RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 19 Septembre 2022
(n° , 2 pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/08016 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5VE
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière à la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 19 mars 2020 par M. [M] [B], demeurant [Adresse 2] ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 juin 2022 ;
Entendus Me Julien SFEZ et Mme [X] [U], élève-avocate, représentant M. [M] [B], Me Jennyfer BRONSARD substituant Me Fabienne DELECROIX de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitut Général, les débats ayant eu lieu en audience publique ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [M] [B], né le [Date naissance 1] 1986 et de nationalité française, mis en examen des chefs de complicité de violences aggravées par deux circonstances et violation de domicile, a été placé en détention provisoire le 28 avril 2016 et écroué à la maison d'arrêt de [Localité 4].
Le 27 août 2016, le juge d'instruction a ordonné sa mise en liberté et son placement sous contrôle judiciaire.
Le 20 septembre 2019, le tribunal correctionnel de Bobigny a relaxé M. [B] des fins de la poursuite.
Le 19 mars 2020, M. [B] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête, complétée par des conclusions en date du 3 juin 2022 soutenues oralement à l'audience, les sommes suivantes :
- 16 000 euros au titre du préjudice moral,
- 4 520 euros au titre du préjudice matériel,
- 9 420 euros en réparation des frais d'avocat engagés,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées le 9 juin 2022 et soutenues à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à la recevabilité de la requête et propose de :
- fixer la somme due au titre du préjudice moral à 9 000 euros, celle due au titre du préjudice matériel à 4 520 euros et celle correspondant au remboursement des honoraires d'avocat à 3 300 euros,
- débouter le requérant de sa demande au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Le procureur général par des écritures du 2 mai 2022 développées oralement, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention provisoire indemnisable d'une durée de 3 mois et 29 jours, à l'indemnisation partielle du préjudice moral et matériel et au rejet de la demande formée au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R 26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ; il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code. Le délai de six mois ne courant à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.
M. [B] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 19 mars 2020, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive ainsi qu'il ressort du certificat de non appel du 13 février 2020 (et non 2019 comme mentionné par erreur) ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
La requête de M. [B] est donc recevable pour une durée de 3 mois et 29 jours correspondant à la période du 28 avril au 27 août 2016.
Sur l'indemnisation de son préjudice moral
M.[B] était âgé de 30 ans, célibataire et sans enfant, au moment de son incarcération.
Il soutient n'avoir jamais été incarcéré auparavant. Cependant, son casier judiciaire porte mention d'une condamnation à six mois d'emprisonnement prononcée le 4 avril 2012 par le tribunal correctionnel de Bobigny et exécutée le 13 septembre 2013 et de la révocation de la peine de 3 mois d'emprisonnement prononcée le 12 novembre 2007 et exécutée le 22 novembre 2013 sans qu'il justifie de l'aménagement de ces deux peines en contradiction avec ces mentions.
Son préjudice moral amoindri par le fait qu'il ne s'agissait pas de son premier choc carcéral est aggravé par des conditions d'incarcération difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 4], dont la surpopulation et les mauvaises conditions d'hygiène corrélatives, impactant nécessairement le quotidien de chaque détenu, sont problématiques au regard de l'obligation de respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes incarcérées dans l'établissement, ainsi qu'il ressort du rapport du contrôleur général des lieux de privation de libertés de juillet 2017.
Ces éléments réunis déterminent une indemnisation du préjudice moral à hauteur de 12 000 euros.
Sur l'indemnisation de son préjudice matériel
-sur la perte de rémunération
M. [B] travaillait en exécution d'un contrat à durée indéterminée conclu le 1er octobre 2015 avec la société [3]. Il percevait un salaire mensuel de 1 130 euros net, de sorte qu'il lui sera alloué la somme de 4 520 euros au regard de la perte de salaire causée par son incarcération, somme qui n'est pas contestée par l'agent judiciaire de l'Etat.
-sur les honoraires d'avocats
S'agissant des honoraires d'avocat, seule la part des frais dont il est prouvé qu'ils sont en rapport direct avec la détention peut donner lieu à réparation étant précisé qu'aucune disposition n'exige que le requérant justifie s'être acquitté du paiement de la totalité des honoraires pour prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice matériel.
Le Ministère public soutient à bon droit que doivent être rejetés les frais de déplacement au parloir dont il n'est pas justifié qu'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté. La facture du 2 mai 2016 n'est pas ventilée et son remboursement doit être rejeté quand bien même elle comprend des frais d'assistance au débat sur la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention dont le montant ne peut être extrait. Il sera fait droit à la demande au titre de la facture du29 août 2016 pour un montant de 2 700 euros et de la facture du 29 juillet 2016 d'un montant de 2 160 euros.
-sur les dépens et la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
L'Etat est condamné au dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, fondement dûment rectifié dans les conclusions de M. [B] du 3 juin 2022.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [M] [B] recevable,
Allouons à [M] [B] les sommes suivantes :
- 12 000 euros au titre du préjudice moral,
- 4 520 euros au titre de son préjudice matériel,
- 4 860 euros en réparation des frais d'avocats engagés
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 19 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE