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21/09/2022 | FRANCE | N°18/03984

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 21 septembre 2022, 18/03984


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022

(n° , 18 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03984 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5JIC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/07438





APPELANTE



Madame [W] [S] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représen

tée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055







INTIMÉE



REPUBLIQUE D'AFRIQUE DU SUD DEPARTEMENT OF INTERNATIONAL RELATIONS AND COOPERATION OF THE REPUBLIC OF SOUTH AFR...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022

(n° , 18 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03984 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5JIC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2017 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F14/07438

APPELANTE

Madame [W] [S] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric INGOLD, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

INTIMÉE

REPUBLIQUE D'AFRIQUE DU SUD DEPARTEMENT OF INTERNATIONAL RELATIONS AND COOPERATION OF THE REPUBLIC OF SOUTH AFRICA (DIRCO)

[Adresse 9]

[Localité 8]

REPUBLIC OF SOUTH AFRICA

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au Ministère Public, Monsieur Antoine PIETRI, substitut général, qui a fait connaître ses observations écrites.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, Mme [K] a été engagée à compter du 21 janvier 1991 par la République d'Afrique du Sud en qualité de standardiste-réceptionniste auprès de son ambassade en France.

En dernier lieu, Mme [K] exerçait les fonctions de secrétaire ('secretary') au sein du département Communication et son dernier supérieur hiérarchique direct était Mme [G] [D], conseiller ('counsellor') au sein dudit département.

Mme [K] a été placée en arrêt maladie à compter du 19 juin 2012 puis en invalidité le 19 juin 2015.

Par lettre du 30 juin 2012, l'ambassadeur de la République d'Afrique du Sud en France l'a informée de la fermeture de la Section Communication de l'ambassade, de la suppression en conséquence de son poste et lui a proposé le poste d'assistant comptable ('Accounts Clerk') à la section Administration.

Mme [K] a refusé ce poste par courriers des 20 juillet et 13 septembre 2012.

Invoquant, notamment, une situation de discrimination et de harcèlement, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 17 septembre 2012, d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'ambassade de la République d'Afrique du Sud en France et de paiement de diverses sommes en conséquence.

Par jugement du 30 avril 2014, le conseil de prud'hommes de Paris a déclaré l'action de Mme [K] irrecevable en ce qu'elle était dirigée contre l'ambassade de la République d'Afrique du Sud qui est dépourvue de la personnalité juridique.

Mme [K] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 2 juin 2014 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de condamnation de la République d'Afrique du Sud en paiement de diverses sommes qu'elle estime dues en raison de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Le 23 juin 2014, Mme [K] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire, puis a été licenciée le 11 août 2014 pour faute grave au motif que les conclusions et pièces produites pour le jugement du 30 avril 2014 comportaient des informations confidentielles en violation de la clause de confidentialité de son contrat de travail mais aussi de la loi sud africaine de 1984 dite Protection of information Act assortie de dispositions pénales.

Le 1er septembre 2014, le ministère des affaires étrangères et du développement international a transmis à l'Ambassade d'Afrique du Sud une convocation de 'l'Etat d'Afrique du Sud ayant son ambassade [Adresse 2]" devant le bureau de conciliation du Conseil de Prud'hommes, pour une audience devant se tenir le 27 janvier 2015.

L'audience de conciliation a fait l'objet de renvois successifs, en dernier lieu à l'audience du 16 décembre 2015 pour régularisation de la citation par la voie diplomatique.

Le 27 août 2015, le ministère des affaires étrangères et du développement international a transmis à l'ambassade d'Afrique du Sud une convocation destinée à la 'République d'Afrique du Sud Departement of international relations and cooperation of the Republic of the south africa (DIRCO) [Adresse 9] [Localité 8] Republic of South Africa' devant le bureau de conciliation du Conseil de Prud'hommes, pour une audience devant se tenir le 16 décembre 2015.

À l'issue de cette audience, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Dans le dernier état de la procédure, Mme [K] demandait au conseil de prud'hommes de:

- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,

- Fixer le salaire de base mensuel à 3 762,l7 euros ;

- Condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes assortiés des intérêts au taux légal à compter de la demande :

° Indemnité compensatrice de préavis (2 mois) : 7 524,30 euros ;

° Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 752,43 euros ;

° Indemnité de licenciement : 24 610,85 euros ;

° Heures supplémentaires sur 3 ans : 17 360,2 euros ;

° Congés payés afférents : l 736 euros ;

° Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 22 573,02 euros ;

° Indemnité pour harcèlement moral : 50 000 euros ;

° Indemnité pour discrimination : 50 000 euros ;

° Indemnité pour défaut de visite médicale pendant 22 ans : 11 286,51 euros ;

° Dommages et intérêts pour défaut de formation : 7 524,34 euros ;

° Indemnité pour licenciement intervenu dans des conditions brutales et vexatoires : 50 000 euros;

° Indemnité pour défaut de mention du DIF : 3 762,17 euros ;

° Indemnité pour retard dans la remise des documents obligatoires : 7 524,34 euros ;

° Dommages et intérêts pour licenciement sans cause reelle et sérieuse : 250 000 euros ;

° Article 700 du Code de Procédure Civile : 5 000,00 euros

- Ordonner la remise de l'attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi, un certificat de travail en qualité d'assistante de direction et un solde de tout compte ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision.

La République d'Afrique du Sud a soulevé la nullité de l'acte introductif d'instance, a invoqué l'immunité d'Etat et, subsidiairement au fond, a conclu au débouté de Mme [K] en l'ensemble de ses demandes, à la condamnation de la salariée à lui rembourser la somme de 19 866,50 euros à titre de trop perçu sur salaires et à lui régler celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 juillet 2017, le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré 'compétent' et a 'lié l'incident au fond' et a :

- Prononcé la résiliation judiciaire du contrat au 1er septembre 2012,

- Condamné la République d'Afrique du Sud, Departement of international relations and cooperation of the Republic of South Africa (DIRCO) à payer à Mme [K] la somme de 16 252,57 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- Rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, cette condamnation est exécutoire de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

- Fixé cette moyenne à la somme de 3 762,17 euros,

- Débouté Mme [K] du surplus de sa demande,

- Débouté la République d'Afrique du Sud de sa demande reconventionnelle.

Par déclaration du 8 mars 2018, Mme [K] a interjeté appel du jugement notifié le 17 février 2018.

Dans ses dernières conclusions transmises le 21 février 2019 par voie électronique, Mme [K] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur,

- L'infirmer pour le surplus

statuant à nouveau,

- Juger que la moyenne de salaires est de 3 762,17 euros,

à titre principal,

- Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur à la date du jugement de la première instance,

- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant de la résiliation de son contrat de travail,

à titre subsidiaire

- Dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- Condamner l'employeur au paiement de la somme de 250 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- Condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

° 7 524,34 euros à titre de préavis et 752,43 euros à titre de congés payés sur préavis ;

° 22 050 euros à titre d'indemnité légale de licenciement en soustrayant la somme de 16 252,17 euros déjà réglée ;

° 17 360,28 euros au titre des heures supplémentaires et 1 736,03 euros au titre des congés payés y afférents ;

° 22 573,02 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

° 50 000 euros au titre du harcèlement moral ;

° 50 000 euros au titre de la discrimination ;

° 50 000 euros au titre du licenciement intervenu dans des conditions brutales et vexatoires ;

° 3 762,17 euros au titre du défaut de mention du DIF ;

° 11 286,51 euros au titre de l'absence de visite médicale ;

° 7 254,34 euros au titre du défaut de formation ;

° 7 524,34 euros au titre du retard de la remise des documents obligatoires de fin de contrat ;

° 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises le 25 avril 2022 par voie électronique, la République d'Afrique du Sud demande à la cour :

avant toute défense au fond

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté son exception de nullité et sa fin de non-recevoir

- Annuler l'acte introductif d'instance en date du 5 mai 2015, et par suite le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes de Paris en date du 10 juillet 2017, pour non-respect des formes relatives à la notification des actes par la voie diplomatique ;

Subsidiairement,

- Déclarer irrecevable la demande à raison de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'État Sud-Africain,

Au fond et à titre subsidiaire,

- Constater que le licenciement de Mme [K], par lettre du 11 août 2014, est intervenu avant la convocation remise à l'employeur en date du 28 août 2015 qui, seule, valait saisine du Conseil de Prud'hommes ;

- Infirmer le jugement entrepris ;

- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de Mme [K] ;

À titre infiniment subsidiaire,

- Confirmer le jugement entrepris sur le montant des indemnités allouées à Mme [K] ;

Dans tous les cas :

- Condamner Mme [K] à rembourser à la République d'Afrique du Sud la somme de 19 866,50 euros correspondant à des salaires trop perçus entre le 12 novembre 2012 et le 31 mai 2013 ;

- Condamner Mme [K] au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'avis du ministère public en date du 24 mars 2022 a été transmis aux parties le 30 mars 2022.

L'instruction a été clôturée le 17 mai 2022 et l'affaire plaidée le 25 mai 2022.

MOTIFS

Sur l'exception de nullité

L'article 684 alinéa 2 du Code de procédure civile dispose que l'acte destiné à être notifié à un État étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est remis au parquet et transmis par l'intermédiaire du ministre de la justice aux fins de signification par voie diplomatique, à moins qu'en vertu d'un règlement communautaire ou d'un traité international la transmission puisse être faite par une autre voie.

En l'espèce, les convocations successives de la République d'Afrique du Sud devant le conseil de prud'hommes ont été adressées par le service du protocole du ministère des affaires étrangères et du développement international à l'ambassade de l'État en France.

La République d'Afrique du Sud invoque le non-respect de la signification par voie diplomatique de l'acte introductif d'instance en ce que celui-ci ne lui a pas été remis selon la forme prévue à l'article 684 alinéa 2 du code de procédure civile. Elle soutient, en conséquence, que l'acte ne pourra qu'être annulé sans même qu'il soit besoin de rechercher l'existence d'un éventuel grief.

Mme [K] rappelle que les avocats des deux parties se sont présentés devant le bureau de conciliation et d'orientation le 19 mars 2015, qu'à cette date l'avocat de la République d'Afrique du Sud a excipé d'une saisine non conforme à l'article 684 al. 2 du Code de Procédure Civile, que le conseil de prud'hommes a radié l'affaire au rôle et l'a réinscrite au rôle pour le 16 décembre 2015 et demandé à son avocat de le saisir à nouveau en respectant le circuit diplomatique, que par lettre recommandée avec avis de réception du 20 mars 2015, son avocat a écrit au conseil de prud'hommes pour lui demander de signifier son acte de saisine à l'État Sud-Africain en son ministère des affaires étrangères en précisant les adresses postales et physiques de ce dernier, que le 16 décembre 2015, les deux avocats des parties étaient présents devant le bureau de conciliation et ont émargé la convocation à l'audience du bureau de jugement initialement fixée au 21 juin 2016 et qui a fait l'objet de plusieurs renvois successifs.

Elle se réfère à un arrêt en date du 23 mars 2017 dans lequel la chambre sociale de la Cour de Cassation a jugé qu'un État étranger qui a été convoqué devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes par la voie diplomatique en application des dispositions de l'article 684 du code de procédure civile est régulièrement convoqué devant le bureau de jugement de cette juridiction selon les modalités prévues par l'article R. 1454-17 du code du travail dès lors que l'avocat de son représentant en France a émargé au dossier sans réserves, qu'il a été informé du renvoi devant le bureau de jugement et qu'il a comparu le jour de l'audience de jugement.

Le ministère public indique qu'en France et, selon une pratique constante, les termes de voie diplomatique recouvrent deux voies de notification :

- Un circuit dit 'long' dans lequel l'acte est remis au ministère des affaires étrangères de l'État étranger par l'intermédiaire de l'ambassade de France ;

- Un circuit dit 'court' dans lequel l'acte est remis par note verbale du Protocole à l'ambassade de l'État étranger en France,

que, cette distinction, inspirée de la théorie des gares principales dégagée par la Cour de Cassation, est opérée au regard de la façon dont l'État ou le titulaire de l'immunité de juridiction est désigné dans l'acte :

- S'il est mentionné que l'acte est destiné à un État étranger représenté par son ambassade ou à l'ambassade elle-même, l'acte est remis à l'ambassade de l'État étranger en France. Il en est de même lorsque l'acte vise une personne susceptible de bénéficier d'une immunité se trouvant en France,

- S'il est mentionné que l'acte est destiné à un État étranger ou à tel ministère d'un État étranger, l'acte est remis au ministère des Affaires Étrangères de l'État étranger par l'intermédiaire de l'ambassade de France.

Il relève qu'en l'espèce, la saisine, en date du 27 mai 2014, était formulée à l'encontre de ' L'État d'Afrique du Sud, ayant son ambassade [Adresse 2]" et en conclut, dès lors, que la transmission de la convocation pour l'audience de conciliation du 27 janvier 2015 par le circuit diplomatique 'court', c'est à dire par remise de l'acte à l'ambassade de la République d'Afrique du Sud à [Localité 7], était parfaitement régulière.

Cela étant, comme elle le rappelle opportunément, la République d'Afrique du Sud n'est pas signataire de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, qui permet, dans certains cas, une notification ou signification des actes de justice par les voies consulaires ou diplomatiques.

Au surplus, comme tout aussi justement observé par la République d'Afrique du Sud, la notification d'un acte à un État par la voie consulaire ou diplomatique dite 'courte' n'est possible que si l'État destinataire ne s'y oppose pas. Or, tel n'est pas le cas de la République d'Afrique du Sud en ce que celle-ci n'a pas accusé formellement réception des convocations du 1er septembre 2014 et du 27 août 2015 et qu'elle a, en outre, déposé des conclusions de nullité pour non-respect de la voie diplomatique dès sa comparution devant le bureau de conciliation.

Les convocations de la République d'Afrique du Sud devant le conseil de prud'hommes de Paris ont donc été faites en violation des règles de la notification des actes par la voie diplomatique. Elles sont, en conséquence, nulles.

L'irrégularité de la convocation d'un État étranger devant le conseil de prud'hommes entraîne la nullité du jugement prononcé.

Toutefois, il doit être rappelé qu'en application de l'article 562 du code de procédure civile, en cas de nullité du jugement, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond.

Ce principe ne reçoit exception que lorsque la cour prononce l'annulation de l'acte introductif d'instance et que, dès lors, le premier juge n'a pas été valablement saisi.

Or, il résulte des articles R. 1452-1 à R. 1452-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au présent litige, que le conseil de prud'hommes est saisi par une demande formée au greffe. Cette dernière peut être faite par lettre recommandée avec avis de réception.

En l'espèce, conformément aux textes ci-dessus, Mme [K] a formé sa demande devant le conseil de prud'hommes de Paris par lettre de son conseil du 27 mai 2014 et le greffe de la juridiction a enregistré celle-ci le 2 juin 2014.

La République d'Afrique du Sud fonde sa demande de nullité du jugement non sur la régularité formelle de la demande de Mme [K] mais sur les conditions de la transmission de celle-ci par le conseil de prud'hommes à son destinataire.

Le conseil de prud'hommes de Paris a donc été régulièrement saisi.

Il s'ensuit que la nullité du jugement pour défaut de convocation régulière d'une des parties ne s'étend pas à la saisine du conseil de prud'hommes. Elle n'exonère donc pas la cour de son devoir d'évoquer l'affaire dès lors que, malgré l'irrégularité de sa convocation, la République d'Afrique du Sud a comparu devant le bureau de conciliation, devant le bureau de jugement et a présenté ses moyens de défense au fond tant en première instance qu'en cause d'appel.

Il appartient donc à la cour de statuer sur l'entier litige porté devant elle.

Sur la fin de non recevoir tirée de l'immunité de juridiction

La République d'Afrique du Sud rappelle que les États étrangers bénéficient de l'immunité de juridiction dès lors que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces États.

Elle plaide que le licenciement d'un salarié est un acte qui participe à la souveraineté étatique et est couvert par l'immunité de juridiction si le licencié exerce des fonctions selon des responsabilités particulières participant à la puissance publique, dans le cadre duquel entre le service public diplomatique ou consulaire.

Elle fait, alors, valoir que, dans l'exercice de sa mission, Mme [K] avait accès à des documents confidentiels (agendas des diplomates et des Ministres en déplacement, archivage, classement de dossiers, gestion du courrier et des courriels ...) - documents considérés comme relevant du secret et inviolables, en vertu de l'article 24 de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, qui stipule que 'les archives et documents de la mission sont inviolables à tout moment et en quelque lieu qu'ils se trouvent'.

Elle ajoute que la salariée disposait d'une certaine autonomie et avait une responsabilité propre dans l'exercice des missions de service public.

Elle en conclut que l'immunité de juridiction ne pourra pas lui être refusée, sauf à mettre la France, par l'exercice de son service public de la justice, en violation grave de ses obligations internationales.

Mme [K] réplique que son contrat de travail conclu avec l'Ambassade d'Afrique du Sud constitue un acte de simple gestion et ne participe nullement, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de l'État, qu'elle n'avait pas la qualité de diplomate ni d'agent de mission diplomatique ou consulaire et que la République d'Afrique du Sud se contredit en contestant devant le conseil de prud'hommes sa qualité de cadre tout en affirmant qu'elle aurait disposé 'de l'autonomie' et 'de responsabilités propres dans l'exercice des missions de service public'.

Le ministère public conclut que les fonctions exercées par Mme [K], au demeurant classiques des fonctions d'assistante et étant généralement soumises à une clause de confidentialité, ne lui permettaient en rien une prise de décisions relatives à l'exercice même de la puissance publique et ne lui conféraient pas une responsabilité particulière dans l'exercice du service public de la République d'Afrique du Sud.

Cela étant, il appartient à la cour de déterminer si Mme [K] opérait des actes d'administration participant à la souveraineté de la République d'Afrique du Sud , donnant lieu à l'immunité de juridiction, ou à de simples actes de gestion ne donnant pas lieu à une telle immunité.

En l'espèce, il n'apparaît pas du dossier que Mme [K], en sa qualité de standardiste réceptionniste puis de secrétaire, ait été chargée de tâches autres que celles qu'elle décrit et naturellement dévolues à ces types de fonctions, à savoir pour la première :

- gestion des appels et courriers du diplomate au service duquel elle travaillait,

- interprétariat, notamment au cours des salons et foires professionnelles et grand public (Foire de [Localité 7], de [Localité 5], Equip'Auto, SIAL,...),

- recherche documentaire, constitution de dossiers de presse,

- organisation d'événements culturels, encadrement d'artistes Sud-Africains en tournée promotionnelle,

et pour la seconde :

- assistance dans la gestion d'agenda, d'organisation de déplacements étrangers,

- assistance dans la gestion de l'organisation du bureau : factures, fournitures, frais de déplacements,

- assistance dans la gestion du courrier et des courriels en français et en anglais,

- traduction',

- interface entre le Ministère des télécommunications et diverses organisations internationales,

- participation à l'organisation de conférences internationales (ITU Africa Télécom 2001, PATU conférence plénipotentiaire),

- traductrice/interprète auprès du Ministre sud-africain aux cours des conférences et déplacements officiels ([Localité 4] 2000, [Localité 6] 2001 ').

En outre, l'autonomie de Mme [K] invoquée par la République d'Afrique du Sud ne porte que sur les modalités d'exécution de ses fonctions dans le strict cadre des missions habituellement dévolues à une standardiste-réceptionniste et à une secrétaire et n'implique pas une autonomie de prise de décision dans des domaines relevant de la souveraineté ou du service public de l'État.

Par ailleurs, le secret professionnel auquel était soumise Mme [K] à l'égard de la République d'Afrique du Sud est également inhérent à la définition des emplois occupés et s'applique à tout salarié affecté sur de tels postes.

Enfin, les demandes de Mme [K] portent sur des actes de gestion en ce que la salariée sollicite un rappel de paiement d'heures supplémentaires ainsi que des dommages et intérêts en réparation de préjudices causés par le manquement de son employeur dans ses obligations de suivi médical et de formation et d'adaptation du salarié à son poste de travail, par une situation de discrimination et de harcèlement, par une modification du contrat de travail sans son accord et en dernier lieu, par la rupture de son contrat de travail.

À titre reconventionnel la République d'Afrique du Sud réclame le remboursement d'un trop versé de salaire à Mme [K], ce qui porte également sur un acte de gestion.

En conséquence, le moyen tiré de l'immunité de juridiction soulevée par la République d'Afrique du Sud sera rejeté.

Sur l'examen prioritaire de la demande de résilition judiciaire du contrat de travail ou de contestation du licenciement

La République d'Afrique du Sud soutient que la juridiction prud'homale doit exclusivement examiner le litige relatif au licenciement en ce que ce dernier a été prononcé le 23 juin 2014, soit avant la saisine du conseil de prud'hommes par Mme [K] le 20 mars 2015 et qu'en conséquence, le contrat de travail était déjà rompu à la date de la demande de résiliation judiciaire qui, par voie de conséquence, est devenue sans objet.

Mme [K] réplique que la juridiction prud'homale doit d'abord statuer sur sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en ce que cette dernière a été formée avant son licenciement.

Cela étant, comme rappelé ci-dessus, Mme [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail par une lettre de son avocat en date du 27 mai 2014 enregistrée au greffe le 2 juin 2014, conformément aux articles R. 1452-1 à R. 1452-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au présent litige. Elle a été licenciée le 11 août 2014.

Sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail - dont la date est celle de son enregistrement au greffe et non de la convocation de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d'orientation - est donc antérieure à son licenciement.

Or, lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat est justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

La demande de résiliation judiciaire de Mme [K] doit donc être examinée en priorité.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Sur le fondement de l'article 1184 du code civil devenu 1217, il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si l'inexécution de certaines des dispositions résultant d'un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation. Si l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement le contrat de travail par la voie du licenciement en respectant les garanties légales, est irrecevable à demander la résiliation du contrat de travail, tout salarié est recevable à demander devant la juridiction prud'homale la résiliation de son contrat de travail en raison de manquements de l'employeur suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de relations contractuelles de travail.

Il appartient au salarié d'apporter le preuve des manquements qu'il allègue à l'encontre de son employeur.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, Mme [K] invoque à l'égard de la République d'Afrique du Sud :

- la modification unilatérale de son contrat de travail de secrétaire de direction en commis comptable,

- l'absence de visite médicale d'embauche et de visite médicale périodique durant la relation contractuelle de travail,

- l'absence de majoration des heures supplémentaires,

- l'absence de formation durant les 21 ans de relations contractuelles,

- une situation de harcèlement moral,

- une discrimination en fonction de la race.

La République d'Afrique du Sud conteste l'ensemble de ces griefs.

Cela étant,

Sur les visites médicales d'embauche et périodiques et l'obligation de formation et d'adaptation du salarié au poste du travail

La République d'Afrique du Sud ne rapporte pas la preuve d'avoir satisfait à son obligation d'organiser une visite médicale d'embauche prévue par les articles R. 4624-10 et 4624-11 du code du travail ainsi que des visites médicales périodiques prévues par l'article R. 4624-16 du même code à l'égard de Mme [K], peu importe qu'elle justifie du paiement des cotisations au centre de médecine et de santé du travail.

Elle n'établit pas davantage avoir satisfait à son obligation de formation continue et d'adaptation du salarié à son poste de travail prévue par l'article L. 6312-1 du code du travail.

Sur les heures supplémentaires

Le litige opposant la salariée à son ancien employeur ne porte pas sur l'existence et le nombre d'heures accomplies qui imposerait un examen de la demande selon la règle probatoire de l'article L.3171-4 du code du travail mais uniquement sur les modalités de rémunération de celles-ci.

En effet, Mme [K] fait valoir qu'elle était rémunérée à hauteur de 3 657 euros pour 169 heures de travail par mois, soit 39 heures par semaine, alors que la durée hebdomadaire de travail est de 35 heures et que ses bulletins de paie ne mentionnent aucune majoration pour les quatre heures hebdomadaires supplémentaires de travail.

La République d'Afrique du Sud réplique que, selon la lettre d'embauche du 17 janvier 1991, la durée hebdomadaire de travail de la salariée est de 40 heures, que cette durée est d'ailleurs confirmée par l'ensemble des bulletins de paie qui mentionnent 169 heures par mois et qu'ainsi le contrat de travail de l'intéressée prévoyait un forfait d'heures supplémentaires qui n'a pas été dépassé.

Cela étant, la République d'Afrique du Sud ne peut prétendre s'exonérer elle-même des dispositions légales et impératives car d'ordre public en matière de durée hebdomadaire de travail (article L. 3121-10 du code de travail) et de rémunération des heures supplémentaires (article L.3121-22) accomplies au delà de cette durée.

L'employeur a donc manqué à l'égard de sa salariée à son obligation de rémunérer les heures accomplies au-delà de la durée hebdomadaire légale de travail selon un taux majoré.

Sur le harcèlement

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1154-1 dans sa version applicable au présent litige, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [K] fait valoir que dès qu'elle a appris que son poste risquait d'être supprimé en mai et juin 2012, elle a multiplié les démarches auprès de la cheffe de l'administration de l'ambassade afin de bénéficier des postes de secrétariat qui étaient libres ou allaient l'être sous peu et qu'il lui était invariablement répondu que son excellence Mme l'Ambassadeur refusait qu'elle occupe ces postes et exigeait qu'elle occupe le poste d'assistante comptable (account clerk) au service financier pour lequel elle n'avait aucune compétence.

Mais, comme justement relevé par la République d'Afrique du Sud, la décision de l'employeur de modifier unilatéralement le contrat de travail d'un salarié ne peut s'analyser en des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral au sens de l'article L. 1152- du code du travail, même dans le cas où l'employeur maintient sa position après les refus réitérés de l'intéressé.

Ainsi, la matérialité d'éléments de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement n'est pas établie.

Sur la discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail dans sa version applicable au présent litige,aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [K] soutient qu'elle a fait l'objet d'une mesure discriminatoire en matière d'affectation en raison de son apparence physique, sud africaine blanche puisque si son poste a bien été supprimé après le départ de la responsable, tous les postes vacants au sein de l'ambassade à cette époque ne lui ont pas été proposés alors qu'elle remplissait totalement les conditions pour y accéder, et ce en raison de son apparence physique blanche alors que son employeur entendait privilégier les salariés noirs.

À l'appui de ce grief, Mme [K] produit les annonces d'offres d'emploi pour un poste de traducteur à l'ambassade d'Afrique du Sud pour une clôture des candidatures au 31 août 2012, pour un poste de secrétaire auprès de l'ambassade d'Afrique du Sud pour une clôture des candidatures au 31 juillet 2012 et pour un poste de secrétaire auprès de l'ambassade d'Afrique du Sud avec une date de clôture des candidatures au 15 mars 2013. Elle établit ainsi qu'à une période contemporaine à la date de la notification de la suppression de son poste, des emplois correspondant à ses compétences, notamment une offre d'emploi de poste de secrétaire, étaient disponibles au sein de l'ambassade et que cette situation s'est reproduite quelques mois plus tard sans que ces postes ne lui aient été proposés alors même qu'elle avait notifié son refus d'affectation sur le poste d'assistant comptable.

Elle verse également une attestation de Mme [Z], ancienne réceptionniste à l'ambassade, indiquant que, depuis des années, l'ambassade embauchait des sud-africains noirs en tant qu'employés locaux et qu'ainsi, si en 1994, il y avait sept employés blancs, au fur et à mesure des départs, il ne restait à un moment donné qu'elle-même et Mme [K] et qu'actuellement, il y a plus aucun employé blanc de nationalité sud africaine.

Mme [K] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination à son encontre.

La République d'Afrique du Sud réplique que la constitution des effectifs de l'ambassade reflète la diversité de sa population composée à plus de 90 % de personnes de couleur noire, que Mme [K] a été embauchée le 21 janvier 1991 et a donc travaillé pendant plus de 20 ans au service de l'État faisant l'objet de promotions au fil des années, ce qui contredit les affirmations de celle-ci sur les priorités données à des personnes de couleur noire, et que la demande de la salariée tendant à faire produire par son employeur les origines des personnes à qui ont été proposés des postes qu'elle briguait contrevient à l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 qui interdit de collecter et de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, entre autres, les origines raciales ou ethniques des personnes.

Mais, les considérations d'ordre général avancées par la République d'Afrique du Sud ne suffisent pas à prouver que la décision de l'employeur de ne pas affecter la salariée sur les postes de secrétariat qui étaient vacants à la date de la suppression de son poste et qui correspondaient à sa qualification et à son expérience mais de procéder à des recrutements externes était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Au surplus, les explications données par la République d'Afrique du Sud selon lesquelles on voit mal comment elle aurait pu proposer à Mme [K] d'autres postes correspondant à ses compétences dans la mesure où la salariée avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail dès le 17 septembre 2012, donc très peu de temps après avoir décliné la proposition qui lui avait été faite, ne laissant plus à l'employeur la possibilité de lui proposer un nouveau poste, ne constituent pas un fait justificatif en ce qu'elles caractérisent également un motif discriminatoire.

En conséquence, la discrimination en raison de la race invoquée par Mme [K] sera retenue.

Sur la modification unilatérale du contrat de travail

Il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que l'affectation de Mme [K] qui exerçait le poste de secrétaire directement sous les ordres du responsable du service communication de l'ambassade sur un poste d'assistant comptable constitue une modification du contrat de travail.

Or, le contrat de travail d'un salarié ne peut être modifié que sous réserve de l'accord exprès de l'intéressé.

En l'espèce, Mme [K] a manifesté de façon réitérée son refus pour le poste proposé d'assistant comptable à la suite de la suppression de son poste de secrétaire de sorte que l'employeur ne pouvait, sans manquer gravement à ses obligations imposées par le contrat de travail, maintenir sa décision d'affectation. Il lui appartenait en effet soit de reclasser la salariée sur un autre poste équivalent au sien, soit en cas d'impossibilité, d'engager une procédure de licenciement économique, comme d'ailleurs rappelé par Mme [K] dans ses lettres des 20 juillet et 13 septembre 2012.

Les éléments apportés par la République d'Afrique du Sud selon lesquels Mme [K] aurait précédemment exprimé son intérêt pour le poste d'assistant comptable sont sans portée sur les principes ci-dessus dès lors que la salariée a clairement exprimé son refus de modification de son contrat de travail après la notification de la décision de l'employeur.

Sur la portée des manquements de l'employeur sur le contrat de travail

Si le défaut de visite médicale et de formation au cours de la carrière de Mme [K] ainsi que l'absence de majoration des heures supplémentaires n'ont manifestement pas empêché la poursuite des relations de travail sur plus de vingt ans, la discrimination dont a été victime Mme [K] et la modification unilatérale de son contrat de travail caractérisent des manquements de l'employeur suffisamment graves pour interdire le maintien de ces relations.

La résiliation judiciaire du contrat de travail ayant lié Mme [K] à la République d'Afrique du Sud sera prononcée aux torts de l'employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur sa demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Au regard de ce principe, la résiliation judiciaire contrat de travail de Mme [K] prend effet au 11 août 2014, date de son licenciement pour faute grave.

Sur le licenciement

La résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] rend sans objet ses contestations relatives à son licenciement.

Sur les demandes financières de Mme [K]

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale

Le défaut de visite médicale périodique du travail a privé Mme [K] d'une surveillance médicale qui était d'autant plus justifiée que la salariée a été placée en arrêt de travail en juin 2012 puis en invalidité en juin 2015 et a été privée d'une chance de prévention ou tout au moins de détection en temps utile de sa pathologie.

En conséquence, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visite médicale.

Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de formation

L'absence de formation et d'actions d'adaptation de la salariée à son poste de travail durant toute la durée de la relation contractuelle s'étant étendue sur plus de 20 ans a porté atteinte au maintien de la capacité de l'intéressée à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations et ce, dans des conditions d'autant plus préjudiciables, que le poste de la salariée a été supprimé obligeant celle-ci soit à un reclassement interne soit à une recherche d'emploi auprès d'autres employeurs.

En conséquence, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à payer à Mme [K] la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de formation.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral

Le harcèlement moral invoqué par Mme [K] ayant pas été retenu, la salariée sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour discrimination

Compte tenu des éléments ci-dessus développés relativement à la discrimination dont a été l'objet Mme [K] et des conséquences de celle-ci sur le plan moral, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à verser à Mme [K] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur le rappel de rémunération des heures supplémentaires

Mme [K] sollicite un rappel de rémunération d'heures supplémentaires sur une période de trois ans sans précision de date.

Il convient, dès lors, de rappeler que la loi 2013-504 du 14 juin 2013 a modifié l'article L. 3245-1 du code du travail en ramenant le délai de prescription de l'action paiement ou en répétition du salaire de cinq ans à trois ans.

Toutefois, les nouvelles dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours, à compter de la date de promulgation de la loi sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure soit en l'espèce cinq ans.

En conséquence, Mme [K] est fondée à réclamer des rappels d'heures supplémentaires à compter du 2 juin 2009 compte tenu de la saisine du 2 juin 2014..

Elle ne saurait cependant solliciter un rappel d'heures supplémentaires postérieurement au 19 juin 2012 dès lors qu'elle a été en congé maladie de façon ininterrompue à compter de cette date.

Il s'ensuit que la réclamation en paiement d'heures supplémentaires porte bien sur une période de trois ans.

Selon les bulletins de paie versés à la procédure, la rémunération de Mme [K] pour la période concernée s'élevait à 3 657 euros pour 169 heures de travail, soit un taux horaire de 21,63 euros.

Les heures de travail effectuées par Mme [K] au delà de la durée hebdomadaire de travail, soit quatre heures par semaine auraient dû être majorées de 25 % en application de l'article L. 3121-22 du code du travail, soit une majoration de 5,40 euros.

Ainsi, à raison de quatre heures supplémentaires par semaine sur une période de trois ans et après déduction des périodes de congés payés, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à verser à Mme [K] la somme de 3 045,60 euros au titre de la majoration de rémunération due pour les heures supplémentaires outre la somme de 304,56 euros au titre des congés payés afférents.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

L'article L.8221-5, 2°, du même code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Aux termes de l'article L.8223-1, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Mme [K] n'établit pas l'intention dissimulatrice de son employeur autrement que par affirmation. En outre, les éléments ci-dessus relatifs aux heures supplémentaires établissent que le non paiement de la majoration prévue par l'article L.3121-22 du code du travail par l'employeur procède d'une application erronée d'une forfaitisation des heures supplémentaires par l'employeur.

Mme [K] sera donc déboutée de sa demande en indemnité pour travail dissimulé.

Sur le défaut de mention du droit individuel à la formation (DIF) dans la lettre de licenciement

Il appartient au salarié qui sollicite des dommages-intérêts de rapporter la preuve du préjudice qu'il prétend devoir être réparé.

Or, en invoquant un préjudice nécessairement causé, Mme [K] ne procède que par voie d'affirmation de principe ne valant pas preuve.

Elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de mention du DIF dans la lettre de licenciement.

Sur le paiement de dommages-intérêts pour retard dans la remise des documents obligatoires

Mme [K] fait valoir que, licenciée le 11 août 2014, elle n'a obtenu les documents conformes de fin de contrat de travail qu'en mars 2015 à la suite de plusieurs lettres officielles de relances de son conseil et qu'elle a été privée de revenus pendant huit mois.

Mais, elle ne produit aucun document établissant la réalité du préjudice qu'elle invoque.

Elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour retard dans la remise des documents obligatoires de fin de contrat.

Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail

En licenciant sa salariée pour faute grave, la République d'Afrique du Sud a privé celle-ci de son préavis et de l'indemnité légale de licenciement.

Or, le contrat de travail étant résilié aux torts de l'employeur, Mme [K] est fondée à réclamer une indemnité compensatrice de préavis en application des articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail qui, dans son cas, s'élève à deux mois de salaire soit la somme de 7 524,34 euros, outre celle de 752,43 euros au titre des congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité légale de licenciement en application de l'article L.1234-9 du même code qui s'élève à la somme de 21'839,48 euros pour une ancienneté courant du 21 janvier 1991 au 19 juin 2012, la période de suspension du contrat de travail pour maladie de Mme [K] à compter de cette dernière date n'entrant pas en compte pour le calcul de l'ancienneté, conformément à l'article L.1234-8.

En conséquence, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à verser ces sommes à Mme [K].

La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur s'assimile par ses effets à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au présent litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'ancienneté (21 ans), de l'âge (50 ans) et de la rémunération (3 762,77 euros) de la salariée à la date de la rupture et compte-tenu également de la situation de retour à l'emploi difficile de celle-ci, il convient d'allouer à Mme [K], la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions vexatoires

La rupture du contrat de travail de Mme [K] procède de la résiliation judiciaire de celui-ci et non du licenciement prononcé le 11 août 2014.

En conséquence, Mme [K] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions vexatoires.

Sur la remise de documents de fin de contrat

Compte tenu des développements ci-dessus, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à remettre à Mme [K] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail en qualité d'assistante de direction et non pas d'assistante comptable mentionnant les heures de droit individuel à la formation, et un solde de tout compte conformes au présent arrêt, dans un délai de quatre mois à compter de la signification de la décision.

Sur la demande reconventionnelle de la République d'Afrique du Sud

La République d'Afrique du Sud fait valoir qu'elle a continué par erreur à verser le complément de salaire à Mme [K] dans le cadre de la garantie de salaire due au salarié en congé maladie au delà de la période prévue par les textes qui s'achevait au 12 novembre 2012 et ce jusqu'au 31 mai 2013, pour une somme de 19 866,50 euros dont elle a sollicité le remboursement par lettre du 23 juin 2013.

Mme [K] s'oppose à la demande en faisant valoir que, dans le deuxième document Pôle Emploi, l'employeur atteste que le dernier jour payé est le 30 mai 2012 et qu'il sous-entend donc qu'il n'a plus payé sa salariée à compter de cette date.

Mais, Mme [K] ne saurait utilement se prévaloir de l'attestation Pôle Emploi du 22 janvier 2015 puisqu'elle reproche à son employeur des erreurs successivement commises lors de l'établissement des attestations Pôle Emploi jusqu'à la remise de documents de fin de contrat conformes en mars 2015.

De son côté, la République d'Afrique du Sud produit des bulletins de salaire correspondant à la période concernée, portant la mention, non contestée par la salariée, de paiement par virement automatique et le reçu de solde de tout compte du 9 décembre 2014 faisant apparaître un trop perçu de salaire pour la période du 12/11/2012 au 23/06/2013 que la salariée a signé avec la seule mention manuscrite : 'sous réserve de mes droits présents et à venir', sans remise en cause du décompte lui-même.

Mme [K] sera donc condamnée à payer à la République d'Afrique du Sud la somme de 19 866,50 euros.

Sur les intérêts

En vertu de l'article 1231-6 du code civil, les sommes ci-dessus de nature salariale revenant à Mme [K], produiront des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2018, date des premières conclusions d'appel portant mention des demandes et valant ainsi mise en demeure.

La somme due par la salariée à son employeur produira des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2018, date des premières conclusions d'appel incident portant mention de la demande et valant ainsi mise en demeure.

Conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code, les intérêts dus depuis plus d'une année entière produiront eux-mêmes des intérêts.

Par application de l'article 1231-7 du même code, les sommes de nature indemnitaire porteront intérêt à compter du présent arrêt.

Sur les frais non compris dans les dépens

Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la République d'Afrique du Sud sera condamnée à verser à Mme [K], accueillie au principal de ses demandes en appel, la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés par l'appelante qui ne sont pas compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

ANNULE le jugement entrepris,

Et évoquant l'affaire,

ÉCARTE le moyen soulevé par la République d'Afrique du Sud tiré de l'immunité de juridiction de l'État,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] à la date du 11 août 2014,

CONDAMNE la République d'Afrique du Sud à verser à Mme [W] [S] [K] les sommes suivantes :

° 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de visite médicale du travail,

° 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de formation,

° 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination,

° 3 045,60 euros au titre de la majoration de rémunération due pour les heures supplémentaires outre la somme de 304,56 euros au titre des congés payés afférents,

° 7 524,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 752,43 euros au titre des congés payés afférents,

° 21'839,48 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

° 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que les sommes ci-dessus de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2018 et celles de nature indemnitaire à compter du présent arrêt, et que les intérêts dus depuis plus d'une année entière produiront eux-mêmes des intérêts,

CONDAMNE la République d'Afrique du Sud à remettre à Mme [W] [S] [K] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail en qualité d'assistance de direction et non pas d'assistante comptable mentionnant les heures de droit individuel à la formation, et un solde de tout compte conformes au présent arrêt, dans un délai de quatre mois à compter de la signification de la décision,

DÉBOUTE Mme [S] [W] [K] du surplus de ses demandes,

CONDAMNE Mme [S] [W] [K] à payer à la République d'Afrique du Sud la somme de 19 866,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2018 en remboursement de trop perçu de salaires,

CONDAMNE la République d'Afrique du Sud à verser à Mme [W] [S] [K] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la République d'Afrique du Sud aux dépens de l'instance.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/03984
Date de la décision : 21/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-21;18.03984 ?
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