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15/09/2022 | FRANCE | N°22/00769

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 15 septembre 2022, 22/00769


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2022



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00769 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE7TI



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Décembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021050539





APPELANTES



S.A.S. CITEE agissant poursuites et diligences de son repré

sentant légal en cette qualité au siège



[Adresse 7]

[Localité 6]



S.A.S. GROUPE AQUALTER agissant poursuites et diligences de son représentant légal en cette qualité a...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2022

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00769 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE7TI

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Décembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2021050539

APPELANTES

S.A.S. CITEE agissant poursuites et diligences de son représentant légal en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Localité 6]

S.A.S. GROUPE AQUALTER agissant poursuites et diligences de son représentant légal en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentées et assistées par Me Jean-françois PUGET de la SELARL C.V.S., avocat au barreau de PARIS, toque : P0098

INTIMEE

CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistée par Me Bruno CAVALIÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : L301

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 juin 2022, en audience publique, Thomas RONDEAU,Conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Président,

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Président et par Saveria MAUREL, Greffier présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

La Caisse des dépôts et consignations détient une participation (52 %) dans la société par actions simplifiée Groupe Aqualter, le reste du capital (48 %) étant détenu par la société Citée, société entièrement détenue par M. [S] [M].

La société Groupe Aqualter intervient dans le domaine de la distribution d'eau.

Un pacte d'associés a été conclu entre la Caisse des dépôts et consignations et la société Citée le 23 décembre 2010.

Ce pacte stipule notamment, en son article 16, que :

"Les prestations de direction générale d'Alteau [aujourd'hui Aqualter], dont le montant est estimé de façon préliminaire par CITEE à 220K€ HT environ pour la première année, seront ajoutées au périmètre des conventions de management et d'assistance en vigueur entre CITEE, TERNOIS et TERNOIS EXPLOITATION, qui seront maintenues et, le cas échéant, modifiées et complétées, étant toutefois d'ores et déjà précisé que pour l'ensemble des sociétés bénéficiaires des services (dont Ternois, Ternois Exploitation et Alteau), la rémunération de CITEE sera basée sur un montant égal à 90% de ses frais généraux augmenté d'une marge de 10%, et la répartition entre les différentes sociétés bénéficiaires des services sera effectuée en fonction du temps effectif passé par CITEE pour fournir les services à chacune des sociétés en cause."

La Caisse des dépôts et consignations fait état de craintes relatives à certains flux financiers et de difficultés pour obtenir des informations complètes sur ces flux, notamment au regard des conventions conclues entre Groupe Aqualter et Citée ou des entités liées à Citée, estimant ainsi nécessaire une mesure d'expertise de gestion, fondée sur les dispositions du code de commerce.

Par acte du 28 octobre 2021, la Caisse des dépôts et consignations a ainsi fait assigner la société Groupe Aqualter et la société Citée devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de, notamment :

- désigner tel expert qu'il lui plaira avec mission de :

se rendre en tous lieux, sièges sociaux, locaux, bureaux du Groupe Aqualter et de ses filiales et Citée et de ses filiales ;

se faire communiquer et examiner tous les documents relatifs à l'existence, l'exécution, la facturation et le paiement des sommes en vertu de toute convention conclue, ou plus généralement de tout flux financier existant, entre Groupe aqualter et/ou l'une de ses filiales, d'une part, et Citée et/ou R&O dépollution (ou toute autre société contrôlée par M. [M]), d'autre part (et notamment toute convention portant sur l'assistance, la prestation de services ou encore la fourniture d'équipements), et ce depuis le 1er janvier 2016 ;

analyser, depuis le 1er janvier 2016, la cohérence des facturations émises et des paiements constatés entre Groupe Aqualter et/ou l'une de ses filiales, d'une part, et Citée et/ou R&O dépollution (ou toute autre société contrôlée par M. [M]), d'autre part, et notamment, au visa de toute convention qui lui sera communiquée :

- les justificatifs des prestations réalisées (et notamment les temps passés, s'agissant des prestations d'assistance) ;

- la ventilation des différentes rémunérations reçues par Citée en fonction des conventions de management correspondantes et des entités du groupe facturées ;

- les coûts de structure de Citée ayant servi de base à la facturation ;

rechercher si Citée a fourni des prestations d'assistance, de management ou de conseil à des sociétés autres que Groupe Aqualter et ses filiales, et dans l'affirmative en décrire la nature et en préciser le chiffre d'affaires en ayant résulté pour Citée, depuis 2010 inclus ;

rechercher si Citée exerce d'autres activités que celles d'assistance, de management ou de conseil à des sociétés autres que Groupe Aqualter et ses filiales et, dans l'affirmative, évaluer ses charges de gestion y afférentes ;

dire que les constatations et avis de l'expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe de ce tribunal dans un délai de 3 mois à compter de sa saisine ;

fixer le montant de la provision à consigner ou à verser directement entre les mains de l'expert ;

- dire que la mission de l'expert est mise à la charge de la société Groupe Aqualter, avec la faculté pour la Caisse des dépôts et consignations d'en faire l'avance ;

- condamner la société Groupe Aqualter aux entiers dépens.

En réplique, les défenderesses ont soulevé la nullité de l'assignation, à titre subsidiaire le rejet des demandes, à titre encore plus subsidiaire la limitation de la mission, outre une demande de condamnation de la demanderesse à lui verser 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 22 décembre 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- désigné la société Ajassociés prise en la personne de Me [K], [Adresse 3]), avec mission de :

se rendre en tous lieux, sièges sociaux, locaux, bureaux de Groupe Aqualter et de ses filiales et de Citée et de ses filiales,

se faire communiquer et examiner tous les documents relatifs à l'existence, l'exécution, la facturation et le paiement des sommes en vertu de toute convention conclue, ou plus généralement de tout flux financier existant, entre Groupe Aqualter et/ou l'une de ses filiales, d'une part, et Citée et/ou R&O dépollution (ou toute autre société contrôlée par M. [M]), d'autre part (et notamment toute convention portant sur l'assistance, la prestation de services ou encore la fourniture d'équipements), et ce depuis le 1er janvier 2016 ;

analyser, depuis le 1er janvier 2016, la cohérence des facturations émises et des paiements constatés entre Groupe Aqualter et/ou l'une de ses filiales, d'une part, et Citée et/ou R&O dépollution (ou toute autre société contrôlée par M. [M]), d'autre part, et notamment, au visa de toute convention qui lui sera communiquée :

* les justificatifs des prestations réalisées (et notamment les temps passés, s'agissant des prestations d'assistance) ;

* la ventilation des différentes rémunérations reçues par Citée en fonction des conventions de management correspondantes et des entités du groupe facturées ;

* les coûts de structure de Citée ayant servi de base à la facturation ;

rechercher si Citée a fourni des prestations d'assistance, de management ou de conseil à des sociétés autres que Groupe Aqualter et ses filiales, et dans l'affirmative en décrire la nature et en préciser le chiffre d'affaires en ayant résulté pour Citée, depuis 2010 inclus ;

rechercher si Citée exerce d'autres activités que celles d'assistance, de management ou de conseil à des sociétés autres que Groupe Aqualter et ses filiales et, dans l'affirmative, évaluer ses charges de gestion y afférentes ;

- dit que les constatations et avis de l'expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe du tribunal dans un délai de 3 mois à compter de sa saisine ;

- fixé à 3.000 euros le montant de la provision à consigner par la Caisse des dépôts et consignations au greffe du tribunal de commerce de Paris avant le 1er février 2022 ;

- dit que la mission de l'expert est mise à la charge de la société Groupe Aqualter avec la faculté pour la Caisse des dépôts et consignations d'en faire l'avance ;

- dit que si les parties ne viennent pas à composition entre elles, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus ;

- dit que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise ;

- laissé à la partie demanderesse la charge des dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 87,02 euros TTC dont 14,29 euros de TVA.

Par déclaration du 5 janvier 2022, les sociétés Citée et Groupe Aqualter ont relevé appel de cette décision.

Dans leurs conclusions remises le 24 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Citée et Groupe Aqualter demandent à la cour au visa des articles 31, 122 et 856 du code de procédure civile, de l'article L. 225-231 du code de commerce, de l'article L. 227-10 du code de commerce, de :

- infirmer l'ordonnance du juge des référés rendue le 22 décembre 2021 (RG n°2021050539) par le tribunal de commerce de Paris ;

et, statuant à nouveau,

- constater que la Caisse des dépôts et consignations ne détient pas 5 % du capital de Citée, R&O Dépollution ou « toute société contrôlée par M. [M]» ;

en conséquence,

- déclarer irrecevable la demande d'expertise de gestion de la Caisse des dépôts et consignations ;

- déclarer mal fondée la demande d'expertise de gestion de la Caisse des dépôts et consignations ;

- débouter la Caisse des dépôts et consignations de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la Caisse des dépôts et consignations à verser à Groupe Aqualter et Citée la somme totale de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les sociétés Citée et Groupe Aqualter soutiennent que :

- la demande de la Caisse des dépôts et consignations est irrecevable car celle-ci n'a pas qualité pour agir, l'article L. 225-231 du code de commerce prévoyant que le droit de demander la désignation d'un expert de gestion est réservé aux associés dont la participation au capital dépasse le seuil de 5 % ;

- or, la Caisse des dépôts et consignations ne détient aucune participation dans la société Citée, ni dans la société R&O Dépollution, ni même dans aucune autre société contrôlée par M. [M], ces sociétés ne faisant pas partie du Groupe Aqualter ;

- les conditions du référé expertise ne sont au demeurant pas réunies ;

- la Caisse des dépôts et consignations sollicite une expertise sur le fondement de l'article L. 225- 231 du code de commerce, alors qu'elle ne dispose pas de la qualité d'associé dans les sociétés au sein desquelles elle demande que la mesure se tienne ;

- la demande de communication des conventions présentée par la Caisse des dépôts et consignations excède le cadre de l'article L. 225-231 du code de commerce, et doit donc être rejetée ;

- la mesure d'expertise sollicitée n'est de toute façon pas utile, car la Caisse des dépôts et consignations détient déjà toutes les informations dont elle demande la communication ;

- la mesure est dénuée de sérieux car les conventions règlementées se poursuivent normalement, et aucune présomption d'irrégularité ne pèse sur leur exécution, le commissaire aux comptes établissant annuellement un rapport spécial sur les conventions règlementées ;

- le juge des référés a omis de se prononcer sur le caractère suffisant des éléments de réponse apportés par les sociétés Citée et Groupe Aqualter, qui ont fait valoir que les conventions auxquelles il est fait référence dans le pacte d'associés sont les mêmes depuis 2010, de sorte que la Caisse des dépôts et consignations détient déjà une copie de ces conventions.

Dans ses dernières conclusions remises le 23 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Caisse des dépôts et consignations demande à la cour, au visa des articles L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, de :

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de Groupe Aqualter et Citée ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 22 décembre 2021, le cas échéant en apportant à la mission les précisions suggérées au §37 des présentes conclusions ;

y ajoutant,

- condamner solidairement le Groupe Aqualter et Citée à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

La Caisse des dépôts et des consignations soutient que :

- l'ensemble des opérations qu'elle requiert vise le Groupe Aqualter et ses filiales, dans lequel elle est associée à hauteur de 52 % du capital, bien au delà du seuil minimum de 5% ;

- le groupe Aqualter et la société Citée ont sollicité en première instance que soient rejetées les demandes de la Caisse des dépôts et consignations, elles ne peuvent donc plus demander l'irrecevabilité de la demande en cause d'appel ;

- l'expertise financière sollicitée porte sur les flux financiers entre le Groupe Aqualter et la société Citée, ainsi que les filiales de celle-ci ; la Caisse des dépôts et consignations a sollicité à plusieurs reprises la communication de ces éléments, satisfaisant ainsi à l'exigence de demande de communication préalable imposée par l'article L. 225-231 du code de commerce ;

- les conventions litigieuses, les rapports spéciaux des commissaires aux comptes et les autres éléments, qui seraient, selon le Groupe Aqualter et la société Citée, déjà en possession de la Caisse des dépôts et consignations, ne suffisent pas à justifier la cohérence des facturations émises ou des paiements effectués ; ainsi la demande d'expertise est manifestement utile ;

- la demande d'expertise est par ailleurs manifestement sérieuse ; en effet, la hausse importante des flux financiers ne s'explique ni par la hausse des effectifs, ni par la forte augmentation du chiffre d'affaires, ni enfin par la simplification de l'organisation du groupe, qui sont les arguments avancés par le groupe Aqualter et la société Citée ; en outre, les conventions soumises au contrôle du commissaire aux comptes sont uniquement celles conclues au cours de l'exercice en cause, à l'exclusion donc des conventions conclues depuis 2010 ; enfin, le travail réalisé par la société d'audit KPMG ne permet pas d'écarter toute anomalie dans la mesure où il est incomplet, faute d'avoir pu bénéficier de toutes les informations dont la communication avait été demandée au management du groupe Aqualter ;

- la régularité formelle des conventions ne saurait enfin écarter tout risque d'irrégularité des flux visés.

SUR CE LA COUR

En application de l'article L. 225-231 du code de commerce, une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.

A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.

Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité.

Il résulte en outre de l'article L. 227-1 du même code que les règles concernant les sociétés anonymes sont applicables à la société par actions simplifiée, dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières et sauf exceptions limitativement énumérées.

Il y a enfin lieu de rappeler :

- que la juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion est tenue de l'ordonner, dès lors qu'elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées ou un risque d'atteinte à l'intérêt social ;

- que les opérations visées doivent être des opérations de gestion ;

- que la possibilité de poser des questions et de demander une expertise de gestion concerne la société dans laquelle le demandeur est actionnaire ainsi que les sociétés contrôlées par cette dernière, avec dans ce cas l'examen de l'intérêt de groupe.

En l'espèce, à titre liminaire, c'est en vain que la Caisse des dépôts et consignations indique que les sociétés appelantes ne pourraient pas soutenir en cause d'appel son irrecevabilité à agir sur le fondement des articles L. 225-231 et L. 227-1 du code de commerce, faute d'avoir soutenu ce moyen avant toute défense au fond et s'agissant d'une demande nouvelle, alors qu'il s'agit en réalité d'une fin de non-recevoir, qui peut être soulevée pour la première fois à hauteur d'appel.

Concernant précisément la recevabilité de la Caisse des dépôts et consignations, il sera relevé :

- que la Caisse des dépôts et consignations est bien actionnaire à hauteur d'au moins 5 % de la société Groupe Aqualter ;

- que l'intimée a bien sollicité préalablement la société Groupe Aqualter pour obtenir des éléments sur les opérations en cause (pièces 8, 10 et 13), de sorte que la condition de phase préalable infructueuse est bien remplie ;

- que, contrairement à l'argument des appelantes sur ce point, la Caisse des dépôts et consignations relève valablement que son courrier du 21 avril 2021, repris le 1er juin 2021, demandait non seulement des informations relatives à trois conventions mais aussi des informations sur d'éventuelles conventions "conclues avec une ou plusieurs filiales ou associées de la société", de sorte que l'expertise de gestion peut valablement soulever ces divers points ;

- que les opérations visées concernent bien la société Groupe Aqualter, étant observé que, par nature, ces opérations peuvent bien viser d'autres sociétés, la Caisse des dépôts et consignations relevant à juste titre qu'il serait absurde de limiter l'expertise à des opérations entre des sociétés dans lesquelles la demanderesse à l'expertise détiendrait une partie du capital social ;

- qu'ainsi, la référence dans la mission d'expertise aux flux financiers entre Groupe Aqualter et ses filiales, d'une part, et Citée, R&O Dépollution et les sociétés contrôlées par M. [S] [M], d'autre part, ne saurait justifier de considérer que la Caisse des dépôts et consignations serait irrecevable à formuler de telles demandes, étant observé que le code de commerce précise bien que l'expertise de gestion peut porter sur des sociétés contrôlées par la société en cause, les opérations contrôlées pouvant concerner des flux financiers vers des sociétés tierces ;

- que, dès lors, le moyen tiré du fait que l'intimée ne possède pas 5 % du capital des sociétés Citée ou R&O Dépollution, ou encore qu'il ne devrait être fait référence aux sociétés contrôlées par M. [S] [M], sont des moyens inopérants.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir, sans qu'il n'y ait lieu de modifier la teneur de la mission confiée à l'expert.

Sur le fond du référé, les opérations visées doivent être des opérations de gestion au sens des dispositions précitées du code de commerce.

Or, l'expertise porte bien sur des flux financiers entre Groupe Aqualter et ses filiales et d'autres sociétés, résultant de conventions réglementées et de contrats de prestations de service, relevant du champ de compétence du président de Groupe Aqualter, de sorte que les conditions du code de commerce sont bien remplies puisque sont bien concernées des opérations de gestion.

S'agissant du motif de la demande et de son caractère sérieux, l'intimée démontre suffisamment des présomptions d'irrégularités, étant rappelé qu'il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir démontré l'existence des comportements allégués.

En effet, il faut observer :

- que la Caisse des dépôts et consignations fait en substance état de ses craintes quant à la gestion de la société, exposant (pièce 20, tableau récapitulatif des données financières 2014-2020) que le coût des prestations de services facturées par Citée, entièrement détenue par M. [M], à Groupe Aqualter a augmenté d'environ 50 %, alors que simultanément le chiffre d'affaires du groupe variait de 10 % ;

- que l'intimée relève aussi la facturation de prestations de services au profit de la société R&O Dépollution, société également détenue par M. [M] ;

- que le risque d'atteinte à l'intérêt social de Groupe Aqualter commande donc bien les mesures sollicitées, mesures relatives aux flux entre Groupe Aqualter (et ses filiales) et des sociétés contrôlées par M. [M], le risque allégué étant celui de flux financiers organisés au détriment de la société Groupe Aqualter ;

- que c'est en vain que les sociétés Citée et Groupe Aqualter indiquent que la mesure serait inutile du fait des documents déjà transmis, alors que les pièces en question (conventions, rapports spéciaux des commissaires aux comptes, rapport du cabinet KPMG, données financières) ne permettent pas, par elles-mêmes, de vérifier la cohérence des facturations et des paiements, ce que peut examiner un expert ;

- que, si les appelantes développent diverses objections sur le risque d'irrégularités, force est de constater que, nonobstant les arguments développés en réplique (hausse des effectifs ou encore variation des chiffres d'affaires des différentes sociétés du groupe), elles ne contestent pas les éléments factuels sur l'augmentation des facturations alléguée par la Caisse des dépôts et consignations ;

- que l'existence de contrôles formels (commissaire aux comptes, audit KMPG) n'est pas de nature à enlever son utilité à l'expertise de gestion sollicitée eu égard à son objet.

Aussi, au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise, en ce compris le sort des frais et dépens de première instance exactement réglé par le premier juge.

A hauteur d'appel, les sociétés appelantes devront indemniser l'intimée pour ses frais non répétibles et seront condamnées aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par les appelantes ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum la SAS Citée et la SAS Groupe Aqualter à verser à la Caisse des dépôts et consignations la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne in solidum la SAS Citée et la SAS Groupe Aqualter aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/00769
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;22.00769 ?
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