Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/18614 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2UQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -TJ de PARIS - RG n° 18/02602
APPELANTES
S.A. MMA IARD
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 1]
S.C. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,
Représentée par Me Violaine ETCHEVERRY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIME
Monsieur [M] [N]
Domicilié [Adresse 3]
[Adresse 3]
Né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 4]
Représenté par Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2156
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Stanislas de CHERGÉ, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Monsieur Stanislas de CHERGÉ, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 15 juin 2010, M. [M] [N] a confié à la société anonyme Hédios Patrimoine un mandat de recherche de produits de défiscalisation ultra-marins au sens de l'article 199 undecies B du code général des impôts (CGI), en vue d'un investissement d'un montant de de 3.000 euros.
M. [N] a souscrit 3.000 euros, via le produit 'Girardin solaire Hedios 2010' (GSH 2010) conçu par la société anonyme Hédios Patrimoine, au compte courant de la société en participation SEP Sun Hédios 144, dont la société Hédios Patrimoine était gérante. Cet investissement devait financer, un crédit fournisseur, l'acquisition et l'installation de centrales photovoltaïques sur l'île de la Réunion, louées aux sociétés Hédios Rendement durant au moins cinq ans.
Le 11 avril 2013, l'administration fiscale a remis en cause la réduction d'impôt sur le revenu perçu en 2010, l'investissement n'étant pas productif de revenu au 31 décembre de l'année de son engagement, en l'absence de demande de raccordement au réseau d'Électricité de France (EdF) et du certificat de conformité délivré par le comité national pour la sécurité des usagers et de l'électricité (Consuel).
L'administration fiscale a formé rappel, au titre de cet investissement et d'un autre réalisé la même année, pour un montant de 10.477 euros de droits, ainsi que 922 euros au titre des intérêts et 1.408 euros au titre de la majoration.
Par acte d'huissier du 26 février 2018, M. [M] [N] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris la société anonyme MMA Iard, en sa qualité d'assureur de la société Hédios Patrimoine.
Par jugement du 30 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
- Dit applicable à la cause la police d'assurance n°112.786.342 ;
- Constate que le sinistre résultant de la commercialisation par la société Hédios Patrimoine de produits Sun Hedios d'investissement en matériel photovoltaïque sur l'île de la Réunion, conçus par elle, dans lesquels le dommage a la même cause technique, qu'au final l'équipement industriel n'était pas productif l'année de l'investissement, 2010, présente un caractère sériel ;
- Condamne la société anonyme MMA Iard, dans les limites de la garantie prévue à la police n°112.786.342 comprenant un plafond de garantie de 4.000.000 euros, et compte tenu de la franchise de 15.000 euros, à payer à M. [M] [N] la somme de 2.730 euros en réparation de la perte de chance de réaliser un investissement susceptible de lui ouvrir droit à une réduction fiscale, au titre de son investissement fait le 15 juin 2010 du produit monté par la société anonyme Hédios Patrimoine dit Sun Hédios, avec intérêts au taux légal dès le 26 février 2018 ;
- Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 ancien du code civil, devenu l'article 1343-2 ;
- Rejette le surplus des demandes de dommages-intérêts ;
- Rejette la demande de séquestre formée par la société anonyme MMA Iard ;
- Condamne la société anonyme MMA Iard à payer à M. [M] [N] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société anonyme MMA Iard aux dépens ;
- Autorise maître [V] [U] à recouvrement directement contre elle les frais compris dans les dépens dont il aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision ;
- Ordonne l'exécution provisoire.
Par déclaration du 17 décembre 2020, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de la compagnie Covéa Risks ont interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2021, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles venant aux droits de la compagnie Covéa Risks demandent à la cour :
Vu les articles L 112-6, L 121-1, L 124-1-1, L 124-3 du code des assurances,
A titre principal
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 30 octobre 2020 en ce qu'il a dit applicable à la cause la police d'assurance n°112.786.342
- Juger qu'aucune garantie n'est due au titre de l'activité de monteur du produit fiscal exercée par Hédios Patrimoine,
- Rejeter par conséquent toute demande formée à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ;
A titre très subsidiaire
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 30 octobre 2020 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Hédios Patrimoine
-Juger que M. [N] ne rapporte pas la preuve d'une créance de responsabilité civile qu'il détiendrait à l'encontre de la société Hédios Patrimoine,
- Juger ainsi, sans objet, la question d'une éventuelle garantie à ce titre,
- Rejeter par conséquent toute demande formée à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles.
A titre infiniment subsidiaire
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 30 octobre 2020 en ce qu'il a constaté que le sinistre résultant de la commercialisation par la société Hédios Patrimoine de produits Sun Hedios d'investissement en matériel photovoltaïque sur l'île de la Réunion, conçus par elle, dans lesquels le dommage a la même cause technique, qu'au final l'équipement industriel n'était pas productif l'année de l'investissement, 2010, présente un caractère sériel ;
- Constater que le contrat souscrit par la CNCGP auprès de la compagnie Covéa Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles prévoit un plafond de garantie de 4.000.000 d'euros au titre de la garantie responsabilité civile professionnelle,
- Constater que l'ensemble des réclamations liées à la souscription des produits de défiscalisation montés par la société Hédios Patrimoine constitue un sinistre sériel,
- Désigner tel séquestre qu'il plaira à la Cour avec pour mission, n'excédant pas une période de 5 ans, de conserver les fonds résultant d'une éventuelle condamnation dans l'attente de décision définitive tranchant les différentes réclamations formées à l'encontre de la société Hédios Patrimoine concernant le même sinistre et pour, le cas échéant, procéder à une répartition au marc le franc des fonds séquestrés,
- Juger que la somme correspondant à une franchise par sinistre, soit 15.000 euros à la charge de la société Hédios Patrimoine, doit être déduite du montant de chaque condamnation prononcée individuellement au profit de chaque investisseur, dans le cas où le tribunal devait d'une part retenir la responsabilité de la société Hédios Patrimoine, d'autre part la garantie des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles et enfin l'absence de globalisation dans le cas présent.
En tout état de cause
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 30 octobre 2020 en ce qu'il a condamné les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner M. [N] à payer à la société MMA Iard la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 10 mai 2022, M. [M] [N] demande à la cour :
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 30 octobre 2020 en ce qu'il a déclaré que M. [M] [N] dispose d'une créance de responsabilité à l'encontre de la société Hédios Patrimoine ;
- Le réformer s'agissant des préjudices subis, et, statuant nouveau, fixer les préjudices subis par M. [M] [N] à : 5.702 euros pour le préjudice matériel, 5.000 euros pour le préjudice immatériel,
- Le confirmer en ce qu'il a condamné la compagnie MMA Iard à garantir la responsabilité civile de la société Hédios Patrimoine au titre du contrat d'assurance souscrit par la chambre des indépendants du patrimoine et, en conséquence, la condamner à payer à M. [M] [N] les sommes suivantes : 5.702 euros pour le préjudice matériel, 5.000 euros pour le préjudice immatériel,
- Le confirmer en qu'il a jugé que les indemnités allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 26 février 2018 et seront capitalisées par année entière ;
- Le réformer en ce qu'il a jugé que la police n° 112.786.342 comporte un plafond de garantie opposable à l'investisseur, et, statuant à nouveau, dire que le contrat d'assurance souscrit par la chambre des indépendants du patrimoine ne contient aucun plafond opposable à M. [M] [N] ;
- Le confirmer en qu'il a jugé qu'aucune franchise individuelle n'est opposable à M. [M] [N] en vertu de la globalisation des sinistres ;
- Le confirmer en qu'il a rejeté la demande de séquestre ;
- Le réformer en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, et, statuant à nouveau, condamner la compagnie MMA Iard à payer à M. [M] [N] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- Condamner la compagnie MMA Iard à payer à M. [M] [N] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la compagnie MMA Iard aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Rémi Barousse, avocat au barreau de Paris.
SUR CE, LA COUR
Les sociétés MMA font valoir que la responsabilité de la société Hedios Patrimoine ne peut être retenue au motif que l'investisseur ne rapporte pas la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité. En l'espèce, la société Hedios Patrimoine a correctement exécuté ses obligations de conseil et d'information. Elle n'avait aucune obligation de suivi des opérations et ne peut être tenue responsable d'une position fiscale alors inconnue. En outre, le moratoire imposé par le législateur et la suppression du tarif faisaient échec à toute possibilité d'achèvement des centrales. Par ailleurs, l'investisseur ne pouvait ignorer les risques encourus. Les sociétés MMA contestent les préjudices invoqués par l'investisseur.
M. [M] [N] considère que la responsabilité de la société Hedios Patrimoine est engagée en ce qu'elle a manqué à son obligation principale consistant à s'assurer de la solidité juridique du montage. Elle lui a promis l'obtention de l'avantage fiscal litigieux lequel a été repris au motif que les conditions n'étaient pas remplies. Elle ne l'a pas informé correctement de tous les risques liés à l'opération objet de la présente procédure. De plus, elle lui a délivré une attestation fiscale inexacte. Il n'existe aucune cause exonératoire de responsabilité. Il sollicite la réparation du préjudice financier et moral qu'il a subi. Les intérêts moratoires doivent courir à compter de l'assignation.
Ceci étant exposé,
Aux termes de l'article 199 undecies B du CGI dans sa rédaction applicable à l'investissement en cause, les contribuables domiciliés en France au sens de l'article B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs (...) ; la réduction d'impôt est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé.
Selon l'article 95 Q de l'annexe II au CGI, la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies B du CGI est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée par l'entreprise ou lui est livrée.
Au regard de la notion d'investissement productif, l'instruction fiscale 5 B-2-07 du 30 janvier 2007 fixe la date de réduction d'impôt à la date de livraison, au sens de l'article 1604 du code civil.
D'une part, les conditions spécifiques au montage de l'opération lors de sa souscription le 11 juin 2010 étaient soumises aux dispositions de l'article 199 undecies B du CGI. L'information selon laquelle l'opérateur avait pour obligation de délivrer aux investisseurs potentiels devait être conforme au droit positif à cette date.
L'exigence d'un raccordement effectif ne figurait pas dans les conditions d'éligibilité jusqu'à l'arrêt du Conseil d'Etat prononcé le 26 avril 2017. Les praticiens fiscalistes ne visaient pas le critère du raccordement mais celui de la réalisation effective et s'arrêtaient à la notion de livraison du bien. Il n'est pas établi que la jurisprudence ait, dès l'année 2007, fixé le fait générateur du dispositif Girardin en exigeant précisément le raccordement au réseau EdF et la mise en service l'année de l'investissement.
En l'espèce, la société Hedios Patrimoine a présenté le montage de l'opération de défiscalisation en indiquant aux parties intéressées que la condition de réalisation de l'investissement dans l'année de l'investissement consistait en la livraison en vue de sa location au profit d'une société implantée localement. La souscription prévoyait formellement que l'obtention de la réduction fiscale était soumise à la condition suivante : « la centrale solaire doit impérativement être livrée avant la fin de l'année de votre défiscalisation ».
De ce point de vue, la société Hedios Patrimoine a satisfait à ses obligations.
D'autre part, la société Hedios Patrimoine, en sa qualité de monteur de l'opération, n'était pas en charge du dépôt des demandes de raccordement, lesquelles relevaient des attributions de la société Hedios Rendement 144, son opérateur industriel, à qui il incombait de mettre en oeuvre les dossiers de souscription pour la Sep Sun Hedios 144, même si la société Hedios Patrimoine devait s'assurer du suivi des obligations liées aux opérations de défiscalisation. Une demande de raccordement a été déposée en novembre 2010.
Il ressort des correspondances que la société EdF a considéré ne pas avoir à les garder dès lors que de nouvelles demandes de raccordement devaient être formées après le moratoire, à l'exception des demandes portant sur des centrales de moins de 3kwh. La société Hedios Patrimoine a procédé à un nouveau dépôt des demandes de raccordement en 2011.
L'information de la société Hedios Patrimoine relative à l'obligation de raccordement à compter du décret du 9 décembre 2010, instituant un moratoire, n'est pas un moyen opérant dans la mesure où, au jour de la souscription, parmi les conditions se rapportant au risque de redressement encouru par les investisseurs, celle relative au dépôt d'une demande de raccordement n'existait pas.
Il résulte de ces éléments qu'avant les premières rectifications fiscales, le professionnel ignorait le changement de position de l'administration fiscale sur la notion d'investissement productif, exigeant que le fait générateur retenu puisse être un raccordement au réseau au 31 décembre de l'année de la réduction d'impôt, s'accompagnant en outre d'une attestation de conformité du Consuel. Cette ignorance n'est pas constitutive d'une faute. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir anticipé une évolution ultérieure dont il n'est pas démontré qu'elle était prévisible au moment de la souscription.
Dans ces conditions, la faute de la société Hedios Patrimoine n'est pas démontrée et la décision déférée sera réformée sur ce point.
En l'absence de responsabilité de la société Hedios Patrimoine, il n'y a pas lieu de statuer sur les appels en garantie dirigés contre les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, assureurs de la société Hedios Patrimoine, devenus sans objet.
M. [M] [N], partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenu de supporter la charge des dépens.
Il paraît équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
REJETTE les demandes de M. [M] [N] à l'encontre de la société Hedios Patrimoine et des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ;
REJETTE toute autre demande ;
CONDAMNE M. [M] [N] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
S.MOLLÉ E.LOOS