RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 19 Septembre 2022
(n° , 2 pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/11128 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFT3
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière lors des débats et de Florence GREGORI, greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 1er juillet 2020 par M. [U] [Y]
né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 4] (ROUMANIE), élisant domicile au cabinet de Me [X] [V], [Adresse 3] - [Localité 2] ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 juin 2022 ;
Entendus Me Emmanuel PIRE de la AARPI WTAP représentant M. [U] [Y], Me [Z] [N] substituant Me Xavier NORMAND BORDARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitut Général, les débats ayant eu lieu en audience publique ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [U] [Y], de nationalité roumaine, mis en examen par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris des chefs de tentative de meurtre et violences volontaires en réunion, a été placé en détention provisoire le 15 novembre 2014 et écroué à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.
Le 12 novembre 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a ordonné sa mise en liberté et le jour suivant il était placé sous contrôle judiciaire.
Par jugement du 31 octobre 2019, le tribunal correctionnel de Paris l'a relaxé en retenant la légitime défense.
Le 1er juillet 2020, M. [Y] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite, dans sa requête, soutenue oralement à l'audience, les sommes suivantes :
- 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel.
Aux termes de ses conclusions déposées le 7 décembre 2021 et soutenues oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :
- débouter le requérant de ses demandes relatives au préjudice matériel,
- ramener à de plus justices proportions la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder la somme de 25 000 euros.
Le procureur général, dans ses écritures du 2 mai 2022, développées oralement à l'audience, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention provisoire indemnisable d'une durée de 11 mois et 28 jours et à la réparation du préjudice moral, en relevant, notamment, que l'intéressé a bénéficié d'une surveillance spéciale au titre de la prévention du suicide en détention, et au rejet de la demande d'indemnisation du préjudice matériel.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R 26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ; il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R 26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.
M. [Y] a adressé sa requête aux fins d'indemnisation, signée par son avocat, le 1er juillet 2020, soit dans un délai supérieur à six mois suivant le jour où la décision de relaxe, qui n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale, est devenue définitive, ainsi qu'il ressort du certificat de non appel du 27 mai 2020.
Cependant, M. [Y] n'a pas été destinataire de la notification de l'information de la possibilité de se faire indemniser et sa requête est dès lors recevable.
La requête en indemnisation de la détention provisoire de M. [Y] est donc recevable pour la période du 15 novembre 2014 au 12 novembre 2015 soit pour une durée de 11 mois et 28 jours.
Sur l'indemnisation
Sur son préjudice moral
Agé de 39 ans lors de son incarcération, le requérant est divorcé et père de trois enfants placés au sein des services sociaux roumains et sans domicile fixe en France.
La séparation familiale préexistait à son placement en détention à la suite de son départ de la Roumanie pour la France deux ans plus tôt.
M. [Y] a subi une grande souffrances psychologique en détention résultant de son isolement lié à la barrière de la langue et à sa grande difficulté à pouvoir communiquer par téléphone avec ses enfants placés et de son désespoir lié à un sentiment d'injustice, étant rappelé qu'il a été mis en examen pour des faits initialement de nature criminelle. Ces souffrances psychologiques sont corroborées par les certificats médiaux établis par le médecin du SMPR lui prescrivant notamment du Xanax et la surveillance spéciale mise en 'uvre par l'administration pénitentiaire au titre de la prévention du suicide en détention.
Le préjudice moral subi justifie l'octroi d'une indemnité de 30 000 euros.
Sur ses préjudices matériels
-sur la perte de rémunérations
M. [Y] qui allègue de petites activités ponctuelles ne rapporte pas la preuve qu'il travaillait au moment de son incarcération. Il ne rapporte pas la preuve d'une perte de revenus du fait de sa détention, ni d'éléments permettant de chiffrer une telle perte, les pièces produites étant toutes postérieures à sa levée d'écrou.
-sur les frais de défense pénale
M. [Y] ne fournit aucun élément permettant d'attester du montant de ses frais de défense dont seuls ceux relatifs à sa détention pourraient être pris en charge. Sa demande à ce titre est rejetée.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [U] [Y] recevable,
Allouons à M. [U] [Y] la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral,
Rejetons la demande au titre de son préjudice matériel,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 19 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE