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21/09/2022 | FRANCE | N°18/00656

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 9, 21 septembre 2022, 18/00656


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 9



ARRET DU 07 NOVEMBRE 2022

(N° /2022, 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00656 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6OVO



Décision déférée à la Cour : Décision du 07 Septembre 2018 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n° 220/303916





APPELANTE



M. [E] [S] es qualite de syndic de LA SOCIETETE FINANCIERE

HATT, SA de droit marocain

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]- MAROC



Représentée par Me Julia ESCUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261 substituée ...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 9

ARRET DU 07 NOVEMBRE 2022

(N° /2022, 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00656 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6OVO

Décision déférée à la Cour : Décision du 07 Septembre 2018 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n° 220/303916

APPELANTE

M. [E] [S] es qualite de syndic de LA SOCIETETE FINANCIERE HATT, SA de droit marocain

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]- MAROC

Représentée par Me Julia ESCUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261 substituée à l'audience par Me Louis-Romain RICHE, avocat au barreau de Paris

INTIME

Maître [W] [B] [N]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Silvestre TANDEAU DE MARSAC de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M Michel RISPE, Président de chambre, entendu en son rapport et Mme Laurence CHAINTRON, Conseillère à la cour d'appel de Paris.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

Monsieur Michel RISPE, Président de chambre

Madame Laurence CHAINTRON, Conseillère

Mme Sylvie FETIZON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eléa DESPRETZ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Michel RISPE, Président de chambre et par Eléa DESPRETZ, Greffière présente lors du prononcé.

****

RÉSUMÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Par un jugement daté du 13 octobre 2011, le tribunal de commerce de Rabat (Maroc) a ouvert une procédure de liquidation judiciaire concernant la société financière Hatt, société de droit marocain, inscrite au registre du commerce de Rabat.

Par un nouveau jugement en date du 14 novembre 2013, le même tribunal de commerce a désigné M. [S] [E] en qualité de syndic de la liquidation judiciaire de la société financière Hatt.

Dans le cadre des attributions qui lui étaient ainsi conférées, M. [S] [E], en qualité de syndic de la société financière Hatt, a chargé M. [W] [B] [N], avocat, de la défense des intérêts de la société financière Hatt, en lui confiant plusieurs missions de représentation devant la justice marocaine, aux fins de contestation de diverses créances ainsi que de comblement du passif à l'encontre des dirigeants sociaux.

'''

Par courrier daté du 18 janvier 2018, reçu le 13 février 2018, M. [W] [B] [N], 'avocat aux barreaux de Paris et de Casablanca, Docteur en droit, Agréé près la cour de cassation au Maroc', a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats d'une demande de taxation de ses honoraires à hauteur de 1.147.063,40 euros hors taxes et en paiement d'une somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par décision en date du 7 septembre 2018, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris :

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de Me [W] [B] [N], dont le cabinet principal est situé à [Localité 4] ;

- a fixé, sous réserve de l'exactitude des traductions libres communiquées, de l'exactitude des résultats obtenus, et du caractère irrévocable de ceux-ci, à la somme de 1.147.063,40 euros hors taxes (un million cent quarante-sept mille soixante-trois euros quarante centimes) le montant total des honoraires dus à Me [W] [B] [N] par Me [S] [E] ès qualités de syndic de la société financière Hatt;

- a dit en conséquence que sous les réserves ci-dessus, Me [S] [E] ès qualités de syndic de la société financière Hatt, devra verser à Me [W] [B] [N] la somme de 1.147.063,40 euros HT (un million cent quarante-sept mille soixante-trois euros et quarante centimes) majorée de la TVA marocaine de 10 % outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 31 octobre 2017 et les frais éventuels de signification de la présente décision;

- a rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Suivant déclaration reçue le 3 octobre 2018 au greffe de cette cour d'appel, M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt a formé un recours à l'encontre de la décision précitée rendue le 7 septembre 2018 par le bâtonnier de l'ordre des avocats, qui lui avait été notifiée, au Maroc, par lettre recommandée, dont il a accusé réception le 1er octobre 2018.

Par ordonnance du magistrat délégataire du Premier président de la cour d'appel de Paris en date du 4 janvier 2021, l'affaire a été renvoyée par-devant la formation collégiale, qui en a connu successivement aux audiences des 14 avril 2021, 23 novembre 2021, 17 mars 2022 et, en dernier lieu, du 21 septembre 2022, notamment afin de permettre la production de pièces de nature à justifier le caractère irrévocable des décisions marocaines sur la base desquelles l'honoraire de résultat était demandé.

A cette audience du 21 septembre 2022, M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt s'est référé à ses conclusions écrites visées par le greffe le 23 septembre 2021, et les a soutenues, sollicitant de la cour qu'elle :

vu l'article 55 de la Constitution, vu la convention judiciaire de 1957 liant la France et le Maroc et du Dahir n° 1.08.101 du 20 octobre 2008 portant promulgation de la loi n° 28.08 organisant la profession d'avocat, vu l'ordonnance de détermination d'honoraires en date du 25 février 2011 de la Cour d'appel de Casablanca, vu l'arrêt 770/6 en date du 29 décembre 2015 de la sixième section de la chambre civile de la Cour de cassation marocaine, vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile, vu la jurisprudence et les pièces versées au débat,

- in limine litis et à titre principal, déclare que le bâtonnier de Paris n'était pas compétent pour traiter de ce litige;

- en conséquence, infirme la décision rendue par le bâtonnier de Paris le 7 septembre 2018 en toutes ses dispositions;

- déboute M. [W] [B] [N] de l'ensemble de ses demandes;

- à titre subsidiaire, déclare mal fondées les demandes formulées devant le bâtonnier de Paris par M. [W] [B] [N];

- en conséquence, infirme la décision rendue par le bâtonnier de Paris le 7 septembre 2018 en toutes ses dispositions;

- déboute M. [W] [B] [N] de l'ensemble de ses demandes;

- si par extraordinaire, la cour devait déclarer bien fondée la demande de M. [W] [B] [N], réduise le montant de ses honoraires au montant qu'elle jugera approprié;

- en tout état de cause, condamne M. [W] [B] [N] à payer à la société financière Hatt, la somme globale de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamne M. [W] [B] [N] aux dépens d'appel.

En réponse, M. [W] [B] [N] s'est référé à ses conclusions écrites notifiées par voie électronique le 1er septembre 2022 et les a soutenues, sollicitant de la cour qu'elle :

vu les éléments exposés et notamment, les articles 174 et suivants du décret n°91-1191 du 27 novembre 1991, les lettres de mission et de fixation des honoraires, les notes d'honoraires adressées à la cliente en la personne du syndic et non contestées, la priorité et le super privilège reconnus à ces créances par les dispositions législatives françaises et marocaines;

- confirme la décision n° 220/303916 rendue par le bâtonnier de Paris en date du 7 septembre 2018 ayant fixé le montant des honoraires dus à Me [W] [B] [N], selon les termes des lettres de mission et d'honoraires, à la somme 1.261.769,77 euros, taxe sur la valeur ajoutée comprise, l'équivalent de 14.102.194,80 dirhams toutes taxes comprises ;

- condamne solidairement la société financière Hatt et M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt au paiement, au profit de M. [W] [B] [N], du montant de ses honoraires en principal et des intérêts au taux légal sur les mêmes honoraires depuis la date de la mise en demeure du 31 octobre 2017 jusqu'à la date de leur paiement effectif ;

- ordonne la capitalisation des intérêts complémentaires ;

- condamne solidairement les débiteurs à verser au profit de l'avocat la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne solidairement les débiteurs aux dépens.

Au terme des débats, la cour a mis l'affaire en délibéré jusqu'au 7 novembre 2022.

MOTIVATIONS

Il n'est pas discuté que le recours de M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt est recevable, pour avoir été formé dans les délais requis.

Sur la compétence du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris :

M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt soulève l'incompétence du juge de l'honoraire français pour connaître de la demande de fixation d'honoraires qu'a présentée M. [W] [B] [N].

Il considère que seul le bâtonnier de Casablanca est compétent dans cette affaire, alors qu'il s'est déjà déclaré compétent en la matière et que le cabinet marocain de M. [W] [B] [N] doit être considéré comme son bureau principal au regard des accords internationaux liant la France et le Maroc. Il ajoute que la situation par laquelle monsieur [B] [N] avait ouvert un bureau 'secondaire' au Maroc était en violation de la convention judiciaire de 1957 liant la France et le Maroc et du Dahir n° 1.08.101 du 20 Octobre 2008 portant promulgation de la loi n° 28.08 organisant la profession d'avocat qui précise bien à son article 25 qu'un avocat marocain ne peut avoir de bureau secondaire. Il précise que M. [W] [B] [N] a d'ailleurs très récemment régularisé sa situation en renonçant à son bureau à Casablanca.

Il relève encore que le présent litige porte sur une demande de taxation d'honoraires concernant des affaires plaidées par M. [W] [B] [N], en qualité d'avocat inscrit au barreau de Casablanca devant les juridictions marocaines.

Il estime que la décision du bâtonnier de Paris est dès lors intervenue en violation de la compétence exclusive du bâtonnier de l'ordre des avocats de Casablanca et est contraire à l'ordre public marocain et ne serait pas reconnue lors des procédures d'exequatur nécessaires à la reconnaissance des décisions émanant du Bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris au Maroc.

Enfin, il fait valoir que cette tentative d'élection abusive de juridiction (forum shopping) par M. [W] [B] [N] est motivée par la volonté de contourner le droit marocain, et contrevient au principe non bis in idem selon lequel, on ne peut avoir deux autorités qui statuent sur les mêmes faits litigieux entre les mêmes parties d'autre part.

'''

Au contraire, M. [W] [B] [N] soutient que la compétence du Bâtonnier de Paris pour connaître des litiges concernant la fixation de ses honoraires est incontestable, alors qu'il est avocat inscrit au barreau de Paris où est situé son cabinet principal et que l'ouverture de son cabinet secondaire à Casablanca n'affecte en aucun cas la compétence de celui-ci en tant qu'instance de premier degré en matière de fixation de ses honoraires ni celle du Premier Président de la cour d'appel de Paris, en tant que juge d'appel.

Il fait notamment valoir que la jurisprudence aussi bien du Bâtonnier de Paris, que du Premier Président de la cour d'appel de Paris et même de la cour de cassation rendue à propos des litiges concernant la fixation de ses honoraires est constante, en particulier, s'agissant des contestations d'honoraires introduites par ou contre lui.

Il s'appuie encore sur plusieurs décisions du bâtonnier de l'ordre des avocats de Casablanca qui, inversement, a décliné sa compétence au profit du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris dans des affaires de contestation d'honoraires le concernant, compte tenu de ce que son cabinet principal était situé à [Localité 4].

Il fait observer qu'en effet, il a été autorisé à ouvrir seulement un cabinet secondaire à Casablanca et non son cabinet principal dans cette ville. Il soutient que la régularité de cette inscription n'est pas contestable. Il précise qu'en effet, s'il est vrai que la loi marocaine de 1993 comme celle de 2008, ne permet à l'avocat d'ouvrir qu'un seul cabinet, au Maroc, cette mesure se limite au territoire marocain dans lequel l'avocat, régulièrement installé, intervient devant les juridictions des villes du pays sans postulation. Il en déduit qu'un avocat français peut installer un cabinet secondaire au Maroc à défaut de dispositions contraires.

Il observe qu'en tout cas le juge commissaire marocain n'est en aucun cas compétent pour fixer les honoraires d'un avocat alors que sa compétence est strictement limitée à la vérification des créances antérieures à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective.

Il ajoute que la loi régissant la profession d'avocat au Maroc ne considère pas la compétence relativement à la fixation des honoraires d'avocat comme d'ordre public et fait valoir que la convention de mission et d'honoraires signée entre les parties fixe par son article 1er le choix par les parties de la compétence et de la loi applicable en se référant aux : ' dispositions de l'article 10 de la loi française du 31 décembre 1971 réglementant la profession d'avocat en France telle que modifiée ainsi que le décret français du 29 novembre 1991' et au 'règlement intérieur de la profession des avocats de Paris dans ses dispositions concernant les relations entre l'avocat et son client.'.

Sur ce, en premier lieu, la cour observe que le protocole franco-marocain du 20 mai 1965 relatif aux professions libérales judiciaires et aux activités d'ordre juridique, publié par le décret n° 65-1167 du 31 décembre 1965, prévoit, d'une part, que les avocats français inscrits aux barreaux français pourront être autorisés par les autorités marocaines compétentes à assister ou représenter les parties devant toutes les juridictions marocaines.

D'autre part, il offre aux citoyens de chacun des deux pays la faculté de demander leur inscription à un barreau de l'autre pays sous réserve de satisfaire aux conditions requises pour ladite inscription dans le pays où l'inscription est demandée et sans qu'aucune mesure discriminatoire ne puisse être prise à leur égard. Il en résulte qu'un citoyen français peut ainsi exercer la profession d'avocat au Maroc sous la seule réserve de se conformer à la législation de ce pays, cette inscription lui conférant notamment accès à toutes les fonctions du conseil de l'ordre, sauf au bâtonnat.

S'agissant des contestations d'honoraires d'avocats, il est constant qu'il existe au Maroc, comme en France une procédure spéciale instituée.

En France, celle-ci est organisée par les articles 174 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, qui prévoient notamment que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocat doivent être soumises successivement au bâtonnier de l'ordre des avocats auquel appartient l'avocat concerné, puis au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'ordre est établi.

Précisément, l'article 175 du décret précité prévoit que 'Les réclamations sont soumises au bâtonnier par toutes parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé. Le bâtonnier accuse réception de la réclamation et informe l'intéressé que, faute de décision dans le délai de quatre mois, il lui appartiendra de saisir le premier président de la cour d'appel dans le délai d'un mois.

L'avocat peut de même saisir le bâtonnier de toute difficulté.

Le bâtonnier, ou le rapporteur qu'il désigne, recueille préalablement les observations de l'avocat et de la partie. Il prend sa décision dans les quatre mois. Cette décision est notifiée, dans les quinze jours de sa date, à l'avocat et à la partie, par le secrétaire de l'ordre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La lettre de notification mentionne, à peine de nullité, le délai et les modalités du recours.

Le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa peut être prorogé dans la limite de quatre mois par décision motivée du bâtonnier. Cette décision est notifiée aux parties, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les conditions prévues au premier alinéa.'.

Une telle procédure est dès lors susceptible d'être mise en 'uvre sous réserve, le cas échéant, de sa conformité aux instruments internationaux applicables et, concernant le Maroc, de la Convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957, publiée par le décret n°60-11 du 12 janvier 1960.

Ainsi, s'agissant d'un avocat au barreau de Paris, qui disposait d'un cabinet secondaire à Casablanca, lequel avait été saisi par des clients venus le consulter pour défendre leurs intérêts dans le cadre d'une affaire immobilière devant la cour d'appel de Tanger, qu'il avait reçus à Paris et dans son cabinet secondaire de Casablanca, ses collaborateurs effectuant de nombreux déplacements à Tanger, la compétence du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris a été retenue, nonobstant le fait que la signature de la convention d'honoraires était intervenue à Casablanca, que les clients avaient la double nationalité, que le lieu de situation du bien objet du litige et de la procédure se situaient au Maroc, circonstances qui n'étaient pas susceptibles de modifier les règles de compétence en matière de contestation d'honoraires, c'est à dire celle du bâtonnier du barreau du cabinet principal de l'avocat (Cf. Cass. 2ème Civ., 16 janvier 2014, pourvoi n° 12-23.967).

Toutefois, il sera observé que dans cette espèce, la compétence du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris a été retenue à raison d'une mission qui lui avait été confiée en France et pour laquelle des diligences avaient été accomplies en France. En outre, les parties avaient conclu une convention d'honoraires qui faisait expressément référence à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et qui comportait la clause suivante : 'Pour toute contestation ou contentieux relatif à la présente convention, les parties reconnaissent s'en remettre à l'arbitrage exclusif du Bâtonnier du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris qui statuera en dernier ressort.'.

Au cas présent, par deux courriers, respectivement en date des 3 et 6 décembre 2014, M. [S] [E], syndic désigné dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire dont faisait l'objet, au Maroc, la société financière Hatt, a fait part à M. [W] [B] [N] de son accord, convenu avec le juge commissaire, pour qu'il assure le suivi de divers dossiers devant les juridictions compétentes moyennant un honoraire fixe payable pour chaque dossier ainsi qu'un honoraire complémentaire de résultat.

Si ces courriers se réfèrent à des discussions ainsi qu'à une précédente convention de mission et d'honoraires signée le 14 juillet 2014 entre ces deux protagonistes, il n'est pas justifié de l'application de celle-ci aux missions au titre desquelles a été formée la présente demande de fixation d'honoraires, dès lors qu'elle vise d'autres affaires, concernant les seules sociétés Atlantic Confection, Atelier de Lingerie et LGM Denim, et non pas la société financière Hatt.

Il convient, en outre, de relever qu'aucun de ces deux courriers ne se réfère à la loi française, ni à la qualité d'avocat français de M. [W] [B] [N], ceux-ci lui étant adressés, en langue arabe, à son adresse du [Adresse 1], à Casablanca, dont il n'est pas contesté qu'elle correspondait à son lieu d'exercice professionnel au Maroc, où il était inscrit comme avocat au barreau de Casablanca et était agréé près la Cour de cassation marocaine, comme il l'a lui même indiqué dans sa lettre de saisine du 18 janvier 2018.

En particulier, il sera relevé que le premier de ces courriers concerne l'ensemble des 'procédures de recours contre les créances publiques sur la société financière Hatt', ceux déjà transmis outre ceux susceptibles d'être ultérieurement adressés correspondant à des créances fiscales directes ainsi que des créances de la caisse nationale de sécurité sociale.

Le second est relatif à la procédure de 'responsabilité et de comblement de passif contre les dirigeants de droit et de fait de la société financière Hatt et contre les tiers personnes physiques ou morales dans le secteur public ou dans le secteur privé', enrôlée devant le tribunal de commerce de Rabat.

Or, il est encore constant qu'aucune des missions confiées aux termes de ces deux courriers des 3 et 6 décembre 2014, par M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt, à M. [W] [B] [N], n'a été accomplie en France, toutes l'étant exclusivement sur le sol marocain, devant des juridictions de l'Etat du Maroc.

Ainsi, les pièces et relevés produits à l'appui de la demande de fixation ne font état d'aucune diligence en France.

En outre, l'ensemble des documents soumis au juge de l'honoraire ont originellement été établis en langue arabe et chiffrés par référence à l'unité monétaire en cours au Maroc, au point que lorsque le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris a fixé le montant des honoraires, il l'a fait 'sous réserve de l'exactitude des traductions libres communiquées, de l'exactitude des résultats obtenus, et du caractère irrévocable de ceux-ci', admettant ce faisant qu'il rencontrait une difficulté sérieuse pour apprécier d'un tel litige, s'agissant de contrôler l'existence de diligences effectuées en application des règles processuelles marocaines, et prendre une décision qui a pourtant vocation à être exécutée et ce, au Maroc.

Mais, dès lors que la demande de fixation d'honoraires concernait l'accomplissement de tâches dans le cadre de missions confiées au Maroc, à un avocat inscrit au barreau de Casablanca, celui-ci n'était pas fondé à saisir le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris pour trancher un différend sur le montant des honoraires dont il sollicitait le paiement au titre de son exercice professionnel au Maroc, peu important qu'il soit, par ailleurs, inscrit au barreau de l'ordre des avocats de Paris, ce qui ne pouvait suffire à déterminer la compétence du bâtonnier de cet ordre.

De ce qui précède, il suit que la décision rendue le 7 septembre 2018 par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris doit être infirmée en toutes ses dispositions.

La solution de l'affaire conduit la cour à prononcer la condamnation de M. [W] [B] [N], partie perdante, à payer les dépens.

En outre, en application de l'article 700 du code de procédure civile, M. [W] [B] [N] doit être condamné à verser à M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité qu'il est équitable de fixer à la somme de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,

Infirme la décision rendue le 7 septembre 2018 par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris;

Condamne M. [W] [B] [N] aux dépens ;

Condamne M. [W] [B] [N] à payer à M. [S] [E] en qualité de syndic de la société financière Hatt la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Rejette toute autre demande;

Dit qu'en application de l'article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'arrêt sera notifié aux parties par le Greffe de la Cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 18/00656
Date de la décision : 21/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-21;18.00656 ?
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