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28/09/2022 | FRANCE | N°20/17662

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 28 septembre 2022, 20/17662


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022



(n° 142/2022, 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/17662 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYHE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Novembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS - 15ème chambre - RG n° 2015070608





APPELANTE



S.A.S. V.II

Société au capital de 30 000 euros

Immatriculée

au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 326 481 660

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Loca...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022

(n° 142/2022, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/17662 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYHE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Novembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS - 15ème chambre - RG n° 2015070608

APPELANTE

S.A.S. V.II

Société au capital de 30 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 326 481 660

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée de Me Laurent AZOULAI de la SELEURL LAMLA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1642

INTIMES

Monsieur [H] [I]

Né le 06 Septembre 1972 à BRON (69)

Demeurant [Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

Monsieur [P] [N]

Né le 09 Octobre 1978 à LES LILAS (93)

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

S.A.R.L. DIX HUIT PRODUCTION

Société au capital de 30 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 798 324 083

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

S.A.S.U. [I] CONSULTING

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 804 023 018

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

S.A.R.L. [N] FILMS

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 808 193 270

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

Entreprise MONSIEUR [N] [P]

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 800 862 617

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée et assistée de Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère

Mme Deborah BOHEE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Vii est une SASU spécialisée dans le tournage, le montage et l'habillage de programmes vidéo destinées à la communication d'entreprises pour la télévision ou le cinéma. Elle fait partie d'un groupe de sociétés dénommé groupe SISA et a exercé son activité notamment sous les noms commerciaux DVD MAKER et 23BIS.

MM. [P] [N] et [H] [I], tous deux présents dans le groupe SISA depuis 2001, étaient salariés de la société Vii, depuis le 16 avril 2010 pour le premier qui exerçait les fonctions de responsable de tournage et superviseur des réalisations, et depuis le 18 mai 2009 pour le second qui occupait le poste de directeur commercial.

MM. [N] et [I] ont quitté la société Vii, le premier à la suite d'un abandon de poste à compter du 8 octobre 2013 faisant suite à une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail en date du 3 septembre 2013, et le second en démissionnant par lettre du 24 décembre 2013.

M. [N] a fondé ensuite l'entreprise MONSIEUR [P] [N], entreprise individuelle sous statut d'auto-entrepreneur, puis, en décembre 2014, la société [N] FILMS (SASU). M.[I] a lui créé la société [I] CONSULTING (SASU) en août 2014.

Ces structures commerciales fournissent des prestations de services à la société DIX HUIT PRODUCTION, créée le 7 novembre 2013 par M. [X] [C], et spécialisée dans la production de programmes pour la télévision. Fin 2016, M. [C] a cédé les actions de cette société (transformée en SARL) à MM. [I] et [N] qui en deviendront les gérants.

La société Vii, constatant une baisse de son chiffre d'affaires après le départ de ses deux salariés, et considérant par ailleurs que la société DIX HUIT PRODUCTION était depuis sa création dans les mains de ces derniers, M [C] n'en assurant la direction que de façon fictive, a obtenu, par deux ordonnances des 7 février 2014 et 12 mars 2014, du président du tribunal de grande instance de Paris, des mesures d'instruction in futurum dans les locaux de la société DIX HUIT PRODUCTION qui se sont déroulées respectivement les 25 février et 15 avril 2014. La validité de l'ordonnance du 7 février 2014, qui a donné lieu à un procès-verbal de carence, a été confirmée suivant arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2017 mais l'ordonnance du 12 mars 2014, qui a donné lieu à la saisie de pièces au sein de la société DIX HUIT PRODUCTION, a été définitivement rétractée par arrêt de cette cour du 1er mars 2016, le pourvoi rejeté par un autre arrêt de la Cour de cassation rendu le 11 mai 2017.

La société Vii ayant dans l'intervalle saisi en référé le président du tribunal de commerce de Paris en concurrence déloyale du fait des agissements de la société DIX HUIT PRODUCTION et de MM. [I] ET [N], par ordonnance de référé du 20 mars 2015, le président de ce tribunal a dit qu'il n'y avait lieu à référé.

Le 2 décembre 2015, la société Vii a alors assigné au fond MM. [I] ET [N], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et l'entreprise MONSIEUR [P] [N] devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 8 octobre 2018, ce tribunal, statuant sur une demande de communication de pièces de la société Vii, a enjoint aux défendeurs de communiquer un certain nombre de documents, notamment commerciaux, concernant essentiellement les clients des sociétés défenderesses, les échanges entre les défendeurs et trois clients de la société Vii, à savoir les sociétés NIKE, PATHE et le PSG.

Par jugement au fond rendu le 2 novembre 2020, le tribunal de commerce a notamment :

- débouté la société Vii de sa demande de condamnation solidaire de MM. [I] et [N], des sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et de l'entreprise MONSIEUR [P] [N] à lui verser la somme 2 170 719 euros en raison du préjudice matériel subi ;

- débouté la société Vii de sa demande de condamnation solidaire de MM. [I] et [N], des sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et de l'entreprise MONSIEUR [P] [N] à lui verser la somme de 50 000 euros en raison du préjudice moral subi ;

- débouté MM. [I] et [N], des sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et de l'entreprise MONSIEUR [P] [N] de toutes leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la société Vii aux dépens et à verser à MM. [I] et [N] et à la société DIX HUIT PRODUCTION la somme de 1500 € à chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 7 décembre 2020, la société Vii a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 22 février 2022, la société Vii demande à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondée la société Vii en son appel,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté MM. [I] et [N], la société DIX HUIT PRODUCTION, la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] de toutes leurs demandes,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Vii de sa demande de condamner solidairement MM. [I] et [N], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] à verser la somme de 2 170 719 euros à la société Vii en raison du préjudice matériel subi,

- débouté la société Vii de sa demande de condamner solidairement MM. [I] et [N], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] à verser la somme de 50 000 euros à la société Vii en raison du préjudice moral subi,

- condamné la société Vii à verser à chacun des parties suivantes M. [I], M. [N] et la société DIX HUIT PRODUCTION la somme de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Vii aux dépens,

- statuant à nouveau :

- de juger que la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [I] et [N], la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] ont commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Vii,

- par conséquent :

- de condamner in solidum la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [I] et [N], la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] à verser la somme de 2 170 719 euros à la société Vii en raison du préjudice matériel subi,

- de condamner in solidum la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [I] et [N], la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] à verser la somme de 50 000 euros à la société Vii en raison du préjudice moral subi,

- en tout état de cause :

- de condamner in solidum la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [I] et [N], la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] à payer la somme de 5 000 euros à la société Vii, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner in solidum la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [I] et [N], la société [N] FILMS, la société [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H AVOCATS, en la personne de Me Patricia HARDOUIN, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 15 février 2022, MM. [N] et [I], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS et [I] CONSULTING et l'entreprise MONSIEUR [P] [N] demandent à la cour :

- à titre principal : de confirmer le jugement et en conséquence, de débouter la société Vii de toutes ses demandes,

- à titre subsidiaire :

- de juger, dans l'hypothèse où il serait retenu que MM. [I] et [N], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] ont commis des agissements fautifs, que la société Vii ne démontre pas de préjudice et de lien de causalité justifiant ses demandes de réparation,

- en conséquence :

- de débouter la société Vii de toutes ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire :

- de juger, dans l'hypothèse où il serait retenu que MM. [I] et [N], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS, [I] CONSULTING et l'entreprise Monsieur [P] [N] ont commis des agissements fautifs entraînant un préjudice, que la société Vii ne démontre pas le quantum des préjudices allégués,

- en conséquence :

- de débouter la société Vii de toutes ses demandes,

- en tout état de cause :

- de condamner la société Vii à verser à chacun des défendeurs, à savoir la société DIX HUIT PRODUCTION, MM. [N] et [I] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 29 mars 2022.

MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs du jugement non critiqués

La cour constate que le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a débouté MM. [N] et [I], les sociétés DIX HUIT PRODUCTION, [N] FILMS et [I] CONSULTING et l'entreprise MONSIEUR [P] [N] de leurs demandes de publication et pour procédure abusive.

Sur les demandes de la société Vii en concurrence déloyale

La société Vii soutient que MM. [N] et [I] et les structures créées par leurs soins ont commis à son préjudice plusieurs fautes de concurrence déloyale engageant leur responsabilité. Elle fait valoir que ces faits consistent (i) en la création et la gestion de fait de la société concurrente DIX HUIT PRODUCTION pendant les contrats de travail des deux anciens salariés, (ii) en le démarchage de sa clientèle par des procédés déloyaux (détournement des fichiers clients ; information de sa clientèle de la création de la société concurrente ; dissimulation de la participation de M. [N] à un tournage pour le PSG dès le 29 octobre 2013 et réalisation d'un reportage pour la société NIKE le 23 janvier 2014, soit pendant les contrats de travail des salariés, la société NIKE ayant été condamnée par la cour d'appel de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies à l'égard de la société Vii ; utilisation de leurs adresses personnelles par les deux salariés dans leurs relations avec les clients de la société Vii sans aucune raison valable), (iii) en la création d'une confusion résultant de l'indication sur les réseaux sociaux que ses anciens salariés continuaient de travailler pour elle, et ce afin de bénéficier de sa renommée dans le secteur de l'audiovisuel et (iv) en le dénigrement de la société Vii et de son dirigent par la société DIX HUIT PRODUCTION et ses gérants. La société appelante ajoute que le bien-fondé de ses allégations est corroboré par le fait que les intimés n'ont pas déféré à l'injonction de communication de pièces prononcée par le tribunal de commerce dans son jugement du 8 octobre 2018, cette absence de communication devant à tout le moins être considérée comme un commencement de preuve de la concurrence déloyale.

MM. [N] et [I], les sociétés DIX-HUIT PRODUCTION, [N] FILMS et [I] CONSULTING et l'entreprise MONSIEUR [P] [N] contestent les griefs qui leur sont adressés. Ils soutiennent que les anciens salariés, qui n'étaient soumis à aucune clause de non-concurrence, ont poursuivi et développé leur carrière professionnelle grâce à leur expertise et leur professionnalisme sans commettre aucun des actes déloyaux, de détournement de clientèle, de dénigrement ou d'entretien d'une confusion qui leur sont reprochés. Ils ajoutent qu'aucune preuve de la désorganisation de la société Vii à la suite du départ de MM. [N] et [I] n'est rapportée et que l'appelante ne peut se prévaloir d'aucun préjudice en lien de causalité avec des actes qui pourraient leur être reprochés, alors que la société appelante rencontrait d'importantes difficultés avant le départ des deux salariés, en raison notamment d'un manque d'investissements, de défaillances dans le management et d'importants problèmes de communication.

Sur la création de la société concurrente DIX HUIT PRODUCTION et sa gestion de fait pendant l'exécution des contrats de travail

La création, par un ancien salarié, d'une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé n'est pas constitutive d'actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette création n'était pas interdite par une clause contractuelle et qu'elle n'a pas été accompagnée de pratiques illicites de débauchage de personnel ou de détournement de clientèle, et que le salarié peut préparer sa future activité concurrente à condition que cette concurrence ne soit effective qu'après l'expiration du contrat de travail.

Les statuts de la société DIX HUIT PRODUCTION déposés au greffe du tribunal de commerce les 7 novembre 2013 et 15 septembre 2017 indiquent qu'elle a été créée le 28 octobre 2013 sous forme de société par action simplifiée par M. [X] [C], associé unique et président, avec pour objet principal l'activité de films et de programmes pour la télévision et transformée, par assemblée générale extraordinaire du 1er janvier 2017, en société à responsabilité limitée, MM. [I] et [N], en étant les nouveaux associés à la suite de la cession d'actions intervenue le 17 novembre 2016, et étant désignés par ailleurs co-gérants.

Il n'est pas contesté que M. [N] a abandonné son poste au sein de la société Vii en octobre 2013 avant d'adresser à son employeur une lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail en date du 23 janvier 2014 et que M. [I] a, quant à lui, démissionné par lettre du 24 décembre 2013 et a quitté l'entreprise le 10 janvier 2014 avant la fin de son préavis.

Il ressort des écritures des parties (page 10 des conclusions des intimés) et des pièces au dossier que MM. [N] et [I], après avoir vainement exprimé leur souhait de devenir associés au sein de la société Vii, ont souhaité développer d'autres projets, ce dont ils ont informé leur employeur.

Si MM. [N] et [I] sont à l'origine de la création de la société DIX HUIT PRODUCTION, comme ils l'indiquent sur leur profil LinkedIn respectif où ils se qualifient eux-mêmes de fondateurs et d'associés de cette société, cette création, intervenue pendant l'exécution des contrats de travail, n'est pas en elle-même fautive, en l'absence de démonstration d'une concurrence effective exercée par la nouvelle entité pendant la relation de travail, la gestion de fait de la nouvelle société par les deux salariés avant l'assemblée générale du 1er janvier 2017 n'étant par ailleurs pas démontrée et ne pouvant se déduire de la vente de l'intégralité de ses actions à leur profit par M. [C] en novembre 2016.

Sur le détournement de la clientèle de la société Vii par des procédés déloyaux

La cour rappelle que le démarchage de la clientèle d'un ancien employeur par un salarié non tenu par une clause de non concurrence est licite et qu'il n'en va autrement que lorsque ce démarchage s'accompagne de man'uvres ou procédés déloyaux et contraires aux usages du commerce.

Il n'est pas contesté que ni M. [I], ni M. [N] n'était tenu par une clause de non concurrence après la fin de leur contrat de travail à l'égard de la société Vii.

Pour soutenir que les intimés ont détourné son fichier clients, la société Vii produit l'attestation de M. [B], archiviste au sein du groupe SISA, qui indique notamment que M. [I] lorsqu'il occupait son poste de directeur commercial et de responsable de l'entité 23BIS, lui 'demandait régulièrement de désarchiver des projets liés à l'activité de l'entité 23BIS' qui comptait 'parmi ses clients PATHE, DITRIBUTION, NIKE et bien d'autres'. La société appelante explique que ce 'désarchivage massif' permettait à M. [I] d'accéder aux données clients pour le compte de la société DIX HUIT PRODUCTION ; elle invoque également le fait qu'a été créé sur le serveur 'File Transfer Protocol' utilisé par elle, un dossier '[X] [C]' (sa pièce 39) sur lequel MM. [I] et [N] ont transféré des fichiers.

Mais le témoignage de M. [B] ne fournit pas de date quant aux demandes de désarchivage de M. [I], de sorte qu'il n'est pas possible de retenir que ces demandes étaient injustifiées et réalisées dans l'intérêt de la société DIX HUIT PRODUCTION (créée en octobre 2013) plutôt que pour le compte de la société Vii, étant observé que M. [B] n'indique pas avoir trouvé sur le moment ces demandes inappropriées ou suspectes. Par ailleurs, comme l'observent les intimés, la pièce 39 est une copie d'écran non datée et sans valeur probante.

La société Vii soutient par ailleurs que M. [N] s'est rendu le 29 octobre 2013 sur un tournage de la société Vii pour le PSG sans l'en informer, M. [I] ayant demandé aux employés de passer sous silence la présence de M. [N]. Elle en déduit que la participation cachée de M. [N] à ce tournage était une manoeuvre destinée à lui permettre de se mettre en avant auprès du client dans une optique de démarchage au profit de la société DIX HUIT PRODUCTION. La participation de M. [N], attestée par une photographie très floue, n'est pas contestée, mais les intimés justifient que les prestations fournies au PSG se font par appels d'offres (attestation de M. [E], ancien chef de projet marketing du PSG), qu'un cahier des charges a ainsi été remis aux entreprises candidates pour la conception et la déclinaison de supports de communication de films et clips pour la saison 2019/2020 (pièce 42 intimés) et qu'en 2015, soit bien après le départ de MM. [I] et [N], le PSG était encore client de la société Vii (pièce 50 appelante).

La société Vii fait également grief à MM. [I] et [N] d'avoir été présents lors d'un tournage réalisé par la société DIX HUIT PRODUCTION pour la société NIKE le 23 janvier 2014 (jour de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [N]).

Les premiers juges ont cependant retenu à juste raison que cette séance de tournage a eu lieu en fin de journée (19h30), postérieurement au départ de M. [I] de l'entreprise le 10 janvier 2014 consécutif à sa démission du 24 décembre 2013 et à la lettre de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [N]. En outre et surtout, il ressort de l'attestation de Mme [T], responsable marketing chez NIKE, qu'elle a commencé à collaborer avec MM. [I] et [N] en 2003, ces derniers étant ses interlocuteurs privilégiés au sein de la société Vii, de sorte qu'il peut être admis qu'en raison de la relation ainsi créée, la société, dont il n'est pas prétendu qu'elle était liée par une quelconque exclusivité avec la société Vii, a souhaité poursuivre sa collaboration avec les anciens salariés sans qu'aucune manoeuvre déloyale puisse être reprochée à ces derniers. La circonstance que la société NIKE FRANCE a été condamnée, après arrêt confirmatif de cette cour en date du 17 octobre 2015, pour rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société Vii, pour avoir arrêté brutalement ses commandes en décembre 2013, relève d'un comportement fautif imputable à la seule société NIKE qui, dans l'exercice de sa liberté de changer de prestataire, n'a pas consenti à son ancienne partenaire un préavis suffisant.

Le fait qu'un stagiaire de la société NIKE ait adressé à MM. [I] et [N] en décembre 2013 un mail en leur souhaitant 'bon vent pour la suite avec dix huit' ne peut être retenu comme révélateur d'un comportement déloyal, les deux salariés ayant pu sans commettre de faute évoquer avec ce stagiaire d'un client de la société Vii leur projet en cours de réalisation.

En ce qui concerne la société PATHE, l'appelante se borne à faire état d'une baisse très importante des commandes passées par cette société après le départ de ses deux salariés (27 en 2014/2015 au lieu de 63 en 2013/2014), mais sans invoquer aucun comportement déloyal précis qui aurait pu conduire à cette situation, alors que les intimés expliquent, sans être démentis, que la société PATHE a baissé le volume de ses commandes en 2014 à la suite d'un problème technique survenu en 2012 sur un DVD que le dirigeant n'a pas voulu assumer mais est restée néanmoins cliente de la société Vii après leur départ, ce qui n'est pas contesté (pièce 30 de l'appelante).

La société Vii reproche enfin à MM. [I] et [N] l'utilisation de leurs adresses personnelles dans leurs relations avec ses clients sans aucune raison valable, alors qu'en cas de dysfonctionnements de la messagerie professionnelle, ils avaient reçu pour consigne d'utiliser une adresse de secours professionnelle 'sisabis'. La société appelante ne justifie cependant que d'une seule occasion où M. [I] a échangé avec la société NIKE depuis son adresse personnelle, ce qui ne peut constituer un indice du détournement de clientèle allégué, alors que par ailleurs, il n'est pas contesté, et démontré par les pièces au dossier (attestation et rapport de M. [S], ancien directeur développement groupe SISA), que la société Vii connaissait d'importants problèmes informatiques et que des salariés de la société ou son dirigeant lui-même écrivaient parfois à M. [I] sur son adresse personnelle (pièce 6 des intimés).

Sur la confusion opérée entre la société Vii et le groupe SISA

La société Vii soutient que ses anciens salariés ont continué à indiquer sur les sites LinkedIn, Viadeo et [L] leur appartenance à la société Vii et au groupe SISA, et ce afin de bénéficier frauduleusement de leur renommée dans le secteur de l'audiovisuel.

Le constat d'huissier de justice qu'elles ont fait établir le 10 septembre 2015 sur le site LinkedIn et le moteur de recherche [L], atteste de ce que, à cette date, MM. [N] et [I] se présentaient comme étant encore pour le premier 'director/editor' chez 23BIS ou 'monteur /réalisateur DVD Maker/23bis' et pour le second 'directeur commercial at DVD Maker & 23bis'. Cependant les deux anciens salariés de la société Vii font valoir l'un et l'autre qu'ils ont négligé d'actualiser leur profil et qu'ils n'ont pas posté d'informations sur les sites concernés après leur départ de la société Vii, et il n'est pas contesté qu'à la suite de la procédure de référé pour concurrence déloyale introduite par la société en janvier 2015, les mentions litigieuses ont disparu. Ce grief ne peut être retenu à charge au titre d'une confusion délibérément entretenue avec la société Vii.

Sur le dénigrement de la société Vii

La société appelante fait valoir qu''à l'évidence', MM. [N] et [H] et les structures qu'ils ont créées, et notamment la société DIX HUIT PRODUCTION, ont procédé à un dénigrement systématique de la société Vii afin de pouvoir détourner sa clientèle. Elle fait valoir qu'il semble en effet 'peu probable' qu'une société ayant débuté son activité ait pu en quelques mois réaliser un chiffre d'affaires aussi important avec des clients, tels que les sociétés NIKE, PSG et PATHE, sans man'uvres déloyales et dénigrement, que son soupçon est corroboré par les factures de la société Vii restées en souffrance pendant de longs mois desdits clients et également d'une société ON ENTERTAINMENT.

Les intimés contestent tout comportement répréhensible et répondent que l'appelante procède par affirmations mensongères.

Force est de constater que les affirmations hypothétiques de la société Vii, aucunement étayées, ne peuvent tenir lieu de preuve du dénigrement dénoncé.

Pour l'ensemble de ces motifs, il sera retenu que la preuve n'est pas rapportée par la société Vii des actes de concurrence déloyale de MM. [N] et [I], des sociétés DIX-HUIT PRODUCTION, [N] FILMS et [I] CONSULTING et de l'entreprise MONSIEUR [P] [N].

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Vii de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Vii, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme globale qui doit être mise à la charge de la société Vii au titre des frais non compris dans les dépens exposés par MM. [N] et [I] et la société DIX-HUIT PRODUCTION peut être équitablement fixée à la somme de 5 000 €, cette somme complétant celles allouées en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne la société Vii aux dépens d'appel et au paiement à MM. [N] et [I] et à la société DIX-HUIT PRODUCTION de la somme globale de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 20/17662
Date de la décision : 28/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-28;20.17662 ?
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