RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 19 Septembre 2022
(n° , 4 pages)
N°de répertoire général : N° RG 19/11215 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CABRB
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Sarah-Lisa GILBERT, Greffière lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière lors de le mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 15 avril 2019 par M. [N] [Z] [R] né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 3] (MALAISIE), élisant domicile au cabinet de Maître Céline LASEK - [Adresse 2] ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 juin 2022 ;
Entendus Me Lucie LECARPENTIER substituant Me Céline LASEK représentant M. [N] [Z] [R], Me Noella CANEDO, substituant Me Fabienne DELECROIX de l'association DELECROIX GUBLIN, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Monsieur Anne Bouchet, Substitut général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [N] [Z] [R], de nationalité malaysienne, mis en examen du chef de viol par personne abusant de l'autorité conférée par ses fonctions, a été placé en détention provisoire le 8 août 2014 et écroué à la maison d'arrêt de [Localité 4].
Le 4 décembre 2014, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Bobigny l'a remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Le 21 avril 2017, M. [R] a été relaxé par le tribunal correctionnel de Bobigny. Cette décision est définitive puisque par un arrêt du 19 octobre 2018, la cour d'appel de Paris a donné acte au ministère public et à la partie civile de leur désistement d'appel.
Le 15 avril 2019, M. [R] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite, dans sa requête, complétée par des conclusions en date du 31 mai 2022 soutenues oralement à l'audience, les sommes suivantes :
- 50 000 euros au titre du préjudice moral,
- 3 000 euros au titre de la perte des rémunérations,
- 540 euros au titre du remboursement des frais de visite de sa famille,
- 6 885 euros au titre des frais de défense engagés en lien avec le contentieux de la détention,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions déposées le 13 avril 2022 et soutenues à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président :
- d'ordonner le rejet des débats des pièces adverses n° 6,7,8,10,16,17,19,20,21,22,23,24,25, - de réduire à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder la somme de 12 000 euros,
- de rejeter les demandes formulées au titre du préjudice matériel,
- de réduire à de plus justes proportions la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Ministère public, aux termes de ses écritures du 22 avril 2022 développées oralement à l'audience, conclut à :
- la recevabilité de la requête pour une détention provisoire indemnisable d'une durée de 3 mois et 28 jours,
- l'indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de détention subie, à la situation de la maison d'arrêt de [Localité 4] en particulier, à la nature criminelle de la prévention et prenant en compte les circonstances familiales, culturelles, linguistiques et personnelles particulières, s'agissant par ailleurs d'une première incarcération,
- l'indemnisation partielle du préjudice matériel s'agissant de la perte des salaires,
- l'indemnisation des frais d'avocat occasionnés par la détention si le requérant produit une note détaillée en français,
- au rejet de l'indemnisation au titre de la perte de chance de retrouver rapidement un emploi.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité :
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R 26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R 26 du même code.
M. [R] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 15 avril 2019, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [R] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 8 août au 4 décembre 2014 pour une durée de 3 mois et 28 jours.
Sur la demande de rejet des pièces non traduites en français
Il n'y a pas lieu de rejeter des débats l'intégralité des pièces en langue étrangère versées par le requérant.
En effet, les pièces 10, 16 et 20 ont été traduites en français, les autres ne sont pas des pièces de procédure, les pièces 17, 19, 23,24 et 25 sont des documents d'identité ou libellées dans des termes ne posant pas de difficulté de traduction à cette juridiction et elles ne seront pas écartées des débats.
Seules le seront les pièces 7, 21 et 22 qui ne sont pas en anglais et sont totalement incompréhensibles.
Sur l'indemnisation
Sur son préjudice moral
M. [R], âgé de 54 ans au moment de son incarcération, marié depuis 25 ans et père de trois filles respectivement âgées de 24, 19 et 15 ans, dont l'une enceinte et l'autre atteinte d'une tumeur au cerveau, confronté pour la première fois au monde carcéral et à un isolement linguistique, culturel et affectif, a subi un choc psychologique certain et son préjudice a été aggravé par le fait qu'il ne parlait pas français et a été éloigné de sa famille vivant en Malaisie au besoin de laquelle il était seul à subvenir, par la nature criminelle de la prévention mais aussi par des conditions d'incarcération difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 4], dont la surpopulation et les mauvaises conditions d'hygiène corrélatives, impactant nécessairement le quotidien de chaque détenu, sont problématiques au regard de l'obligation de respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes incarcérées dans l'établissement.
Ces éléments justifient une indemnisation du préjudice moral à hauteur de 17 000 euros.
Sur ses préjudices matériels
- sur la perte de rémunérations
Il convient d'indemniser tant le préjudice matériel subi par M. [R] pendant la détention du fait de la privation de rémunération que celui résultant de la période nécessaire à la recherche d'un emploi postérieure à sa libération.
M. [R] justifie qu'il a été licencié le 22 août 2014 par la compagnie Malaysia Airlines où il travaillait depuis 34 ans au moment de son incarcération et qu'il n'a retrouvé un emploi que 10 mois après sa libération.
Il est incontestable que son incarcération l'a empêché d'exercer son métier de steward et lui a fait perdre ses revenus. Toutefois, il ne justifie pas du montant de ses revenus, ses déclarations de revenus des années 2011 et 2012 et ses avis d'imposition 2010, 2011 et 2013 en langue autre que l'anglais et non traduits ayant été écartés des débats.
Dès lors, sa demande d'indemnisation au titre de sa perte de revenus pendant l'incarcération et pendant les dix mois qui ont suivi sa libération doit être rejetée.
-sur le remboursement des billets d'avion
Les frais de transport engagés par le demandeur pour permettre à son épouse de lui rendre visite en prison constituent des dépenses liées à la détention.
M. [R] indique qu'il aurait réglé des billets d'avion afin que sa femme et une de ses filles viennent lui rendre visite en détention mais rien ne démontre qu'il a personnellement payé les billets et cette demande doit également être rejetée.
-sur les frais de défense pénale
S'agissant des honoraires d'avocat, seule la part des frais dont il est prouvé qu'ils sont en rapport direct avec la détention peut donner lieu à réparation étant précisé qu'aucune disposition n'exige que le requérant justifie s'être acquitté du paiement de la totalité des honoraires pour prétendre à l'indemnisation de ce chef de préjudice matériel.
En l'espèce, le requérant produit une facture d'honoraires traduite en français mais aucunement détaillée de sorte qu'elle ne permet pas de retenir les frais en rapport avec la détention et sa demande à ce titre doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [N] [Z] [R] recevable,
Ecartons des débats les seules pièces 7, 21 et 22,
Rejetons la demande d'indemnités au titre du préjudice matériel,
Allouons à M. [N] [Z] [R] les sommes suivantes :
- 17 000 euros au titre du préjudice moral,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 19 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE