à cet appel d'offre le 22 novembre 2013 traduit l'exécution du plan d'ensemble par les sociétés Delis SA et Vergers de Chateaubourg, Charles Faraud, Conserves France, Valade et Materne.

360.En l'absence de réunions ou comportement ultérieurs des sociétés Delis Sa et Vergers de Chateaubourg, Charles Faraud, Conserves France et Valade au-delà du 22 novembre 2013, cet évènement marque la date de fin de leur participation individuelle à l'entente. C'est donc à tort que l'Autorité a retenu la date du 10 janvier 2014 en ce qui les concerne. La décision sera donc réformée de ce chef.

361.En revanche, à l'égard de Materne, qui a poursuivi ses échanges avec Coroos ainsi qu'il a été vu au paragraphe 299 du présent arrêt, la date de fin de participation se situe au 10 janvier 2014.

362.Il y a lieu maintenant d'examiner s'il existe ou non des indices pouvant laisser penser que la participation de ces entreprises s'est interrompue et si l'Autorité invoque des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que la participation de ces entreprises s'est poursuivie de façon ininterrompue entre le 5 octobre 2010 et le 22 novembre 2013 pour Delis, Charles Faraud, Conserves France, entre le 4 novembre 2010 et le 22 novembre 2013 pour Valade et entre le 5 octobre 2010 et le 10 janvier 2014 pour Materne.

363.À cet égard, il y a lieu de rappeler que, contrairement à ce que soutiennent les entreprises en cause, l'absence de réunion multilatérale en 2012 ne peut constituer un indice d'interruption dès lors, ainsi qu'il a été démontré, que le plan d'ensemble défini lors des trois premières réunions multilatérales des 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010 a été mis en oeuvre lors des trois réunions de 2011 et lors d'échanges par téléphone entre les membres de l'entente.

364.En outre, au cours des réunions des 17 juillet et 3 septembre 2013, les entreprises participantes ont fait le bilan des pertes et gains de chacune et décidé des mesures de compensation en faveur de celles ayant perdu le plus de volumes en leur attribuant des appels d'offres. Ce faisant, elles ont dressé le bilan de l'entente, ce dont il se déduit que toutes les entreprises participantes à ces réunions « bilans » avaient, au cours des mois précédents, poursuivi leurs échanges en vue d'exécuter le plan d'ensemble.

365.Enfin, l'Autorité n'est pas tenue de démontrer l'existence d'échanges entre les entreprise mises en cause à l'occasion de tous les appels d'offres ou de toute autre procédure de renégociation tarifaire de contrats en cours pendant la période infractionnelle mais uniquement la participation de ces entreprises à des échanges suffisamment rapprochés dans le temps pour admettre, de manière raisonnable, que cette participation présente un caractère continu. C'est donc en vain que les parties invoquent l'insuffisance du nombre d'échanges établis au regard de la fréquence de ces procédures de renégociation au cours de la période litigieuse, et en particulier au cours de la période intermédiaire entre leur participation à la dernière réunion multilatérale de 2011 et la première de 2013.

366.S'agissant de Charles Faraud, il a été établi que cette dernière était présente aux trois premières réunions ayant eu lieu les 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010 au cours desquelles le plan d'ensemble a été défini, ainsi qu'à celles des 13 avril, 10 juin et 3 novembre 2011 et qu'elle avait échangé par téléphone avec Materne à plusieurs reprises entre octobre 2012 et juillet 2013 en vue de mettre en oeuvre le plan d'ensemble (paragraphe 258 du présent arrêt). Enfin, il a été établi que cette entreprise avait participé aux deux réunions « bilans » des 17 juillet et 3 septembre 2013. Ces éléments se rapportent ainsi à des faits suffisamment rapprochés dans le temps pour admettre, en l'absence de tout indice contraire, que Charles Faraud a participé à l'entente sur toute la période retenue par la Cour, soit du 5 octobre 2010 au 22 novembre 2013.

367.S'agissant de Délis (Delis SA et Vergers de Chateaubourg) il a été établi qu'elle a participé aux réunions des 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010 au cours desquelles le plan d'ensemble a été défini, à celles des 24 janvier, 17 mars et 3 novembre 2011, qu'elle a eu un échange par téléphone avec Coroos au sujet d'un contrat Lidl au cours de l'été 2012 (paragraphe 256 du présent arrêt) et qu'elle était présente aux réunions « bilans » des 17 juillet et 3 septembre 2013. Ces éléments se rapportent ainsi à ces faits suffisamment rapprochés dans le temps pour admettre, en l'absence de tout indice contraire, que les sociétés du groupe Délis ont participé à l'entente sur toute la période retenue par la Cour, soit du 5 octobre 2010 au 22 novembre 2013.

368.S'agissant de Materne, il a été établi que Materne a participé à toutes les réunions multilatérales, qu'elle a échangé avec Coroos à de nombreuses reprises : rendez-vous bilatéral du 8 juin 2012 pour échanger sur la mise en oeuvre du plan d'ensemble qui avait été défini au cours des trois premières réunions multilatérales, courriels des 6 septembre et 16 novembre 2012 et 7 février 2013 pour transmettre des échanges confidentiels que Coroos et Materne avait eus avec des distributeurs de la GMS, des échanges téléphoniques sur des appels d'offres et des prix au cours de l'été, de l'automne 2012, et de la fin d'année 2012. Il également été établi que Materne avait échangé avec Charles Faraud par téléphone entre octobre 2012 et juillet 2013 sur le plan d'ensemble poursuivi par l'entente et qu'elle avait eu un échange avec Coroos et Andros le 28 mai 2013 sur les prix. C'est donc en vain que Materne invoque une interruption de sa participation aux pratiques. En l'absence de tout indice contraire, il se déduit de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés qu'elle a participé à l'entente sur toute la période retenue par la Cour, soit du 5 octobre 2010 au 10 janvier 2014.

369.S'agissant de Valade, il a été établi, que cette entreprise est entrée dans l'entente en participant à la réunion du 4 novembre 2010, qu'elle a été informée de la teneur de celle du 2 décembre 2010, et partant des accords conclus pour faire passer des hausses de prix, et pour se répartir des appels d'offre, et qu'elle a participé à la réunion du 17 mars 2011. Il résulte en outre des éléments décrits au paragraphe 256 qu'elle a échangé avec Coroos au cours de l'automne 2011 pour lui transmettre ses prix ainsi que ceux de Conserves France à compter du 12 janvier 2012 en vue de préparer un appel d'offres Carrefour, et avec Charles Faraud en août 2013 sur les prix pratiqués par Conserves France. Enfin, elle a participé à la réunion « bilan » du 3 septembre 2013, au cours de laquelle, ainsi qu'il a été vu, elle s'est vue attribuer un nouveau marché à titre de mesure de compensation. Ces éléments se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps pour qu'il puisse être raisonnablement admis, en l'absence de tout indice contraire, que Valade a participé à l'entente du 4 novembre 2010 au 22 novembre 2013.

370.(PICF)S'agissant de Conserves France, il a été établi qu'elle avait assisté aux réunions multilatérales des 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010, ainsi qu'à celle du 10 juin 2011 et qu'elle avait échangé en octobre 2011 par téléphone avec Coroos et Charles Faraud au sujet d'un appel d'offres Sodexo. Par ailleurs l'échange précité (paragraphe 369 du présent arrêt) entre Valade et Coroos pour un appel d'offre Carrefour suggère que Conserves France a transmis au cours de l'automne 2011 ses prix à Valade en vue de cet appel d'offre. Enfin, il a été établi que Conserve France avait participé à la réunion « bilan » du 3 septembre 2013. Ces éléments se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps pour qu'il puisse être raisonnablement admis que Conserves France a participé à l'entente sur toute la période retenue par la Cour, soit du 5 octobre 2010 au 22 novembre 2013.

Sur la durée de la participation individuelle d'Andros

371.Il est constant qu'Andros, qui ne conteste pas être entrée dans l'entente le 5 octobre 2010, n'a pas assisté aux réunions multilatérales des 17 juillet et 3 septembre 2013.

372.Répondant à un questionnaire adressé par les services de l'instruction, M. [DG] (Andros) a indiqué qu'il avait déclaré, au cours de la réunion multilatérale du 3 novembre 2011, qu'il ne voulait plus participer à ce type de réunion et qu'il voulait « rester libre de [sa] politique commerciale MDD et continuer à conquérir des volumes ». Cette déclaration est corroborée par le demandeur de clémence qui a indiqué, ainsi qu'il a été vu au paragraphe 309 du présent arrêt, « qu'il y avait eu moins de réunion après le 3 novembre 2011, puisqu'un des acteurs les plus importants (avec Coroos et Materne France), Andros, ne voulait plus participer aux réunions ».

373.Toutefois, le demandeur de clémence poursuit en indiquant « les contacts anticoncurrentiels de Coroos avaient lieu pour la plus grande partie par téléphone, entre M. [UU] [Coroos] et M. [G] [Materne]. M. [G] gardait le contact avec les représentants des autres participants (en ce compris Andros). Les entreprises échangeaient et convenaient des prix par téléphone afin d'assurer que les fournisseurs historiques obtiendraient le contrat »(cote17, dossier 14/0055AC, souligné par la Cour).

374.Cette déclaration est corroborée par une série de notes fournies par le demandeur de clémence, décrites au paragraphe 254 du présent arrêt, retraçant des appels téléphoniques ayant eu lieu en décembre 2012 et début 2013 entre Coroos et Materne au cours desquels Materne a transmis à Coroos les prix futurs qu'Andros souhaitaient pratiquer à l'égard de plusieurs enseignes de la GMS.

375.Il résulte également du dossier qu'Andros, en la personne de Mme [FR], a échangé avec Coroos et Materne le 28 mai 2013 au cours de la foire PLMA, sur des appels d'offres en cours et à venir, échange qui s'inscrivait dans la lignée des accords conclus lors des réunions multilatérales de 2010, ainsi qu'il a été démontré aux paragraphes 222 à 225 du présent arrêt.

376.Il a été établi que l'échange de courriels entre Mme [FR] (Andros) et M. [G] (Materne) les 19 et 28 juillet 2013, dans les jours qui ont suivi la réunion multilatérale du 17 juillet 2013 au cours de laquelle ont été discutées des mesures de compensation, s'inscrivait dans le plan d'ensemble poursuivi par les membres de l'entente et qu'en particulier le courriel du 28 juillet 2013 visait à mettre en oeuvre une mesure de compensation par Andros au profit de Coroos. Au cours de l'instruction, M. [G] (Materne) a d'ailleurs déclaré avoir utilisé sa messagerie personnelle à des fins professionnelles, en particulier, pour échanger sur des prix avec Mme [FR] (Andros) (cote 14 736).

377.Enfin, les notes prises par Valade lors de la réunion du 3 septembre 2013 (cotes 1775 à 1780) ainsi que les déclarations convergentes du demandeur de clémence (cotes 22 et 23, dossier 14-0055 AC) et les notes prises par ce dernier (cotes 350 à 354, dossier 14/0055 AC), font ressortir d'une part, que les membres de l'entente considéraient qu'Andros devait « rendre du volume », ce dont il s'infère qu'à leurs yeux, Andros participait toujours à l'entente, et d'autre part, que Mme [FR] (Andros) était leur interlocuteur.

378.Ces éléments, pris ensemble, constituent un faisceau d'indices précis, graves et concordants de nature à écarter la distanciation publique des pratiques invoquée par Andros et établir que si cette dernière n'a plus souhaité participer à des réunions multilatérales à compter de novembre 2011, elle a en revanche poursuivi, en la personne de Mme [FR] des échanges anticoncurrentiels avec les autres membres de l'entente par l'intermédiaire de Materne en vue notamment de rendre, pour partie, le volume qu'il avait pris à ces derniers, et partant de restaurer les positions de chacun sur le marché.

379.La circonstance qu'Andros a, par ailleurs, mené une politique commerciale agressive lui ayant permis de conquérir des parts de marché, n'est pas de nature à démontrer qu'elle a cessé de participer à l'entente, mais établit qu'elle a joué un rôle de franc- tireur dont il conviendra de tenir compte lors de la détermination de la sanction.

380.Ces mêmes éléments se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps pour considérer qu'Andros a participé de manière continue à l'infraction du 5 octobre 2010 jusqu'au 28 juillet 2013, date de la dernière manifestation du comportement anticoncurrentiel d'Andros. En effet, la seule circonstance que les participants à la réunion du 3 septembre 2013 considéraient qu'Andros était encore partie à l'entente, ne suffit pas établir que cette dernière, qui n'était pas présente à cette réunion et à laquelle elle n'avait pas été conviée, a eu connaissance des mesures de compensation décidées lors de cette réunion.

381.C'est donc à tort que l'Autorité a retenu le 10 janvier 2014 comme la date de fin de participation d'Andros à l'entente.

382.La décision sera reformée de ce chef.

G. Sur l'imputabilité des pratiques aux sociétés mères

383.Dans la décision attaquée, l'Autorité a exposé les règles applicables et, en particulier, celle selon laquelle une société mère est présumée exercer une influence déterminante sur sa filiale lorsqu'elle détient la totalité ou la quasi-totalité de son capital (§ 569).

384.Puis, elle a appliqué cette présomption d'influence déterminante aux sociétés mères mises en cause.

385.S'agissant de Conserve Italia, l'Autorité a d'abord considéré, au paragraphe 576, que la présomption devait s'appliquer en raison de la détention par cette dernière de 91,83 % à 92,47 % du capital de sa filiale Conserves France pendant la période des pratiques. Elle a ensuite précisé, au paragraphe 577 : « En tout état de cause, les éléments du dossier relatifs aux liens économiques et organisationnels entre Conserve Italia et Conserves France démontrent l'absence d'autonomie de la filiale envers sa société mère », et exposé ces éléments tenant essentiellement à des échanges de courriels entre des organes dirigeants des deux sociétés sur la stratégie commerciale de Conserves France.

386.Seules Conserve Italia, Groupe Lactalis, Vergers de Chateaubourg et BSA contestent l'imputabilité des pratiques.

1. L'imputabilité des pratiques à BSA, Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg

387.Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg ainsi que BSA, se fondant sur les développements figurant aux paragraphes 576 et 577 précité de la décision attaquée, soutiennent que l'Autorité, pour apprécier l'imputabilité des pratiques à Conserve Italia, a choisi une méthode dite « double base » fondée sur deux critères : la détention capitalistique et l'exercice effectif par la mère d'une influence déterminante sur sa fille. BSA fait valoir que la décision attaquée a repris à son compte l'approche méthodologique des services d'instruction qui, après avoir considéré que la présomption simple s'appliquait, ont décidé délibérément d'introduire au stade du rapport des éléments supplémentaires afin de démontrer l'exercice effectif d'une influence déterminante de Conserve Italia sur Conserves France et, que ce faisant ils ont appliqué la méthode dite « double base ».

388.Ces sociétés en déduisent une rupture d'égalité de traitement dans la méthode utilisée pour déterminer leur responsabilité, en qualité de société mère, au titre des pratiques reprochées, seul le critère de la détention capitalistique leur ayant été appliqué. Elles font valoir que cette rupture d'égalité doit conduire à écarter leur responsabilité puisque l'Autorité aurait dû établir non seulement que le critère de la détention capitalistique était rempli mais également l'exercice effectif par la mère d'une influence déterminante.

389.Groupe Lactalis fait grief à la décision attaquée de ne pas avoir tiré les conséquences de ses arguments relatifs à l'éloignement géographique de son siège social avec ceux de Vergers de Chateaubourg et Délis, et ce contrairement à la pratique décisionnelle de l'Autorité selon laquelle l'éloignement géographique du siège de la mère de celui de la filiale constitue un critère d'appréciation de l'autonomie commerciale de la seconde à l'égard de la première (ADLC, no 08-D-30, 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre-Mer et Total Réunion, §§ 501 et 505).

390.BSA, Vergers de Chateaubourg et Groupe Lactalis font valoir que l'application à leur égard de la présomption d'influence déterminante sur Délis SA revient à une pluralité d'influences déterminantes au sein d'une même entreprise, ce qui est contradictoire et, en tout état cause, aurait dû conduire l'Autorité à caractériser l'influence déterminante de chacune d'entre elles, in concreto, à l'égard de Délis SA.

391.BSA soutient que l'application de la présomption d'influence déterminante à son égard, est contraire à la pratique décisionnelle de l'Autorité qui est de ne pas appliquer la « présomption simple » d'imputabilité à l'égard d'une société mère indirecte qui ne détient pas directement l'intégralité ou la quasi-intégralité (au sens de la jurisprudence) du capital de la société mère intermédiaire, l'Autorité s'attachant dans une telle hypothèse, à analyser in concreto l'existence d'une influence déterminante de ces dernières. Est invoquée la décision no 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des produits d'entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d'hygiène et de soins pour le corps.

392.BSA soutient enfin que l'Autorité a violé le principe d'égalité de traitement pour ne pas avoir fait application à LBO France de la présomption d'imputabilité des pratiques de Materne, en sa qualité de maison mère du groupe MOM, alors que les deux sociétés mères sont dans des situations comparables au vu des éléments figurant dans la notification des griefs.

393.L'Autorité répond, en premier lieu, s'agissant de la méthode employée, que ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle a examiné l'exercice effectif par Conserve Italia d'une influence déterminante sur sa filiale Conserve France de sorte que le moyen pris d'une violation du principe de l'égalité de traitement n'est pas fondé.

394.Elle fait valoir, en second lieu, s'agissant du moyen fondé sur une pluralité d'influences déterminantes, que la jurisprudence admet qu'une société mère, qui détient directement la totalité du capital d'une filiale qui détient elle-même la totalité du capital d'une autre filiale auteure de pratiques prohibées peut être regardée comme exerçant une influence déterminante sur ces deux filiales, directement à l'égard de la première et indirectement à l'égard de la seconde.

395.Elle ajoute que contrairement à ce que soutient BSA, la solution adoptée dans la décision no 14-D-19 précitée à deux sociétés mères détenant chacune 50 % de l'entreprise commune ayant commis l'infraction, ne lui est pas transposable dès lors que si Groupe Lactalis était détenue à quasi-parité directement par B.S.A et indirectement par la société Claudel-Roustang Galac à la date des pratiques, il est constant que cette dernière était-elle même détenue à 99,99 % par B.S.A. L'Autorité en déduit que la présomption d'influence déterminante sur Groupe Lactalis était applicable à BSA.

396.Enfin, elle souligne qu'il appartient à la société mère qui détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, de renverser la présomption d'influence déterminante sur cette dernière et que la seule différence de situation géographique des sièges de Groupe Lactalis, SAS Vergers de Châteaubourg et Délis SA n'est pas suffisante pour renverser la présomption d'influence déterminante exercée par la première sur les deux autres.

397.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse faite par l'Autorité dans la décision attaquée.

398.Le ministère public invite la Cour à écarter les moyens et souligne que l'argument de BSA relatif au fait que Délis SA serait co-contrôlée par BSA, Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg paraît réversible : les sociétés « co-contrôlantes » étant elle-même contrôlées par BSA, ces sociétés et Délis forment une même entreprise.

Sur ce, la Cour,

399.À titre liminaire, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante des juridictions de l'Union, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a., C-97/08 P, point 58 et jurisprudence citée).

400.Il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d'une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de l'article 101 du TFUE. C'est la notion d'entreprise unique constituée de la société mère et de sa filiale qui permet d'infliger une sanction à la première sans qu'il soit nécessaire d'établir son implication personnelle dans l'infraction (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 10 septembre 2009, Akzo Nobel précité, point 59 et jurisprudence citée). Ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise, qui permet d'imputer à la mère le comportement anticoncurrentiel de sa filiale et partant de lui infliger une sanction (voir, en ce sens, arrêt du TUE du 27 septembre 2012, Nynas, T-347/06, point no 33).

401.Selon une jurisprudence également constante, dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, directement ou via une société interposée dont elle détient également la totalité ou la quasi-totalité du capital, et que cette filiale a commis une infraction aux règles de la concurrence de l'Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, ou en cas de détention indirecte, sur le comportement de la société interposée, et par l'intermédiaire de cette dernière, sur le comportement de la filiale (voir, en ce sens, notamment CJUE, 29 septembre 2011, Elf Aquitaine, C-521/09, point 56 et jurisprudence citée ; 5 mars 2015, Versalis, C-93/13, point 41 ; et sur l'application de la présomption en cas de détention indirecte, arrêt de la CJUE du 8 mai 2013, Eni SpA, C-508/11 P, point 48 et jurisprudence citée).

402.Afin de renverser cette présomption, une société mère doit apporter tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer que cette dernière avait un comportement autonome sur le marché et qu'elles ne constituent pas une seule entité économique (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 20 janvier 2011, General Química e.a, C-90/09 P, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

403.En l'espèce, il convient de relever, en premier lieu, que durant la période infractionnelle, Délis SA était détenue à 99,99 % par Vergers de Chateaubourg, laquelle était détenue à 99,99 % par Groupe Lactalis tandis que ce dernier était détenu à hauteur de 50,81 % par BSA et à hauteur des 49,18 % restants par une autre société, Claudel-Roustang Galac, elle-même détenue à 99,99 % par BSA.

404.Il s'en déduit que BSA détient directement 50,81 % du capital du Groupe Lactalis et indirectement les 49,18 % restant par le biais de sa filiale. Elle détient ainsi la quasi-totalité du capital de Groupe Lactalis, directement et indirectement, de sorte qu'elle ne peut valablement soutenir qu'elle ne le détient qu'à parité et être dans une situation similaire à celle examinée par l'Autorité dans la décision no 14-D-19 du 18 décembre 2014.

405.Le moyen qui manque en fait, est rejeté.

406.En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent BSA, Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg, l'Autorité n'a pas appliqué à Conserve Italia la méthode dite « double base » qui cumule le critère de la détention capitalistique et celui de l'exercice effectif d'une influence déterminante pour pouvoir imputer les pratiques commises par la filiale à sa société mère.

407.En effet, ainsi qu'il a été rappelé, l'Autorité a, dans un premier temps, énoncé les règles d'imputabilité des pratiques au sein d'un groupe de sociétés et, en particulier, au paragraphe 569 de la décision attaquée, celle dite de la présomption d'exercice d'influence déterminante de la société mère sur sa filiale lorsque la première détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de la seconde.

408.Ensuite, s'agissant de l'entreprise constituée de Conserve Italia et Conserves France, elle a constaté au paragraphe 576 de la décision attaquée, que Conserve Italia possédait entre 91,83 % et 92,47 % du capital de la société Conserves France, et en a déduit que « Détenant ainsi la quasi-totalité du capital de sa filiale auteure des pratiques en cause, elle est présumée, sur le fondement de la jurisprudence rappelée au paragraphe 569 ci-dessus, avoir exercé une influence déterminante sur cette dernière. ». Ce faisant, l'Autorité a considéré que la présomption s'appliquait.

409.Elle a ensuite précisé, au paragraphe 577 : « En tout état de cause, les éléments du dossier relatifs aux liens économiques et organisationnels entre Conserve Italia et Conserves France démontrent l'absence d'autonomie de la filiale envers sa société mère », et exposé ces éléments tenant essentiellement à des échanges de courriels entre des organes dirigeants des deux sociétés sur la stratégie commerciale de Conserves France.

410.Ainsi, ce n'est qu'à titre surabondant, comme en atteste l'utilisation du terme « en tout état de cause » en introduction du paragraphe 577, et comme l'avaient fait les services de l'instruction au stade du rapport, que l'Autorité a exposé les éléments permettant, selon elle, d'exclure l'autonomie de Conserves France à l'égard de Conserve Italia.

411.L'Autorité n'a donc pas appliqué de manière cumulative le critère de la détention capitalistique et celui de l'exercice effectif d'une influence déterminante mais, ainsi qu'elle le souligne dans ses observations, elle a appliqué alternativement et successivement ces deux critères, comme au demeurant l'a compris Conserve Italia ainsi qu'en attestent les écritures de cette dernière (paragraphes 74, 82 et 83).
412.Le moyen, qui manque en fait, est écarté.

413.En troisième lieu, il résulte de la jurisprudence précitée qu'une société mère qui détient 100 % du capital d'une société interposée qui possède à son tour la totalité du capital d'une filiale de son groupe, auteur d'une infraction aux règles de la concurrence, est présumée exercer une influence déterminante sur la société interposée et, indirectement, par l'intermédiaire de cette dernière, sur ladite filiale. C'est parce que la société interposée est sous l'influence déterminante de la mère, que cette influence déterminante s'exerce par son intermédiaire sur la filiale et que ces sociétés forment ainsi une même entreprise au sens du droit de la concurrence.

414.Il s'en déduit que, contrairement à ce que soutiennent BSA, Groupe Lactalis et Vergers de Chateaubourg, la circonstance que la responsabilité tant de la société mère (BSA) que des sociétés interposées (Groupe Lactalis, et Vergers de Chateaubourg) soit recherchée en application de la présomption d'influence déterminante précitée, ne conduit pas à considérer que Délis SA est soumise à une pluralité d'influences déterminantes, mais uniquement que cette dernière est soumise à l'influence déterminante de Vergers de Chateaubourg, tandis que BSA exerce une influence déterminante sur Groupe Lactalis, qui exerce à son tour une influence déterminante sur Vergers de Chateaubourg, ce dont il résulte que BSA et Groupe Lactalis exercent, indirectement, par l'intermédiaire de société(s) interposée(s), une influence déterminante sur Délis SA.

415.En quatrième lieu, si l'éloignement géographique des sièges sociaux respectifs d'une société mère et de sa filiale peut constituer un élément d'appréciation de l'autonomie de cette dernière, il ne peut suffire à lui seul à caractériser cette autonomie, contrairement à ce que soutient Groupe Lactalis, et partant, il ne peut renverser la présomption simple d'influence déterminante, étant observé que, dans sa décision no 08-D-30 du 4 décembre 2008, le Conseil de la concurrence ne s'est pas uniquement fondé sur ce critère géographique pour retenir l'autonomie des filiales à l'égard de leur société mère mais a également retenu « le caractère trop global du contrôle hiérarchique » pour en déduire qu'il ne pouvait limiter l'autonomie de la filiale (paragraphes 501).

416.En dernier lieu, le moyen pris de la violation du principe d'égalité de traitement du fait de l'absence de mise en cause de LBO, est inopérant pour les mêmes motifs que ceux déjà exposés au paragraphe 69 du présent arrêt, et doit donc être écarté.

417.Ainsi, compte tenu des liens capitalistiques unissant les sociétés BSA, Groupe Lactalis, Vergers de Chateaubourg et Délis SA, rappelés au paragraphe 403 du présent arrêt, c'est à juste titre que l'Autorité a appliqué aux trois premières la présomption d'influence déterminante, exercée directement ou indirectement par l'intermédiaire d'une société interposée, afin de leur imputer les pratiques commises par la dernière.

2. L'imputabilité des pratiques à Conserve Italia

418.Conserve Italia conteste, en premier lieu, l'application de la présomption d'influence déterminante. Elle soutient que l'Autorité s'est pour la première fois écartée de la pratique décisionnelle en considérant que la détention de 91,8 % à 92,4 % du capital équivalait à la détention de la quasi-totalité du capital d'une société, alors qu'aucune des autorités tant françaises qu'européennes n'avaient retenu la présomption d'influence déterminante en deçà d'une détention de capital de 97,55 % ou 95 %. Elle souligne la décision du TUE, invoquée par l'Autorité dans ses observations, aux termes de laquelle la présomption a été appliquée sur la base d'une détention de 93 % du capital n'est pas transposable dès lors que dans l'espèce soumise au TUE, la société mère a détenu 100 % du capital social de sa filiale pendant la majeure partie de la durée des pratiques (environ 6 années sur les 8 années au total) et ce n'est qu'à la fin des pratiques que la détention est tombée non pas à 93 % comme le soutient l'Autorité mais à 93,864 %, soit un seuil plus proche de 94 % que de 93 %. Conserve Italia ajoute que, dans une décision récente (Goldman Sachs Group Inc. Contre Commission du 21 janvier 2021), la CJUE a constaté qu'il n'était pas possible de considérer qu'une société mère détenant 91,1 % du capital de sa filiale détenait la « quasi-totalité » de son capital et n'a validé la sanction infligée à la société mère que dans la mesure où la Commission avait finalement pu établir la preuve de l'exercice d'une influence déterminante de la société mère sur la filiale sur la base du constat que celle-ci détenait la totalité des droits de vote de la filiale.

419.Elle soutient que l'extension de la présomption d'influence déterminante par un abaissement inédit du seuil de détention méconnaît la présomption d'innocence, le principe de prévisibilité et de légalité des peines.

420.Conserve Italia fait valoir, en second lieu, qu'aucun des éléments retenus par l'Autorité dans la décision ne permet d'établir l'exercice effectif d'une influence déterminante sur sa filiale Conserves France.

421.L'Autorité répond, en premier lieu, que ni la jurisprudence européenne, ni la jurisprudence française n'ont fixé de seuil de détention capitalistique en deçà duquel une société mère ne peut être présumée exercer une influence déterminante sur sa filiale. Elle souligne qu'une société mère peut être regardée comme détenant la quasi-totalité du capital de sa filiale lorsqu'elle détient 90 % ou plus de ce capital. Dans une telle hypothèse, compte tenu d'un tel niveau de participation, il paraît en effet cohérent de présumer, mutatis mutandis, que la société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale auteure des pratiques, laquelle ne détermine pas son comportement de façon autonome sur le marché, au sens de la jurisprudence de la CJUE ( 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a, C-97/08, point 58) et cette dernière ayant déjà appliqué la présomption à une mère détenant 93 % du capital de sa filiale, soit un niveau de détention très proche de celui de Conserve Italia sur Conserves France.

422.Elle soutient, en second lieu, que les éléments retenus dans la décision caractérisent l'absence d'autonomie de Conserves France à l'égard de Conserve Italia.

423.Le ministre chargé de l'économie considère que le niveau de détention du capital de Conserves France par Conserve Italia (91,83 % à 92,47 % pendant la période des pratiques) n'est pas de nature à écarter la présomption d'influence déterminante et que la décision démontre en outre par une série d'éléments l'absence d'autonomie de la filiale par rapport à la société mère.

424.Le ministère public partage cette analyse.

Sur ce, la Cour,

425.Ni la jurisprudence interne, ni celle de l'Union n'a fixé de seuil ou fourchette de niveau de détention de capital permettant d'appliquer à la société mère la présomption d'influence déterminante sur sa filiale.

426.En effet, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence citée au paragraphe 401 du présent arrêt, ce n'est pas la simple détention de la totalité ou de la quasi-totalité du capital de la filiale en elle-même qui fonde la présomption de l'exercice effectif d'une influence déterminante, mais le degré de contrôle de la société mère sur sa filiale que cette détention implique.

427.Il ne s'agit donc pas de savoir si le niveau de détention par une société mère du capital social de sa filiale peut être qualifié ou non de « quasi-total » mais si sa participation dans ce capital est d'un niveau tel qu'il est de nature à lui conférer un degré de contrôle excluant l'autonomie de cette dernière sur le marché.

428.Sur ce point, contrairement à ce que soutient Conserve Italia au paragraphe 146 de ses écritures, la CJUE n'a pas jugé que la détention de 91 % du capital social était insuffisante pour faire jouer la présomption d'exercice d'une influence déterminante (CJUE, 27 janvier 2021, Goldman Sachs Group Inc., C-595/18).

429.En effet, la CJUE indique, au point 34 de cet arrêt :

« Certes, il est constant que la requérante ne détenait pas, pendant la période antérieure à l'OPI, la totalité du capital de Prysmian, la participation des fonds GSCP V au capital de Prysmian s'élevant [?] pendant cette période, et à l'exception des 41 premiers jours, tout d'abord, à environ 91 %, puis à environ 84 %. Il est également constant que, dans la décision litigieuse, la Commission n'a pas considéré que cette participation signifiait que la requérante avait détenu la presque totalité du capital de Prysmian. ».

430.Il résulte de ces motifs, que la CJUE s'est bornée à constater, d'abord, que la société mère ne détenait pas la totalité du capital de sa filiale puisque cette détention avait été de 91 % à 84 %, et partant, non de 100 % ; et ensuite, que la Commission n'avait pas tiré de conséquence particulière de ce niveau de détention pour préciser s'il équivalait ou non à une quasi-totalité du capital. Il ne saurait être déduit de ce dernier constat que la Commission, et à sa suite la CJUE, aient expressément exclu qu'une détention de 91 % puisse être qualifiée de détention de la quasi-totalité du capital et ce quelles que soient les circonstances de l'espèce.

431.En outre, contrairement à ce que soutient Conserve Italia, la jurisprudence a déjà admis l'application de la présomption d'exercice d'une influence déterminante d'une société mère sur sa filiale à raison d'une participation inférieure à 95 %. Ainsi, dans sa décision du 11 juillet 2019 (CCPL e.a, T-522/15, points 87 et suivants) , écartant le grief d'une société mère qui faisait valoir qu'elle n'avait pas détenu une participation de 100 % dans le capital de sa filiale pendant toute la durée de l'infraction (sa participation ayant baissé à 93,864 % les deux dernières années de la période infractionnelle) le Tribunal de l'Union a approuvé la Commission d'avoir estimé qu'une participation de 93,864 % était suffisante pour présumer qu'une société mère exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale en rappelant « que la société mère qui détient la quasi-totalité du capital de sa filiale se trouve, en principe, dans une situation analogue à celle d'un propriétaire exclusif, en ce qui concerne son pouvoir d'exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, eu égard aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui l'unissent avec ladite filiale » et que par conséquent, la Commission était « en droit d'appliquer à cette situation le même régime probatoire, à savoir recourir à la présomption que ladite société mère fait un usage effectif de son pouvoir d'exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. ».

432.En l'espèce, la Cour considère que la détention par Conserves Italie de 92 % du capital de sa filiale Conserves France implique un degré de contrôle qui permet de présumer qu'elle détermine la stratégie économique et commerciale de sa filiale, étant observé que Conserve Italia, qui se borne à soutenir qu'une détention de 92 % du capital social n'équivaut pas à une détention de la quasi-totalité du capital, n'invoque ni ne produit d'élément permettant de remettre en cause cette présomption d'exercice d'influence déterminante.

433.C'est donc à juste titre que l'Autorité a appliqué à Conserve Italia une présomption d'exercice d'influence déterminante sur sa filiale.

434.Que ce faisant, l'Autorité n'a pas méconnu le principe de légalité des délits et des peines. En effet, la jurisprudence telle que rappelée au paragraphe 401 du présent arrêt est suffisamment claire et précise pour permettre à Conserve Italia d'envisager que la présomption d'exercice d'influence déterminante était susceptible de lui être appliquée à raison de sa participation à hauteur de 92 % du capital social de sa filiale et partant, que sa responsabilité était susceptible d'être engagée.

435.L'Autorité n'a pas davantage méconnu la présomption d'innocence dès lors que la présomption d'exercice d'influence déterminante n'a pas un caractère absolu, mais est réfragable afin précisément de ménager un équilibre entre, d'une part, l'objectif consistant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et à en prévenir le renouvellement ainsi que, d'autre part, les exigences de certains principes généraux du droit de l'Union tels que, notamment, les principes de présomption d'innocence, de personnalité des peines et de sécurité juridique.

III. SUR LES SANCTIONS

436.Aux termes de l'article L.464-2, I, du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.

437.Toutes les entreprises en cause contestent le montant de la sanction qui leur a été infligée en reprochant notamment à l'Autorité d'avoir fait une mauvaise application de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « le communiqué sanctions »). Andros soulève, avant tout débat au fond, l'illégalité des points 33 et 37 de ce communiqué.

438.S'il est constant que la Cour n'est pas liée par ce communiqué, il lui appartient néanmoins de vérifier que l'Autorité a respecté les règles qu'elle s'est elle-même fixée dans ce dernier sauf à ce qu'elle explique les raisons particulières pour lesquelles elle s'en est écartée conformément au point 7 de ce communiqué.

A. Sur l'exception d'illégalité des points 33 et 37 du communiqué sanctions

439.Andros demande à la Cour de constater, ou faire constater par la juridiction administrative compétente, l'illégalité des points 33 et 37 du communiqué sanctions, en ce qu'ils prévoient que, par principe, l'Autorité doit retenir « le dernier exercice comptable complet de participation [à l'infraction] » comme référence pour la valeur des ventes servant à la détermination de l'assiette du montant de base (point 33), et que ce n'est que si l'Autorité estime qu'il ne constitue manifestement pas une référence représentative, qu'elle peut retenir un exercice qu'elle considère plus approprié ou une moyenne d'exercices, à la condition de motiver ce choix. Andros soutient que le choix du dernier exercice comptable complet de participation à l'infraction est entaché d'une triple illégalité.

440.En premier lieu, elle fait valoir que ce choix méconnait les critères de la détermination de la sanction posés par l'article L.464-2 du code de commerce que sont la gravité des faits reprochés, l'importance du dommage causé à l'économie, la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et une éventuelle réitération des pratiques. Selon Andros, si ces critères justifient que l'Autorité calcule le « montant de base » de ses sanctions en appliquant un pourcentage déterminé à la valeur des ventes « en relation avec l'infraction », ils ne sauraient expliquer que cette valeur des ventes soit par principe choisie par référence à la dernière année de participation complète à l'infraction, règle non prévue par l'article L.464-2 du code de commerce, purement arbitraire et sans rapport avec les critères précités. En édictant une telle règle, à laquelle il n'est dérogé que de manière exceptionnelle par l'Autorité dans sa pratique décisionnelle, le communiqué sanctions a ajouté à la loi et c'est cet ajout qui est illégal. Andros ajoute que la seule référence qui aurait pu être choisie par l'Autorité, sans ajouter à la loi (donc méconnaître l'article L.464-2 du code de commerce) aurait été celle de la valeur des ventes médiane, ou moyenne, sur l'ensemble de la période infractionnelle.

441.En deuxième lieu, Andros soutient que les règles et principes énoncés aux points 33 et 37 du communiqué sanctions violent le principe selon lequel les décisions administratives individuelles défavorables doivent toujours être motivées, tel que posé notamment, en matière de décision administrative, à l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration qui prévoit que « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : [?] 2o Infligent une sanction [?] ». Andros souligne que si, dans certains cas, l'adoption de lignes directrices permet, d'exonérer partiellement l'administration de cette obligation, au stade de chaque décision, en motivant « en amont » (au stade des lignes directrices elles-mêmes) le choix des critères retenus, l'administration n'étant alors plus tenue, au stade de chaque décision individuelle, que de motiver son choix éventuel de ne pas appliquer (au cas d'espèce) le critère prévu par les lignes directrices, encore faut-il, dans un tel cas, que le ou les critères retenus dans les lignes directrices soient eux-mêmes motivés, dans ces dernières. Or, selon Andros, le choix de retenir le dernier exercice complet de l'infraction n'est pas motivé dans le communiqué sanctions, lequel exonère ainsi l'Autorité de son obligation de motivation quant au choix de l'année de référence lorsqu'elle prononce une sanction.

442.En troisième et dernier lieu, Andros soutient que le communiqué sanctions méconnaît le principe d'individualisation des peines et des sanctions. Elle fait valoir que les points 33 et 37 dudit communiqué impliquent, sauf cas exceptionnels et dûment motivés, que la dernière année complète de participation à l'infraction soit prise en compte, pour le calcul de la valeur des ventes, sans que l'Autorité n'ait besoin de le justifier. Or, le seul fait de prévoir un critère général et uniforme de détermination du montant des sanctions suffit à violer le principe d'individualisation des peines et des sanctions, indépendamment de la faculté que peut par ailleurs avoir l'Autorité, à titre exceptionnel, de déroger à ce critère.

443.Sur les conditions tenant à l'obligation pour le juge judiciaire de transmettre la question préjudicielle portant sur la légalité d'un acte administratif, Andros expose que le juge judiciaire peut refuser un tel renvoi préjudiciel dans trois hypothèses :

– lorsqu'en application de la théorie de l'acte clair, la question soulevée ne présente aucun caractère sérieux ;

– lorsqu'il apparaît clairement, « au vu d'une jurisprudence établie », que la contestation peut au contraire être accueillie par le juge saisi au principal ;

– lorsque la contestation porte sur la conformité de l'acte réglementaire au droit de l'Union européenne.

444.Andros souligne qu'aucune de ces conditions n'est remplie en l'espèce, et invoque en particulier l'absence de toute décision du Conseil d'État sur la légalité du communiqué sanctions, ce dernier n'ayant jamais été saisi de cette question, de sorte que c'est à tort que l'Autorité prétend que son moyen n'est manifestement pas fondé au regard de la jurisprudence constante du Conseil d'État.

445.L'Autorité répond que les moyens développés par Andros au soutien de son exception d'illégalité ne soulèvent pas de difficulté sérieuse et sont manifestement inopérants ou infondés au regard de la jurisprudence établie du Conseil d'État dont il ressort que des lignes directrices peuvent être écartées en raison de leur illégalité soit parce qu'elles comportent une condition nouvelle par rapport aux disposition légales et règlementaires applicables, soit parce qu'elles violent d'autres principes en vigueur, soit parce qu'elles lient le pouvoir d'appréciation de l'autorité administrative chargée, en l'appliquant, de prendre des décisions individuelles. Elle en déduit que la Cour n'est pas tenue de renvoyer leur examen devant le Conseil d'État et a compétence pour les trancher elle-même.

446.Elle fait valoir, s'agissant de la violation de l'article L.464-2, I du code de commerce, que la référence à la dernière année de participation complète à l'infraction mentionnée au point 33 du communiqué sanctions ne constitue pas un « critère supplémentaire » mais est uniquement destinée à rendre plus transparent le processus d'appréciation des critères légaux que sont la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, cette référence ayant pour but d'expliquer aux entreprises, dans un souci de pédagogie et de transparence, de quelle manière l'Autorité parvient à donner une traduction chiffrée à son appréciation de ces critères. Elle souligne qu'Andros ne démontre ni n'allègue en quoi cette référence serait contraire à l'article L.464-2 du code de commerce et que la circonstance que cette référence serait moins pertinente qu'une autre est sans incidence sur la légalité des points en cause du communiqué sanctions. Elle ajoute que le choix de recourir à la dernière année de participation complète de l'infraction pour déterminer la valeur des ventes servant d'assiette au montant de base n'est pas arbitraire mais s'inspire de celui opéré par la Commission européenne dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 23, § 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (point 13). Enfin, elle fait valoir que conformément au régime juridique qui s'impose aux lignes directrices défini par le Conseil d'État, le point 33 du communiqué sanctions ne lie pas l'Autorité sur la méthode puisque l'Autorité peut s'en affranchir en application tant du point 37, que du point 39, qui attestent de la flexibilité de l'approche suivie par l'Autorité dans son communiqué sanctions.

447.S'agissant de la méconnaissance de l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration, l'Autorité expose que ces dispositions ne sont applicables qu'à des décisions administratives et non à des lignes directrices et qu'elles ne le sont pas aux décisions de sanctions qu'elle adopte dès lors qu'elle est tenue à une obligation prévue par un texte spécial qu'est l'article L.462-4 du code de commerce. En tout état de cause, elle soutient que le point 33 du communiqué sanctions n'a pas pour effet de l'exonérer de son obligation de motiver pour chacune des entreprises concernées, les sanctions qu'elle prononce. Elle ajoute que l'entreprise sanctionnée est en mesure de contester l'application par l'Autorité du point 33 du communiqué sanctions en faisant valoir, le cas échéant, que l'Autorité a méconnu ledit communiqué en refusant d'adapter les modalités de détermination de la valeur des ventes compte tenu des circonstances particulières de l'espèce.

448.S'agissant de la violation du principe d'individualisation des peines et des sanctions, l'Autorité considère qu'un tel moyen est manifestement infondé dès lors que le point 33 de son communiqué ne la lie pas et qu'elle est autorisée, en application du point 37, à retenir une valeur de référence qu'elle estime plus appropriée lorsque le dernier exercice complet de participation à l'infraction ne constitue pas une référence représentative de la valeur des ventes.

449.Le ministre chargé de l'économie constate qu'en répondant aux arguments avancés par Andros critiquant la méthode de calcul retenue, l'Autorité a motivé à suffisance de droit (paragraphes 616 et 617) de ne pas déroger aux dispositions prévues par les points 33 et 37 du communiqué sanction. En particulier faute d'irrégularités constatées dans la valeur des ventes sur les exercices, il était justifié de retenir la valeur des ventes de l'exercice 2013 d'Andros comme montant de base de la sanction. S'agissant des dispositions de l'article L.211-2 du Code des Relations entre le Public et l'Administration, ces dispositions ne s'appliquent pas en droit de la concurrence où ce sont les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense dans le cadre d'un procès équitable qui gouvernent la procédure mise en oeuvre. Le ministre considère ainsi que l'exception d'illégalité soulevée par la société Andros est sans fondement et devra être rejetée.

450.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

451.L'article 49 du code de procédure civile dispose :

« Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre 1er du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle. ».

452.Il résulte de la jurisprudence du Tribunal des conflits qu'en présence d'une contestation de la légalité d'un acte administratif, le juge judiciaire peut trancher cette contestation lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation est ou n'est pas fondée (TC, 17 octobre 2011, pourvoi no 11-03.808, Bull. 2011, T. conflits, no 25 ; TC, 12 décembre 2011, pourvoi no 11-03.841, Bull. 2011, T. conflits, no 38 ; TC, 16 juin 2014, pourvoi no 14-03.953, Bull. 2014, T. conflits, no 7 ; TC, 3 juillet 2017, pourvoi no 17-04.091, Bull. 2017, T. conflits, no 8). Contrairement à ce que semble suggérer Andros, la condition relative à l'existence d'une jurisprudence établie ne requiert pas que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité de l'acte administratif critiqué, mais renvoie à l'existence d'un cadre jurisprudentiel stable et aisément applicable aux circonstances de l'espèce.

453.En l'espèce, la solution du litige, lequel porte sur la proportionnalité de la sanction infligée par l'Autorité à Andros pour avoir enfreint la prohibition édictée à l'article 101 du TFUE, dépend notamment de la question de la légalité du communiqué sanctions que l'Autorité a appliqué pour déterminer le montant de la sanction litigieuse. En effet, si la Cour, saisie d'un recours contre une décision de l'Autorité, doit vérifier que la sanction infligée par cette dernière a été prononcée conformément aux règles définies par la loi, elle est également tenue, lorsqu'elle en est requise, de s'assurer préalablement que l'Autorité a respecté le communiqué sanctions qui s'impose à elle.

454.Dans ce communiqué, l'Autorité décrit la méthode qu'elle suit pour mettre en oeuvre les critères de détermination de la sanction fixés par l'article L.464-2 du code de commerce tenant à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient, et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par les règles de concurrence. Ce communiqué constitue ainsi ce qui était alors communément appelé une directive ou une instruction au sens du droit administratif, et désormais désigné sous le vocable de lignes directrices.

455.Au fil de sa jurisprudence, telle qu'elle résulte des arrêts invoqués par l'Autorité, le Conseil d'État a dégagé des critères d'appréciation de la légalité des lignes directrices. Il en ressort que si les autorités administratives sont libres d'encadrer leur action, dans le but d'en assurer la cohérence, par des lignes directrices, celles-ci pourront être écartées si elles ajoutent à la loi, si elles violent d'autres principes en vigueur ou si elles lient le pouvoir d'appréciation de l'autorité administrative chargée de prendre des décisions individuelles.

456.Ces critères, issus d'une jurisprudence stable, sont aisément applicables en l'espèce, étant constaté qu'Andros les met elle-même en oeuvre au soutien de son exception d'illégalité en soutenant que les points 33 et 37 ajoutent à la loi et violent l'obligation de motivation et le principe d'individualisation de la sanction.

457.Le point 33 de ce communiqué prévoit que :

« La référence prise par l'Autorité pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci, sous réserve du point 37 ci-dessous. [?] ».

458.Le point 37 précise quant à lui que :

« Dans les cas où elle considère que le dernier exercice comptable complet de participation à l'infraction ne constitue manifestement pas une référence représentative, l'Autorité retient un exercice qu'elle estime plus approprié ou une moyenne d'exercices, en motivant ce choix ».

459.Par le point 33, l'Autorité se borne à préciser la valeur de référence qui lui servira d'assiette pour donner une traduction chiffrée de son appréciation de deux des critères énoncés à l'article L.464-2 du code du commerce que sont la gravité des faits et le dommage à l'économie causé par les pratiques. Ce faisant, l'Autorité n'a pas ajouté un critère supplémentaire ni choisi une référence sans rapport avec les critères légaux mais s'est limitée à expliquer les modalités de calcul de l'assiette du montant de base et rendre ainsi plus transparent le processus de détermination du montant de la sanction, et ce conformément aux objectifs qu'elle s'est fixés en adoptant le communiqué sanctions, objectifs rappelés au point 14 de ce communiqué.

460.En outre, en prévoyant, au point 37 du communiqué sanctions, la possibilité de recourir à une autre valeur de référence que celle prévue au point 33, l'Autorité s'est ménagée la faculté d'adapter sa méthode d'évaluation de la sanction aux circonstances de chaque espèce, de sorte que contrairement à ce que soutient Andros, le communiqué ne lie pas son pouvoir d'appréciation dans l'adoption de ses décisions de sanctions, et ne méconnaît pas le principe de l'individualisation qui les gouverne.

461.Enfin, l'obligation de motivation des décisions administratives individuelles énoncée à l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration et déclinée à l'article L.464-2 du code de commerce, impose à l'autorité administrative d'indiquer les éléments de fait et de droit qui constituent le fondement de sa décision afin de permettre à son destinataire, à qui la décision fait grief, de comprendre les considérations qui la justifient. Une telle obligation requiert ainsi de l'Autorité, s'agissant de la détermination de la sanction de pratiques anticoncurrentielles, qu'elle expose les critères légaux et ceux qu'elle s'est fixés dans le communiqué sanctions puis les éléments factuels qu'elle retient pour justifier le montant de la sanction qu'elle décide d'infliger, en application de ces critères, à l'auteur des pratiques. Mais une telle obligation ne requiert pas de l'Autorité de motiver son choix de retenir, comme valeur de référence, le dernier exercice complet de participation à l'infraction, lequel ne constitue pas, par principe, un élément défavorable à l'entreprise et présente en lui-même un lien avec l'infraction en cause. En outre, l'entreprise a la faculté de faire valoir, lors de la phase contradictoire de l'instruction menée par les services de l'Autorité, que cette valeur de référence n'est pas appropriée et d'invoquer la mise en oeuvre d'une autre valeur de référence en application du point 37 du communiqué sanctions, faculté qu'au demeurant Andros a exercée dans ses observations déposées en réponse au rapport en soutenant que l'exercice retenu n'était pas représentatif compte tenu de l'évolution significative de son chiffre d'affaires pendant la période infractionnelle.

462.Il résulte de ces développements que l'exception d'illégalité est manifestement infondée. Dès lors, il convient de la rejeter, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer en saisissant le juge administratif d'une question préjudicielle sur la légalité des points 33 et 37 du communiqué sanctions.

B. Sur la valeur des ventes

463.Dans la décision attaquée, l'Autorité a fait application des principes énoncés aux points 23, 33, 34 et 35 du communiqué sanctions, et retenu, comme valeur de référence pour déterminer l'assiette du montant de base de la sanction de chaque entreprise mise en cause, la valeur de leurs ventes des fruits transformés en coupelle et en gourde sur le marché des MDD et de la RHF au cours de l'exercice 2013, dernier exercice complet de leur participation à l'infraction.

464.La Cour a réformé la décision attaquée sur la date de fin de participation de Délis, Charles Faraud, Conserves France et Valade en retenant le 22 novembre 2013, et celle d'Andros en retenant le 28 juillet 2013.

465.Elle considère qu'il est approprié de faire application du communiqué sanctions et, de retenir comme valeur des ventes de référence, celle du dernier exercice complet de participation à l'infraction, soit l'exercice 2013 pour la sanction à infliger à Materne, et celui de 2012 pour les sanctions devant être infligées aux autres entreprises mises en cause.

466.Les contestations d'Andros et de Délis portant sur le choix de l'Autorité de retenir l'année 2013 comme l'exercice de référence pour la valeur des ventes deviennent dès lors sans objet.

467.La Cour n'examinera donc que les contestations portant sur le périmètre de la valeur des ventes formulées par Délis, Andros, Materne et Valade.

468.Ces contestations seront examinées à l'aune des points 23 et 33 du communiqué sanctions selon lesquels :

– « Pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retient comme montant de base de la sanction pécuniaire, une proportion de la valeur des ventes, réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause, de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause » (point 23) ;

– « La référence prise par l'Autorité pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci, sous réserve du point 37 ci-dessous. La qualification de l'infraction ou des infractions effectuée par l'Autorité, au regard de leur objet ou de leurs effets anticoncurrentiels, détermine ces catégories de produits ou de services. » (point 33).

Sur la valeur des ventes de Délis SA

469.Délis SA soutient, que la valeur des ventes n'aurait pas dû inclure celles réalisées sur le segment de la RHF, dès lors qu'elle s'est désengagée de ce secteur à compter de 2012, ce que l'Autorité a reconnu au § 36 de la décision attaquée ; que les ventes retenues correspondaient à des contrats en cours résiduels.

470.L'Autorité répond que si elle a effectivement constaté que Délis SA s'était progressivement désengagée du segment RHF à partir de 2012 (paragraphe 36 de la décision attaquée), elle n'a pas pour autant considéré qu'elle était absente de ce marché pendant la durée des pratiques en cause.

471.Le ministre chargé de l'économie considère que le choix d'inclure les ventes réalisées sur le secteur de la RHF est justifié.

472.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.

Sur ce la Cour,

473.Si l'Autorité a constaté que Délis SA s'était progressivement désengagée du secteur de la RHF à compter de 2012, le tableau récapitulant les valeurs des ventes en 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014, fourni par Délis, montre une évolution à la hausse de son chiffre d'affaires sur le secteur de RHF jusqu'en 2012 inclus, puis à la baisse en 2013 (cote 14550).

474.Il s'ensuit que Délis SA a continué à réaliser un chiffre d'affaires sur le secteur de la RHF en 2012 et que les ventes enregistrées au cours de cet exercice correspondent à des contrats conclus alors que Délis SA avait participé à des échanges anticoncurrentiels tant sur les MDD que sur la RHF.

475.Il n'y a donc pas lieu d'écarter ces ventes, qui sont en lien avec l'infraction au sens du communiqué sanctions.
476.La valeur des ventes au cours de l'exercice de référence s'établit à 14 576 908 euros (cote 14 549).

Sur la valeur des ventes de Valade

477.Valade soutient que la décision attaquée n'a pas démontré à suffisance que les pratiques en cause ont porté sur le secteur de la RHF de sorte que doivent être écartées les ventes qu'elle a réalisées sur ce secteur et que la valeur des ventes doit s'établir à 6 341 427 euros.

478.L'Autorité, le ministre chargé de l'économie ainsi que le ministère public invitent la Cour à rejeter ce moyen.

Sur ce, la Cour,

479.Il a été établi que les pratiques constitutives d'une entente unique ont concerné tant le secteur de la GMS que celui de la RHF et que Valade a participé à cette entente. Les ventes qu'elle a réalisées sur ces deux segments sont donc en lien avec l'infraction au sens du communiqué sanctions.

480.Il y a donc lieu de retenir les valeurs des ventes réalisées par cette entreprise en 2012 sur les deux secteurs, soit 11 014 396 euros (cote 14 542).

Sur les valeurs des ventes d'Andros

481.Andros soutient que, conformément à sa pratique décisionnelle, l'Autorité n'aurait pas dû prendre en compte son chiffre réalisé dans le cadre de contrats de commission, s'agissant de ventes réalisées pour le compte de sa filiale belge Materne Confilux à qui elle en reverse intégralement le produit, déduction faite de sa commission, ainsi qu'en attestent, selon elle, les pièces qu'elle verse aux débats en réplique aux observations de l'Autorité qui lui reproche de ne pas justifier de la réalité juridique, opérationnelle et économique de sa situation de commissionnaire.

482.L'Autorité répond que le grief notifié vise bien Andros en sa qualité d'acteur sur les marchés de la MDD et de la RHF, et non en tant que simple « commissionnaire », de sorte que la requérante ne peut utilement arguer se trouver dans une situation analogue à celle des entreprises auxquelles l'Autorité avait reconnu ce statut dans les espèces citées par Andros. Elle ajoute que cette dernière ne conteste pas le constat fait dans la décision attaquée selon lequel c'est bien un chiffre d'affaires qui est enregistré, ce qui signifie que l'entité française est propriétaire du bien et donc libre de décider sa politique tarifaire.

Sur ce, la Cour,

483.Il résulte des pièces produites par Andros que cette dernière a réalisé au cours de la période infractionnelle des ventes au profit d'une enseigne de la GMS au nom de sa filiale Materne Confilux, qui n'est pas mise en cause, et que si les produits de ces ventes ont été comptabilisés dans le chiffre d'affaires d'Andros, ils ont été restitués à la filiale, déduction faite d'une commission comme en attestent les factures établies par Materne Confilux et versées aux débats. Il est donc établi qu'Andros a réalisé les ventes litigieuses en qualité d'intermédiaire.

484.La valeur des ventes, qui sert d'assiette du montant de base, doit refléter le poids relatif de l'entreprise ayant participé à l'infraction sur le secteur en cause, de sorte que doivent être écartés de cette valeur les produits des ventes réalisées uniquement en tant qu'intermédiaire.

485.La valeur des ventes rectifiée, au titre de l'exercice 2012, s'établit à 27 936 000 euros (cote 13261).
Sur la valeur des ventes de Materne

486.Materne soutient que le montant de la valeur des ventes retenues sur le segment de la RHF ne correspond pas à des ventes faites à des distributeurs grossistes en réponse à des appels d'offres lancés par ces derniers mais résultent, pour l'essentiel, d'un contrat conclu directement avec un acteur de la RHF, les restaurants McDonald's, par l'intermédiaire d'une société LR Services, en qualité de commissionnaire à l'achat pour McDonald's dont elle gère tous les flux d'approvisionnement, le service achat McDonald's conservant quant à lui la responsabilité de la sélection des fournisseurs et de la négociation tarifaire. Elle souligne que ce contrat se distinguait de ceux habituellement conclus dans le secteur de la RHF en raison de la place centrale de la marque Pom'Potes dans l'accord intervenu avec McDonald's, accord relevant en réalité d'un partenariat entre marques qui a débuté dès 2003, bien avant le début des pratiques et s'est achevé au premier semestre 2013. Les ventes ainsi réalisées auprès de McDonald's n'ont pas été affectées par les pratiques reprochées, le contrat conclu avec ce dernier n'ayant pas pu, par sa nature même, faire l'objet d'aucune discussion sur les prix ni d'aucune répartition de marché entre les entreprises mises en cause. Elle en déduit que la valeur de ventes en lien avec l'infraction n'est pas de 36 411 000 euros mais de 33 577 883, déduction faite du montant du chiffre d'affaire réalisés avec ce client direct (2 833 117 euros).

487.L'Autorité répond que les ventes en cause sont bien destinées au secteur de la RHF et qu'il ressort des pièces produites par Materne, en particulier du contrat de référencement unissant Materne à McDonald's France Services (production de Materne no 9), et du rappel préalable qui y figure en page 2 et de ses articles 1, 2 et 3.1, que les compotes Pom'Potes ne sont pas vendues directement à McDonald's mais à un distributeur nommé LRServices, lequel est ensuite chargé de les distribuer aux différents restaurants qui les lui commandent. Elle en déduit que les ventes des compotes Materne au distributeur LRServices destinées à McDonald's entrent bien dans le champ du grief notifié.

Sur ce, la Cour,

488.Aux termes des points 23 et 33 du communiqué sanctions, l'Autorité retient la valeur des ventes des produits et services en relation avec l'infraction.

489.En l'espèce, l'infraction sanctionnée consiste en une entente unique et continue visant, sur le marché français des fruits transformés cuits commercialisés en coupelles et en gourdes vendus à la grande distribution sous MDD et aux distributeurs de la RHF, à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes.

490.S'agissant du segment de la RHF, tant la notification des griefs que la décision attaquée visent des pratiques de manipulation de prix et répartition de volumes et de clients commises auprès de distributeurs spécialisés et non auprès des utilisateurs finaux. Il n'est pas évoqué des pratiques commises en réponse à des appels d'offres lancés directement par ces utilisateurs finaux ou à l'occasion de négociation de gré à gré directement menée avec ces derniers. Au demeurant, la notification des griefs n'évoque pas dans son analyse de ce secteur le mode d'approvisionnement direct du client utilisateur par le producteur de compotes.

491.Il s'en déduit que seules des ventes réalisées auprès des distributeurs spécialisés de la RHF sont en relation avec l'infraction, au sens du communiqué sanctions, et peuvent ainsi constituer une valeur de référence.

492.L'Autorité ne pouvait donc inclure la valeur des ventes réalisées par Materne en exécution d'un contrat de partenariat conclu avec McDonald's France Services en vue d'approvisionner les restaurants McDonald's implantés notamment en France.

493.En effet, il résulte des termes de ce contrat, conclu en 2003, que les parties se sont engagées dans une relation d'exclusivité portant sur le produit de marque Pom'Potes de Materne, cette dernière s'engageant à ne pas fournir ce produit aux concurrents de McDonalds dans le secteur de la restauration rapide, et McDonald's France Services, qui référence les fournisseurs répondant aux normes du système McDonald's et les recommande aux exploitants des restaurants à enseigne McDonald's, s'engageant à ne passer aucun accord similaire avec d'autres fabricants de compotes.

494.La circonstance que les ventes réalisées par Materne en exécution de ce contrat se faisaient par l'intermédiaire d'un distributeur, la société LRServices, lequel revendait les compotes Pom'Potes aux restaurants lui en ayant passé commande, est inopérante dès lors que ce distributeur n'achète qu'auprès de fournisseurs référencés par McDonald's et qu'en exécution de la clause d'exclusivité liant les parties, seules les compotes de la marque Pom'Potes étaient référencées.

495.Ainsi, les ventes réalisées auprès de ce distributeur en exécution du contrat liant Materne à McDonald's n'entrent pas dans le champ du grief notifié et des pratiques sanctionnées.

496.Il convient donc d'exclure de la valeur des ventes celles réalisées en exécution du contrat de partenariat avec McDonald's France Service.

497.Au regard des éléments fournis par Materne, la valeur des ventes (2013) rectifiée s'établit donc à 33 577 883 euros.

CONCLUSIF -VALEUR DES VENTES

Entreprise Année de référence Valeur des ventes
Materne 2013 33 577 883 euros
Andros 2012 27 936 000 euros
Delis 2012 14 576 908 euros
Charles Faraud* 2012 60 880 045 euros
Valade 2012 11 014 396 euros
Conserves France 2012* 7 031 507 euros
*Conserves France, exercice comptable juin 2012/juin2013, cotes 12 926 à 12 928 ; Charles Faraud, cotes 13589 et 13 591

C. Sur la gravité des pratiques et l'ampleur du dommage à l'économie

498.Dans la décision attaquée (§ 626, 668 et 670), l'Autorité a considéré que l'infraction en cause était particulièrement grave et avait causé un dommage à l'économie certain mais limité. Elle a déduit de ces appréciations qu'il y avait lieu, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises mises en cause, de fixer à 16 % la proportion de la valeur de leurs ventes de produits de fruits transformés en coupelle et en gourdes sous MDD et à la RHF.

Sur la gravité des pratiques

499.Dans la décision attaquée, l'Autorité, après avoir rappelé qu'il a été établi que les entreprises mises en cause ont toutes participé à une infraction unique et continue visant à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes dans le secteur des fruits transformés cuits, commercialisés en coupelles et en gourdes vendus à la grande distribution sous MDD et aux distributeurs de la RHF sur le territoire français, a considéré que cette infraction, constituée d'accords horizontaux secrets qui sont par nature « les plus graves du droit de la concurrence comme l'indique le point 41 du communiqué sanctions », était particulièrement grave.

500.Elle a écarté les arguments des entreprises en cause tenant au fonctionnement du secteur marqué notamment par la puissance de négociation des distributeurs, au motif que cet élément était sans incidence sur l'appréciation de la gravité, et elle a considéré que les parties en cause ne pouvaient utilement se prévaloir du fait que l'infraction n'aurait pas concerné des personnes vulnérables pour tenter d'en minorer la portée.

501.Materne, Délis, Valade et Conserves France font valoir que les pratiques reprochées constituent tout au plus des échanges d'informations qui éparses, particulièrement imprécises, souvent fausses et/ou publiques et passées qui ne permettaient pas, au regard de la description, faite par le demandeur de clémence, de la procédure de négociation avec les distributeurs impliquant des échanges réguliers entre tous les intervenants, de servir de base à la fixation des prix ou à une quelconque répartition de marché, et encore moins à la mise en oeuvre d'une concertation couvrant tous les prix offerts à tous les clients.

502.Materne, Valade, Conserves France soulignent que les pratiques n'ont pas donné lieu à un mécanisme de surveillance ou de représailles. Materne ajoute que l'absence de transparence des appels d'offres ? les fournisseurs n'ont pas accès aux prix proposés par leurs concurrents en réponse aux appels d'offres MDD qui se font sous plis scellés ? rend impossible la mise en place d'un tel mécanisme.

503.Délis considère que le caractère secret des pratiques retenu par l'Autorité doit être relativisé dès lors que la majorité des entreprise mises en cause n'avaient pas de « téléphones secrets ».

504.Materne, Délis et Andros soutiennent encore que c'est à tort que l'Autorité, pour apprécier la gravité de l'infraction, a refusé de prendre en compte les personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques alors qu'elle était tenue de le faire en application du point 26 du communiqué sanctions. Elles soulignent qu'en l'espèce les pratiques en cause n'ont pas affecté des petites ou moyennes entreprises ou encore des consommateurs vulnérables mais des enseignes de la grande distribution et d'importants acteurs de la RHF disposant chacun d'un fort pouvoir de marché et de négociation de nature à atténuer la gravité des pratiques.

505.Charles Faraud soutient que les pratiques ont un faible degré d'intensité - faible fréquence des échanges, très faible suivi a posteriori des échanges- et qu'aucun mécanisme de représailles n'a été évoqué dans la décision attaquée. Elle souligne que la fréquence des échanges n'est pas à la hauteur de ce qu'aurait exigé un marché aussi volatil que celui des compotes dans lequel les discussions fournisseurs/distributeur sur des sujets tarifaires sont très fréquentes et que ce constat est renforcé pour elle en l'absence de participation de sa part aux échanges entre novembre 2011 et juillet 2013. Elle ajoute que les pratiques sont caractérisées par l'absence de discipline commune et de parallélisme de comportements ? il n'a pas été relevé d'envois coordonnés de hausse tarifaires reflétant des échanges entre fournisseurs ? et que les échanges, en majorité, se sont limités à diffuser les objectifs de Coroos relayés par Materne sans qu'ils soient suivis d'effets réels. Elle invoque l'existence d'un contexte économique particulièrement difficile mêlé à un rapport de force entre d'une part les distributeurs de la GMS et de la RHF et, d'autre part, les producteurs jouant en défaveur de ces derniers.

506.Materne, Charles Faraud, Délis et Andros font valoir que l'Autorité aurait dû prendre en compte la nature du secteur, marqué par le fort pouvoir des distributeurs en aval mais également par des très fortes contraintes subies en amont par les producteurs du fait de la très forte augmentation du prix des fruits. Andros fait valoir que le silence de l'Autorité sur les particularités du secteur méconnaît tant le point 26 du communiqué sanctions, que sa pratique décisionnelle, résultant notamment de sa décision no 13-D-03 du 13 février 2013 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du porc charcutier, pt. 328, et la jurisprudence de la Cour dégagée dans l'affaire dite des produits laitiers (CA [Localité 30], 23 mai 2017, RG no 2015/08224, pts. 224 à 226), alors que l'Autorité souligne elle-même dans la décision attaquée que les fabricants ont subi des hausses considérables des prix des matières premières et que les pratiques en question ont été motivées par ces hausses.

507.Andros souligne le rôle important que les transformateurs jouent dans l'équilibre général de la filière, en ce que par l'achat massif de fruits devenus impropres à la vente « en frais », ils permettent à la fois d'assurer aux producteurs des débouchés pour la totalité de la production pendante d'un verger, de limiter le gaspillage et réduit la charge financière supportée par l'État dans le versement de subventions visant à compenser les pertes liées à la péremption des fruits en frais. Elle soutient que le rôle ainsi joué par les transformateurs de fruits justifie que la Cour fasse preuve de modération dans son appréciation de la sanction.

508.L'Autorité répond, en premier lieu, que conformément aux points 25 et 26 du communiqué sanctions, la gravité s'apprécie de façon objective, concrète et globale, et au regard de plusieurs critères, dont la nature de l'infraction, des paramètres de concurrence affectés et du secteur concerné et les caractéristiques objectives de l'infraction, lesquels critères ne sont toutefois pas cumulatifs et invoque sur ce point un arrêt de la Cour du 21 décembre 2017 (RG no 16/15499, pt.399). Elle souligne que le critère essentiel pour apprécier la gravité d'une infraction tient à la nature de cette dernière et aux paramètres de concurrence affectés, que les autres critères relatifs, par exemple, à la fragilité des marchés ou aux personnes affectées par les pratiques sont secondaires et sont pris en compte pour majorer la gravité des pratiques mais que leur absence est sans conséquence sur l'appréciation de la gravité de sorte que n'avaient pas à être prise en compte les personnes affectées par les pratiques ou encore le fait qu'il n'existait pas de police des prix ou de mécanismes de surveillance. Elle fait valoir qu'en l'espèce l'appréciation de la gravité de l'infraction est conforme avec la qualification juridique, s'agissant d'une infraction unique et continue constituée d'accords horizontaux secrets sur les prix et sur les volumes et d'échanges d'informations tarifaires ou relatives aux volumes de production et que les parties n'étaient pas fondées à soutenir que les pratiques constituaient de simples échanges d'informations. Elle souligne que ce type de pratiques fait partie des infractions les plus graves aux règles du droit de la concurrence comme le précise le point 41 du communiqué sanctions. Elle fait valoir que l'intensité des pratiques, qui constitue une caractéristique subjective de l'infraction, n'avait pas à être prise en compte au stade de l'appréciation de la gravité mais à celui de l'individualisation de la sanction.

Sur ce, la Cour,

509.Aux termes de l'article 25 du communiqué sanctions, « [l]'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce ».

510.Le point 26 du même communiqué précise :

« Pour apprécier la gravité des faits, l'Autorité tient notamment compte des éléments suivants, en fonction de leur pertinence :

– la nature de l'infraction ou des infractions en cause et des faits retenus pour la ou les caractériser (entente entre concurrents, qui peut elle-même revêtir un degré de gravité différent selon qu'il s'agit, par exemple, d'un cartel de prix ou d'un simple échange d'informations ; entente entre deux acteurs d'une même chaîne verticale, comme une pratique de prix de revente imposés par un fournisseur à des distributeurs; abus de position dominante, qu'il s'agisse d'abus d'éviction ou d'exploitation), ainsi que la nature du ou des paramètres de la concurrence concernés (prix, clientèle, production, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison; ces éléments revêtent une importance centrale dans le cas des pratiques anticoncurrentielles expressément visées par les articles L.420-1 et L.420-2 du code de commerce et 101 et 102 TFUE, en considération de leur gravité intrinsèque ;

– la nature des activités, des secteurs ou des marchés en cause (activité de service public, marché public, secteur ouvert depuis peu à la concurrence, etc.) et, le cas échéant, leur combinaison ;

– la nature des personnes susceptibles d'être affectées (petites et moyennes entreprises [PME], consommateurs vulnérables, etc.), et

– les caractéristiques objectives de l'infraction ou des infractions (caractère secret ou non, degré de sophistication, existence de mécanismes de police ou de mesures de représailles, détournement d'une législation, etc.) ».

511.Il ressort de ces lignes directrices, en premier lieu, que la gravité de l'infraction est appréciée de manière objective et globale, sans considération de la durée ou de l'intensité de la participation de chacune des entreprises en cause aux pratiques constitutives de l'infraction dont il sera tenu compte au stade de la détermination du montant de base, par l'application d'un coefficient de durée (durée de participation), et au stade de l'individualisation de la sanction (intensité de la participation). C'est donc en vain que Charles Faraud invoque son absence de participation aux échanges entre novembre 2011 et juillet 2013 et ce d'autant, qu'elle a participé à des échanges au cours de cette période ainsi qu'il a été vu au paragraphe 256 du présent arrêt.

512.En deuxième lieu, pour apprécier le degré de gravité de l'infraction, l'Autorité n'est pas tenue de mettre en oeuvre de manière cumulative l'ensemble des critères énumérés au point 26, dont la liste n'est pas limitative, mais uniquement ceux qui lui apparaissent pertinents au regard de la nature des faits et des circonstances de l'espèce et qui sont susceptibles, soit d'aggraver les faits, soit de les minorer. En l'espèce, il convient d'écarter l'argument invoqué par les parties tenant au fort pouvoir des distributeurs en aval et aux fortes contraintes subies en amont par les producteurs du fait de l'importante augmentation du prix des fruits. En effet, ces éléments renvoient aux difficultés économiques rencontrées par les entreprises opérant sur le secteur en cause pendant la période infractionnelle. Ces éléments de contexte sont sans incidence sur la gravité des faits. Une interprétation contraire aboutirait à légitimer la violation des principes et règles du droit de la concurrence en cas de difficultés rencontrées par le secteur sur lequel les pratiques se déploient.

513.De même, sera écarté l'argument tenant à la nature des personnes susceptibles d'être affectées par les pratiques, en l'occurrence les distributeurs de la GMS et de la RHF en ce que ces derniers sont dotés d'un fort de pouvoir de négociation. Cet élément ne saurait en l'espèce être de nature à atténuer la gravité objective des pratiques mais doit être pris en compte au stade de l'appréciation du dommage à l'économie et des effets des pratiques, comme l'a fait la décision attaquée et comme le fera la Cour.

514.Enfin, la contribution des transformateurs de fruits à l'équilibre général de la filière ne saurait constituer un facteur de minoration de la gravité des pratiques commises par ces derniers. Le rôle positif joué par un opérateur économique dans une filière à raison de la nature de son activité est en effet sans incidence sur l'appréciation de la gravité du comportement anticoncurrentiel adopté par cet opérateur.

515.Il convient donc d'examiner les arguments tenant à la nature de l'infraction et aux caractéristiques objectives des pratiques.

516.En l'espèce, il résulte des développements consacrés à la matérialité des pratiques et à leur qualification juridique que, loin d'échanger de simples informations sans effet sur le jeu concurrentiel et les mécanismes de marché comme le suggèrent les parties dans leurs écritures, celles-ci ont toute participé à une entente unique et continue constituée d'accords horizontaux sur les prix et les volumes ainsi que d'échanges d'informations tarifaires ou relatives au volume de production, et ce en vue de coordonner leur comportement sur le marché pour faire passer des hausses de prix auprès de leur clients distributeurs de la GMS et de la RHF, et pour se répartir les volumes et les clients et préserver ainsi leurs parts de marché.

517. Il a été établi que ces accords et pratiques de concertation ont été mises en oeuvre par le biais d'échanges au cours de réunions multilatérales, bilatérales ou trilatérales ainsi que par courriels et surtout par téléphone, au fil des appels d'offres lancés par les distributeurs.

518.Cette infraction, qui a eu pour objet d'affecter des paramètres essentiels de la concurrence que sont les prix et la clientèle, et qui relève de celles expressément visées par les articles L.420-1 du code de commerce et 101 du TFUE, se range ainsi parmi les infractions les plus graves aux règles de la concurrence.

519.Par ailleurs, l'entente a revêtu un caractère secret, certains membres de l'entente ayant utilisé des téléphones portables spécialement dédiés à sa mise en oeuvre (Charles Faraud, Materne et Coroos), recouru à leur messagerie personnelle pour échanger des informations (Andros et Materne) et la plupart des réunions n'ont pas eu lieu dans des locaux professionnels mais se sont tenues dans des hôtels. Ces éléments montrent que la nature infractionnelle des pratiques était connue des mises en cause qui s'efforçaient de rendre plus difficile leur détection.

520.Quant à l'intensité des échanges qui, appréciée de manière globale, peut constituer une caractéristique objective de l'infraction, elle résulte en l'espèce des éléments décrits dans la partie A du présent arrêt, peu important que l'instruction n'ait pas permis d'établir les échanges pour chaque appel d'offres.

521.En outre, les éléments du dossier font ressortir qu'en cas de non-respect ou de « déviation » de la part de certains membres de l'entente conduisant à une perte d'un marché et/ou de volume, au détriment d'autres, des mesures de compensation étaient décidées notamment lors de réunions multilatérales comme celle de juin 2011, juillet et septembre 2013, ou après des échanges bilatéraux entre Materne et Coroos comme le suggèrent les échanges entre ces deux entreprises en mars et septembre 2012.

522.Toutefois, les éléments du dossier ne font pas ressortir l'existence de mécanisme organisé de surveillance, de police, ou encore de représailles. Les mesures de compensation précitées ont ainsi été décidées à la demande des participants se plaignant d'avoir perdu du volume. Le demandeur de clémence, lors de son audition du 15 juillet 2015 (cote 16), a d'ailleurs précisé qu'« en cas de mécontentement, on mettait en place des mesures, pour compenser d'une façon ou d'une autre les mécontents. Par exemple dans le prochain appel d'offres de tel client, tel produit ou tel volume est pour le mécontent. Il n'y avait rien d'institutionnalisé à la base, c'était toujours au coup par coup ».

523.En outre, si lors des premières réunions multilatérales, en particulier celles ayant eu lieu fin 2010 et début 2011, les entreprises en cause se sont entendues sur des objectifs chiffrés de hausse de prix pour l'année 2011, l'instruction n'a pas établi que ces objectifs ont été renouvelés ou actualisés pour les années 2012 et 2013, et n'a donc pas permis de corroborer sur ce point les déclarations du demandeur de clémence. Les éléments décrits dans la partie A du présent arrêt, en particulier les échanges de 2012 et 2013 constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants de nature à établir que les parties se sont concertées au fil des appels d'offre pour permettre à un membre de l'entente de garder le client tout en essayant de faire passer une hausse de prix qu'il a lui-même déterminée, mais ne permet pas d'établir que les membres de l'entente ont fixé d'un commun accord un taux de hausse des prix au cours de cette période.

524.S'agissant des appels d'offres lancés par des distributeurs sur de nouveaux produits, le demandeur de clémence a déclaré que la répartition de ces nouveaux marchés ne répondait pas à des règles préconçues mais « se fait au fur et à mesure des appels d'offres et des membres présents », soit par téléphone, soit lors d'une réunion (cote 18).

525.Ces éléments sont de nature à tempérer la particulière gravité de l'infraction retenue par l'Autorité.
Sur le dommage à l'économie

526.Dans la décision attaquée, l'Autorité a considéré que les pratiques avaient causé un dommage à l'économie certain mais limité.

527.Elle a retenu que :

– les pratiques mises en oeuvre ont eu une ampleur importante, les participants à l'entente représentant près de 90 % des ventes de compotes en MDD et la totalité des ventes en RHF ;

– les barrières à l'entrée sont limitées, ce qui a pu empêcher la fixation d'un surprix très important ;

– l'élasticité-prix de la demande a pu profiter aux producteurs de compotes MDD en raison du report possible de la demande sur leurs produits MDF, tandis que sur le secteur de la RHF, la demande des acteurs de ce secteur n'est pas totalement contrainte par celle de leurs clients de sorte que ces derniers ont pu reporter une parties de leurs achats sur d'autres produits ;

– l'existence d'un contre-pouvoir de négociation des distributeurs de la RHF et d'un fort contre-pouvoir de négociation des distributeurs de la GMS sont de nature à atténuer le dommage à l'économie ;

– le dommage à l'économie ne peut être quantifié de manière suffisamment fiable ;

– les évolutions de parts de marchés des membres de l'entente sur les MDD et la RHF suggèrent, dans un marché en croissance, un échec partiel de l'entente, et tempèrent donc l'importance de l'impact de l'entente.

528.Elle a écarté les études économétriques proposées par Charles Faraud, Andros et Materne en ce qu'elles reposaient sur une comparaison temporelle pour identifier l'effet des pratiques supposant que les périodes antérieures et postérieures à l'entente étaient effectivement concurrentielles, ce que les éléments du dossier ne permettent pas de retenir (§ 663). Elle a également écarté les estimations économétriques du surprix éventuel produites par Materne et Andros (§ 664).

529.Les demanderesses au recours contestent toutes l'existence d'un dommage à l'économie.

530.Andros soutient que la faiblesse des barrières à l'entrée, l'existence d'un fort pouvoir de négociation des distributeurs auraient dû conduire l'Autorité à constater qu'en l'espèce, le dommage à l'économie était hypothétique. Elle souligne que l'étude économique qu'elle a produite démontre l'absence de tout surprix, conclusion à laquelle parviennent les études produites par les autres entreprises en cause.

531.Valade développe une argumentation similaire et ajoute que les variations notables des parts de marchés constatées par l'Autorité auraient dû la conduire à retenir une proportion de la valeur des ventes inférieure à 15 %.

532.Materne expose, en premier lieu, s'agissant de l'ampleur des pratiques, que celle-ci était limitée, les échanges d'information reportés n'ayant concerné que quelques appels d'offres et non tous ceux lancés par les distributeurs de la GMS et de la RHF au cours de la période infractionnelle. Elle fait valoir que le marché en cause est animé d'une concurrence « pour le marché » et non « sur le marché » où les caractéristiques des produits et des quantités sont fixées à l'initiative du seul acheteur qui définit également les procédures et conditions des transaction, de sorte que les barrières à l'entrée se mesurent par l'accessibilité des appels d'offres aux différents acteurs présents et non au niveau global du secteur et que la part de marché et le niveau de concentration observés côté vendeur n'est pas un indicateur pertinent de leur pourvoir de marché. Elle soutient que les échanges d'informations retenus étaient largement insuffisants pour aboutir à une répartition de marché.
533.Elle fait valoir, en second lieu, que l'Autorité aurait dû tenir compte de la nécessaire concurrence exercée par d'autres produits que les fruits transformés en particulier sur les MDD, et que bien qu'elle l'ait constaté sur le secteur de la RHF, elle a refusé d'en tenir compte dans le coefficient qu'elle a retenu.

534.Elle expose, en troisième lieu, que la volatilité des prix des matières premières, est de nature à atténuer le dommage à l'économie, comme l'a retenu l'Autorité dans une précédente décision, celle no 15-D-03 dite « Produits laitiers ».

535.Elle soutient, en quatrième lieu, s'agissant des conséquences conjoncturelles de l'infraction, que les échanges d'informations allégués, en diminuant le risque induit par la volatilité du prix des matières premières, auraient permis de maintenir la structure concurrentielle du marché dès lors que la période, au cours de laquelle se sont déroulés les échanges d'informations, est marquée à la fois par la volatilité et la croissance du prix, caractéristiques favorables à l'émergence de la malédiction du vainqueur. Elle souligne encore, que la concentration du marché des compotes en gourdes et en coupelles sous MDD en France est bien plus faible que dans les autres pays et bénéfique à la concurrence. Elle ajoute que ses parts de marché ont décliné pendant la période infractionnelle, attestant ainsi de l'absence d'effet des échanges reprochés, et reflétant en réalité sa stratégie délibérée de réduction de sa dépendance vis-à-vis du marché des MDD dans un contexte de fort développement de ses ventes MDF aux États-Unis. Elle invoque l'étude économique qu'elle a produite devant l'Autorité et qui exclut à l'absence d'effets des échanges d'informations.

536.Elle en conclut que la proportion du montant de base de 16 % est disproportionné et ne devrait pas excéder 9 %.

537.Conserves France conteste l'analyse de l'Autorité selon laquelle le dommage à l'économie est certain. Elle expose que l'Autorité n'a pas fait la démonstration de l'existence d'une hausse des prix liée aux pratiques et a d'ailleurs écarté la tentative de démonstration des services d'instruction, sans pour autant y substituer un quelconque élément de nature à démontrer l'existence d'un surprix. Elle ajoute que l'Autorité ne saurait, dans ses observations en réponse devant la Cour, se retrancher derrière l'ampleur des pratiques, laquelle n'emporte pas la démonstration de l'existence d'un dommage. Elle soutient que les conditions du marché tendent au contraire à démontrer que des hausses de prix étaient très improbables en raison de la dépendance des producteurs de compotes MDD à l'égard de la grande distribution et du fort contre-pouvoir de négociation de cette dernière.

538.Charles Faraud développe une argumentation similaire et invoque l'étude économique qu'elle avait produite devant l'Autorité pour conclure à l'absence de dommage à l'économie.

539.Délis souligne qu'à supposer que certains appels d'offres aient pu être affectés par les pratiques, ce qui n'a pas été démontré, il n'est pas permis de considérer que tous les appels d'offres l'ont été et ce d'autant que les évolutions significatives de ses ventes et de celles d'Andros établissent au contraire que la supposée ligne de conduite commune tenant à la préservation des parts de marché n'a pas été appliquée et que les prétendues mesures de compensation n'ont pas été mises en oeuvre. Elle fait valoir que le même constat s'impose pour la prétendue hausse tarifaire et invoque les études économiques produites par les parties, études qui concluent toutes à l'absence d'effet sensible des pratiques sur les prix. Elle soutient que l'organisation du marché sous forme d'appels d'offres ainsi que la forte concurrence d'autre produits est de nature à diminuer l'ampleur des pratiques. Elle expose que la contrainte concurrentielle ne peut être appréciée de manière globale mais nécessairement appel d'offres par appel d'offres, ce qui suppose une coordination au niveau de chaque appel d'offre, laquelle n'a pas été démontrée, de l'aveu même de la décision attaquée (§ 634). Elle souligne que l'analyse de l'élasticité-prix de la demande des acheteurs de la GMS menée dans la décision attaquée reste cantonnée à des considérations très générales et non étayées, en particulier celle tenant à des marges plus importantes sur les produits MDD. Elle ajoute que les éventuels reports vers les produits MDF ne peuvent s'appliquer à des acteurs comme Délis SA ou Valade qui ne vendent pas de MDF à la GMS. Enfin, elle considère que l'Autorité, en fixant la proportion du montant de base à 16 % n'a pas tiré les conséquences de ses propres constats tenant au caractère limité des barrières à l'entrée, à l'impossibilité de quantifier un surprix et à l'évolution des parts de marché des entreprises mises en cause. Elle invite la Cour à ramener cette proportion à 9 %.

540.L'Autorité rappelle qu'elle n'est pas tenue, conformément au point 28 du communiqué sanctions de chiffrer l'importance du dommage à l'économie en l'absence de données fiables, comme en l'espèce et qu'elle doit prendre en considération tant les effets potentiels que réels de sorte que le dommage à l'économie ne se résume pas aux seules conséquences conjoncturelles des pratiques, et que son évaluation ne repose donc pas nécessairement sur la démonstration d'une hausse de prix sur les segments concernés par les pratiques. Elle souligne qu'elle n'était pas tenue de chiffrer l'importance du dommage à l'économie en l'absence de données fiables et qu'elle a établi l'importance des effets potentiels de l'infraction en se fondant sur leur ampleur, notamment compte tenu de la part de marché cumulée des fabricants en cause et du renforcement de l'incitation de la plupart des mises en cause à augmenter les prix des compotes MDD du fait de leur activité de fabrication de compotes MDF. C'est au vu de ces éléments qualitatifs qu'elle a considéré que le dommage était certain. Elle considère que c'est par une juste appréciation des éléments du dossier tenant à l'ampleur des pratiques, aux caractéristiques économiques du secteur et des conséquences conjoncturelles de l'infraction, qu'elle a retenu que le dommage à l'économie était certain mais limité et invite la Cour à rejeter l'ensemble des moyens soutenus par les demandeurs au recours.

541.Le ministre chargé de l'économie considère que le caractère tempéré des barrières à l'entrée, le dommage à l'économie limité reconnu par la décision et non démontré précisément, le fort pouvoir de marché des distributeurs, également reconnu par la décision sur les deux segments de marché en cause, l'échec de l'entente à mettre en place des mesures de compensation, que démontre notamment l'augmentation des parts de marché d'Andros au cours de la période d'infraction, aurait dû conduire à retenir un taux de valeurs des ventes moins élevé que celui de 16 %. Il invite la Cour à retenir un taux de 9 %, comme celui qui a pu être retenu dans l'affaire dite des messageries qui présentent des similitudes.

542.Le ministère public partage l'analyse du ministre chargé de l'économie.

Sur ce, la Cour,

543.À titre liminaire, il convient de rappeler qu'aux termes du communiqué sanctions, le dommage à l'économie englobe tous les aspects de la perturbation que l'infraction est de nature à causer au fonctionnement concurrentiel des activités, secteurs ou marchés directement ou indirectement concernés, ainsi qu'à l'économie générale (point 27).

544.L'Autorité en apprécie l'importance de façon objective, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce, sans toutefois être tenue de le chiffrer comme s'il s'agissait d'un préjudice individuel. Les éléments qu'elle prend en considération sont généralement de nature qualitative, mais peuvent également être de nature quantitative lorsque de tels éléments sont disponibles et fiables (point 28).

545.Pour mener cette analyse, l'Autorité tient notamment compte de l'ampleur de l'infraction (couverture géographique, nombre, importance et parts de marché cumulées des entreprises en cause, etc.), des caractéristiques économiques des activités, des secteurs ou des marchés en cause (barrières à l'entrée, degré de concentration, élasticité-prix de la demande, marge, etc.), et des conséquences conjoncturelles de l'infraction ou des infractions (surprix escompté, absence d'une baisse de prix attendue, impact indirect sur des secteurs ou des marchés connexes, en amont ou en aval, etc.) (point 32).

546.Le dommage à l'économie ne se présume pas, ce qui ne signifie pas qu'il se mesure aux seuls effets que l'infraction a effectivement produits sur le marché mais qu'il doit faire l'objet d'une appréciation concrète comprenant l'analyse des effets réels ou potentiels des pratiques. Ainsi, contrairement à ce que suggèrent certaines parties, l'appréciation de l'existence et de l'importance du dommage à l'économie ne se limite pas à une analyse quantitative des effets avérés des pratiques litigieuses.

547.En l'espèce, l'Autorité a appliqué les règles et principes issus de son communiqué sanction en examinant d'abord l'ampleur des pratiques qu'elle a qualifiée d'importante, puis les caractéristiques du marché tenant, selon elle, à l'existence de barrières limitées à l'entrée de nature à empêcher la fixation d'un surprix important, et non de tout surprix comme le suggèrent certaines des parties en cause, d'une élasticité-prix de la demande en faveur des producteurs s'agissant du segment de la GMS, et de l'existence d'un contre-pouvoir de négociation de la part des distributeurs, en particulier de la GMS où elle a considéré que ce pouvoir est particulièrement fort et de nature à tempérer l'impact des pratiques sur le marché. Elle a ensuite analysé les conséquences conjoncturelles de l'infraction et constaté l'impossibilité de quantifier l'impact de l'entente sur les prix et une évolution des parts de marché dans la valeur des ventes des différents participants à l'entente, que ce soit sur le segment MDD ou celui de la RHF ou les deux pris ensemble pour en déduire un échec partiel de l'entente de nature à tempérer l'importance du dommage à l'économie.

548.S'agissant en premier lieu, de son appréciation de l'ampleur des pratiques, c'est à juste titre que l'Autorité a retenu qu'elle était importante dès lors qu'elles ont été mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire national par des producteurs qui représentent près de 90 % des ventes réalisées sous MDD et 100 % de celles réalisées auprès des distributeurs de la RHF en 2010 et 2011, étant rappelé que cette infraction visait à faire passer des hausses de prix afin de restaurer un niveau de rentabilité et à se repartir la clientèle et les volumes pour maintenir les parts de marché. Le caractère global de l'infraction est en outre suffisamment attesté par les éléments issus de l'instruction, tels que rappelés dans les développements du présent consacrés à la matérialité des pratiques, qui montrent de nombreux échanges sur de multiples appels d'offres ainsi que des mesures de compensation en faveur de ceux qui avaient perdu du volume, de sorte qu'il importe peu que les éléments issus de l'instruction ne couvrent pas la totalité des appels d'offres qui se sont déroulés au cours de la période infractionnelle ou que les objectifs poursuivis par les membres de l'entente n'aient pas été atteints en totalité.

549.Dès lors que l'entente a été mise en oeuvre par des producteurs qui couvrent la quasi-totalité du marché, la circonstance que le marché soit organisé par appels d'offres ou qu'une concurrence s'y exerce « pour le marché » et non « sur le marché » ou encore que les compotes soient concurrencées par d'autre produits n'est pas de nature à remettre en cause l'importance de l'ampleur des pratiques.

550.S'agissant, en deuxième lieu, des caractéristiques économiques du secteur identifiées par l'Autorité, en particulier celle tenant à l'élasticité-prix de la demande et la forte concurrence exercée par les produits MDF sur les MDD, c'est à juste titre que l'Autorité a écarté la forte élasticité-prix de la demande des consommateurs, invoquée par les parties pour contester l'ampleur des pratiques et leurs effets, dans la mesure où, comme l'analyse le rapport, non contesté sur ce point, l'étendue de la concurrence entre les MDD et les MDF est limitée par les écarts de prix significatifs entre ces catégories de produits, pouvant atteindre 50 % en 2009 (cote 3911). En outre, il n'est pas certain que les distributeurs répercutent la hausse de prix sur leurs prix de revente, surtout s'ils ont une marge plus importante sur les MDD que sur les MDF.

551.En revanche, l'Autorité a retenu que l'élasticité-prix de la demande sur le secteur de RHF a pu limiter l'incitation des producteurs de compotes à augmenter les prix et partant limiter l'impact des pratiques sur ce secteur.

552.S'agissant en dernier lieu, des conséquences conjoncturelles de l'infraction, l'existence d'un contre-pouvoir de négociation des distributeurs, caractéristique du marché admise par l'Autorité, tant sur celui de la RHF que sur celui des MDD, ne saurait conférer au dommage à l'économie un caractère hypothétique dans la mesure où de nombreux éléments du dossier attestent de la mise en oeuvre de mesures de coordination par les membres de l'entente, qui regroupent la quasi-totalité des producteurs de compotes dont les plus importants, sur de nombreux appels d'offres et qui ont donc pu produire des effets en dépit du contre-pouvoir de négociation des distributeurs en particulier ceux de la GMS ou de la marge de manoeuvre limitée dont disposent les producteurs, pris isolément.

553.Pour les mêmes motifs, tenant à la nature et à l'ampleur de l'infraction, l'impossibilité reconnue par l'Autorité de quantifier le dommage à l'économie, n'est pas de nature à exclure l'existence d'un tel dommage.

554.Sur ce point, l'étude produite par Charles Faraud ne permet pas d'exclure tout impact sur les prix dès lors qu'elle repose sur des données peu fiables et manquant de pertinence ainsi que l'a retenu l'Autorité pour des motifs pertinents exposés au § 662 de la décision attaquée et que la Cour adopte.

555.En revanche, l'existence d'un contre-pouvoir de négociation des distributeurs, qui rend délicate la répercussion des variations de coût subies par les producteurs soumis dans ce secteur à une forte volatilité des prix d'approvisionnement, est de nature à tempérer l'importance du dommage à l'économie.

556.Les études économétriques invoquées par Andros et Materne au soutien de l'absence de surprix sur leurs produits respectifs, sont fondées sur les seules données propres de ces deux entreprises, de sorte qu'elles ne peuvent démontrer l'absence de surprix sur les produits des autres producteurs, et partant l'absence de tout impact sur les prix. Elles confortent néanmoins le caractère limité des effets des pratiques sur le marché.

557.La circonstance que l'innovation soit une caractéristique du secteur des MDD n'est pas de nature à remettre en cause l'impact des pratiques sur les paramètres de la concurrence tels que les prix, de sorte que c'est en vain que Materne reproche à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte de cette caractéristique. Materne n'est pas davantage fondée à soutenir que les échanges d'informations étaient utiles pour pallier les mauvaises estimations des coûts, en particulier celui des matières premières marqué par une forte volatilité, dès lors que, ainsi que le souligne l'Autorité dans ses observations, les fournisseurs n'ont pas nécessairement les mêmes comportement ou modalités d'achat et, surtout, que les pratiques sanctionnées sont allées bien au-delà de simples échanges d'informations puisqu'elles ont porté sur une augmentation du prix des produits vendus aux distributeurs et l'attribution d'appels d'offres.

558.Enfin, compte tenu de la nature des pratiques et de leur ampleur, les évolutions de parts de marché en valeur des ventes constatées au cours de la période infractionnelle, marquée par une forte hausse du chiffre d'affaires d'Andros par rapport à ses autres concurrents comme en attestent les tableaux figurant au § 667 de la décision attaquée, suggèrent davantage un échec partiel de l'entente qui visait précisément au maintien des positions de chacun plutôt que l'absence de tout dommage à l'économie.

559.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à juste titre que l'Autorité a retenu que le dommage à l'économie était certain.

560.Dans ses observations déposées devant la Cour, l'Autorité indique avoir fait application du point 41 de son communiqué sanctions pour déterminer la proportion de la valeur des ventes au titre de la gravité des faits et du dommage à l'économie.

561.Aux termes de ce point 41, cette proportion « est comprise entre 15 et 30 % dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction de l'importance du dommage qu'ils causent à l'économie ».

562.Il s'en déduit qu'en retenant une proportion de valeur de ventes de 16 %, soit juste un point au-dessus du taux plancher de 15 % prévu par ses lignes directrices, l'Autorité a tenu compte du caractère très limité du dommage à l'économie, même si dans la décision attaquée, l'Autorité retient qu'il est simplement limité.

563.La Cour considère toutefois que l'application de la règle générale édictée au point 41 du communiqué sanctions qui fixe un plancher de 15 % de la valeur de ventes au regard de la seule gravité intrinsèque de l'infraction, sans considération de ses effets sur le marché, conduirait en l'espèce à retenir une proportion de valeur de vente excessive au regard de certaines des caractéristiques objectives des pratiques exposées aux paragraphes 522 à 525 du présent arrêt et du très faible impact que les pratiques ont eu sur le jeu concurrentiel des secteurs concernés.

564.Dans ces conditions, au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il y lieu de ramener cette proportion au taux de 12 %.

565.La décision sera donc reformée de ce chef.

566.Après prise en compte de la durée de participation individuelle de chaque entreprise, le montant de base s'établit comme suit :

Entreprise Année de référence Valeur des ventes Coeff.durée MONTANT DE BASE
Materne 2013 33 577 883 euros 2,12 8 542 213
Andros 2012 27 936 000 euros 1,87 6 268 838
Delis 2012 14 576 908 euros 2,04 3 568 427
Charles Faraud 2012 60 880 045 euros 2,04 14 903 435
Valade 2012 11 014 396 euros 2 2 643 455
Conserves France 2012 7 031 507 euros 2,04 1 721 312
D. Sur les éléments d'individualisation des sanctions

1. Materne

567.Dans la décision attaquée (§ 679 et 680), l'Autorité a retenu que Materne avait été présente à toutes les réunions multilatérales et qu'elle avait échangé à plusieurs reprises avec les sociétés Coroos, Conserve France, Andros, Délis SA et Charle Faraud par courrier électronique, téléphone ou lors de rencontre bilatérales pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu de réduire le montant de sa sanction au titre de l'intensité de sa participation.

568.Elle a retenu que Materne avait joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en oeuvre de l'entente qui justifiait une majoration de 10 % du montant de base de la sanction (§ 707 à 719).

569.Materne soutient que l'intensité de sa participation aux pratiques a été surévaluée dès lors que contrairement à ce qu'affirme l'Autorité, elle n'a pas eu d'échange avec Conserves France, ni d'échange par messagerie électronique ou de rencontre bilatérale Delis et avec Charles Faraud. Elle souligne qu'elle n'a pas effectué de réservation de salles.

570.Elle fait valoir que le contexte, marqué par la perte de rentabilité des marchés MDD en raison de la hausse du coût de la matière première à laquelle les entreprises en cause devaient faire face, aurait dû être pris en considération. Elle conteste le rôle d'organisateur de l'entente qu'il lui a été attribué. Elle ajoute qu'elle n'a pas réservé toutes les salles et que son rôle était exclusivement logistique. Elle souligne que l'initiative de l'entente revient à Coroos et qu'elle n'a exercé aucun rôle central dans l'entente dont elle n'a tiré aucun bénéfice, et que contrairement à Coroos, elle n'a pas eu d'échanges avec toutes les entreprises mises en cause et que des échanges ont eu lieu entre des membres de l'entente sans son intermédiaire.

571.Elle considère que l'Autorité a violé le principe de l'égalité de traitement et de proportionnalité en ne retenant aucune majoration de l'amende infligée à Coroos au titre du rôle particulier de ce dernier dans l'entente, alors qu'elle lui a appliquée une majoration de 10 % à ce titre.

572.L'Autorité répond qu'il ressort des pièces du dossier que Materne a bien pris part à l'ensemble des échanges retenus contre elle et souligne que la circonstance qu'elle ait ou non réservé des salles pour les réunions n'est pas pertinente pour apprécier l'intensité de sa participation aux pratiques.

573.Elle souligne qu'elle n'a pas retenu que Materne avait joué un rôle de meneur ou d'incitateur mais un rôle particulier dans la conception ou la mise en oeuvre de l'entente, pour avoir réservé les salles où se sont tenues les réunions multilatérales, établi des documents ayant servi de support aux réunions de l'automne 2010 et servi d'intermédiaire entre des membres de l'entente.

574.Enfin, elle considère que les éléments invoqués par Materne ne suffisent pas à établir que Coroos ait joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en oeuvre de l'entente.

575.Le ministre chargé de l'économie approuve l'analyse de la décision s'agissant du rôle de meneur dévolu à Materne mais considère que le rôle du demandeur de clémence lui-même dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente, confirmé par Charles Faraud, doit conduire à relativiser celui de Materne et à réduire de moitié la majoration de la sanction retenue contre cette dernière.

576.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité et invite la Cour à rejeter les demandes de Materne.

Sur ce, la Cour,

577.S'agissant, en premier lieu, de l'intensité de la participation de Materne aux pratiques, il a été établi que Materne était présente à toutes les réunions multilatérales, qu'elle a échangé par téléphone à de nombreuses reprises avec Coroos, Délis SA, Charles Faraud et Andros, par messagerie électronique avec Andros et Coroos, et qu'elle a eu des échanges avec Coroos au cours de plusieurs réunions bilatérales. Ces éléments attestent de l'intensité de la participation de Materne, de sorte que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré qu'il n'y avait pas lieu de minorer à ce titre le montant de base de la sanction, et ce peu important que par une formulation générale figurant au § 679, l'Autorité ait pu, le cas échéant, retenir des échanges par messagerie électronique avec Délis et avec Charles Faraud qui ne ressortent pas des éléments issus de l'instruction.

578.S'agissant, en second lieu, du rôle joué par Materne, il convient de rappeler que le point 46 du communiqué sanctions prévoit que l'Autorité peut augmenter le montant de base de la sanction pécuniaire pour tenir compte du fait « que l'entreprise ou l'organisme a joué un rôle de meneur ou d'incitateur, ou a joué un rôle particulier dans la conception ou dans la mise en oeuvre de l'entente ».

579.En l'espèce, l'Autorité n'a pas retenu que Materne avait joué un rôle d'incitateur ou de meneur ou encore qu'elle aurait été à l'initiative de l'entente, mais qu'elle avait joué un rôle particulier dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente.

580.Ainsi, outre le rôle logistique consistant avoir loué les salles pour la tenue des réunions multilatérales, rôle suffisamment établi par les éléments décrits aux § 56, 85, 100, 116, 131, 141, 149, 164, 175 et 177 de la décision attaquée, Materne a organisé certaines d'entre elles, comme celle des 4 novembre 2010 et 24 janvier 2011 ainsi qu'en attestent les éléments relevés aux § 86 et 115 de la décision attaquée. Il a également été établi que Materne a élaboré des documents ayant servi de base aux discussion lors des réunions multilatérales (« PetL » et « PetL 2 »). Elle a, en outre, joué le rôle d'intermédiaire entre plusieurs membres de l'entente, notamment en transmettant des informations permettant aux participants de se coordonner pour répondre aux appels d'offre comme en attestent les éléments décrits aux paragraphes 252, 235 à 242, 254, 309 et 310 du présent arrêt, en transmettant à Valade le document « PetL2 » ayant servi de base aux discussions lors de la réunion du 2 décembre 2010 à laquelle Valade n'a pas assisté ainsi qu'il a été vu au paragraphe 144 du présent arrêt. Il a également été établi que Materne a rencontré Conserves France le 3 novembre 2011, le jour même d'une réunion multilatérale à laquelle Conserves France n'a pas participé.

581.La circonstance invoquée par Materne que les autres membres de l'entente ont eu de nombreux échanges directs ou que Coroos ait été à l'initiative de l'entente ou encore qu'elle n'aurait tiré aucun profit de l'infraction, ne remet pas en cause le rôle particulier qu'elle a joué dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente, en organisant des réunions et en servant à de nombreuses reprises d'intermédiaire entre les participants à l'infraction.

582.Le contexte dans lequel l'entente a pu prendre naissance n'est pas un élément pertinent pour apprécier le comportement de Materne dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente, étant relevé, comme le fait à juste titre l'Autorité, que l'entente ne s'explique pas uniquement par les difficultés économiques auxquelles devaient faire face les producteurs de compotes mais également par l'arrivée de Coroos sur le marché, comme il a été établi aux paragraphes 198 et 199 du présent arrêt.

583.Enfin, les éléments invoqués par Materne pour soutenir que Coroos a joué un rôle central et/ou moteur dans l'infraction, ne sont pas pertinents en ce qu'ils reposent pour partie sur des déclarations faites a posteriori par Charles Faraud en réponse à la notification des griefs, tandis que d'autres tendent surtout à établir l'intensité de la participation de Coroos à l'entente, qui peut notamment s'expliquer par l'intérêt que ce dernier pouvait en tirer en tant que nouvel entrant sur le marché. Le souhait de Coroos d'étendre l'entente à d'autres pays européens ne permet pas d'établir qu'il a joué un rôle particulier dans l'infraction en cause, qui ne concerne que le territoire national.

584.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à juste titre, et sans méconnaître le principe de l'égalité de traitement ou la proportionnalité de la sanction que l'Autorité a appliqué une majoration de 10 % du montant de base de la sanction infligée à Materne en considération du rôle particulier qu'elle avait joué dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente.

585.Après réformation de la proportion du montant de base et application de la majoration de 10 % au titre du rôle particulier joué par Materne, le montant de la sanction à infliger à cette entreprise s'établit à la somme de 9 396 434 euros.

586.Materne n'ayant pas contesté la proportionnalité de la sanction initialement infligée par l'Autorité à ses capacités contributives, il y a donc lieu de considérer que le montant fixé par la Cour est proportionné à sa situation.

587.Il y a donc lieu d'infliger une sanction de 9 396 434 euros solidairement aux sociétés Materne, MBMA et MBMA Holding.

2. Andros

588.Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu un abattement de 15 % sur le montant de base de la sanction à infliger à Andros en raison de l'intensité de sa participation aux pratiques qu'elle a qualifiée de moyenne, un abattement de 15 % à raison de son rôle de franc-tireur et une majoration de 15 % au titre de sa puissance économique.

589.Andros conteste l'application de cette majoration. Elle reproche à l'Autorité de ne pas avoir suffisamment motivé ce relèvement et notamment de ne pas avoir indiqué en quoi l'appartenance d'Andros à un groupe a joué un rôle dans la mise en oeuvre des pratiques comme l'exige la jurisprudence interne laquelle exclut tout relèvement automatique de la sanction du seul fait de l'appartenance à un groupe.

590.Elle fait valoir, en réplique à l'Autorité qui invoque le faible ratio, de 2,28 %, entre la valeur des ventes et le chiffre d'affaires total du groupe, que le relèvement fondé uniquement sur le ratio est disproportionné dans la mesure où lorsque l'Autorité en a fait application dans d'autres affaires, le ratio était de 30 à 40 fois plus faible (0,083 % ou encore 0,055 %). Elle soutient que cette majoration de 15 % sur la seule considération du ratio constitue une inégalité de traitement dès lors que Conserves France ne se voit appliquer une majoration que de 10 % alors que le ratio entre sa valeur des ventes et son chiffres d'affaires est de 1,04 %.

591.Elle souligne qu'elle se voit appliquer une majoration de sa sanction au titre de son appartenance à un groupe bien supérieure à celle appliquée à Materne à raison de son rôle particulier joué dans l'entente, ce qui revient à sanctionner plus lourdement une entreprise au motif de sa prétendue puissance financière qu'en raison du rôle déterminant joué dans la conception et la mise en oeuvre de l'entente.

592.L'Autorité répond, en premier lieu, que l'analyse d'Andros procède d'une dénaturation du communiqué sanctions et de la jurisprudence qui exigent de motiver le relèvement de la sanction à raison de la puissance économique du groupe auquel l'entreprise appartient uniquement lorsque cette dernière a agi de manière autonome sur le marché. Elle expose que lorsque comme en l'espèce, les pratiques ont été imputées à la société mère du groupe, elle peut majorer le montant de base de l'assiette afin de tenir compte la situation financière de la société mère, et ce afin de conférer un caractère dissuasif à ses sanctions pécuniaires. Elle se détermine notamment en tenant compte du rapport entre la valeur des ventes de l'entreprise en cause et le chiffre d'affaires total du groupe.

593.Elle fait valoir en second, lieu, que la comparaison opérée par Andros entre la majoration au titre de l'appartenance à un groupe puissant et celle appliquée en raison du rôle particulier joué dans l'infraction n'est pas pertinente, en l'absence de toute corrélation entre ces deux éléments d'individualisation, dans la mesure où l'un tient compte du comportement de l'entreprise a un caractère purement punitif, tandis que l'autre, purement objectif sans considération du comportement de l'entreprise, vise à assurer l'effet dissuasif de la sanction.

594.Elle expose en troisième lieu ne pas avoir méconnu le principe de l'égalité de traitement dès lors que le chiffre d'affaires d'Andros est trois fois supérieur à celui de Conserves France.

595.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent l'analyse de l'Autorité.

Sur ce, la Cour,

596.Conformément à l'article L.464-2 du code de commerce, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées notamment à la situation de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient.

597.Pour l'application de ce principe, le communiqué sanctions (point 49) prévoit que le montant de base de la sanction à infliger à une entreprise peut être adapté à la hausse pour tenir compte de la taille, de la puissance économique ou de l'importance des ressources globales de l'entreprise concernée ou du groupe auquel elle appartient, en particulier, dans cette dernière hypothèse, lorsque l'infraction est également imputable à la société qui la contrôle au sein du groupe.

598.Lorsque l'entreprise concernée a agi de manière autonome sur le marché, son appartenance à un groupe ayant des ressources globales importantes ou une puissance économique ne peut suffire à relever le montant de base, il appartient à l'Autorité d'établir en quoi cette appartenance a joué un rôle dans la mise en oeuvre des pratiques (Cass. Com., 18 février 2014, pourvoi no 12-27.643 ; Cass. Com. 21 octobre 2014, pourvoi no 13-16.602).

599.En revanche, lorsque l'entreprise concernée, auteure directe des pratiques, n'a pas agi de manière autonome et que les pratiques qu'elle a commises sont imputables à la société mère qui la contrôle, l'Autorité peut appliquer une majoration afin de tenir compte de la puissance économique du groupe, de sa taille ou du montant de ses ressources sans qu'il y ait lieu de déterminer si l'appartenance à un groupe a joué un rôle dans la mise en oeuvre de l'infraction dès lors que par hypothèse, la filiale a agi sous l'influence déterminante de la mère. En effet, la société mère qui s'est vu imputer le comportement infractionnel de sa filiale est personnellement responsable d'une infraction aux règles de concurrence de l'Union qu'elle est censée avoir commise elle-même, en raison de l'influence déterminante qu'elle exerçait sur la filiale et qui lui permettait de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché. Or, lorsque l'assiette servant à la détermination du montant de base est constituée de la valeur des ventes réalisées uniquement par la filiale, il est d'autant plus nécessaire de tenir compte de la puissance économique et/ou de ses ressources globales du groupe contrôlé par la mère pour garantir un effet dissuasif à la sanction.

600.À cet égard, le niveau du chiffre d'affaires total réalisé par la société mère et le rapport de la valeur des ventes de la filiale en relation avec l'infraction avec ce chiffre d'affaire total peuvent constituer, ensemble, un critère pertinent pour apprécier s'il y a lieu d'appliquer une telle majoration.

601.En l'espèce, les pratiques commises par la société Andros, en tant qu'auteure directe, ont été imputées à la société Andros et Cie, en tant que société mère de sorte que l'Autorité pouvait choisir d'appliquer la majoration afin de tenir compte des ressources globales de l'entreprise constituée par les sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS, sans être tenue à plus ample motivation.

602.Andros n'est pas fondée à invoquer une violation du principe de l'égalité de traitement en comparant le ratio et le taux de majoration qui lui ont été appliqués avec ceux appliqués à Conserves France. En effet, le chiffre d'affaires d'Andros et Cie (2 197 872 000 euros en 2017) est trois fois supérieur à celui de Conserves Italia (673 907 867 euros en 2017) de sorte qu'en décidant d'appliquer un taux de majoration moins important à Conserves France, l'Autorité n'a fait que tenir compte de la situation propre à cette entreprise.

603.N'est pas davantage pertinente la comparaison faite par Andros entre la majoration litigieuse et celle appliquée à Materne au titre du rôle particulier joué par cette dernier dans l'entente, dès lors que la première relève d'une appréciation purement objective aux fins de proportionner la sanction aux ressources de l'entreprise et d'assurer son effet dissuasif tandis que l'autre, qui relève d'une appréciation purement subjective du comportement anticoncurrentiel d'une entreprise, vise à assurer son caractère punitif.

604.Du fait de la réformation de la durée de participation individuelle d'Andros à l'infraction, et par voie de conséquence de l'exercice de référence, le montant de la valeur des ventes en lien avec l'infraction retenue par la Cour (27 936 000 euros) ne représente plus 2,28 % mais 1,27 % du chiffre d'affaires total de la société Andros et Cie réalisé en 2017, lequel s'élève à plus de deux milliard d'euros (2 197 872 000 euros). La Cour considère qu'il est dès lors justifié, afin de garantir à la sanction son caractère dissuasif, d'appliquer une majoration de 15 % du montant de base de la sanction à infliger à cette entreprise.

605.Les taux d'abattement appliqués par la décision attaquée au titre de la faible intensité de la participation d'Andros aux pratiques et son rôle de franc-tireur ne sont pas contestés et seront donc maintenus par la Cour.

606.Le montant de la sanction d'Andros s'établit donc à la somme arrondie de 5 328 512 euros, inférieure au plafond légal.

607.Andros n'ayant pas contesté la proportionnalité de la sanction initialement infligée par l'Autorité à ses capacités contributives, il y a donc lieu de considérer que le montant fixé par la Cour est proportionné à sa situation.

608.Il convient donc de prononcer une sanction de 5 328 512 euros solidairement à la société Andros et à la société Andros et Cie.

3. Conserves France

609.Dans la décision attaquée, l'Autorité a considéré que l'intensité de la participation de Conserves France aux pratiques était modérée et a appliqué un abattement de 25 % du montant de base de sa sanction.

610.Elle a également considéré qu'eu égard au montant du chiffre d'affaires de sa société mère, Conserve Italia ? à qui les pratiques ont été imputées en application de la présomption d'influence déterminante ? il y avait lieu d'appliquer une majoration de 10 % du montant de base de sa sanction.

611.Enfin, l'Autorité a considéré que les éléments produits au titre des capacités contributives n'attestaient pas de difficultés financières particulières empêchant cette entreprise de s'acquitter de la sanction.

612.Conserves Italia et Conserves France contestent la majoration de 10 % au titre de son appartenance à un groupe puissant. Elles font valoir, en premier lieu, avoir démontré que la présomption d'influence déterminante n'était pas applicable et que les pratiques ne pouvaient donc pas être imputées à Conserve Italia. En deuxième lieu, elles reprochent à l'Autorité de ne pas avoir démontré en quoi leur appartenance à un groupe avait pu jouer un rôle dans la mise en oeuvre des pratiques. En troisième lieu, elles considèrent que la majoration ne tient pas compte du statut de coopérative agricole du groupe Conserves Italia, lequel agit au nom de ses membres auxquels il reverse la totalité de ses bénéfices qui constituent les seules sources de revenus de ces derniers, les membres étant tenus d'apporter à la coopérative l'intégralité de leur production et ne pouvant être membre d'une autre coopérative.

613.Elles soutiennent en dernier lieu qu'une majoration se justifie d'autant moins que le groupe Conserve Italia rencontre des difficultés financières pour avoir enregistré des pertes importantes, de l'ordre de 5,5 millions d'euros pour l'exercice clos en juin 2019 et 16,4 millions pour l'exercice clos en juin 2020.

614.Enfin, la société Conserves France demande à la Cour de réduire le montant de la sanction qui lui a été infligée afin de tenir compte de ses capacités contributives largement obérées en raison des pertes importantes qu'elle subies depuis de nombreuses années, de son endettement et de l'absence de disponibilités suffisantes. Elle souligne que la direction des créances spéciales du trésor public a accepté de reporter le paiement de sa dette.

615.L'Autorité, s'agissant de la majoration litigieuse, outre ses observations exposées au paragraphe 592 du présent arrêt, ajoute que le statut de coopérative agricole de l'entreprise Conserves Italia est sans incidence dès lors que cette entité exerce une activité économique qui génère un chiffre d'affaires, lequel doit donc être pris en compte pour apprécier la puissance du groupe économique auquel appartient sa filiale, Conserves France.

616.S'agissant des capacités contributives, elle considère que les éléments nouveaux et/ou actualisés sur la situation financière de Conserves France et Conserve Italia ne sont pas de nature à considérer que cette entreprise n'est pas en mesure de payer l'amende qui lui a été infligée. Elle souligne que les capacités contributives doivent s'apprécier globalement en tenant compte de la situation de l'entreprise composée des sociétés Conserves France et Conserve Italia.

617.Le ministre chargé de l'économie estime que la puissance économique du groupe apparaît toute relative compte tenu de son endettement et de sa taille de sorte qu'il n'y a pas lieu de lui appliquer une majoration de 10 %.

618.Le ministère public considère qu'au vu des éléments produits par la requérante, il n'y a pas lieu de majorer la sanction pour tenir compte de la puissance économique de Conserve Italia et que la situation financière dégradée de la société Conserves France appelle une réfaction de sa sanction financière. Il observe qu'en cas de réformation du taux de valeur des ventes de 16% retenu par la décision et d'absence de majoration au montant de base de la sanction pécuniaire infligée aux sociétés Conserves France SA et de Conserves Italia, ces dernières bénéficieront d'une réduction du quantum de leur sanction, de l'ordre de 30 %.

Sur ce, la Cour,

619.À titre liminaire, la Cour constate que Conserves France développe dans ses écritures une argumentation relative à l'intensité de sa participation à l'entente pour demander à la Cour de maintenir ou augmenter l'abattement qui lui a été accordé à ce titre, sans toutefois contester explicitement le taux de cet abattement ni indiquer précisément en quoi il ne constituerait pas une traduction fidèle de l'intensité de sa participation. En présence de prétentions contradictoires non étayées, il y a donc lieu de considérer que la Cour n'est pas saisie d'une demande tendant à modifier à la hausse ce taux d'abattement.

620.S'agissant, en premier lieu, de la majoration appliquée au titre de la puissance économique de l'entreprise constituée des sociétés Conserves France et Conserves Italia, les moyens de ces sociétés au soutien de leur contestation de l'imputabilité des pratiques à Conserve Italia ont déjà été rejetés par la Cour. Pour les motifs exposés au paragraphe 599 du présent arrêt, dès lors que les pratiques commises par Conserves France ont été imputées à sa société mère, Conserve Italia, l'Autorité était fondée à apprécier si la situation de cette entreprise constituée de ses deux sociétés était de nature à justifier une majoration de la sanction encourue afin d'en assurer le caractère dissuasif, et ce sans être tenue à une plus ample motivation.

621.Après réformation de la durée de la participation individuelle à l'infraction de l'entreprise constituée des sociétés Conserves France et Conserve Italia, et de la proportion du montant de base, et après application du taux d'abattement justement décidé par l'Autorité, tant dans son principe que dans son montant, pour tenir compte du caractère modéré de l'intensité de sa participation aux pratiques et non contesté par Conserves France, le montant de la sanction s'établit à la somme arrondie à 1 290 984 euros.

622.Il convient donc de déterminer si la situation du groupe contrôlé par Conserve Italia doit conduire à une majoration de la sanction.

623.Cette dernière verse aux débats ses comptes sociaux consolidés (bilan et compte de résultats) clos au 30 juin 2020 qui établissent une augmentation sensible de l'endettement et une aggravation du déficit déjà existant à l'issue de l'exercice précédent. Si ce déficit peut en partie être imputable à la passation d'une provision pour risques à l'origine indéterminée, Conserves Italia n'ayant apporté aucune précision sur cette écriture comptable, le compte de résultat fait ressortir une rentabilité assez faible au regard du chiffre d'affaires et des seuls coûts de production. Dans ces conditions, et ainsi que le soulignent tant le ministre chargé de l'économie que le ministère public, la puissance du groupe est très relative de sorte qu'il n'apparaît pas nécessaire de majorer la sanction afin d'en garantir son effet dissuasif.

624.S'agissant en second lieu des capacités contributives, ainsi qu'il a été déjà rappelé, la sanction doit être proportionnée à la situation de l'entreprise ou le cas échéant du groupe auquel elle appartient, ainsi que le prescrit l'article L.462-4 du code de commerce.

625.Ce principe, qui n'est que la traduction du principe de l'individualisation des sanctions s'applique à l'égard de l'entreprise, prise au sens du droit de la concurrence, et non à l'égard des personnes juridiques la constituant. Ainsi, la capacité contributive doit être appréciée non seulement au regard de la situation de la filiale mais également de celle de la société mère, en l'absence d'autonomie de la première à l'égard de la seconde.
626.En l'espèce, les éléments comptables produits par Conserve Italia, qui détient 95,17 % du capital de sa filiale, attestent de sa capacité à payer la sanction, ce qui n'est pas contesté.

627.Il convient donc de prononcer une sanction de 1 290 984 euros solidairement à l'égard de Conserve Italia et de Conserves France.

4. Valade

628.Dans la décision attaquée, l'Autorité a appliqué un abattement de 30 % du montant de base de la sanction à infliger à Valade en raison de la faible intensité de sa participation à l'infraction.

629.Elle a également considéré que l'analyse des éléments financiers et comptables communiqués par la société Valade, filiale de la société financière [Localité 25], n'attestaient pas de difficultés financières particulières empêchant cette entreprise de s'acquitter de la sanction envisagée.

630.Valade fait valoir que le montant de la sanction qui lui a été infligée risque de mettre en péril ses capacités d'investissement et souligne que la crise sanitaire l'a particulièrement fragilisée notamment en raison de son activité importante en RHF.

Sur ce la Cour,

631.La Cour rappelle, ainsi que l'énonce le communiqué sanctions en ses points 61 à 64, qu'il appartient à l'entreprise de justifier l'existence de ses difficultés contributives en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive. Dans le cadre d'un recours, la Cour doit examiner la situation des entreprises à la date où elle statue.

632.Après réformation de la durée de sa participation individuelle et de la proportion du montant de base, et l'application de l'abattement de 30 %, retenu à juste titre par l'Autorité pour tenir compte de la participation très modérée de Valade à l'infraction, en particulier sur le secteur de la RHF, la sanction à infliger à cette entreprise s'établit à la somme arrondie à 1 850 418 euros, laquelle n'excède pas le plafond légal.

633.Force est de constater que Valade qui, en réponse au rapport, avait produit des soldes intermédiaires de gestion de la société Valade pour la période du 1er septembre 2017 au 30 mars 2018 (cote 16 079, liste des pièces en annexe aux observations au rapport), éléments insuffisants pour établir la réalité de difficultés financières de nature à limiter ses capacités contributives, ne verse aucun élément pour actualiser sa situation et en particulier, ne produit ni les comptes sociaux de la société Valade, ni ceux de la société financière [Localité 25] pour démontrer l'impact de la crise sanitaire sur leurs capacités contributives.

634.Il convient donc d'infliger solidairement aux sociétés Valade et [Localité 25] la sanction de 1 850 418 euros.

5. Charles Faraud

635.Dans la décision attaquée, l'Autorité a octroyé à Charles Faraud un abattement de 10 % pour tenir compte de l'intensité de la participation de cette entreprise à l'infraction, qu'elle a qualifiée d'importante mais moindre que celle de Délis et Materne.

636.Elle a écarté le rôle de franc-tireur revendiqué par cette entreprise au motif que cette dernière n'apportait pas la preuve de ne pas avoir respecté la discipline commune de l'entente au point d'en avoir perturbé le fonctionnement.
637.Elle a considéré que Charles Faraud ne présentait pas les caractéristiques d'une entreprise mono-produit et écarté l'abattement revendiqué à ce titre par cette dernière.

638.Charles Faraud soutient en premier lieu que le taux d'abattement de 10 % ne traduit pas l'intensité de sa participation à l'infraction, bien plus faible que les autres membres de l'entente. Elle souligne qu'elle n'a jamais assisté à des réunions physiques bilatérales ou trilatérale, qu'elle affiche un nombre très limité d'échange et aucun échange entre novembre 2011 et septembre 2013, entre les 2 décembre 2010 et 13 avril 2011, et entre les 13 avril et le 3 novembre 2011.

639.Elle expose, en outre, que l'absence continue de sa participation aux pratiques entre novembre 2011 et septembre 2013 est un élément d'individualisation de sa sanction et doit conduire à un abattement plus important au titre de l'intensité de sa participation.

640.Elle fait valoir, en deuxième lieu, avoir adopté un comportement pro-concurrentiel et perturbateur des pratiques comme en atteste le taux d'augmentation de 28,7 % de son chiffre d'affaires sur les MDD et en RHF entre 2010 et 2014, nettement plus élevé que celui de l'ensemble du marché des compotes, ce qui signifie un gain de parts de marché dans la même proportion, ce qu'aucun des autres intervenants ne connaît, à l'exception d'Andros sur le canal de la RHF. Elle souligne que son attitude agressive sur le marché s'est également illustrée pour ses produits MDF avec une progression de plus de 39 % de son chiffres d'affaire en particulier à la suite du lancement de sa marque Charles et Alice. Elle soutient que les produits vendus en MDF et en MDD sont fabriqués par les mêmes lignes de production, seules les matières premières pouvant différer, qu'ils partagent les mêmes linéaires dans les grandes surfaces et qu'une percée en MDF est dès lors de nature à perturber directement le segment MDD. Elle en déduit que son comportement au cours des pratiques doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des canaux de distribution, MDF incluse.

641.Elle expose, en troisième lieu, que la sanction doit tenir compte de la structure de son chiffre d'affaires où la valeur des ventes sur les segments MDD et RHF représentent une quote-part bien plus élevée que celle observée chez les autres entreprises visées par le grief. En refusant de tenir compte de cette particularité, la sanction infligée par l'Autorité, avant vérification du plafond légal, a dépassé ce plafond de sorte que la sanction finalement infligée représente 10 % de son chiffre d'affaire soit un ratio bien plus élevé pour que pour les autres entreprises, de 15 à 200 fois supérieure. Elle souligne que le rapport de la sanction avec le chiffre d'affaires se situe à plus du triple par rapport à Valade, seule PME présente dans cette affaire.

642.Elle estime que cette circonstance doit conduire la Cour à considérer que Charles Faraud comme une entreprises mono produit au regard du ratio qu'elle présente (52 %) par rapport à celui, considérablement moins élevé que présentent les autres entreprises du marché. Elle observe que le point 48 du communiqué sanctions ne définit pas le seuil de sensibilité à partir duquel la valeur en relation avec l'infraction doit être considérée comme « l'essentiel » de l'activité de l'entreprise. Elle souligne que le principe d'égalité de la sanction doit être modulé avec celui de l'individualisation ce qui peut conduire à adapter la définition du seuil de mono-produit, lequel doit être appréciée au vu de la finalité poursuivie, qui est de ne pas accorder trop d'importance à la valeur des ventes par rapport à d'autres éléments comme le chiffre d'affaires.

643.À titre subsidiaire, elle fait valoir que la sanction infligée méconnaît le principe d'individualisation et de nécessité, dès lors qu'elle représente 10 % de son chiffre d'affaires total, soit un ratio bien plus élevé que pour les autres entreprises, introduisant ainsi une véritable distorsion de concurrence à son détriment et que rien ne vient justifier qu'une sanction à hauteur de 10 % soit nécessaire pour elle et pas pour les autres entreprises mises en cause. Enfin, elle observe qu'elle aurait été sanctionnée dans une bien moindre mesure si la notification des griefs avait visé les trois segments du marché (MDF-MDD-RHF).

644.Elle expose, en dernier lieu, que le montant de la sanction prononcée par la décision attaquée a fragilisé sa situation dans une proportion excessive.
645.L'Autorité considère que l'appréciation de l'intensité de la participation de Charles Faraud n'est entachée d'aucune erreur, ses représentants ayant participé à huit des dix réunions multilatérales, et ont eu des contacts bilatéraux par téléphone, de surcroît dédiés, avec des représentants de Coroos, Materne et Andros.

646.Elle souligne que l'évolution du chiffre d'affaires de Charles Faraud pendant la durée des pratiques n'est pas de nature à démontrer le rôle de franc-tireur dès lors que ses parts de marché sur les MDD et RHF ont légèrement diminué et que les autres entreprises en cause ont également connu une augmentation de la valeur de leurs ventes cumulées.

647.S'agissant du caractère mono-produit de l'entreprise, elle expose que celui-ci s'apprécie de manière objective en tenant compte des éléments propres à l'entreprise et non par comparaison avec les autres entreprises en cause. Elle ajoute qu'il est constant que la valeur des ventes de Charles Faraud en lien avec l'infraction est inférieure à 55 %.

648.Elle fait valoir que les éléments comptables et analyses produites par Charles Faraud attestent de ses capacités à acquitter le montant de la sanction sans difficulté.

649.Le ministre chargé de l'économie considère qu'il n'est pas souhaitable, compte tenu des caractéristiques de l'entente défensive relevée, de sanctionner une PME telle que Charles Faraud à hauteur de 10 % de son chiffre d'affaires, un tel niveau de sanction devant être réservé aux infractions d'une extrême gravité présentant un très fort dommage à l'économie.

650.Le ministère public souligne qu'en cas de réformation de la proportion du montant de base, le montant de la sanction litigieuse sera sensiblement réduit de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande de réduction formée par Charles Faraud.

Sur ce, la Cour,

651.S'agissant de l'intensité de la participation de Charles Faraud aux pratiques, il a été établi que cette entreprise avait participé aux réunions des 5 octobre, 4 novembre et 2 décembre 2010, 13 avril, 10 juin et 3 novembre 2011 puis à celles des 17 juillet et 13 septembre 2013, soit à huit des dix réunions multilatérales, et qu'elle avait eu des échanges par téléphone avec trois des sept membres de l'entente que sont Materne, Coroos et Andros et ce, par le biais de téléphone dédié, pendant la période séparant la réunion multilatérale du 3 novembre 2011 et celle du 17 juillet 2013 contrairement à ce qu'elle soutient. Ainsi, si la participation de cette entreprise n'a pas été aussi intense que celle d'autres membres de l'entente, son comportement pendant la période infractionnelle ne justifie pas un abattement supérieur à celui décidé à juste titre par l'Autorité, soit 10 %.

652.S'agissant de son rôle de franc-tireur, ainsi que le souligne l'Autorité, l'augmentation de son chiffre d'affaires, tous secteurs confondus au cours de la période invoquée, est similaire à celle des autres membres de l'entente (cotes 13 598 et 13 602) et ses parts de marché sur les secteurs concernés par l'infraction ont été stables, voire ont légèrement diminué sur le secteur de la RHF, ainsi qu'en atteste le tableau figurant au § 667 de la décision attaquée. Ainsi, ni l'évolution de son chiffre d'affaires, ni celui de ses parts de marché ne permettent d'établir que Charles Faraud a adopté un comportement de nature à perturber l'entente. Dans ces conditions, la seule circonstance qu'elle n'a pas respecté un accord sur les prix lors d'un appel d'offres ne peut suffire à justifier un abattement du montrant de base de sa sanction.

653.S'agissant du caractère mono-produit, le point 48 du communiqué sanctions précise que le montant de base peut être adapté à la baisse pour tenir compte du fait que « l'entreprise mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise "mono-produit") ». La prise en compte du caractère d'« entreprise mono-produit » a pour finalité d'éviter que l'application de la méthode définie dans le communiqué aboutisse à un montant disproportionné au regard du chiffre d'affaires réalisé, en particulier en donnant trop d'importance à la valeur des ventes en relation avec l'infraction.
654.L'adaptation à la baisse de la sanction en application du point 48 du communiqué sanctions participe de l'individualisation de la sanction et doit donc être appréciée au regard de la situation propre de chaque entreprise et non par comparaison des parts que représente la sanction dans le chiffres d'affaires des autres entreprises mises en cause.

655.Si le point 48 du communiqué sanction ne chiffre pas le seuil de sensibilité permettant de retenir le caractère de mono- produit de l'activité de l'entreprise, il précise néanmoins que l'activité en lien avec l'infraction doit représenter l'essentiel de celle de l'entreprise.

656.Or, la valeur des ventes en lien avec l'infraction pour l'exercice 2012 retenue par la Cour représente 60 % du chiffre d'affaires total réalisé par Charles Faraud au cours du même exercice. Si ce ratio permet de constater que l'activité de Charles Faraud en lien avec l'infraction représente un peu plus de la moitié de son activité globale, il ne permet toutefois pas de considérer qu'elle en constitue l'essentiel.

657.En outre, après réformation de la durée de participation individuelle de Charles Faraud à l'infraction, de la proportion de la valeur des ventes et application de l'abattement de 10 % au titre de l'intensité de cette participation, le montant de la sanction s'établit à la somme arrondie de 13 413 091 euros, soit en-deça du plafond légal tel que fixé par l'Autorité au § 760 de la décision attaquée, et non contesté.

658.S'agissant, enfin, des capacités contributives, le rapport annuel des comptes consolidés pour l'exercice clos de 2019 du groupe CAI Développement mentionne qu'« à la date de l'arrêté des comptes, dans le contexte actuel et malgré l'amende de l'ADLC, la société n'anticipe pas de difficultés qui pourraient remettre en cause la continuité de l'exploitation » tandis que le rapport annuel pour l'exercice suivant (pièce no 19, p.26), souligne l'absence d'impact de cette sanction dans les comptes de 2020.

659.Toutefois, ce même rapport des comptes clos en 2020 précise que le groupe a obtenu un échelonnement du paiement de cette sanction, avec un premier versement équivalent à environ un quart de son montant initial le 15 mai 2021, soit postérieurement à la date de la clôture. Ainsi, si l'amende a bien été enregistrée dans les comptes en 2020, son paiement effectif ne devait intervenir qu'au cours de l'exercice suivant et de manière échelonné.

660.En outre, les éléments actualisant la situation de l'entreprise à la date du 7 juin 2021 établissent que le paiement de la sanction, même révisée par la Cour, est de nature à fragiliser l'entreprise au regard de ses disponibilités et du montant de ses investissements en cours de réalisation, décidés en 2019, avant la décision de sanction, et de ceux futurs nécessaires notamment à l'amélioration de ses outils de production et à son développement, comme en attestent les pièces 26 et 27 produites par Charles Faraud.

661.Il y a donc de lieu de ramener la sanction à la somme de 8 000 000 euros afin de la proportionner à la situation de l'entreprise tout en lui conférant un effet dissuasif.

6. Delis

662.Délis (Délis SA, Vergers de Chateaubourg et Groupe Lactalis) fait grief, en premier lieu, à la décision attaquée de ne pas avoir pratiqué d'abattement pour tenir compte du caractère modéré de l'intensité de sa participation aux pratiques. Elle soutient que l'unique critère utilisé par la décision attaquée pour apprécier l'intensité de la participation des entreprises en cause est le nombre de réunions multilatérales et non la nature des échanges, contrairement à ce qu'indique la décision attaquée au § 678, et que l'Autorité a appliqué des abattements forfaitaires incohérents par rapport aux critères qu'elle a énoncés, ce qui l'a conduite à violer les principe d'égalité de traitement et de proportionnalité. Elle souligne qu'elle n'a participé à aucune des réunions bi/trilatérales, à la différence d'Andros, Conserves France, Materne et Coroos, à aucun échange par messagerie électronique et qu'elle n'a pas utilisé de téléphone dédié. Elle ajoute qu'elle est un opérateur de petite taille, peu à même de déstabiliser l'entente, et qu'elle n'appartenait pas au noyau dur des participants, et que, surtout, elle n'a pas participé plus intensément à l'entente que Charles Faraud qui lui a toutefois bénéficié d'un abattement de 10 %.
663.En deuxième lieu, Délis reproche à l'Autorité d'avoir pratiqué une majoration de 65 % au titre de son appartenant à un groupe alors d'une part, qu'elle conteste l'imputabilité des pratiques à l'égard de BSA, et d'autre part, qu'une telle majoration ne peut être automatique mais doit être motivée et qu'en l'espèce, les éléments figurant au dossier démontrent que l'appartenance de Délis SA et Vergers de Chateaubourg à un groupe n'a joué aucun rôle dans la mise en oeuvre des pratiques. Elle ajoute que l'application d'une telle majoration, qui n'est motivée dans la décision attaquée qu'au regard du seul ratio de la valeur des ventes sur le chiffre d'affaires, sans autres précisions sur les modalités de détermination du taux de majoration, et par renvoi aux § 735 et 738 qui sont totalement hors sujet, est purement arbitraire, empêchant le contrôle de son bien-fondé. Elle soutient qu'à supposer que le ratio valeur des ventes sur le chiffre d'affaires consolidé soit le seul critère pertinent, il n'a pas été appliqué de la même manière à l'égard des entreprises en cause puisque Materne ne s'est vue appliquer aucune majoration alors qu'elle présente le même ratio que Conserves France, laquelle s'est vue appliquer une majoration de 10 %. Elle souligne que l'application de cette majoration aboutit à une sanction qui représente 56 % du montant de sa valeur de ventes, soit un taux largement supérieur à ceux de ces concurrents. Délis fait valoir qu'en tout état de cause, le taux retenu est contraire à ceux habituellement fixés par l'Autorité dans d'autres affaires, pour des ratios et chiffres d'affaires équivalents, qu'il heurte les principes d'individualisation et de proportionnalité de la sanction. Elle souligne que l'effet dissuasif recherché par ce coefficient revient à sanctionner plus lourdement une entreprise pour tenter de la dissuader de recommencer qu'une entreprise récidiviste qui n'encourt qu'une majoration comprise en 10 % et 50 % selon le point 82 du communiqué sanctions.

664.En troisième lieu, Délis invoque les difficultés financières de Délis SA et Vergers de Chateaubourg justifiant une diminution du montant de la sanction et reproche à l'Autorité d'avoir refusé d'en tenir compte.

665.L'Autorité, répond, s'agissant de l'intensité de la participation de Délis, qu'il a été établi que cette entreprise avait participé à l'ensemble des réunions multilatérales et à des échanges téléphoniques avec Materne et Coroos.

666.S'agissant de la majoration au titre de l'appartenance à un groupe, elle répond par les observations exposées au paragraphe 592 du présent arrêt et rappelle que les pratiques ont été imputées à BSA. Elle souligne avoir décidé de pratiquer une majoration de la sanction au titre de l'appartenance à une groupe en appliquant des critères objectifs et transparents exposés aux § 747 et 748 de la décision attaquée, dont celui du ratio de la valeur de ventes sur le chiffre d'affaires consolidé qui a été validé par la cour d'appel, critères qu'elle a appliqués de la même manière aux autres entreprises en cause ainsi qu'il résulte des § 727 et 730, peu important à cet égard le renvoi erroné aux § 735 et 738. Elle ajoute que sa pratique décisionnelle ne peut servir de cadre juridique de sanctions pécuniaires dès lors que celle-ci doit être déterminés de manière individuelle à l'égard de chaque entreprise au regard des faits et du contexte qui sont propres à chaque espèce, ainsi que la cour d'appel l'a relevé dans l'affaire [H]-[Y], et qu'en tout état de cause, le taux de majoration appliqué n'est ni inédit ni incohérent avec ceux retenus dans des espèces comparables. Elle précise que Conserves France et Materne ne se trouvaient pas dans une situation comparable dès lors qu'il ne peut être tenu compte du chiffre d'affaires consolidé de groupe Bel, Materne ayant intégré ce groupe postérieurement aux pratiques et que le ratio de la valeur des ventes et du chiffre d'affaires consolidé de MBMA Holding est de 8,46 % alors que celui de Conserves France est de 1,04 %.

667.S'agissant enfin des capacités contributives, elle expose que celles-ci doivent être appréciées tant au niveau de Delis SA et Vergers de Chateaubourg qu'à celui du groupe auquel ces sociétés appartiennent et que les éléments dont elle dispose sur la situation du groupe attestent de la capacité de ce dernier à faire face au montant de la sanction.

668.Le ministre chargé de l'économie considère qu'il n'y a pas lieu d'accorder une réduction au titre de la participation de Délis aux pratiques mais que le coefficient de majoration n'est pas justifié, paraît notoirement supérieur au niveau retenu dans ses affaires comparables en se référant au § 421 de l'exposé des moyens de Délis et qu'il devait être ramené dans une fourchette de 15 à 25 %. Il estime qu'il y lieu de tenir compte de la capacité contributive très fragilisée des sociétés Délis et Vergers de Chateaubourg pour les exercices 2018 et 2019.
669.Le ministère public invite la Cour à ramener à 25 % le taux de majoration au titre de l'appartenance à un groupe et, compte tenu des difficultés financières des sociétés Délis SA et vergers de Chateaubourg à réduire le montant de la sanction de 25 %.

Sur ce, la Cour,

670.S'agissant, en premier lieu, de l'intensité de la participation aux pratiques, l'Autorité, dans la décision attaquée (§ 678), a précisé que pour appliquer une réduction, elle tenait compte de la nature des échanges auxquels l'entreprise avait participé ainsi que de leur fréquence, puis constatant que Délis avait participé à toutes le réunions multilatérales et avait eu des échanges par téléphone avec Coroos et Materne, a considéré qu'il n'y avait pas lieu de réduire le montant de base de la sanction.

671.Si neuf et non dix réunions multilatérales peuvent être retenues contre Délis, il résulte toutefois des éléments relevés en partie A du présent arrêt, que Délis a eu des échanges téléphoniques non seulement avec Materne et Coroos mais également avec Andros et Conserves France. S'agissant en particulier des échanges avec Andros et Materne, les mêmes éléments établissent que ces échanges ont été nombreux, contrairement à ce qui a été établi à l'égard des entreprises ayant bénéficié d'une réduction. C'est donc à juste titre, et sans méconnaître ni le principe de proportionnalité, ni celui d'égalité de traitement, que l'Autorité, tenant compte à la fois de la fréquence et de la nature des échanges, a refusé d'accorder une réduction du montant de base de la sanction encoures par Délis au titre de l'intensité de la participation de cette dernière aux pratiques, et ce peu important que Délis soit un opérateur de petite taille.

672.Néanmoins, dès lors qu'il a été admis par la décision attaquée, ce que l'Autorité ne remet pas en cause dans ses observations, que Délis SA s'était désengagée progressivement du secteur de la RHF à compter de 2012, il y a lieu d'en tenir compte à ce stade et de lui octroyer un abattement de 5 %.

673.S'agissant en deuxième lieu, de la majoration appliquée au titre de l'appartenance à un groupe, il convient de rappeler que les pratiques ont été imputées à BSA, société mère ultime de Délis SA et Vergers de Chateaubourg, filiales dépourvues d'autonomie, de sorte que, pour les mêmes motifs que ceux exposés au paragraphe 599 du présent arrêt, l'Autorité était fondée à apprécier si la situation du groupe contrôlé par BSA était de nature à justifier une majoration de la sanction encourue afin d'en assurer le caractère dissuasif et ce, sans être tenue à une plus ample motivation.

674.Ainsi qu'il a déjà été exposé, le rapport entre d'une part, la valeur de ventes servant d'assiette au montant de base et, d'autre part, le chiffre d'affaires consolidé, constitue un critère pertinent pour décider de l'application d'une majoration et déterminer son taux, critère que l'Autorité a expressément rappelé au § 705 de la décision attaquée et indiqué avoir mis en en oeuvre, s'agissant de Délis, au § 748 de la décision attaquée. Le renvoi erroné aux § 735 et 738 n'a donc pas pu nuire à la compréhension par Délis du critère ainsi appliqué.

675.En outre, aux § 701 à 705 de la décision attaquée, l'Autorité a exposé la règle de la majoration du montant de base de la sanction au titre de l'appartenance à un groupe et le critère d'appréciation de cette majoration, tandis qu'aux § 745 à 749, elle a précisé les éléments la conduisant à appliquer, en l'espèce, une majoration de 65 % à l'égard de Délis, à savoir le montant du chiffre d'affaires consolidé de BSA (18 449 982 000 euros) et la part que représente la valeur des ventes de référence dans ce chiffre d'affaires (0,09 %). En indiquant ces éléments de droit et de fait, l'Autorité a satisfait à l'exigence de motivation requise pour les décisions de sanction, laquelle ne lui impose pas de détailler davantage le mode de détermination du taux de majoration.

676.L'Autorité a appliqué ces mêmes critères à Andros, Charles Faraud et Conserves France pour majorer leur sanction. Sur ce point, c'est en vain que Délis invoque un traitement différencié injustifié de Materne dès lors que cette dernière n'appartenait pas au groupe Bel pendant la période infractionnelle de sorte que les pratiques ne pouvant lui être imputées, le chiffre d'affaires ne pouvait pas être pris en compte comme le fait à tort Délis dans son analyse. Le grief pris d'une méconnaissance de l'égalité de traitement n'est pas donc pas fondé.

677.La valeur des ventes de référence retenue par la Cour ne représentant que 0,08 % du chiffre d'affaires consolidé de BSA, la Cour considère qu'au vu du chiffre d'affaire consolidé de BSA, le taux de majoration de 65 % demeure justifié.

678.Sur le caractère proportionné de ce taux, il convient de rappeler que la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité ne peut servir de cadre juridique aux sanctions pécuniaires infligées en matière de pratiques anticoncurrentielles, ces sanctions étant déterminées individuellement pour chaque entreprise au regard du contexte et des faits propres à chaque espèce. Seront donc écartés les arguments invoqués par Délis fondés sur le montant des majorations appliquées aux sanctions infligées par l'Autorité dans d'autres affaires, pour contester le taux de majoration qui lui a été appliqué en l'espèce. Au demeurant, les comparaisons effectuées par Délis, en particulier aux pages 130 et 132 de ses écritures, ne sont pas pertinentes. En effet, elles mettent en rapport le taux de majoration retenu avec soit le montant global du chiffres d'affaires, soit le ratio de la valeur de ventes du groupe dans le chiffre d'affaires alors que la majoration tient nécessairement compte et de manière indivisible tant du montant global du chiffre d'affaires que du ratio.

679.Par ailleurs, le caractère disproportionné du taux ne peut résulter d'une comparaison de la part que représente la sanction dans le chiffre d'affaires global pour chacun de membres de l'entente dès lors que le montant final de la sanction dépend d'éléments d'individualisation propres à chaque entreprise, comme l'intensité de la participation aux pratiques ou encore le rôle de franc-tireur.

680.Il ne peut être davantage être déduit du plafond de la majoration fixé à 50 % par le point 51 du communiqué sanctions en cas de réitération dès lors que, d'une part, cette majoration qui sanctionne la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de la concurrence, est appréciée indépendamment de son chiffre d'affaires ou de sa puissance économique tandis que la majoration au titre de l'appartenance à un groupe, qui permet de proportionner la sanction et lui conférer un caractère dissuasif, est appréciée au regard des ressources globales du groupe auquel appartient l'auteur direct des pratiques et que, d'autre part, l'une n'est pas exclusive de l'autre.

681.S'agissant en troisième lieu, des capacités contributives, il convient à titre liminaire de relever qu'après réformation de la proportion du taux de base et de la durée de la participation individuelle de Délis, puis application de la majoration litigieuse et d'un abattement de 5 % pour les motifs exposés au 672 du présent arrêt, la sanction s'établit à la somme arrondie de 5 709 483 euros, inférieure au plafond légal tel que fixé au § 758 et 759 de la décision et non contesté.

682.Ainsi qu'il a déjà été rappelé au paragraphe 624 du présent arrêt, la sanction doit être proportionnée à la situation de l'entreprise ou le cas échant du groupe auquel elle appartient, ainsi que le prescrit l'article L.462-4 du code de commerce.

683.Ce principe, qui n'est que la traduction du principe de l'individualisation des sanctions, s'applique à l'égard de l'entreprise, prise au sens du droit de la concurrence, et non à l'égard des personnes juridique la constituant. Ainsi, la capacité contributive doit être appréciée non seulement au regard de la situation de la filiale mais également de celle de la société mère, en l'absence d'autonomie de la première à l'égard de la seconde.

684.Or, ainsi que le souligne l'Autorité aux § 9 et 10 de ses observations complémentaires, les capacités contributives de BSA apparaissent, au 31 décembre 2020, significatives au regard de son résultat net annuel de plusieurs dizaines de millions d'euros, le groupe ayant en outre annoncé un résultat net consolidé de 427 millions d'euros.

685.Il convient donc de prononcer une sanction de 5 709 483 euros solidairement à l'égard de Délis SA, Vergers de Chateaubourg, Lactalis et BSA.

V. SUR LES DEMANDES FAITES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE, DES DÉPENS ET ACCESSOIRE

686.L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile et que chacune des parties conserve la charge de ses frais irrépétible et de ses dépens.

687.Valade succombant partiellement en son recours, il n'y a pas lieu de faire de droit à sa demande de remboursement de frais de publication.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement,

DÉCLARE irrecevable la note adressée, en cours de délibéré par les sociétés Charles Faraud SAS, Charles et Alice SASet CAI Développement SAS ;

REJETTE l'exception d'illégalité des points 33 et 37 du communiqué de l'Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires formée par les sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS ;

REJETTE les demandes d'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence no 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes, fondées sur le moyen pris de la violation de la violation du principe d'impartialité des services de l'instruction et formées par les sociétés Materne SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS et les sociétés Délis SA, Vergers de Chateaubourg SAS, Groupe Lactalis ;

REJETTE la demande d'annulation de la décision précitée fondée sur le moyen pris de la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense formée par la société BSA ;

RÉFORME la décision précitée en ce qu'elle a fixé au 10 janvier 2014 la date de fin de participation aux pratiques des sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS, des sociétés Conserves France SA et Conserves Italia societa cooperativa agricola, des sociétés Délis SA, Vergers de Châteaubourg SAS, Groupe Lactalis SA et BSA SA, des sociétés Charles Faraud SAS, Charles et Alice SAS et CAI Développement SAS, des sociétés Valade SAS et Financière de [Localité 25] SAS et, statuant à nouveau, fixe cette date au 28 juillet 2013 pour les sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS, et au 22 novembre 2013 pour les autres sociétés précitées ;

RÉFORME l'article 2 de la décision précitée et, statuant à nouveau, inflige une sanction de :

– de 9 396 434 euros solidairement aux sociétés Materne SAS, MBMA SAS et MBMA Holding SAS ;

– de 5 328 512 euros solidairement aux sociétés Andros SNC et Andros et Cie SAS ;

– 1 290 984 euros solidairement aux sociétés Conserves France SA et Conserve Italia societa cooperativa agricola ;

– 1 850 418 euros solidairement aux sociétés Valade SAS et Financière [Localité 25] SAS ;

– 8 000 000 euros solidairement aux sociétés Charles Faraud SA, Charles et Alice SAS et CAI Développement SAS ;

– 5 709 483 euros solidairement aux sociétés à l'égard de Délis SA, Vergers de Chateaubourg SAS, Groupe Lactalis SA et BSA.

REJETTE tout autre moyen d'annulation et/ou de réformation plus ample ou contraire ;

RAPPELLE que les sommes qui auraient été payées excédant les montants ci-dessus fixés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt et, s'il y a lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;

REJETTE la demande de remboursement des frais de publication formée par les sociétés Valade et Financière [Localité 25] ;

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

LA GREFFIERE

Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE

[F] [D]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : I7
Numéro d'arrêt : 20/014947
Date de la décision : 06/10/2022
Sens de l'arrêt : Statue à nouveau en déboutant le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-10-06;20.014947 ?
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