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15/09/2022 | FRANCE | N°21/10311

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 15 septembre 2022, 21/10311


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022



(n°23,10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/10311 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY7D



Décision déférée à la Cour : décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 01-38-21 du 06 avril 2021





REQUÉRANTE :

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RÉSIDENCE [10] [Localité 11] S.C.C.V.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de SAINT-ÉTIENNE sous le n° 829 119 544

Dont le siège social est au [Adresse 5]...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

(n°23,10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/10311 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY7D

Décision déférée à la Cour : décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 01-38-21 du 06 avril 2021

REQUÉRANTE :

RÉSIDENCE [10] [Localité 11] S.C.C.V.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de SAINT-ÉTIENNE sous le n° 829 119 544

Dont le siège social est au [Adresse 5]

[Localité 3]

Élisant domicile au cabinet de Me Edmond FROMANTIN

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistée de Me Sébastien BOURILLON de la SELARL URBAN CONSEIL, avocat au barreau de LYON

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

ENEDIS S.A.

Prise en la personne de son représentant légal

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 444 608 442

Dont le siège social est [Adresse 12]

[Localité 9]

Élisant domicile au cabinet de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Michel GUÉNAIRE, de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

EN PRÉSENCE DE :

LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Paul RAVETTO, de l'AARPI RAVETTO ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque D 1448

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

' Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

' M. Gildas BARBIER, président de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT :

' contradictoire

' prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

' signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours contre la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions (ci-après « le CoRDIS ») de la Commission de régulation de l'énergie du 6 avril 2021 déposée au greffe le 7 juin 2021 par la société Résidence [10] [Localité 11] (ci-après, « la Résidence [10] ») ;

Vu le mémoire en défense de la société Enedis (ci-après, « Enedis ») déposé au greffe le 30 novembre 2011 ;

Vu les observations de la Commission de régulation de l'énergie (ci-après, « la CRE ») déposées au greffe le 25 janvier 2022 ;

Vu le mémoire de la Résidence [10] déposé au greffe le 4 avril 2022 ;

Vu le mémoire en défense n° 2 d'Enedis déposé au greffe le 16 mai 2022 ;

Vu le mémoire n° 2 de la Résidence [10] déposé au greffe le 23 mai 2022 ;

Vu le mémoire en défense n° 3 d'Enedis déposé au greffe le 30 mai 2022 ;

Vu l'avis du ministère public du 10 juin 2022 transmis le même jour aux parties ;

Après avoir entendu, à l'audience publique du 16 juin 2022, le conseil de la Résidence [10], qui a été mis en mesure de répliquer, le conseil d'Enedis, le représentant de la CRE ainsi que le ministère public ;

'''''

FAITS ET PROCEDURE

Les parties

1.La Résidence [10], requérante, est une société civile de construction vente. Son activité, qui est celle d'un promoteur, repose sur le modèle économique suivant : des investisseurs privés, en général des particuliers, après avoir investi dans l'acquisition de logements en état futur d'achèvement, souscrivent des baux commerciaux avec une autre société, liée à la première et qui, à la livraison de l'immeuble, devient locataire unique de l'ensemble des appartements. Cette société gère ensuite l'occupation de la résidence en proposant à sa clientèle, composée de séniors, un contrat de location meublée. Ces derniers peuvent bénéficier d'une prestation comprenant un logement et des services à la personne. A cette fin, une autorisation a été délivrée à cette seconde société de faire fonctionner un service d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD).

2.La société Enedis fournit quant à elle de l'électricité et dispose d'un monopole local de distribution dans la zone où se trouve la résidence concernée par la demande de raccordement.

Le différend et la décision attaquée

3.Le 30 mai 2016, la Résidence [10] a adressé à Enedis une demande de raccordement au réseau public de distribution d'électricité (RPD) afin d'alimenter la résidence-services de [Localité 11].

4.Le 26 janvier 2018, une proposition de raccordement portant sur un branchement collectif dit « colonne montante » composé de 24 points de livraison a été émise par Enedis, et est demeurée sans suite.

5.Le 13 juin 2019, la Résidence [10] a adressé à Enedis une nouvelle demande pour un raccordement dit « C4 » correspondant à un point unique de livraison pour vingt-deux logements.

6.Le 23 juillet 2019, Enedis a indiqué à la Résidence [10] que « la solution d'un branchement C4 (ex tarif jaune) pour un immeuble avec colonne montante est interdite et soumise à des règles », puis, le 24 juillet 2019, a confirmé l'impossibilité de satisfaire la demande de raccordement pour l'alimentation desdits logements par un point unique de livraison, au motif que la Résidence-services comprend des « appartements autonomes à la longue location, dotées de cuisine ou de prestations de service (plutôt classiques comme pour d'autres résidences) [qui] sont à la disposition de chacun mais ne relèvent pas d'obligation de soin ou de restauration ».

7.Le 31 août 2020, Enedis a adressé une nouvelle proposition de raccordement pour alimenter les services généraux, dont un bâtiment annexe qui sert de lieu de soins . Cette proposition a été acceptée le 31 août 2020.

8.Le 13 janvier 2021, la Résidence [10] a saisi le CoRDIS d'une demande de règlement d'un différend l'opposant à Enedis et lui a demandé, d'une part, de constater l'irrégularité du refus d'Enedis d'autoriser la demande de raccordement au réseau de distribution dit C4, d'autre part, d'annuler cette décision de refus, enfin, d'enjoindre à Enedis d'autoriser la demande de raccordement.

9.Par une décision du 6 avril 2021, le CoRDIS a rejeté l'ensemble des demandes de la Résidence [10]. C'est la décision attaquée.

Le recours

10.La Résidence [10] a formé un recours contre cette décision le 7 juin 2021. Le document qui matérialise ce recours est intitulé « déclaration de recours contenant exposé des moyens ».

11.Aux termes de ces premières écritures, la Résidence [10] demande à la Cour :

' d'infirmer la décision du CoRDIS en ce qu'il a rejeté les demandes de la Résidence [10],

' d'annuler la décision de refus d'Enedis d'autoriser la demande de raccordement au réseau de distribution dit C4,

' d'enjoindre à Enedis de procéder audit raccordement,

' de condamner Enedis à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' de condamner Enedis aux dépens.

12.La Résidence [10] a maintenu ces prétentions dans les mémoires successifs qu'elle a déposés le 4 avril 2022, en réplique aux écritures d'Enedis, puis le 23 mai 2022, sauf à porter sa demande en paiement d'une indemnité au titre de ses frais irrépétibles à hauteur de 5 000 euros.

13.Par un mémoire distinct, déposé le 4 avril 2022, la Résidence [10] a demandé à la Cour de transmettre des questions prioritaires de constitutionnalité, demande qui a été déclarée irrecevable par un arrêt rendu ce jour.

14.Enedis demande à la Cour :

' à titre principal, de prononcer l'irrecevabilité du recours ;

' à défaut, de déclarer irrecevables les moyens complémentaires et demandes nouvelles de la Résidence [10] déposés tardivement, au-delà du délai d'un mois à compter du recours prévu par les textes ;

' en tout état de cause, de débouter la Résidence [10] de l'ensemble de ses demandes, de confirmer la décision du CoRDIS n° 01-38-21 en date du 6 avril 2021, de condamner la requérante à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner la Résidence [10] aux entiers dépens.

15.La CRE considère que le recours doit être rejeté.

16.Le ministère public est du même avis.

'''''

MOTIVATION

I.SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS DE LA RÉSIDENCE [10] DU 7 JUIN 2021 ET DES MOYENS NOUVEAUX CONTENUS DANS SES MÉMOIRES DES 4 AVRIL ET 23 MAI 2022

17.Enedis, aux termes de ses dernières écritures, réitérant les précédentes, soutient que le recours de la Résidence [10] ne respectant pas les règles de forme de l'article R 134-21 du code de l'énergie, les demandes tardives de la requérante sont irrecevables. Cette société soutient ainsi que :

' la demanderesse n'a pas déposé, jusqu'à preuve contraire, son recours en quatre exemplaires, comme l'exige l'article R. 134-22 du code de l'énergie ;

' elle n'a pas, en méconnaissance de ce même texte, déposé de moyens complémentaires dans le délai d'un mois ;

' elle ne cite dans la présentation sommaire de ses moyens aucun argument visant la réformation de la décision attaquée et se contente de reprendre son dernier mémoire devant le CoRDIS sans l'adapter.

18.Elle ajoute que les demandes tardives de la requérante sont irrecevables en application de l'article R. 134-22 du code de l'énergie et demande que les moyens nouveaux et demandes complémentaires formulés tardivement soient déclarés irrecevables.

19.Dans ses écritures du 25 janvier 2022, la CRE relève qu'à la suite du dépôt de la déclaration de recours, la Résidence [10] n'a pas complété son exposé des moyens par un autre mémoire dans le délai prévu par l'article R. 134-22 du code de l'énergie.

20.Dans son mémoire n° 2 du 23 mai 2022, la Résidence [10] soutient que son recours est recevable au regard des dispositions de l'article R. 134-22 du code de l'énergie, relevant que celui-ci contient en tout état de cause un exposé sommaire des moyens.

21.Le ministère public est d'avis que le recours de la Résidence [10] est recevable mais que les moyens nouveaux contenus dans les mémoires déposés postérieurement au délai d'un mois mentionné à l'article R. 134-22 du code de l'énergie sont irrecevables comme tardifs.

'''''

Sur ce, la Cour :

22.L'article L. 134-21, alinéa 1er, du code de l'énergie, dispose que :

« Les décisions prises par le comité de règlement des différends et des sanctions en application de l'article L. 134-20 sont susceptibles de recours en annulation ou en réformation ».

23.L'article R. 134-21 du même code précise que (soulignement ajouté) :

« Les recours contre les décisions et mesures conservatoires prises par le comité de règlement des différends et des sanctions en application des articles L. 134-19 et L. 134-22 sont de la compétence de la cour d'appel de Paris et sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du présent titre, par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile. »

24.L'article R.134-2 énonce encore :

« Le recours est formé dans le délai d'un mois par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé. A peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. S'agissant du recours dirigé contre les décisions du comité de règlement des différends et des sanctions autres que les mesures conservatoires, l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration ».

Sur la recevabilité de la déclaration de recours du 7 juin 2021

25.Il résulte de ce dernier texte qu'est irrecevable la déclaration de recours qui ne précise pas son objet ou ne contient pas d'exposé sommaire des moyens. Est également irrecevable l'exposé complet des moyens qui n'a pas été déposé dans le mois suivant le dépôt de la déclaration.

26.En l'espèce, la déclaration de recours de la Résidence [10], intitulée « Déclaration de recours contenant exposé des moyens », précise (page 1) qu'elle « tend à la réformation de la décision » et comprend un moyen pris de la violation du principe de l'égalité exposé en page 21, formulé au paragraphe « B. Sur l'irrégularité du refus opposé par Enedis sur le fondement du principe d'égalité » et dont la teneur est la suivante :

« Au cas présent, la différenciation tarifaire imposée par Enedis aux EHPAD privés et MARPA, d'une part, et la société Résidence [10], d'autre part, est arbitraire et n'est justifiée par aucune différence de situation appréciable au sens de la jurisprudence administrative. La société Résidence [10] s'inscrit dans un projet à vocation sociale envers les séniors et les personnes handicapées [']. En conséquence, c'est à tort que le Cordis a refusé d'enjoindre Enedis de traiter les résidences-services au même titre que les EHPAD privés au titre du principe d'égalité et d'annuler le refus du gestionnaire d'autoriser une demande de raccordement au réseau de distribution dite C4 ».

27.Par ailleurs, il est fait mention dans cette déclaration de recours qu'elle a été déposée en 7 exemplaires, le chiffre 7 ayant été apposé de manière manuscrite sur le chiffre 4 figurant en caractère d'imprimerie. En outre, le greffe a été en mesure de notifier cette déclaration de recours au défendeur au recours, à la CRE, d'en transmettre un exemplaire au ministère public et d'en conserver un autre pour le dossier de la Cour. Le grief relatif au nombre d'exemplaires manque donc en fait.

28.Cette déclaration satisfait ainsi aux exigences de l'article R 134-22 précité, peu important que cet exposé sommaire soit la reprise du mémoire déposé par RBV devant le CoRDiS.

29.Le recours est donc recevable.

Sur la recevabilité des moyens nouveaux contenus dans ses mémoires des 4 avril et 23 mai 2022

30.Ainsi qu'il a été dit, selon l'article R. 134-22 du code de l'énergie, « l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction [irrecevabilité relevée d'office par la Cour], être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration ».

31.l résulte de ce texte qu'est irrecevable tout moyen nouveau présenté au-delà du délai prescrit à cet article, sauf à ce qu'il n'ait d'autre objet que de répondre aux écritures du défendeur au recours ou aux observations de la CRE.

32.En l'espèce, la déclaration de recours contient au paragraphe « B. Sur l'irrégularité du refus opposé par Enedis sur le fondement du principe d'égalité », un moyen dont la teneur est reproduite ci-dessus.

33.Les autres éléments de la déclaration de recours concernent la présentation des faits, de la procédure et du contexte juridique. Dans aucun de ces développements n'est formulé un moyen autre que la rupture du principe d'égalité.

34.Si l'on trouve, pages 15/23, à l'issue du « A.3 », un passage ainsi rédigé : « Compte tenu de la nature sociale de sa mission, la société Résidence [10] devrait bénéficier de ce type de dérogation. Le refus du Cordis de faire droit à ses demandes participe à une rupture d'égalité », et si au « A.4 », la requérante développe encore une analogie avec les campings et hôtels, toujours pour affirmer que sa situation est assimilable à la leur, c'est toujours le même moyen qui est soutenu, à savoir celui d'une rupture du principe d'égalité.

35.Il s'ensuit que sont irrecevables les moyens présentés pour la première fois par la Résidence [10] dans ses mémoires déposés les 4 avril et 23 mai 2022, selon lesquels :

' la Résidence [10] doit être regardée comme le consommateur final d'électricité au sens des articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de l'énergie ;

' les dispositions du code de l'énergie relatives aux « réseaux fermés d'électricité » ou de « réseaux intérieurs des immeubles » (L. 344-1 et L. 345-2 du code de l'énergie) sont inconstitutionnelles.

II.SUR LE MOYEN FONDÉ SUR L'INCONSTITUTIONNALITÉ DE DISPOSITIONS DU CODE DE L'ÉNERGIE

36.Par arrêt de ce jour, la Cour a déclaré les questions prioritaires de constitutionnalité irrecevables.

37.Ce moyen n'a plus d'objet.

III.SUR LE FOND : LE MOYEN PRIS DE L'ATTEINTE AU PRINCIPE D'ÉGALITÉ

38.Par décision du 6 avril 2021, le CoRDIS a rejeté l'argumentation développée par la Résidence [10] afférente à l'atteinte au principe d'égalité des usagers aux motifs, notamment, que :

« les résidences-services, qui regroupent un ensemble de logements autonomes se distinguent des EHPAD, lesquels doivent fournir à leurs occupants des prestations de complexe hôtelier incluant notamment la mise à disposition d'une chambre et la fourniture de fluides, ce qui justifie que les modalités de raccordement ou les tarifs respectivement appliqués à ces structures diffèrent pour tenir compte de ces situations distinctes, sans que cette distinction ne puisse caractériser une rupture d'égalité. [']

En outre et en l'espèce, la société Résidence [10] ne peut pas utilement se prévaloir d'une rupture d'égalité dans les conditions de raccordement au réseau de distribution entre les résidences-services, dont relève la résidence pour laquelle le raccordement a été sollicité, d'une part, et, d'autre part, les MARPA [maisons d'accueil rural pour personnes âgées], qui ne constituent pas une catégorie juridique homogène d'établissements destinés à accueillir des séniors, mais rassemblent des établissements relevant de catégories juridiques dont le point commun est d'avoir reçu un label accordé par la CCMSA [caisse centrale de la mutualité sociale agricole]. Enfin, et toujours en l'espèce, à supposer qu'un établissement tiers ait pu, à quelque titre que ce soit et quel que soit le régime juridique qui lui est applicable, bénéficier d'une application particulière quelconque des règles rappelées [supra], cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur l'appréciation du bien-fondé des demandes de la société Résidence [10] portant sur le raccordement d'une résidence-services pour laquelle aucune dérogation aux règles de droit commun de raccordement ne peut être légalement accordée.»

39.La Résidence [10] soutient dans sa déclaration de recours que le refus d'Enedis de lui accorder un branchement de type C4 caractérise une violation du principe d'égalité des usagers.

« B. Sur l'irrégularité du refus opposé par Enedis sur le fondement du principe d'égalité »

« Au cas présent, la différenciation tarifaire imposée par Enedis aux EHPAD privés et MARPA, d'une part, et la société Résidence [10], d'autre part, est arbitraire et n'est justifiée par aucune différence de situation appréciable au sens de la jurisprudence administrative. La société Résidence [10] s'inscrit dans un projet à vocation sociale envers les séniors et les personnes handicapées [']. En conséquence, c'est à tort que le CoRDIS a refusé d'enjoindre Enedis de traiter les résidences-services au même titre que les EHPAD privés au titre du principe d'égalité et d'annuler le refus du gestionnaire d'autoriser une demande de raccordement au réseau de distribution dite C4 ».

40.Elle réitère son argumentation dans ses écritures ultérieures (4 avril 2022, page 23 ; 23 mai 2022, pages 27 à 31) et conclut dans ses dernières écritures :

« Le principe d'égalité des usagers devant le service public s'oppose donc à ce que les Résidences [10] bénéficient d'un traitement différent de la part d'Enedis que celui dont bénéficient les Ehpad, Marpa, résidences Crous, hôtels ou même campings. »

41.Enedis, dans le dernier état de ses écritures, réitérant les précédentes, soutient que :

' le moyen soulevé par la requérante méconnaît les principes fondamentaux de la régulation du secteur de l'électricité, tels que le monopole légal d'Enedis, la prohibition de la rétrocession d'électricité, la liberté de choix du fournisseur d'énergie par le consommateur final, le fait que l'activité d'achat d'électricité en vue de sa revente soit soumise à autorisation ;

' aucune des exceptions prévues par le code de l'énergie n'autorise la Résidence [10] à demander un branchement de type C4 ;

' les résidences-services n'étant ni des EHPAD, ni des MARPA, elles ne sont pas fondées à invoquer une méconnaissance du principe d'égalité.

42.La CRE, dans le dernier état de ses écritures au fond, en date du 25 janvier 2022, soutient:

' que la situation de la Résidence n'est pas assimilable à celles dans lesquelles un raccordement indirect est expressément justifié par le code de l'énergie. En effet, ni les conditions mentionnées à l'article L. 344-1 (notion de réseau fermé de distribution), ni celles de l'article L. 345-1 du code de l'énergie (notion d'installations intérieures d'électricité), ne sont réunies ;

' qu'elle n'est pas non plus assimilable à celle des EHPAD (qui doivent quant à eux fournir l'électricité aux personnes prises en charge dans le cadre d'un socle de prestations minimales - art. D 312-159-2 du code de l'action sociale et des familles).

43.Elle ajoute qu'en raison de la différence de situation entre les résidences-services et les EHPAD, il ne saurait résulter de la différence de réglementation une atteinte au principe d'égalité. Le parallèle proposé avec les MARPA est par ailleurs inopérant.

44.Le ministère public partage cet avis.

'''''

Sur ce, la Cour,

45.Aux termes de l'article L. 331-1 du code de l'énergie, « [t]out client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l'électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d'électricité ».

46.L'article L. 331-2 de ce même code précise que « [t]out consommateur final d'électricité exerce le droit prévu à l'article L. 331-1 par site de consommation ».

47.Ainsi, le libre choix de son fournisseur par le client final est-il essentiel à la bonne organisation du marché de l'énergie, à l'instar du droit d'accès au réseau d'électricité et l'interdiction de raccordement indirect.

48.Il résulte également des dispositions de l'article L. 111-52 du code de l'énergie, qui sont d'ordre public, qu'Enedis dispose d'un monopole légal pour gérer dans sa zone de desserte le réseau public de distribution.

49.En conséquence, comme l'a justement relevé le CoRDIS (§ 5), ces dispositions « font obstacle, sauf exception légale, au raccordement indirect d'un ensemble immobilier comportant différentes installations de consommation d'électricité. »

50.Les résidences-services, catégorie dont relève la Résidence [10], sont définies, aux termes de l'article L. 631-13 du code de la construction et de l'habitation, comme un « ensemble d'habitations constitué de logements autonomes permettant aux occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables ».

51.Il en résulte que les appartements proposés par les résidences-services doivent être regardés comme le « site de consommation » pertinent au sens de l'article L. 331-2 du code de l'énergie, et leurs occupants comme les consommateurs finals au sens de ce même texte, à l'exclusion de la Résidence [10].

52.Il est indifférent, à cet égard, que la Résidence [10] soit également un SAAD, ou que les logements soient loués en meublés, toutes circonstances contingentes qui ne justifient pas de considérer que les logements proposés par la requérante ne puissent faire l'objet d'une utilisation pérenne et en autonomie par leurs occupants.

53.Les EHPAD, qui sont régis par le code de l'action sociale et des familles, ne sauraient être comparés utilement au cas de la Résidence [10].

54.En effet, il résulte des dispositions de l'article D 312-159-2 du code de l'action sociale et des familles, qui renvoie à une annexe 2-3-1 intitulée « socle de prestations relatives à l'hébergement délivrées par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes », que les prestations que les EHPAD doivent fournir comprennent la fourniture des fluides (électricité, eau, gaz, éclairage, chauffage). Les EHPAD sont ainsi assimilables à des complexes hôteliers.

55.Il n'existe pas de disposition analogue pour les résidences-services. Au demeurant, les séniors qui occupent les logements proposés par la Résidence [10] ne présentent pas le même degré de dépendance que les usagers d'un EHPAD.

56.Enfin, la Résidence [10] ne saurait invoquer l'irrégularité éventuelle de la situation d'une autre structure pour revendiquer à son bénéfice la violation de la loi sous couvert d'une rupture du principe d'égalité devant les services publics.

57.Ainsi, à supposer que les MARPA, campings, hôtels, ou toute autre structure d'accueil et d'hébergement, disposent d'un raccordement à l'électricité incompatible avec les principes qui s'évincent des articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de l'énergie, et non autorisé par un texte dérogatoire à l'instar des EHPAD, des réseaux fermés de distribution à l'usage de consommateurs non résidentiels (article L. 344-1 du code de l'énergie), ou encore des réseaux intérieurs dans les immeubles à usage principal de bureaux (article L. 345-2 du code de l'énergie), il n'en reste pas moins que ces situations irrégulières ne sauraient justifier qu'il soit dérogé aux dispositions légales qui réservent au « consommateur final » (article L. 331-2 du code de l'énergie) ou encore au « client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation » (article L. 331-1 du code de l'énergie), le droit de choisir son fournisseur d'électricité.

58.En conséquence, le moyen tiré de la violation du principe de l'égalité de traitement des usagers sera rejeté.

IV.SUR LES FRAIS ET DÉPENS

59.La Résidence [10], qui succombe en ses demandes, sera condamnée à payer à la société Enedis la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

60.La Résidence [10] sera condamnée aux dépens.

'''''

PAR CES MOTIFS

La Cour :

DÉCLARE recevable le recours formé par la société Résidence [10] [Localité 11] ;

DÉCLARE irrecevables les moyens nouveaux contenus par les mémoires déposés au greffe par ladite société le 4 avril 2022 et ultérieurement ;

REJETTE le recours par elle formé ;

LA CONDAMNE à payer à la société Enedis la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA CONDAMNE aux dépens de la présente instance.

LA GREFFIÈRE

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE

[Y] [E]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 21/10311
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;21.10311 ?
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