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22/09/2022 | FRANCE | N°19/01905

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 22 septembre 2022, 19/01905


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2022



(n°2022/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/01905 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7IBI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 17/00473



APPELANTE



Madame [B] [S] épouse [Y]

[Adresse 1]

[Localité

4]



Représentée par Me Nadia TIAR, avocat au barreau de PARIS, toque : G0513



INTIMEE



SA LA POSTE

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Céline FERAULT, avo...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2022

(n°2022/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/01905 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7IBI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 17/00473

APPELANTE

Madame [B] [S] épouse [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nadia TIAR, avocat au barreau de PARIS, toque : G0513

INTIMEE

SA LA POSTE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Céline FERAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0586

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, présidente,

Madame Nelly CAYOT, conseillère,

Madame Lydie PATOUKIAN, conseillère,

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et par Cécile IMBAR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 16 septembre 1996, Mme [B] [S] épouse [Y], (ci-après Mme [S]) a été engagée par l'établissement public La Poste devenue la société La Poste en qualité de conseiller financier. Elle a été successivement promue aux fonctions de conseiller clientèle le 4 juin 2007, conseiller spécialisé en patrimoine le 4 décembre 2008 et enfin, conseiller spécialisé en patrimoine confirmé ACC 33 le 22 novembre 2010.

Mme [S] s'est vu notifier des blâmes les 23 novembre 2010 et 17 février 2011 qui ont été annulés par décisions définitives du conseil de prud'hommes de Melun en date des 8 novembre 2011 et 6 mars 2012.

Le 2 juin 2017, Mme [S] s'est vu notifier un nouveau blâme.

Par requête enregistrée le 26 juillet 2017, Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun en résiliation judiciaire de son contrat de travail, estimant être victime de harcèlement moral et de discrimination.

Elle a présenté des arrêts de travail à partir du 7 juin 2017 qui ont été prolongés jusqu'au 2 novembre 2020. Sa maladie a été prise en charge au titre des risques professionnels sur décision du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et son état déclaré consolidé au 31 août 2020.

La visite de reprise s'est tenue le 2 octobre 2020, à l'issue de laquelle, le médecin du travail l'a déclarée inapte à tout emploi son état de santé faisant obstacle à tout reclassement. Elle a été licenciée pour inaptitude le 9 décembre 2020.

Par jugement du 17 décembre 2018, auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Melun, section encadrement a débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Mme [S] a régulièrement relevé appel du jugement le 18 janvier 2019.

L'affaire a été appelée à l'audience du 1er juin 2021 puis renvoyée au 8 juin 2021 et les parties ayant accepté d'entrer en voie de médiation, celle-ci a été ordonnée par arrêt de cette cour du 16 juin 2021. La médiation ayant échoué, l'affaire a été rappelée à l'audience du 12 mai 2022.

L'ordonnance de clôture du 7 avril 2021 a été révoquée et une nouvelle ordonnance de clôture est intervenue le 12 mai 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions (5) transmises par voie électronique le 19 avril 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme [S] prie la cour de :

- infirmer le jugement,

- prononcer la résiliation du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul au 9 décembre 2020,

- condamner la société La Poste au paiement des sommes suivantes :

* 2 117,88 euros à titre du reliquat de l'indemnité compensatrice de préavis outre 211,78 euros au titre du reliquat des congés payés afférents,

* 22'326,87 euros au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,

* 150'000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la nullité de la rupture,

A titre subsidiaire si la cour ne prononçait pas la résiliation judiciaire du contrat travail :

- prononcer la nullité du licenciement, subsidiairement dire qu'il est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société La Poste au paiement des sommes suivantes :

* 2 117,88 euros à titre du reliquat de l'indemnité compensatrice de préavis outre 211,78 euros au titre du reliquat des congés payés afférents,

* 22'326,87 euros au titre du reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement,

* 150'000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices résultant de la nullité de la rupture, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- annuler le blâme prononcé le 23 mai 2017 et toute autre sanction,

- condamner la société La Poste au paiement des sommes suivantes :

* 150'000 euros de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices moraux, professionnels et économiques résultant des souffrances subies en raison du harcèlement moral,

- juger qu'elle a été victime d'une discrimination salariale fondée sur son âge et son sexe en conséquence fixer son salaire à la somme de 4 329,72 euros,

- ordonner la remise des contrats de travail, des bulletins de salaire de 2009 à 2020, des fiches de poste des collègues exerçant les mêmes fonctions qu'elle selon sommation pièce 103 et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par document la cour se réservant la liquidation de l'astreinte,

- lui allouer la somme de 52'800 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la discrimination salariale

- et la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

- intérêts au taux légal

- dépens d'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste prie la cour de :

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

- débouter Mme [B] [S] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [S] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [S] aux dépens,

A titre subsidiaire si la cour devait entrer en voie de condamnation:

- fixer le montant du salaire mensuel moyen à la somme de 3 942,74 euros brut,

- limiter le montant des dommages-intérêts à de plus justes proportions,

- dire que les dommages-intérêts constituent un montant brut,

- débouter Mme [S] du surplus de ses demandes.

MOTIVATION':

Sur la demande d'annulation du blâme notifié le 2 juin 2017 :

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur l'application d'une sanction disciolinaire, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Enfin, l'article L. 1333-2 du code du travail précise que le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise

Le courrier de notification du blâme est rédigé dans les termes suivants : « ['] vous avez gardé votre chien durant vos heures de travail au sein de votre entité en le laissant à l'intérieur de la voiture de service que vous utilisez également, en d'autres occasions, en l'installant dans un fauteuil dans votre bureau. Par ailleurs, le 19 avril 2017, votre véhicule de service a été contrôlé par un radar alors que vous aviez un jour de RTT à cette date là. Je vous rappelle que vous n'êtes pas autorisée à garder votre chien au sein de votre entité d'affectation ni dans votre véhicule de service, et que vous devez vous conformer au règlement intérieur de la poste qui fait état en son article 8 des conditions d'accès et de circulation dans l'entité. D'autre part, le véhicule de service doit être exclusivement utilisé à titre professionnel et ne peut donc pas servir à un usage privé. En faisant un usage abusif de votre véhicule de service, vous avez manqué à vos obligations professionnelles. Ces faits démontrent que vous avez enfreint les consignes qui fixent le cadre de vos obligations professionnelles et avez fait preuve d'un comportement incompatible avec les exigences de votre fonction ['] »

Mme [S] sollicite l'annulation du blâme en faisant valoir que les faits invoqués par l'employeur ne sont ni précis ni vérifiables ni fondés. Elle soutient que le jour des faits, elle visitait un client dont elle verse l'attestation. À cet égard toutefois la cour relève que l'attestation de ce dernier est datée du 27 juin 2016 de sorte qu'elle est inopérante quant aux faits allégués datant du 19 avril 2017 mais la cour relève que l'employeur ne justifie pas que la journée du 19 avril 2017 était un jour de RTT. Par ailleurs, s'agissant du chien, Mme [S] soutient qu'elle avait obtenu l'autorisation exceptionnelle de son supérieur ce dont elle ne justifie pas. Cependant la cour relève que la société La Poste ne justifie pas non plus de la date des faits, ni que le règlement intérieur interdisait la présence d'un animal domestique à l'intérieur de l'entité. Par ailleurs, Mme [S] justifie du caractère exceptionnel de la présence du chien puisqu'elle communique une attestation de la personne qui le garde pendant ses jours de service. De l'ensemble de ces éléments, il ressort que la sanction disciplinaire infligée à Mme [S] n'est pas justifiée de sorte qu'elle est annulée. Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté Mme [S] de sa demande d'annulation.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [S] présente dans ses écritures les faits suivants :

- Elle a fait l'objet d'allégations vexatoires : elle s'appuie sur le mail que lui a adressé le directeur d'établissement le 23 octobre 2009 en mettant sept collègues en copie (pièce 51), par lequel il lui reprochait de laisser des détritus sur le bureau des vendeurs,

- Elle a reçu des blâmes injustifiés : elle s'appuie sur les jugements d'anulation des blâmes qui lui ont été notifiés en 2010 et 2011 et communique le blâme qui lui a été notifié le 2 juin 2017 que la cour a annulé comme il a été vu ci-dessus,

- Elle a fait l'objet d'une mise au placard : son secteur commercial a été imputé au profit d'un autre salarié' et ne représentait plus que 20 % de l'activité de son ancien secteur; des clients à fort potentiel lui ont été retirés, et elle s'est vu opposer des refus à ses différentes demandes de mutation. Elle explique que ses objectifs commerciaux sont restés inchangés malgré la diminution des conseillers financiers apporteurs d'affaires de son secteur': six sur deux bureaux de poste alors qu'auparavant ils étaient 12 sur huit bureaux de poste différents. Elle communique son contrat de travail initial, la fiche des objectifs de l'année 2016, le mail d'annonce de l'affectation d'un nouveau collègue sur le secteur de [Localité 7], une cartographie de son secteur, sa demande de réévaluation de salaire par mail du 2 décembre 2014, et différents échanges de mails ainsi qu'un extrait de ses demandes de candidatures en 2013, 2012, 2017,2016 toutes refusées,

- Elle a connu une dégradation de sa notation puisque fin d'année 2016 sa notation est passé «'d'excellent'» à «'bien'»'et communique ses fiches d'évaluation de 2013 à 2016,

- Elle a été isolée puisqu'au retour de ses congés d'été de l'année 2014 son bureau a été déménagé dans celui de la conseillère financière qui ne comportait ni ouverture vers l'extérieur ni ventilation communiquant son mail de protestation du 9 septembre 2014 et la copie du rapport de visite de M. [D] du 13 février 2014 mentionnant l'absence de ventilation de nombreux bureaux,

- La voiture de société dont elle bénéficiait lui a été retirée en 2016, alors qu'elle en bénéficiait de façon permanente depuis 2008, et qu'elle habite à plus de 60 km de son lieu de travail lequel n'est pas accessible à moins de deux heures de transport en commun'; elle communique la copie de son habilitation permamente à conduire un véhicule de la poste établie le 12 mai 2016, un mail du 26 novembre 2015 où elle indique le kilométrage de son véhicule en réponse à une demande en ce sens, et un document sur les transports en commun entre [Localité 6] et [Localité 4],

- Ses horaires de travail ont été modifiés puisque deux soirs de suite elle finit à 19 heures au lieu de 18 heures, communiquant une fiche d'horaire faisant apparaître, à partir de la semaine 19, deux soirs par semaine un horaire à 19 heures,

- Elle a été victime de discrimination salariale : elle indique avoir des raisons de penser qu'elle a fait l'objet d'une discrimination salariale en raison de son âge et de son sexe, son salaire fixe annuel brut étant inférieur au salaire d'embauche de ses homologues tels M. [N] bénéficiant d'une rémunération mensuelle nette supérieure de 400 euros à la sienne. Elle évoque également sans plus de précision la situation de M. [X] qui selon elle pose question. Sur ce dernier point, la cour observe que Mme [S] ne présente aucun élément de fait précis et que sa demande de communication de pièces ne peut pallier sa carence à cet égard. Celle-ci est rejetée.

Elle soutient que ces faits ont eu des répercussions sur sa santé physique et mentale expliquant avoir plongé dans une profonde dépression nécessitant un arrêt de travail continu depuis le 7 juin 2017 dont le caractère professionnel a été reconnu et verse aux débats différents certificats médicaux émanant de médecins généralistes et d'un psychiatre'.

Ces faits pris dans leur ensemble laissent supposer des agissements de harcèlement moral et il appartient à l'employeur de prouver qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

S'agissant des allégations vexatoires, la société La Poste fait valoir que Mme [S] ne produit qu'un seul mail en 24 ans de relations contractuelles, datant de plus de sept ans avant la saisine de sorte que les faits sont prescrits. Elle soutient que ce mail était objectivement justifié par l'état des locaux, que la salariée n'en a d'ailleurs pas contesté les termes et précise qu'elle a obtenu une promotion postérieurement ce qui suffit selon elle à démontrer l'absence de harcèlement moral. La cour observe en premier lieu, sur la prescription, que Mme [S] invoque toute une série de faits qui se sont poursuivis sur plusieurs années entre 2009 et 2017, que le point de départ du délai de prescription est la date des derniers faits de sorte que les faits allégués, même anciens, ne sont pas couverts par la prescription. En second lieu, Mme [S] a contesté les termes du mail contrairement à ce que prétend l'employeur puisqu'elle a indiqué que la dernière personne à avoir occupé les lieux n'était pas elle mais un autre salarié dont elle donne le nom. Enfin, l'employeur ne justifie pas des raisons pour lesquelles il a diffusé le mail à sept personnes. En définitive, il n'est produit aucun élément de nature à justifier que le mail a été adressé à Mme [S] pour des raisons objectives étrangères à tout agissement de harcèlement moral. Les faits sont donc retenus.

S'agissant des blâmes injustifiés, la société La Poste fait valoir, sur les deux premières sanctions annulées, que Mme [S], lorsqu'elle a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'en obtenir l'annulation n'avait pas invoqué des agissements de harcèlement moral de sorte qu'elle ne peut venir sérieusement s'en plaindre six ans après, d'autant que ces éléments sont prescrits. La cour rappelle que les faits ne sont pas prescrits comme il a été vu précédemment compte tenu de ce que le point de départ du délai de prescription est la date du dernier fait allégué. Par ailleurs, même si Mme [S] n'avait pas invoqué des agissements de harcèlement moral lorsqu'elle a sollicité l'annulation des sanctions, elle est en droit d'invoquer celles-ci dans le cadre de la présente procédure distincte et ce d'autant que la cour a annulé le troisième blâme notifié le 2 juin 2017 comme il a été vu ci-dessus. La société La Poste ne démontrant pas que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral, la cour les retient comme élément constitutif du harcèlement moral allégué.

S'agissant de la mise au placard, et tout d'abord le changement de secteur et la réaffectation des portefeuilles, la société La Poste fait valoir que ceux-ci sont justifiés par sa réorganisation et la sédentarisation à laquelle elle a procédé pour l'ensemble des conseillers spécialisés en patrimoine ayant entraîné plusieurs conséquences dont le redécoupage des secteurs, la sédentarisation des conseillers spécialisés en patrimoine et une revue des portefeuilles de chaque conseiller spécialisé accompagnée d'une réallocation éventuelle des clients. Elle verse aux débats le CDSP du 1er juin 2016 relatif à l'optimisation de la prise en charge des clients patrimoniaux et justifiant de la réorganisation alléguée de sorte qu'elle démontre ainsi que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral. Par ailleurs, la société La Poste fait valoir que le nombre de portefeuilles est resté identique, à environ 300, même après le changement de secteur justifié comme il a été vu ci-dessus. Quant à la perte des clients à fort potentiel, la société La Poste explique que les clients dont la capacité d'investissement est supérieure à 500'000 euros doivent directement être pris en charge par un conseiller en gestion de patrimoine, ce qui relève de son pouvoir de direction. Les faits sont ainsi justifiés par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral. S'agissant des demandes de mutation, en revanche, la société La Poste se contente d'indiquer qu'elle est libre dans son recrutement, n'est pas tenue de justifier un refus de recrutement et que les candidatures que Mme [S] a présentées ont été refusées sur la base d'éléments objectifs comme la compétence et l'expérience sans cependant en justifier d'aucune manière de sorte qu'elle ne démontre pas que ces refus sont en réalité justifiés par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral.

S'agissant de la dégradation de la notation de la salariée en 2016, l'employeur fait valoir que Mme [S] n'a pas obtenu la notation 'excellent' parce qu'elle n'a pas rempli ses objectifs cette année-là contrairement aux années précédentes ainsi que l'établissent les comptes-rendus d'entretien communiqués, et la cour relève que si la salariée critique les objectifs qui lui ont été fixés, elle ne soutient aucunement qu'ils étaient irréalisables. La cour retient que l'employeur démontre ainsi que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant de l'isolement, l'employeur explique que des travaux ont été effectués en 2014 et que le changement de bureau était provisoire puisque Mme [S] devait être affectée dans un bureau plus grand à [Localité 5] en s'appuyant sur son mail du 10 septembre 2014. La cour retient qu'il démontre ainsi que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral.

S'agissant du retrait, en 2016, de la voiture de société, l'employeur justifie en produisant les documents sur l'optimisation de la prise en charge des clients patrimoniaux du 15 novembre 2016 que tous les conseillers spécialisés en patrimoine se sont vu retirer l'usage individuel de leur véhicule pour privilégier un usage collectif de sorte que Mme [S] n'a pas été la seule salariée visée par cette mesure et qu'ainsi, les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S'agissant de la modification des horaires de travail, l'employeur fait valoir que Mme [S] ne travaillait jusqu'à 19 heures que le jeudi en raison d'une réunion hebdomadaire alors qu'auparavant elle ne finissait à 19 heures que le vendredi et qu'elle a pris en compte les impératifs de sa vie personnelle en ne la faisant pas travailler le mercredi et en lui permettant de finir ses journées à 17h45 ou même 15h45 ainsi que cela ressort du planning trimestriel d'activité prévisionnelle du mois d'octobre 2017 qu'elle communique. Elle explique que la réorganisation des horaires est la conséquence de la réorganisation globale dont il a déjà été question due à la sédentarisation et que les horaires ont été élaborés en collaboration avec la salariée. La cour retient que ces éléments suffisent à justifier les faits par des éléments objectifs étrangers à tous agissements de harcèlement moral.

S'agissant de la discrimination salariale, la société La Poste démontre que le salaire annuel brut de Mme [S] se situe dans la moyenne des salaires des autres conseillers spécialisés en patrimoine confirmés, que son salaire brut annuel d'un montant de 31'256 euros était supérieur au salaire brut annuel moyen des hommes et des femmes d'un montant de 31 070 euros en produisant des extractions de son logiciel de paye, que par ailleurs elle a bénéficié d'une augmentation et d'une revalorisation salariale tous les ans et qu'en outre, son salaire se situait dans le secteur trois correspondant au secteur le plus élevé pour la fonction occupée. Par ailleurs, sur la différence de traitement avec M. [N], l'employeur explique que celle-ci est justifiée par le fait de l'embauche tardive de M. [N] à un montant de rémunération supérieur à celui de Mme [S] plusieurs années plus tôt et au fait qu'il était titulaire d'un diplôme BTS de force de vente qu'elle ne possédait pas et en outre qu'il disposait de compétences importantes l'ayant conduit à le nommer directeur de secteur en 2017. La cour, suffisamment informée par les pièces versées aux débats, ne retient donc pas la discrimination salariale alléguée et déboute Mme [S] de sa demande de communication de pièces sous astreinte.

Enfin, Mme [S] établit en produisant divers certificats médicaux qu'elle a connu une dépression en lien avec sa situation professionnelle et la cour relève que le médecin du travail a fini par la déclarer inapte avec dispense de reclassement dans un emploi et a écrit que cette inaptitude était suceptible d'être en lien avec sa maladie professionnelle.

En définitive, il résulte de ce qui précède que Mme [S] a été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de son employeur.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Tout salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur de ses obligations contractuelles conformément aux dispositions de l'article 1217 du code civil. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur à l'appui de sa demande et les manquements de l'employeur à ses obligations doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur tout en continuant à travailler à son service et que ce dernier le licencie ultérieurement comme c'est le cas en l'espèce, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée et, si tel est le cas, fixer la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

Mme [S] sollicite la résiliation judiciaire du contrat de travail en reprochant à l'employeur les agissements de harcèlement moral qu'elle a subis plusieurs années durant. La cour ayant retenu les faits comme il a été vu ci-dessus considère que ce manquement est de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail et prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul à la date d'envoi de la lettre de licenciement soit le 9 décembre 2020. Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.

Sur les conséquences du licenciement nul':

Sur le reliquat de l'indemnité compensatrice de préavis :

Mme [S] soutient que l'indemnité compensatrice de préavis de trois mois aurait dû être calculée sur la base d'un salaire de 3 929,72 euros sur lequel elle ne présente aucune explication alors que l'employeur prétend que si elle avait travaillé elle aurait perçu un salaire mensuel de 3223,76 euros bruts. Il ressort du dernier bulletin de paie de Mme [S] qu'elle percevait un salaire mensuel brut de 3'220,05 euros. Elle a donc été remplie de ses droits par la perception d'une indemnité compensatrice de préavis de 9 671,28 euros. Sa demande présentée au titre du reliquat est rejetée.

Sur le reliquat de l'indemnité spéciale de licenciement :

Mme [S] soutient sur le fondement de l'article L. 1226'14 du code du travail qu'elle aurait dû percevoir une indemnité de 70'734,96 euros mais qu'elle n'a perçu que la somme de 48'408,09 euros de sorte qu'elle sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser le reliquat.

La société La Poste s'oppose à juste titre à la demande en faisant valoir que le salaire moyen s'élève à 3 942,74 euros brut sur douze mois ainsi que cela ressort des bulletins de salaire et de l'attestation pour Pôle emploi mais que l'ancienneté de la salariée doit tenir compte des périodes de congé parental d'éducation du 22 janvier 2001 au 13 août 2003, de congés pour élever un enfant de moins de huit ans du 14 août 20003 au 13 août 2005 et du congé sans solde de quatre jours du 14 au 17 août 2005. Il en résulte que l'ancienneté s'évalue à 20 ans 11 mois et 10 jours préavis inclus, de sorte que Mme [S] a été remplie de ses droits par la perception de la somme de 48'408,09 euros correspondant au doublement de l'indemnité légale de 24'204,04 euros. Sa demande est rejetée.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul

Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 150 000 euros en invoquant la perte de salaire et la perte de ses droits à retraite.

Eu égard aux circonstances de la rupture, à l'âge de Mme [S] (née en 1967) au montant de sa rémunération, à ce qu'elle justifie de sa situation postérieure à la rupture, la cour condamne la société La Poste à lui verser la somme de 80'000 euros suffisant à réparer son entier préjudice et le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur l'article L. 1235-4 du code du travail :

Il est fait office application de l'article L. 1235'4 du code du travail et la société La Poste doit rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement perçues par la salariée depuis son licenciement dans la limite de trois mois.

Sur les autres demandes ':

Sur la demande de dommages intérêts pour préjudices moraux professionnels et économiques résultant des souffrances liées au harcèlement moral et la discrimination salariale subie :

Mme [S] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 150'000 euros à ce titre en faisant valoir qu'elle a subi pendant plus de huit ans des faits de harcèlement moral ayant entraîné une lourde dépression reconnue comme maladie professionnelle et que l'employeur à aucun moment n'a cherché à protéger sa santé compromettant son avenir professionnel et qu'elle a en outre subi une discrimination. Sur ce dernier point, la cour n'a pas retenu les faits. La société La Poste est condamnée à payer à Mme [S] une somme de 20'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral et le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour discrimination :

Eu égard à la solution du litige cette demande est rejetée.

Sur la demande de communication de pièces sous astreinte concernant MM. [X] et [N] :

Cette demande est rejetée comme il a été vu ci-dessus.

Sur les demandes accessoires :

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision.

La demande de la société La Poste sur le caractère brut des dommages-intérêts est sans objet.

La société La Poste, partie perdante et condamnée aux dépens et doit indemniser Mme [S] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 3 000 euros sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul au 9 décembre 2020,

CONDAMNE la société La Poste à verser à Mme [B] [S] divorcée [Y] la somme de 80'000 euros en réparation des préjudices résultant de la nullité de la rupture,

ANNULE le blâme notifié le 2 juin 2017,

CONDAMNE la société La Poste à verser à Mme [B] [S] divorcée [Y] la somme de 20'000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision,

Condamne la société La Poste à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [B] [S] divorcée [Y] depuis son licenciement dans la limite de trois mois,

Déboute Mme [B] [S] divorcée [Y] du surplus de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société La Poste,

Condamne la société La Poste aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Mme [B] [S] divorcée [S] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/01905
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;19.01905 ?
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