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05/10/2022 | FRANCE | N°22/05934

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 05 octobre 2022, 22/05934


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 05 OCTOBRE 2022



(n°40, 11 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 22/05934 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQFS



Décision déférée : Procès-verbal de visite de navire en date du 21 Mars 2022 concernant le navire '[Adresse 10]



Nature de la décision : Contradictoire



N

ous, Elisabeth IENNE-BERTHELOT, Conseillère à la Cour d'appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 63 du code des douanes ;



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Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 05 OCTOBRE 2022

(n°40, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/05934 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQFS

Décision déférée : Procès-verbal de visite de navire en date du 21 Mars 2022 concernant le navire '[Adresse 10]

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Elisabeth IENNE-BERTHELOT, Conseillère à la Cour d'appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 63 du code des douanes ;

assistée de Véronique COUVET, greffier lors des débats et de la mise à disposition ;

MINISTERE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Monica d'ONOFRIO, avocat général ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 14 septembre 2022 :

Monsieur [B] [M] [D]

né le [Date naissance 2] 1962 à KIROV FEDERATION DE RUSSIE

Elisant domicile au cabinet Lexavoué [Localité 4] Versailles

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assisté de Me Philippe BLANCHETIER, avocat au barreau de Paris, toque B 1121

REQUÉRANT

et

LA DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUETES DOUANIERES (DNRED)

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Mme Marie-Anne JOSROLLAND, inspectrice dûment mandatée

DÉFENDERESSE

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 14 septembre 2022, l'avocat du requérant, et l'avocat de la DNRED ;

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 14 septembre 2022, Mme Monica d'ONOFRIO, avocat général, en son avis ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 05 Octobre 2022 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

[B] [M] [D] est visé dans l'annexe du Règlement d'exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022 mettant en oeuvre le Règlement (UE) n° 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, paru au Journal officiel de l'Union européenne du 15 mars 2022.

Le 15 mars 2022, les agents du service de la DNRED d'Ivry / Seine (94), ont dressé deux procès- verbaux dont l'objet porte sur le 'contrôle du commerce extérieur' et 'la réception de documents (art 334 du code des Douanes)' suite à la communication d'informations concernant deux navires (la Petite Ourse et la Petite Ourse II) appartenant à la société ORANGERY MARINE LIMITED, enregistrée sur les registres du commerce de Malte, désignant [B] [M] [D] comme le propriétaire effectif de ladite société (PV 1, 2).

Le 21 mars 2022, les agents de la DNRED (5) et les agents du service des garde-côtes des Douanes de Méditerranée (3), désignés sous leur numéro de matricule, dressaient un procès-verbal portant comme objet : 'application des mesures de gel des avoirs prévues par le règlement (UE) n°2022/467 du 15 mars 2022 modifiant l'annexe I du Règlement (UE) n° 269/2014 du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine', relatant les opérations de contrôle à bord du navire, entre 11H et [Immatriculation 1], situé dans le [Localité 14] port de [Localité 7], en présence du capitaine [U] [X], représentant de la société propriétaire du navire. Celui-ci était informé par les agents des douanes du gel du navire de la Petite Ourse II, des mesures de restrictions du navire consistant en l'immobilisation du navire et des peines encourues prévues par le code des douanes en cas d'infraction. Le procès-verbal précisait la motivation de la décision concernant [B] [M] [D]. Il était signé par les 8 agents des douanes (numéro de matricule), le capitaine [X], une copie de l'acte lui étant (PV4).

Le 21 mars 2022 à [Immatriculation 1], les trois agents des douanes du SGCD Méditerranées, désignés sous leur numéro de matricule, dressaient un procès-verbal de visite de Navire, visant l'article 63 du code des douanes, suite aux opérations de visite des parties du navire affectées à un usage privé ou d'habitation, en l'espèce la cabine du capitaine [U] [X], précisant à ce dernier les voies de recours 'par déclaration au greffe de la Cour de Courappel de [Localité 13] '(PV n°3).

Le 4 avril 2022, [B] [M] [D] formait un recours afin de contester le déroulement des opérations de visite réalisées par les agents de la DNRED qui se sont déroulées le 21 mars 2022 de 11H à [Immatriculation 1] sur le navire la 'Petite Ours II', tendant à l'annulation de l'ensemble desdites opérations de visite et de tous les actes subséquents, le procès-verbal de visite du navire concerné (PV n°3) était joint à l'acte du rexcours.

Dans son recours initial, le requérant précisait que le siège de la DNRED était situé à Ivry/Seine (94) et qu'aucune ordonnance du JLD n'avait été signifiée (RG 22/05934).

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 14 septembre 2022.

L'incompétence territoriale de la Cour d'appel de Paris a été soulevée in limine litis par l'administration des douanes dans ses conclusions écrites. A l'audience du 14 septembre un débat a été organisé in limine litis, l'administration des douanes a été entendue sur l'exception d'incompétence, le conseil du requérant a été entendu ainsi que le Ministère Public.

L'exception d'incompétence qui a été soulevée a été jointe au fond.

A l'issue des plaidoiries sur le fond, l'affaire a été mise en délibéré pour être rendue le 5 octobre 2022.

***

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 29 avril 2022, par conclusions récapitulatives déposées le 31 août 2022, développées oralement à l'audience du 14 septembre 2022, le requérant fait valoir:

Exposé

Le requérant a formé un recours à l'encontre des opérations de visite sollicitant à titre principal de transmettre à la Cour de Justice de l'Union une triple question préjudicielle et à titre subsidiaire d'annuler le procès-verbal de visite contesté et tous les procès-verbaux de constat subséquents.

Discussion

A titre liminaire, sur l'exception d'incompétence territoriale :

Selon l' administration des douanes, le recours est de la compétence de la Cour d'appel de Rouen, du fait que les opérations ont été réalisées par des agents de la 'Direction nationale des garde -côtes des douanes' dont l'état major est à Rouen.

Le requérant rappelle que le service susvisé est rattaché à la 'direction générale des douanes et drois indirects' dont le siège est situé à [Adresse 11]), elle même rattachée au ministère de l'économie et des finances situé à [Localité 4] 12ème, de plus, la visite a été effectuée conjointement par les agents de la DNGCD et par les agents de la DNRED saisis du dossier. Le requérant relève que le procès-verbal de visite du navire spécifie les voix de recours en indiquant de façon obscure 'greffe de la Cour de Courappel', de plus, le représentant de la DNRED dans la procédure est qualifiée d' 'agent poursuivant', et ce même dans la procédure connexe initiée devant la Cour d'appel de Rouen ( à raison de la mention portée sur le PV de visite de la petite Ourse II). Il en résulte que la Cour d'appel de Paris est compétente et que l'exception d'incompétence doit être rejetée.

A l'audience, le conseil du requérant confirme que la Cour d'appel de Rouen a été saisie du même recours et que l'audience est fixée fin octobre 2022.

Au fond :

I Sur l'incompétence du service des Douanes.

En droit, la mise en 'uvre des mesures restrictives du Règlement Européen n°269/2014 est laissée aux autorités administratives des Etats membres telles qu'elles sont désignées sur un site internet cité en annexe [9], s'agissant particulièrement des mesures de gel, l'administration des douanes n'est pas mentionnée comme autorité compétente, selon le site internet indiqué ( www diplomatie .gouv), sa compétence se limitant à la fourniture de renseignements liées aux exportations physiques, alors que le site mentionne la Direction Générale du Trésor ( DGT) comme autorité nationale compétente pour la mise en oeuvre des sanctions sectorielles, financières et gels des avoirs. Par conséquent, les agents des douanes n'avaient pas compétence pour entreprendre une telle démarche.

II Sur la non-applicabilité des dispositions de l'article 63 du code des Douanes.

L'article 63 du code des douanes est cité, il vise le cas d'une recherche d'une fraude douanière. En l'absence d'établissement que le navire ait été stationné de manière stable pendant plus de 72 heures, l'article 64 du code des douanes doit s'appliquer, celui prévoyant une ordonnance du juge des libertés et de la détention pour autoriser l'opération de visite .

L'administration des douanes argue que la visite peut se faire avec l'accord de l'occupant des lieux, or au cas d'espèce il n'est fait mention d'aucune notification du droit de s'opposer à la visite envers monsieur [X] , ainsi l'annulation du procès-verbal s'impose.

III Sur le détournement de procédure.

En droit, le Règlement Européen n°269/2014, dans sa version consolidée au 15 mars 2022, met en place des mesures de gel de fonds et de ressources économiques.

La notion de 'gel de ressources économiques' est définie en son article premier, point e) 'toute action visant à empêcher l'utilisation des ressources économiques afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque'.

En l'espèce, le navire de plaisance est à usage privatif, et non destiné à la location.

Il ne s'agit donc pas d'une ressource économique au sens du droit de l'Union Européenne.

Ensuite, il n'est pas constaté dans les procès-verbaux litigieux la recherche d'une infraction douanière.

En conséquence, l'administration des douanes, incompétente, a détourné de sa finalité les textes prévus par le code des douanes pour la recherche d'une infraction douanière absente de la cause.

La procédure litigieuse constitue un détournement de la règle de droit. Elle sera sanctionnée comme telle.

IV-In fine, sur l'atteinte aux libertés fondamentales et l'interprétation de la norme.

Ainsi , l'incompétence du service des douanes et le détournement de procédure procèdent d'une violation des textes garantis au plus haut niveau normatif, notamment l'article l'article 8 de la CESDH qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale et de manière induite, du domicile et l'article 6§1 de la CESDH qui garantit le droit à un procès équitable.

En l'espèce, le propriétaire du navire n'a fait l'objet d'aucune notification individuelle, et n'a bénéficié d' aucune voie de recours quant à son inscription sur cette liste parue le jour-même.

Par conséquent, la violation des dispositions de l'article 6 §1 de la CESDH est manifeste.

En droit, l'article 267 TFUE prévoit le mécanisme de question préjudicielle. Celui-ci est d'autant plus nécessaire au regard du droit fondamental à l'existence d'un recours juridictionnel.

En l'espèce, l'application du droit de l'Union se trouve à l'origine même du litige.

L'art 267 du TFUE qui prévoit ce mécanisme de question préjudicielle sera invoqué à bon escient. La triple question préjudicielle qui s'impose est précisée.

V- Subsidiairement sur la nullité de la procédure du procès-verbal de visite et des actes subséquents.

Si le Premier Président devait juger que l'opportunité du litige ne commande pas de transmettre à la CJUE la triple question préjudicielle soulevée, il pourra annuler le procès-verbal de visite et celui, subséquent, de notification de la mesure d'immobilisation du navire, en vertu des éléments développés ci-avant.

Par ces motifs, il est demandé à la Cour, à titre principal,

- de transmettre à la Cour de Justice de l'Union Européenne la triple question préjudicielle suivante, en interprétation et en validité:

Le droit de l'Union Européenne et plus précisément les règlements n°269/2014 et 2022/427sont-ils valides au regard des dispositions du Traité dès lors qu'ils procèdent de l'inscription discrétionnaire d'un citoyen sur une liste qui n'a fait l'objet d'aucune notification ni d'aucun recours préalable susceptible d'être ouvert à l'intéressé '

Le droit de l'Union Européenne et plus précisément les règlements n°269/2014 et 2022/427 doivent-ils être interprétés en ce qu'un simple navire de plaisance à usage privatif de la personne inscrite sur la liste constitue une ressource économique susceptible de gel '

Le droit de l'Union Européenne et plus précisément le règlement n°269/2014 doit-il s'interpréter en ce que la mesure de gel qui s'appliquerait sur un bien mobilier autorise une autorité administrative d'un Etat non désignée dans l'annexe du II du règlement n°269/2014 à engager une procédure de droit national pour procéder à l'immobilisation du bien mobilier'

A titre subsidiaire (demandes confirmées à l'audience) :

- dire et juger irrégulier le procès-verbal de saisie du 21 mars 2022,

- juger irrégulières la visite domiciliaire et la notification de saisie/gel du 21 mars 2022, ensemble les procès-verbaux de visite n°3 et de gel n° 4 les relatant,

- procéder à l'annulation des procès-verbaux litigieux et à tous les procès-verbaux de constat subséquents,

- condamner l'Administration des douanes au paiement d'une indemnité de 10 000 € au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 27 juillet 2022, développées à l'audience du 14 septembre 2022, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières fait valoir:

In limine litis: sur l'incompétence territoriale du Premier Président de la Cour d'appel de Paris.

L'administration des douanes rappelle les termes des articles 74, 81 et 33 du code de procédure civile et précise que le code des douanes édicte des dispositions particulières fixant la compétence matérielle.

Le présent recours ayant été introduit dans le cadre d'une contestation des opérations de visite des parties privatives du navire LA PETITE OURSE II , qui ont été réalisées par les agents du service de garde-côtes Méditerranée, la compétence revient à la Cour d'appel du lieu de direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, conformément à l'article 63 5ème alinéa du code des douanes, en l'espèce, le service chargé de la procédure est le service de constatation, le service de garde-côtes des douanes de Méditerranée, dépendant de la Direction Nationale Garde-Côtes des douanes (DNGCD), relevant de la DNGCD sis au Havre, la compétence territoriale revient nécessairement à la Cour d'appel de Rouen.

Le Premier Président est incompétent s'agissant du présent recours. Le requérant devra être invité à mieux se pourvoir.

Sur le fond :

I. Rappel des faits et de la procédure

Le 14 mars 2022, les agents de la DNRED ont reçu des informations portant sur le navire LA PETITE OURSE II transmises spontanément par la cellule évaluation des menaces et analyse sureté et les autorités maltaises. Ces informations signalaient que ce navire de plaisance était enregistré comme appartenant à la compagnie ORANGERY MARINE LIMITED, SARL enregistrée à Malte et appartenant à Monsieur [B] [M] [D], né le [Date naissance 2] 1962 (éléments consignés dans 2 PV de constat). Il ressortait que le navire de plaisance la PETITE OURSE II annexe du yacht la PETITE OURSE se trouvait en hivernage au vieux port de [Localité 7] depuis le 1er octobre 2021 et que son capitaine était [U] [X].

Le 21 mars 2022, les agents du service garde-côtes des douanes de Méditerranée se sont rendus à bord du yacht afin de visiter le navire, sur le fondement de l'article 63 du code des douanes. Ils ont notifié au capitaine du navire 'la petite Ourse II', Monsieur [X] la mesure de gel des avoirs telle que prévue par le Règlement UE du 15 mars 2022.

M. [B] [M] [D] a formé un recours contre les opérations de visite qui se sont déroulées sur le navire LA PETITE OURSE II, aux fins de (selon conclusions du 29 avril 2022) :

« A titre principal, transmettre à la Cour de Justice de l'Union européenne une triple question préjudicielle en interprétation et en validité;

Et, en tout état de cause:

Dire et juger irrégulier le procès-verbal de saisie le 21 mars 2022;

Procéder à l'annulation du procès-verbal de saisie litigieux et à tous les procès-verbaux de constat subséquents;

Condamner l'administration des douanes au paiement d'une indemnité de 10 000€ au fondement des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens ».

II. Discussion

- Sur la compétence du service des douanes.

S'agissant de la mise en oeuvre des mesures restrictives édictées par le Règlement d'exécution (UE) n°2022/427 du Conseil du 15 mars 2022, modifiant l'annexe 1 du Règlement (UE) 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014, or ce Règlement d'application directe gèle les fonds et ressources économiques des personnes et entités reprises en annexe. La compétence avérée de la Direction générale du Trésor (mentionnée par le site internet 'www.diplomatie.gouv.fr Autorités sanctions ' ) n'exclut pas, pour autant, la compétence des douanes, compétentes pour le contentieux des relations financières avec l'étranger (notamment en vertu des articles 451 bis, 453 et 459 §1 du code des douanes).

Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, l'administration douanière est parfaitement compétente pour veiller au respect de la réglementation relative aux relations financières avec l'étranger.

- Sur l'applicabilité de l'article 63 du code des douanes.

Le requérant soutient que les opérations de visite relatées au procès-verbal litigieux ne répondaient pas aux conditions prévues par l'article 63 du code des douanes, en soutenant la nécessité de présomptions de fraude douanière pour en justifier son usage.

Or l'article 63 du code des douanes confère aux agents des douanes un pouvoir général de visite des navires, qui autorise l'accès et la visite de tout navire, notamment dans un port, dans une rade ou à quai, ce qui est le cas en l'espèce, la [12] étant en hivernage dans le port de [Localité 7] depuis 5 mois.

Seul l'occupant des lieux au moment de la visite est fondé pour effectuer un recours contre les opérations de visite, en vertu des art 62 et 63 du code des douanes, en l'espèce M. [D] n'est pas fondé à contester les opérations de visite du navire LA PETITE OURSE II, son recours est irrecevable, celui-ci n'ayant pas la qualité pour agir.

-Sur l'applicabilité des mesures de gel édictées par l'Union européenne.

En l'espèce, ce yacht, bien qu'affecté à une activité de plaisance, est susceptible de faire l'objet d'une location, d'une vente ou d'une mise sous hypothèque, générant ainsi des fonds au profit de son propriétaire.

Par conséquent, il est demandé de juger que la mesure de gel du yacht LA PETITE OURSE II trouve bien à s'appliquer.

-Sur l'atteinte aux libertés fondamentales et l'interprétation de la norme.

Le requérant soulève une double atteinte aux libertés fondamentales, d'une part en raison des opérations de visite du navire, d'autre part en raison d'une inscription supposée « arbitraire » de M. [D] sur la liste des personnes concernées par des mesures de restriction en raison du conflit russo-ukrainien.

Sur la violation de l'article 8 CESDH.

La visite du navire s'est déroulée en présence de M. [X], capitaine du navire, qui a été invité par les agents à formuler ses observations et à les insérer dans le procès-verbal n°3, ce à quoi il n'a pas jugé nécessaire de déférer.

Il sera constaté l'absence manifeste de violation de la propriété privée.

Sur la violation de l'article 6 CESDH.

Le requérant invoque une absence de notification individuelle à M [D] de son inscription sur la liste modifiée de l'annexe du règlement UE, en violation du droit au procès équitable, et sollicite le renvoi d'une question préjudicielle devant le juge européen.

En l'espèce, le Premier Président, saisi dans le cadre d'un recours contre des opérations de visite d'un navire, n'est pas compétent pour statuer sur la validité d'une mesure de gel prononcée par les instances européennes.

Il sera constaté l'inapplicabilité des questions soulevées au présent litige et qu'il existe bien un recours effectif, que M. [D] a choisi de ne pas mettre en oeuvre.

A titre infiniment subsidiaire, sur l'annulation des actes subséquents.

En tout état de cause, le procès-verbal n°3 ne constitue pas le support nécessaire du procès-verbal n°4 d'application de la mesure de gel.

Par ces motifs, il est demandé de:

- A titre principal, se déclarer incompétent pour connaître du recours contre les opérations de visite du navire LA PETITE OURSE II reprises au procès-verbal n°3 du 21 mars 2022;

- A titre subsidiaire,

- juger inapplicable au litige la triple question préjudicielle posée par M. [D],

- débouter M. [B] [M] [D] de ses demandes,

- juger régulier le procès-verbal de saisie du 21 mars 2022 et les procès-verbaux subséquents,

- condamner M. [B] [M] [D] à verser à l'Administration des douanes la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par avis du 29 août 2022, soutenu à l'audience du 14 septembre 2022, le Ministère public fait valoir :

le Ministère public est d'avis que le Premier Président de la Cour d'appel de Paris :

- se déclare incompétent pour connaitre du recours interposé par [B] [M] [D],

- rejette la transmission des questions préjudicielles à la CJUE,

- rejette la demande d'annulation des procès-verbaux.

I Les dispositions applicables.

L'Union européenne (UE) a adopté des sanctions économiques par voie de Règlements à l'encontre de la Fédération de Russie suite à l'invasion de l'Ukraine.

[B] [M] [D] figure dans l'annexe I du Règlement d'exécution [Localité 8] du Conseil du 15 mars 2022, les mesures de gel des ressources économiques dont il est propriétaire s'analysent comme une sanction économique ou financières de nature administrative.

L'article 453 du code des douanes habilite l'administration des douanes à constater les infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l'étranger.

Elle peut, notamment effectuer des visites domiciliaires, en vertu de l'article 63 du même code et procéder, comme elle l'a fait, au gel de la ressource économique.

II La contestation des mesures restrictives instituées par les Règlements européens: l'incompétence juridictionnelle des Etats membres.

[B] [M] [D] conteste l'application d'un acte juridique de l'UE, cette contestation doit être portée devant les juridictions de l'UE.

Les Etats membres sont en situation de compétence liée et doivent appliquer les Règlements européens et les mesures nécessaires pour assurer le gel, dès leur publication au JOUE, les Etats membres appliquent leur législation interne pour parvenir aux objectifs, en l'espèce les opérations de visite et gel de la ressource économique ont été diligentées en application de l'article 63 du CD. Les juridictions de l'Union Européenne sont compétentes pour connaître des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'application d'un Règlement et [B] [M] [D] dispose d'un recours effectif, devant les instances de l'U.E, la juridiction judiciaire nationale n'est pas compétente pour connaître d'un tel recours.

Sur l'ingérence et la violation de la vie privée (Article 8 CESDH).

La visite d'un navire, puis la notification de la mesure d'immobilisation au capitaine ne saurait constituer une ' ingérence ' au sens de l'art 8. L'art 63 du code douanes autorise la visite du navire et a fortiori la notification du gel, en l'espèce une mesure d'immobilisation.

Le Ministère public est d'avis de rejeter ce moyen.

Sur l'inscription sur une liste et l'absence de notification individuelle (droit au procès équitable (Article 6 CESDH).

Dès sa publication, le Règlement était connu et applicable dans l'ensemble des Etats-membres.

La notification d'une mesure de gel de ressource économique est valablement faite au propriétaire du bien ou son représentant par délégation, sans autre exigence relative à sa mise en oeuvre.La procédure diligentée pour parvenir à cet objectif n'encourt pas la censure de ce chef.

Le ministère public est d'avis de rejeter ce moyen.

III Sur le rejet de la demande de transmission des questions préjudicielles.

Le requérant sollicite la transmission de trois questions préjudicielles à la CJUE.

Les conditions de transmission des questions préjudicielles telles qu'exigées par l'article 267 du TFUE, ne sont, en l'espèce, pas réunies par le requérant, dès lors qu'elles tendent à contester la validité du Règlement et que le requérant dispose des recours devant les instances compétentes de l'UE ; qu'elles n'apparaissent pas nécessaires à la résolution du litige et qu'il dispose des recours juridictionnels devant la juridiction nationale contre les opérations menées en application du code des douanes.

Le Ministère public répond à chaque question et émet l'avis que la cour ne renvoie pas devant la CJUE.

IV Sur la mise en oeuvre des mesures restrictives : la compétence matérielle et territoriale de l'administration des douanes.

Comme il a été rappelé, la DGT, autorité désignée, relaie les mesures restrictives aux autorités compétentes nationales, dont l'administration des douanes, la compétence de celle-ci n'étant pas contestable.

Par, ailleurs, conformément à l'article 63 du code des douanes, le navire « LA PETITE OURSE II » se trouvait dans le secteur du service garde-côtes des douanes de Méditerranée qui dépend de la Direction Nationale Garde-Côtes des douanes (DNGCD).

Le service central de la DNGCD est basé au Havre, ressort de la Cour d'appel de Rouen

.

Par conséquent, le ministère public est d'avis que la Cour se déclare territorialement incompétente pour connaître du recours interposé par [B] [M] [D].

V Sur le déroulement de la procédure de visite : l'absence de nécessité d'autorisation du juge des libertés et de la détention.

La Loi du 1er juillet 2014 a modifié les articles 62 et 63 du CD pour renforcer la protection des locaux affectés à un usage privé des navires, prévoyant l'autorisation du JLD en cas de refus de l'ocupant des lieux, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Le ministère public est d'avis de rejeter la demande de nullité des procès-verbaux.

En conclusion, le Ministère public est d'avis que le Premier Président de la Cour d'appel :

In limine litis:

- Constate l'incompétence des autorités nationales pour connaître de la légalité d'un règlement de l'UE contestée par [B] [M] [D],

Subsidiairement,

- Constate qu'il n'est pas territorialement compétent pour connaître du recours formé par [B] [M] [D],

Si la Cour d'appel de Paris retient sa compétence :

- Dire n'y avoir lieu à transmission des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.

- Rejeter la demande d'annulation des procès-verbaux.

SUR CE LA COUR :

A titre liminaire, sur l'exception d'incompétence territoriale.

Il convient de rappeler que [B] [M] [D] a exercé un recours afin de contester le déroulement des opérations de visite réalisées le 21 mars 2022 de 11H00 à [Immatriculation 1] sur le navire 'la Petite Ourse II ', qu'il a joint à son recours le procès-verbal de visite n° 3 et a saisi le Premier président de la Cour d'appel de Paris dont la compétence territoriale est contestée.

Il convient de relever que le procès-verbal susvisé a été dressé par le service de 'SGCD Méditerranée', qu'il s'agit du service de Garde- côtes de Nice' sur le fondement de l'article 63 du code des Douanes, que cet article prévoit que' l'occupant des locaux' dispose d'un recours contre le déroulement des opérations de visite devant le premier président de la Cour d'appel 'du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure', qu'en l'espèce il résulte de l'examen du procès-verbal contesté que la visite a été diligentée uniquement par trois agents verbalisateurs du service de Garde- côtes de Nice ( désignés par leur numéro de matricule) dont la direction est fixée au Havre selon les pièces de l'administration des douanes, qu'il résulte de la rédaction du PV n° 3 , qu'il est fait état d'une voie de recours 'par déclaration au greffe de la Cour de COURAPPEL de Rouen' , qu'il en résulte que le requérant, ayant connaissance de la Cour d'appel compétente est bien fondé à exercer son recours devant la Cour d'appel de Rouen, ce qu'il a fait par ailleurs, qu'il en résulte que la Cour d'appel de Paris n'est pas compétente pour connaitre du recours exercé contre le procès-verbal n°3 concernant la visite de la cabine du capitaine [X] [U], et qu'il convient de désigner la juridiction compétente en vertu de l'article 81 du CPC.

Disons que l'exception d'incompétence territoriale est bien fondée, nous déclarons incompétent et disons qu'il convient de désigner le Premier Président de la Cour d'appel de Rouen pour compétence.

Sur le Fond :

Vu notre incompétence territoriale, disons qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond.

Sur la demande de condamnation de l'administration des Douanes aux dépens :

Il résulte des termes de l'article 367 du code de douanes, qu' 'en matière douanière , en première instance et sur appel, l'instruction est verbale sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre',

Dès lors, il convient d'exonérer les douanes de toute condamnation aux dépens.

Enfin les circonstances de l'instance ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement et en dernier ressort, vu l'article 81 du Code de procédure civile,

- Nous déclarons incompétent pour connaitre du recours enregistré sous le numéro de RG 22/05934,

- Disons qu'il y a lieu de désigner le Premier Président de la Cour d'appel de Rouen (76) comme juridiction compétente pour connaitre du recours d'[B] [M] [D] enregistré sous le numéro de RG 22/05934,

- Rejetons toute autre demande,

- Disons que la charge des dépens sera supportée par la partie requérante.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

[W] [L]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 22/05934
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;22.05934 ?
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