RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00319 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBHT4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES - RG n° F18/00525
APPELANT
Monsieur [P] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Frédéric SORRIAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C1895
INTIMÉE
SAS ICTS FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 8 juillet 2002, M. [P] [R] a été engagé par la société Altair Sécurité en qualité d'opérateur de sûreté, les relations contractuelles entre les parties étant régies par la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
Par courrier du 19 mai 2018, la société ICTS France a informé M. [R] qu'elle avait remporté le marché de la sûreté de l'aéroport d'[Localité 3] à compter du 24 mai 2018, succédant ainsi à la société Altair Sécurité et, qu'en application de l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel auquel s'applique la Convention collective nationale des entreprises de prévention et sécurité, elle lui proposait d'intégrer ses effectifs et lui demandait de lui retourner un avenant à son contrat de travail au plus tard le 23 mai 2018 afin que la société puisse lui remettre son planning pour le 24 mai 2018.
Le 26 mai 2018, M. [R] et un autre salarié attestaient s'être présentés à la régularisation d'ICTS le jour-même pour une prise de service à 5h30, qu'ils avaient rencontré le superviseur mais qu'il ne leur avait pas été transmis de consigne pour une prise de poste effective.
Par lettre du 28 mai 2018, M. [R] a dénoncé à l'entreprise, entre autres, le fait qu'un de ses collègues et lui-même s'étaient présentés sur leur lieu de travail pour une prise de service à 5h30 et qu'ils avaient été 'refusés et humiliés comme des malpropres'.
Il a été placé en arrêt de travail pour maladie le jour-même, soit le 28 mai 2018.
Par requête enregistrée le 18 septembre 2018, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de condamnation de la société ICTS France au paiement de diverses sommes.
Le 5 février 2019, M. [R] a été examiné par le médecin du travail à l'occasion de la visite médicale de reprise et a été déclaré inapte avec la précision suivante : 'Cas de dispense de l'obligation de reclassement : L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ; (...) Au vu de son état de santé, le salarié ne peut pas suivre de formation dans l'entreprise'.
Après avoir été convoqué, par courrier du 1er mars 2019, à un entretien préalable fixé au 11 mars suivant, M. [R] a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par courrier du 22 mars 2019.
Dans le dernier état de la procédure devant le conseil de prud'hommes, M. [R] sollicitait, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- la résiliation judiciaire de son contrat de travail,
subsidiairement,
- la constatation du caractère fautif et abusif de son licenciement,
en tout état de cause,
- la condamnation de la société ICTS France à lui payer les sommes suivantes :
° 23 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
° 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
° 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non remise d'une attestation Pôle Emploi conforme,
° Paiement proratisé de la prime PASA 2018,
° 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ICTS France a conclu à l'irrecevabilité, puis au débouté de la demande de M. [R] et à la condamnation de ce dernier au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 novembre 2019, le conseil de Prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges a débouté M. [R] de l'ensemble de ses prétentions et a rejeté la demande de la société ICTS France formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [R] a interjeté appel du jugement par déclaration du 6 janvier 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 avril 2020, M. [R] demande à la cour de :
- Infirmer le Jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- Dire que le contrat de travail est rompu aux torts exclusifs de la société ICTS France,
Subsidiairement,
- Dire son licenciement intervenu le 22 mars 2019, abusif et fautif,
En tout état de cause,
- Condamner la société ICTS France à lui payer les sommes suivantes :
° 23 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
° 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
° 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non remise d'une attestation Pôle Emploi conforme,
° 1 693 euros correspondant à la prime PASA 2018,
° 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mai 2022, la société ICTS France demande à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris,
- Débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant,
- Condamner M. [R] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 17 mai 2022 et l'affaire plaidée le 1er juin 2022.
MOTIFS
Sur le harcèlement
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon, l'article L.1152-2 du même code, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1152-3 prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En application de l'article L.1154-1, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, M. [R] fait grief à la société ICTS France d'avoir volontairement refusé de lui laisser un délai suffisant pour qu'il puisse prendre connaissance de son nouveau contrat de travail, de lui avoir violemment refusé de prendre son poste, notamment le 26 mai 2018, et de lui avoir refusé le paiement d'une prime PASA 2018, ce qui constitue une retenue illégale sur salaire. Il soutient que cette attitude, qui démontre une absence de bonne foi de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, est en réalité un véritable harcèlement moral qui a, de fait, altéré sa santé, puisqu'elle l'a profondément choqué et placé dans une extrême violence socio-économique, provoquant de la colère en lui à l'origine de violentes crises d'asthme au point que le médecin du travail a conclu à son inaptitude le 5 février 2019.
Ainsi, M. [R] présente des faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement.
Toutefois, la substitution d'une entreprise par une autre dans un marché de prestation de service ne constitue pas une modification dans la situation juridique de l'employeur au sens de l'article L.1224-1 du code du travail. Dans ce cas, le transfert des contrats de travail ne peut se faire qu'en vertu de dispositions contractuelles ou conventionnelles.
En l'espèce, le transfert des contrats de travail de la société Altair Sécurité vers la société ICTS France est régi par l'accord collectif du 5 mars 2002 modifié par un avenant du 28 janvier 2011 qui, d'une part, impose une certain nombre de formalités à l'entreprise sortante pour permettre à l'entreprise entrante de respecter son obligation de reprise du personnel et qui, d'autre part, conditionne le transfert du contrat de travail à l'acceptation expresse du salarié qui 'se matérialise par la réception par l'entreprise entrante, de l'avenant signé par le salarié concerné' (article 2.3.2 ; mais aussi article 2.3.3 applicable spécifiquement au personnel des sociétés de sécurité des accès aux aéronefs).
Or, la société ICTS France démontre n'avoir reçu les dernières informations de la part de la société sortante sur les salariés transférables que le 17 mai 2018 de sorte que l'envoi de la proposition de transfert du contrat de travail à M. [R] le 19 mai 2018 ne peut être considéré comme tardif.
Par ailleurs, la société ICTS France produit des échanges de courriers dont il résulte que M. [R] n'avait pas signé, en tout état de cause remis à l'employeur, l'avenant à son contrat de travail antérieurement au 26 mai 2018. Au regard des dispositions conventionnelles rappelées ci-dessus, l'entreprise était donc dans l'impossibilité de programmer à l'avance M. [R] sur une vacation du 26 mai 2018 et était donc légitime à lui demander de lui remettre un avenant de son contrat de travail signé avant de l'intégrer dans ses effectifs. L'entreprise s'est d'ailleurs exécutée en intégrant M. [R] dans ses effectifs après l'envoi par le salarié d'un avenant à son contrat de travail à la suite d'un échange de courriers des 5 et 6 juin 2018 ( lettre de relance de la société ICTS France et lettre de réponse de M. [R]).
Enfin, comme justement relevé par la société ICTS France, l'article 2.5 Prime annuelle de sûreté aéroportuaire de l'annexe VIII à la convention collective nationale applicable subordonne le versement de cette prime à la double condition d'une année d'ancienneté, au sens de l'article 6.05 des clauses générales de la convention collective nationale et d'une présence au 31 octobre de chaque année. Si M. [R] remplissait la première condition, il ne remplissait pas la seconde qui, en raison de la nature même de la prime, s'entend comme une présence effective physique du salarié dans l'entreprise, puisqu'il n'a jamais rejoint l'entreprise ayant été en arrêt maladie dès la reprise du marché le 24 mai 2018 jusqu'à l'avis d'inaptitude du 5 février 2019.
La société ICTS France prouve ainsi que ses agissements n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Sur le fondement de l'article 1184 du code civil devenu 1217, il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si l'inexécution de certaines des dispositions résultant d'un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation. Si l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement le contrat de travail par la voie du licenciement en respectant les garanties légales, est irrecevable à demander la résiliation du contrat de travail, tout salarié est recevable à demander devant la juridiction prud'homale la résiliation de son contrat de travail en raison de manquements de l'employeur suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de relations contractuelles de travail.
Le harcèlement invoqué par M. [R] à l'encontre de la société ICTS France n'ayant pas été retenu, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur un tel motif.
Sur la contestation du licenciement
M. [R] estime ainsi que son inaptitude ayant conduit à son licenciement est à l'évidence la conséquence directe des pressions et du harcèlement exercés par l'employeur.
Mais, en l'absence de tout comportement fautif retenu à l'encontre de la société ICTS France, aucun lien entre de prétendus manquements de l'employeur et l'inaptitude de M. [R] ne peut être établi. Au surplus, par lettre du 15 mai 2019, la CPAM a informé la société ICTS France que M. [R] avait demandé la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie mais que les éléments en sa possession ne lui permettaient pas de reconnaître ce caractère.
En conséquence, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa contestation du bien fondé du licenciement et de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
Sur les dommages et intérêts pour défaut de remise d'une attestation Pôle Emploi conforme
M. [R] soutient que la société ICTS France a refusé de lui délivrer une attestation Pôle Emploi mentionnant sa reprise d'ancienneté, ce qui l'a empêché de faire valoir ses droits. Il ajoute que cette attitude délibérée est non seulement fautive et choquante mais démontre une fois de plus le mépris et la volonté de nuire de l'employeur.
Mais, comme justement relevé par la société ICTS France, M. [R] commet une confusion entre, d'une part, la reprise d'ancienneté et, d'autre part, la durée de l'emploi dans l'entreprise qui doivent être renseignées dans l'attestation Pôle Emploi.
Or, si dans l'attestation destinée à Pôle Emploi, l'employeur a indiqué une durée d'emploi du 24/05/2018 au 22/03/2019 (soit dix mois), il a bien coché trois lignes plus bas la mention 'au moins deux ans' à la rubrique 'ancienneté de l'entreprise'.
En outre, M. [R] ne verse aucune pièce pour justifier de la réalité et de l'étendue de son préjudice.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande en dommages et intérêts pour défaut de remise d'une attestation Pôle Emploi.
Sur le rappel de prime PASA 2018
Compte-tenu des développements ci-dessus relatifs au harcèlement pour défaut de paiement de la prime PASA, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande
Sur les frais non compris dans les dépens et les dépens
Les situations économiques respectives des parties justifient qu'il soit fait exception au principe édicté par l'article 700 du code de procédure civile selon lequel la partie perdante doit être condamnée à verser à l'autre partie une certaine somme des frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens, comme autorisé par ce texte.
Néanmoins, M. [R] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [P] [R] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT