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15/09/2022 | FRANCE | N°19/20513

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 10, 15 septembre 2022, 19/20513


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022



(n° , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/20513 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6F6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/01161





APPELANT



Monsieur [O] [P]

né le 12 Octobre 1951 à Tizi-Ouzou

[Adresse

1]

[Localité 3]



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/058479 du 18/12/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)



Représenté par Me Marie-Donatienne BERNSON, av...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/20513 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6F6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/01161

APPELANT

Monsieur [O] [P]

né le 12 Octobre 1951 à Tizi-Ouzou

[Adresse 1]

[Localité 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/058479 du 18/12/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représenté par Me Marie-Donatienne BERNSON, avocat au barreau de PARIS

Assisté de Me Séverine FAINE, avocat au barreau de TOULOUSE, toque : 521

INTIMÉE

CASTIM IMMOBILIER

S.A.R.L. immatriculée au R.C.S. de PARIS sous le numéro 429 224 462

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie HANOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0679

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Juin 2022, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère

Monsieur Laurent NAJEM, Conseiller, chargé du rapport

qui en ont délibéré dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

La société Castim Immobilier a pour activité les transactions immobilières et ventes de fonds de commerce. M. [O] [P] et M. [X] [D] étaient propriétaires indivis, chacun pour moitié, d'un fonds de commerce de bar, hôtel, restaurant sis [Adresse 2] à [Localité 6] (14).

Selon actes sous seings privés rédigés par la société Castim en date des 3 et 10 novembre 2011, enregistrés au service des impôts de [Localité 7] le 14 novembre 2011, M. [P] a cédé à M. [D] sa part indivise dudit fonds de commerce pour le prix de 110 000 euros dont 60 000 euros versés comptant à la signature et le solde de 50 000 euros au moyen de 50 billets à ordre de 1 000 euros chacun au titre d'un crédit-vendeur, à compter du 15 janvier 2012.

A titre de garantie, la société Castim a inscrit, au profit de M. [P], un privilège de vendeur et d'action résolutoire et un nantissement sur le fonds de commerce.

Selon acte du 14 mai 2013, M. [D] a vendu le fonds de commerce à la société Sabrina au prix de 175 000 euros dont 35 000 euros comptant et 140 000 euros au moyen d'un crédit-vendeur.

M. [D] n'ayant pas honoré les traites, M. [P] a formé opposition sur le prix de vente le 3 juin 2013 entre les mains de la société Sabrina, pour obtenir le paiement de la somme principale de 50 000 euros.

La société Sabrina a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Lisieux le 12 février 2014 puis en liquidation judiciaire par jugement du 9 septembre 2015.

M. [P] a déclaré sa créance à hauteur de 61 677,32 euros, laquelle a été admise pour la somme de 35 000 euros mais rejetée pour le surplus, par ordonnance du juge commissaire du 5 novembre 2015.

Dans son arrêt du 26 octobre 2017, la cour d'appel de Caen a fixé la créance de M. [P] à la somme de 50 395,11 euros. L'actif disponible de la société Sabrina a néanmoins été absorbé par la créance superprivilégiée d'un autre créancier et M. [P] n'a pas recouvré sa créance.

Faisant valoir que la société Castim a commis une faute lors de la seconde cession, M. [P] l'a faite assigner devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 1er octobre 2019, ce tribunal a :

- condamné la société Castim à payer à M. [P] la somme de 40 000 euros ;

- condamné la société Castim à payer à M. [P] la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Castim aux dépens de l'instance ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; et

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 4 novembre 2019, M. [P] a interjeté appel de cette décision.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique (RPVA), le 26 mars 2021, M. [P], appelant, demande à la cour d'appel de Paris de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 1er octobre 2019, en ce qu'il a dit que la société Castim avait commis une faute à l'origine du préjudice subi par M. [P] ;

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de PARIS le 1er octobre 2019, en ce qu'il a fixé à 40 000 euros le montant des dommages et intérêts alloués à M. [P] en réparation de son préjudice résultant de la faute commise par la société Castim ;

Et statuant à nouveau sur ce point,

- condamner la société Castim à payer à M. [P] la somme de 50 395 euros au titre du préjudice subi consécutif au non-recouvrement de sa créance à la contestation de sa créance du fait de la liquidation judiciaire dont la société Sabrina a été l'objet ;

- condamner la société Castim à payer à M. [P] la somme complémentaire de 20 000 euros à titre de son préjudice lié aux avatars et avanies auxquels il est confronté par suite de cette situation ;

- condamner la société Castim à payer à M. [P] la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [O] [P] rappelle que tout rédacteur d'acte doit en assurer l'efficacité. Il expose qu'en l'espèce, l'acte litigieux ne contient aucune clause de réserve de propriété susceptible de permettre la revendication en nature du fonds de commerce mais aussi de revendiquer le prix même entre les mains du sous-acquéreur, lorsque l'acquéreur fait l'objet d'une procédure collective.

Il considère que, si c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société CASTIM IMMOBILIER, la décision de limiter son préjudice n'est pas justifiée. Il fait état d'une succession de fautes de l'intimée, relevant qu'elle a omis volontairement de l'informer des oppositions effectuées par les services des impôts.

Il soutient que la société CASTIM IMMOBILIER a menti en affirmant que le prix de la seconde cession était versé au moyen d'un crédit vendeur, alors qu'une partie du prix avait été réglée comptant entre les mains de M. [D], rendant inopérante la protection du créancier du vendeur. Il affirme avoir mis en 'uvre la garantie résultant de son privilège inscrit et obtenu la fixation de sa créance.

Il allègue que la faute commise allant au-delà du devoir de conseil de rédacteur de l'acte doit être sanctionnée par la réparation intégrale du préjudice subi, soit 50 395 euros, correspondant à la créance fixée par la cour d'appel de Caen.

Il fait état par ailleurs des avanies auxquelles il a été confronté et des répercussions sur sa santé, pour justifier sa demande de dommages et intérêts complémentaires.

Par ses dernières conclusions en réponse notifiées par voie électronique (RPVA), le 24 novembre 2020, la société CASTIM IMMOBILIER, intimée, demande à la cour d'appel de Paris de :

- réformer le jugement ;

- débouter M. [P] de toutes ses demandes ;

- condamner M. [P] à payer à la société Castim la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [P] aux dépens, dont distraction au profit de Me Valérie Hanoun, avocat aux offres de droit.

Elle conteste avoir manifesté une attitude déloyale, dans la mesure où M. [P] était protégé par les privilèges inscrits. Elle souligne que l'appelant ne justifie pas avoir mis en 'uvre les garanties dont il bénéficiait et relève qu'elle n'a pas été séquestre et n'a pas perçu d'honoraires.

Elle allègue qu'elle ne pouvait donner suite à l'avis à tiers détenteur puisqu'elle ne détenait aucune somme pour le compte de M. [P].

Elle fait valoir que M. [P] ne démontre pas ses diligences pour recouvrer sa créance à compter du 15 janvier 2012, date de la première échéance du billet à ordre, ni avoir délivré un commandement de payer ou mis en 'uvre l'action résolutoire. Elle considère que le montant du préjudice n'a pas été justifié par le tribunal.

La clôture de l'instruction de l'affaire est intervenue le 13 avril 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la demande principale

Aux termes de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de l'article L. 624-16 du code de commerce que peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété.

M. [P] verse l'acte de cession d'une moitié indivise d'un fonds de commerce de Bar ' Hôtel ' Restaurant sis à [Localité 6] en date des 3 et 11 novembre 2011. Par cet acte, M. [P] a cédé la moitié indivise à M. [D] qui était propriétaire de l'autre moitié, moyennant un prix de 110 000 euros se décomposant de la manière suivante :

- 60 000 euros payés comptant ;

- 50 000 euros par le biais d'un crédit-vendeur, remboursable en 50 billets à ordre de 1 000 euros chacun.

M. [P] reproche à la société CASTIM IMMOBILIER de ne pas avoir prévu une clause de réserve de propriété qui lui aurait permis de revendiquer la propriété du fonds de commerce en cas de redressement judiciaire de l'acquéreur ou du sous-acquéreur.

En outre, dans un courrier du 4 juin 2013, la société CASTIM IMMOBILIER lui a expliqué que M. [D] avait désormais cédé son fonds de commerce à un repreneur (la société SABRINA), « auquel il a consenti un crédit-vendeur d'un montant de 175 000 euros, payable au moyen d'un crédit vendeur à compter du 30 octobre ».

Elle soutenait qu'elle n'avait pas oublié de préciser l'inscription au profit d'un montant de 50 000 euros ce qui le « protège » « car aucun versement ne sera fait à Monsieur [D] avant la mainlevée [de l'inscription].

Ce courrier n'indique pas, cependant, qu'une partie de la cession a été payée comptant (35 000 euros) entre les mains du vendeur. Dès lors, il y a une omission fautive qui méconnaissait les droits de M. [P].

M. [P] évoque encore l'existence d'un avis à tiers détenteur dont la société CASTIM ne l'aurait pas averti.

Il produit un courrier de relance en date du 11 janvier 2012, (sa pièce 12) aux termes duquel la Direction générale des finances publiques fait effectivement état d'un avis à tiers détenteur, en date du 14 novembre 2011, invitant la société CASTIM IMMOBILIER à lui régler la somme de 13 425 euros dont elle est débitrice à l'égard de M. [P]. L'intimée a répondu que c'est le nouveau propriétaire qui réglerait l'ensemble des sommes dues à concurrence de 1 000 euros par mois.

En tout état de cause, si la société CASTIM IMMOBILIER ne justifie pas avoir averti l'appelant de ce courrier, il n'en demeure pas moins que compte tenu d'un avis à tiers détenteur - non produit -, si elle avait déféré à cette demande de l'administration fiscale, c'est une somme moindre qui serait revenue à M. [P].

L'appelant fait valoir que son préjudice est égal au montant de la créance figurant au passif de la société SABRINA tel que fixé par la cour d'appel de CAEN à un montant de 50 395,11 euros, à titre privilégié dans un arrêt du 26 octobre 2017 ; le liquidateur de cette société ayant finalement indiqué que cette créance ne pourrait être payée, en l'absence d'actif.

Cependant, M. [P] ne peut solliciter cette somme qui correspond à la totalité du préjudice qu'il allègue avoir subi.

En premier lieu, en effet, comme le relève l'intimé, le montant ainsi réclamé est supérieur à la valeur des billets à ordre non réglés, soit 50 000 euros mais également au montant payé comptant à M. [D] par la société SABRINA, soit 35 000 euros.

Surtout, le préjudice ne peut être défini que comme une simple perte de chance, résultant de l'impossibilité de revendiquer le fonds en nature ou le prix, qui ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance, si elle s'était réalisée.

Enfin, le préjudice subi ne peut être établi in concreto qu'en référence à la valeur du fonds de commerce, telle qu'elle résulte de la procédure du liquidation judiciaire et non de manière abstraite. Les conditions mêmes des ventes successives, par un mécanisme de paiement par billets à ordre, interrogent précisément sur la valeur du fonds : il est indiqué par exemple dans l'acte que l'établissement a été fermé du 1er janvier 2011 au jour de la cession. Cette valeur n'est pas connue.

M. [P] ne justifie pas, comme l'a relevé le premier juge, de ses diligences pour recouvrer sa créance en raison de la défaillance de M. [D] - qui est pourtant son cocontractant - dans le paiement des échéances du crédit-vendeur.

Or, cette preuve est nécessaire pour justifier que la disparition certaine d'une éventualité favorable ne provient pas, pour partie, de son inaction.

Par conséquent, il ne justifie pas de la perte de chance qu'il invoque.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 40 000 euros à ce titre.

M. [P] sera débouté de cette demande.

Sur les dommages et intérêts complémentaires

La faute de la société CASTIM IMMOBILIER a été retenue, notamment en ce qu'elle n'a pas averti M. [P] du paiement d'une partie du prix comptant à M. [D] dans la vente subséquente. Il est certain que M. [P] a dû entamer des démarches, vaines, notamment dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société SABRINA. Il a également fait délivrer à cette dernière une opposition à prix de vente pour tenter de récupérer le prix qu'il aurait dû percevoir. Un certificat médical atteste d'un épisode dépressif majeur.

Ces éléments justifient l'octroi d'une somme de 10 000 euros, pour indemniser les tracas très importants qui en ont résulté. Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les demandes accessoires

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. A hauteur d'appel, la société CASTIM IMMOBILIER sera condamnée aux dépens, mais l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe ;

Infirme le jugement du 1er octobre 2019 en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles  ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

Déboute M. [P] de ses demandes au titre du non-recouvrement de sa créance dans le cadre de la liquidation judiciaire ;

Condamne la société CASTIM IMMOBILIER à payer à M. [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts liés aux désagréments résultant des démarches entreprises  ;

Condamne la société CASTIM IMMOBILIER aux dépens de l'instance d'appel ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/20513
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;19.20513 ?
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