Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2022
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/09068 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B73AQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 avril 2019 - Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 18/05036
APPELANT
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Estelle BATAILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : K154
INTIMÉ
Monsieur [B] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Ayant pour avocat Me Florence ACHACHE, avocat au barreau de PARIS, toque : R088
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nicole Cochet, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON Présidente de chambre pour Mme Nicole Cochet, Première Présidente de chambre empêchée, et par Florence GREGORI, Greffière présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
Après des contrats de missions temporaires puis des contrats à durée déterminée, M. [S] [Y] a été embauché par la Sas Aerolis, en qualité de conducteur-receveur, par contrat à durée indéterminée à compter du 10 janvier 2011.
Il a été mis à pied à titre conservatoire le 7 février 2011 et s'est vu notifier, le 25 février suivant, un licenciement pour faute grave, son employeur formulant trois griefs :
- l'encaissement d'espèces, dans le car, sans remise au voyageur d'un titre de transport correspondant, cette man'uvre permettant au conducteur de conserver certaines recettes payées par les voyageurs, grief révélé par le contrôle opéré par la société Scat, spécialisée dans le contrôle de la fraude des voyageurs dans les transports publics, à l'occasion de contrôles effectués à bord des cars de la société Aerolis,
- la réclamation d'un couple de voyageurs se plaignant que M. [Y] leur aurait remis un reçu ne correspondant pas à leur voyage alors qu'il avait encaissé le montant de deux trajets,
- la récupération d'un ticket de carte bleue provenant d'un règlement effectué sur le service 417, alors qu'il était affecté au service 418 et ce, afin de minorer le montant en espèces à restituer à l'entreprise.
D'autres salariés étaient également licenciés sur le fondement des contrôles effectués par la société Scat. A cette occasion, les représentants du personnel apprenaient qu'une société privée était intervenue pour assurer des contrôles des voyageurs et des salariés, et ce en violation de l'obligation d'information et de consultation du comité d'entreprise.
Estimant leurs licenciements irréguliers, M. [Y] et trois autres salariés ont demandé à M. [B] [R] de les représenter devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint- Georges, lequel a été saisi en la forme des référés, au visa de l'article L.2313-2 du code du travail, au motif que l'employeur avait utilisé un mode de preuve illicite.
Le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges, saisi d'une exception d'incompétence, s'est déclaré incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Meaux par jugement du 2 décembre 2011 et sur contredit formé au nom des salariés par M. [R], la cour d'appel de Paris, par arrêt du 20 décembre 2012, a déclaré le conseil de prud'hommes de Villeneuve- Saint-Georges compétent et, à la demande des salariés, a accepté d'évoquer le litige.
Par arrêt du 5 juillet 2013, la cour a retenu que la Sas Aerolis avait rapporté les faits qui ont motivé le licenciement pour faute grave par un moyen de preuve illicite mais a considéré que M. [Y] ne faisait état de la violation d'aucune liberté ou droit fondamental et l'a débouté de ses demandes d'annulation de son licenciement, de réintégration dans l'entreprise et de condamnation de la Sas Aerolis à lui verser des dommages et intérêts.
Estimant que la cour d'appel avait omis de statuer sur ses demandes subsidiaires, M. [Y] a saisi la cour d'appel d'une requête en omission de statuer.
Selon arrêt du 24 octobre 2013, la cour, déclarant recevable la demande en omission de statuer mais estimant qu'il existait des contestations sérieuses relativement aux deux griefs invoqués par l'employeur à l'égard de M. [Y], indépendants des contrôles effectués par la société Sact, a considéré que leur examen relevaient de la compétence du juge du fond et non de celle du juge des référés en application de l'article R.1455-5 du code du travail et a débouté de M. [Y] de toutes ses demandes.
M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint- Georges aux fins de voir examiner ses demandes subsidiaires au fond, lequel, relevant une difficulté d'interprétation de l'arrêt de la cour d'appel du 24 octobre 2013, a sursis à statuer, par décision du 9 décembre 2014, dans l'attente que la cour interprète ou rectifie son arrêt, afin qu'il soit vérifié si la décision de débouté ne concernait que la compétence de la formation de référé ou si elle concernait également le fond du litige.
Saisie d'une demande de rectification d'erreur matérielle, la cour d'appel, par arrêt du 16 avril 2015, n'a pas fait droit à la requête, considérant que son arrêt du 24 octobre 2013 n'était pas affecté d'une simple erreur matérielle mais d'une erreur de motivation et d'une contradiction entre sa motivation et son dispositif.
Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi, sans toutefois que cette procédure ait été menée à son terme.
C'est dans ce contexte que par assignation en date du 2 mai 2018, M. [Y] a saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins de dire et juger que son ancien avocat, M. [R], aurait commis une faute dans l'exercice de sa mission engageant sa responsabilité civile professionnelle.
Le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 3 avril 2019, a :
- condamné M. [R] à payer à M. [Y] une somme de 2 727, 25 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné M. [R] à payer à M. [Y] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution par provision du jugement,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné M. [R] aux dépens.
Par déclaration du 24 avril 2019, M. [Y] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 17 juillet 2019, M. [S] [Y] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que M. [R] avait manqué à son obligation de conseil et de diligence et lui a alloué la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué la somme de 2 727,25 euros à titre de dommages et intérêts,
le réformant,
- condamner M. [R] à lui payer la somme de 51 209,50 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner M. [R] aux entiers dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 20 janvier 2022, M. [B] [R] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle et, statuant à nouveau,
- juger qu'il n'a commis aucune faute dans l'exécution de sa mission,
en conséquence,
- débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une perte de chance évaluée à 50 % et, statuant à nouveau,
- juger que la présente instance ne peut intervenir qu'au titre de la réparation d'une perte d'une chance et constater que M. [Y] ne rapporte la preuve d'aucune perte de chance,
- infirmer le jugement déféré sur ce point et débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré,
- débouter M. [Y] de toutes ses autres demandes, l'exécution provisoire ordonnée ayant été exécutée,
en tout état de cause,
- condamner M. [Y] au paiement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Ingold & Thomas.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 15 mars 2022.
SUR CE,
Sur la faute
Le tribunal a estimé que :
- le choix de saisir le conseil des prud'hommes au fond à la suite de l'arrêt du 24 octobre 2013 au lieu de former un pourvoi en cassation n'était pas contestable en ce que :
- le conseil des prud'hommes pouvait régulièrement être saisi des demandes de M. [Y] autres que celles fondées sur la nullité du licenciement car elles n'avaient été tranchées ni par le conseil de prud'hommes lors de sa saisine initiale ni par la cour d'appel de Paris,
- M. [Y] a été débouté de ses demandes car la cour d'appel a estimé que leur examen relevait du juge du fond, et non parce qu'elle a considéré qu'elles étaient mal fondées,
- le choix d'une saisine du conseil de prud'hommes était préférable à celui d'un pourvoi car cela permettait de conserver l'intégralité des recours possibles,
- en choisissant de former un pourvoi à l'encontre de la décision du 16 avril 2015 (qui a estimé que l'arrêt du 24 octobre 2013 n'était pas affecté d'une erreur matérielle), M. [R] a manqué à son obligation de conseil et de diligence en ce que :
- il aurait dû saisir le conseil de prud'hommes afin que la procédure au fond puisse être poursuivie au regard de la décision de la cour d'appel,
- la démarche de former un pourvoi présentait peu d'intérêt procédural puisqu'elle allait au-delà de ce qui était demandé dans la décision de sursis, retardait encore l'examen des demandes au fond et présentait peu de chance d'aboutir car la cour d'appel s'était prononcée selon les règles strictes de la requête en erreur matérielle.
M. [R], appelant incident, soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dans la stratégie judiciaire choisie et dans la réalisation de sa mission en ce que :
- l'arrêt du 24 octobre 2013 constituait un succès pour M. [Y] puisqu'il stigmatisait le comportement de l'employeur, jugeait définitif le caractère illicite du mode de preuve utilisé et préservait le droit des salariés en les invitant à saisir le conseil des prud'hommes au fond et par conséquent, il n'avait aucun intérêt à conseiller à M. [Y] de saisir la Cour de cassation, ce qui aurait conduit à de nouveaux frais et à des nouveaux délais alors que le risque de cassation était illusoire,
- il a fait preuve de diligence en saisissant le conseil de prud'hommes après cet arrêt,
- après la décision de la cour d'appel de Paris du 16 avril 2015, c'est M. [Y] qui a fait le choix procédural de ne pas revenir devant le conseil des prud'hommes et l'a dessaisi en 2017 et aucune faute ne peut donc lui être reprochée pour avoir formé un pourvoi alors que cette voie était indispensable pour préserver les droits de M. [Y], voie qui, si elle n'avait pas été choisie, aurait ensuite pu lui être reprochée.
M. [Y] estime que l'avocat a manqué à son obligation de conseil et de diligence en ce que :
- il était fondé à saisir le conseil des prud'hommes en la forme des référés, sur le fondement de l'article L.2313-2 du code du travail, dès lors qu'il fondait tout ou partie de ses demandes notamment sur le fait que l'employeur avait utilisé un mode de preuve illicite, ce qui constituait une atteinte aux libertés individuelles,
- la cour d'appel n'a pas retenu le raisonnement de M. [R] et a statué par erreur en référé,
- en soutenant qu'il aurait dû saisir le conseil des prud'hommes au fond et non pas en la forme des référés, M. [R] reconnaît avoir commis une faute lors de la saisine,
- dans son arrêt du 24 octobre 2013, la cour d'appel a commis une erreur de droit en jugeant en référé alors qu'elle devait se prononcer au fond, et par conséquent, la requête en rectification d'une erreur matérielle déposée par M. [R] n'avait aucune chance d'aboutir puisqu'il ne s'agissait pas d'une erreur matérielle et qu'il aurait dû former un pouvoir en cassation,
- la cassation était acquise puisque l'erreur de droit résultait du fait que la cour avait statué en référé, cette cassation aurait permis de renvoyer l'affaire devant une cour d'appel de renvoi ; or l'absence de pourvoi en cassation a rendu l'arrêt du 24 octobre 2013 définitif, empêchant M. [Y] d'obtenir la condamnation de son ancien employeur,
- une fois l'arrêt du 16 avril 2015 rendu, M. [R] ne lui a pas conseillé de poursuivre son action au fond devant le conseil de prud'hommes mais de faire un pourvoi en cassation, qui a été abandonné, son avocat au conseil lui ayant indiqué que ce pourvoi n'avait aucune chance d'aboutir,
- en toute hypothèse, le conseil des prud'hommes ayant déjà statué au fond, il ne pouvait de nouveau statuer.
L'engagement de la responsabilité contractuelle de l'avocat nécessite la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
Le mandat de représentation en justice emporte, sauf convention contraire, mission d'assistance.
Ce mandat fait peser sur l'avocat une obligation de diligence, l'avocat étant tenu d'accomplir les actes de procédure nécessaires et d'assurer la défense de son client en préservant au mieux ses intérêts, ainsi qu'une obligation d'information et un devoir de conseil consistant à informer son client sur le déroulement de la procédure, le contenu de la décision rendue, les voies et délais de recours contre celle-ci et l'opportunité d'engager un tel recours.
M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes en la forme des référés en application de l'article L.2313-2 du code du travail, dès lors qu'il fondait tout ou partie de ses demandes notamment sur le fait que l'employeur avait utilisé un mode de preuve illicite, ce qui constituait une atteinte aux libertés individuelles.
Dans son arrêt du 24 octobre 2013, la cour d'appel, statuant sur appel d'une décision du conseil des prud'hommes saisi non pas en référé mais en la forme des référés, conformément aux dispositions de l'article L.2313-2 du code du travail, devait statuer au fond, sans être limitée par une contestation sérieuse.
Or, elle a considéré que si dans son arrêt précédent, la cour avait considéré qu'un des griefs invoqués par l'employeur avait été établi par un moyen de preuve illicite, il existait deux autres griefs à examiner mais constatant l'existence de contestations sérieuses, elle a débouté M. [Y] de l'intégralité de ses demandes, sans dire dans le dispositif de la décision qu'elle statuait en référé ou qu'il n'y avait pas lieu à statuer en référé sur les demandes ou encore renvoyer M. [Y] à saisir la juridiction de fond.
Le conseil des prud'hommes saisi au fond de ces demandes par M. [R] représentant M. [Y], a relevé une difficulté d'interprétation de l'arrêt et sursis à statuer dans l'attente d'une interprétation ou rectification par la cour d'appel de cet arrêt, la société employeur de M. [Y] soutenant que cet arrêt avait définitivement mis fin au litige.
M. [R] a saisi la cour d'une requête en rectification d'erreur matérielle que la cour a rejetée, considérant que l'arrêt du 24 octobre 2013 n'était pas affecté d'une simple erreur matérielle mais d'une erreur de motivation et d'une contradiction entre sa motivation et son dispositif.
Il en résulte que M. [R], contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, a manqué à son obligation de diligence et compétence en n'exerçant pas un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt du 24 octobre 2013 qui était manifestement entaché d'une erreur de droit, et non d'une simple erreur matérielle, pour avoir statué en référé et non au fond, la cour étant saisie en la forme des référés, alors que la cassation était acquise au vu de cette erreur de droit manifeste et aurait permis de renvoyer l'affaire devant une cour d'appel de renvoi afin que les demandes de M. [Y] soient jugées au fond.
Par la suite, M. [R] a formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel du 16 avril 2015, qui a été abandonné après qu'une société d'avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation lui a conseillé de se désister, le pourvoi n'ayant aucune chance d'aboutir.
M. [Y] se contredit en reprochant à M. [R] de ne pas lui avoir conseiller, à la place, de saisir au fond le conseil des prud'hommes alors qu'il écrit qu'en toute hypothèse, celui-ci avait déjà statué au fond et qu'une seconde saisine ne pouvait aboutir.
En réalité, le conseil des prud'hommes avait seulement sursis à statuer dans l'attente de l'interprétation ou la rectification de son arrêt par la cour et pouvait être saisi de nouveau mais M. [Y] reconnaît encore que l'absence de pourvoi en cassation a rendu l'arrêt du 24 octobre 2013 définitif et l'empêchait d'obtenir une condamnation de son employeur. Dès lors, même si M. [R] ne justifie aucunement que son client aurait fait le choix de ne pas revenir devant le conseil des prud'hommes, la saisine de cette juridiction après expiration du sursis était inutile et il ne peut être reproché aucun manquement de l'avocat à ce titre, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Le tribunal a jugé que :
- le manquement de M. [R] a privé M. [Y] d'un examen de ses demandes par le conseil des prud'hommes, telles qu'elles résultaient de la décision avant dire droit du 9 décembre 2014,
- les chances que cette juridiction déclare ses demandes bien fondées sont :
- non justifiées concernant la demande de requalification en contrat à durée indéterminée des CDD et missions d'intérim, M. [Y] ne justifiant d'aucun manquement de la part de l'entreprise dans le recours à des contrats temporaires ou à durée déterminée et la succession de ces contrats, même sur une période de 18 mois ne justifiant pas à elle seule une demande de requalification,
- sérieuses concernant l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, en ce que la lettre de licenciement laisse penser que les trois griefs énoncés par l'employeur ont en réalité tous été révélés par le rapport remis par la société Scat,
- la perte de chance d'obtenir une somme de 5 454,50 euros au titre des différents chefs d'indemnités réclamés, s'évalue à une proportion de 50%, au regard de la complexité inhabituelle de la procédure et des termes de la lettre de licenciement pouvant donner lieu à interprétation sur l'origine des griefs opposés par la société Aerolis,
- aucun lien de causalité ne peut être établi entre la durée de la procédure n'ayant pas abouti à la reconnaissance du caractère irrégulier du licenciement de M. [Y] et les préjudices moraux et financiers qu'il invoque.
L'appelant soutient que l'erreur commise par M. [R] lui a fait perdre :
- une chance réelle et sérieuse d'obtenir une indemnisation du fait du caractère abusif de son licenciement en ce que :
$gt; les faits des 6 juin et 10 novembre 2010 qui lui étaient reprochés étaient prescrits lorsque la procédure de licenciement a été initiée puisqu'il a été convoqué par lettre du 7 février 2011 et que les faits antérieurs au 7 décembre 2010 ne pouvaient être retenus pour justifier son licenciement, sauf à ce que la société justifie en avoir eu connaissance postérieurement,
$gt; en toute hypothèse, les fautes qui lui sont reprochées ne sont pas démontrées,
$gt; il a été embauché en CDI postérieurement à ces faits alors que son employeur en avait connaissance, ce qui confirme que la société elle-même avait considéré qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée,
$gt; le doute profitant au salarié, le licenciement aurait été jugé comme ne reposant sur aucune cause réelle et sérieuse,
- une chance réelle et sérieuse d'obtenir la requalification des CDD et contrats de mission temporaire en CDI en ce que :
$gt; avant de signer un contrat à durée indéterminée avec la Sas Aerolis, il a travaillé au sein de cette société dans le cadre de contrats de mission temporaire, sans discontinuer entre le 22 juin 2009 et le 25 juillet 2010 puis par contrats à durée déterminée qui se sont succédés jusqu'à ce qu'il signe un contrat à durée indéterminée le 10 janvier 2011, avec une reprise d'ancienneté fixée au 1er août 2009,
$gt; il occupait un poste permanent et compte-tenu de la succession de contrats de mission temporaire puis de contrats à durée déterminée pendant plus de 18 mois, sans aucune interruption, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, le conseil des prud'hommes aurait prononcé la requalification des contrats temporaires en contrat à durée indéterminée,
- rien ne justifie d'évaluer à 50 % sa perte de chance,
- les montants qu'il sollicite sont ceux fixés par M. [R] lors de sa saisine,
- son préjudice moral est important car il a souffert d'une grave dépression nerveuse, faute de voir reconnu son licenciement sans cause réelle et sérieuse, s'est endetté et a été expulsé de son logement,
- il aurait pu obtenir la somme de 31 209,50 euros telle que fixée par l'avocat dans sa saisine,
- au regard de la chance très sérieuse qu'il avait d'obtenir la condamnation de son employeur à lui verser différentes sommes, rien ne justifie d'évaluer la perte de chance à 50% comme l'a fait le tribunal,
- il a subi un préjudice financier et moral important du fait des manquements de M. [R] lequel doit être indemnisé par l'octroi de la somme de 20 000 euros.
L'intimé répond que :
- M. [Y] ne peut se prévaloir que d'une perte de chance de succès de son action et celle -ci ne peut être égale au montant qu'il réclamait devant le conseil des prud'hommes alors qu'un aléa indiscutable existait,
- les chances de succès de son action étaient quasi inexistantes,
- aucun élément ne permet d'affirmer que le conseil prud'hommes aurait déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse et une réduction du quantum a minima à 75 % s'impose,
- M. [Y] avait une ancienneté très faible et ne disposait pas d'un droit automatique à une indemnisation minimale de six mois de salaire, l'appréciation du préjudice des salariés disposant d'une ancienneté inférieure à deux ans, relevant à l'époque des faits de l'application souveraine des magistrats qui auraient pu n'octroyer qu'un euro,
- tous les contrats de mission temporaire produits sont valables, M. [Y] ayant d'abord été engagé pour remplacer des collaborateurs absents, ce qui constitue un motif légitime et légal du recours au contrat de travail à durée déterminée et la perte de chance d'obtenir une indemnité à ce titre n'est pas rapportée.
Lorsque le manquement a eu pour conséquence de priver une partie d'une voie d'accès au juge, il revient à celle-ci de démontrer la réalité de la perte de chance, réelle et sérieuse, laquelle doit résulter de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.
Il convient d'évaluer les chances de succès de la voie de droit manquée en reconstituant le procès comme il aurait dû avoir lieu, au vu des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.
Il est relevé à ce titre qu'aucune des parties ne produit aux débats les conclusions déposées devant le conseil des prud'hommes lors de l'audience du 9 décembre 2014.
Il appartient à l'appelant d'apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
En raison de la faute commise par l'avocat qui n'a pas formé de pourvoi en cassation contre l'arrêt du 24 octobre 2013 entaché d'une erreur de droit manifeste, M. [Y] a été privé d'une voie d'accès au juge puisque l'arrêt aurait été cassé et l'affaire renvoyée devant une cour d'appel pour être jugée au fond.
- sur la perte de chance d'obtenir la requalification des CDD et contrats de mission temporaire en CDI
L'article L.1251-5 du code du travail prévoit que le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
L'article L.1251-12 du code du travail limite d'ailleurs sa durée à dix-huit mois, renouvellement inclus et les articles L.1251-6 et L.1251-7 du même code décrivent limitativement les situations dans lesquelles il est possible de l'utiliser.
La jurisprudence de la Cour de cassation est constante en ce que 'lorsqu'il est fait usage de contrats d'intérim successifs avec le même salarié pour faire face à un besoin structurel de main d''uvre et que l'emploi occupé est lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, il y a lieu de requalifier les missions d'intérim successives en contrat à durée indéterminée (CDI) et ce, quelque soit le motif de recours au travail temporaire'.
L'article L.1242-1 du même code prévoit de la même manière qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
L'article suivant prévoit qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans des cas limitatifs dont le remplacement d'un salarié en cas d'absence.
La Cour de cassation énonce cependant que 'le seul fait pour l'employeur de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise'.(Soc., 14 février 2018, pourvoi n° 16-17.966).
M. [Y] produit 21 contrats de mission temporaire renouvelés sans discontinuer du 14 décembre 2009 au 2 février 2010 puis du 22 février au 25 juillet 2010, lesquels sont de très courte durée et justifiés par l'arrêt de travail de deux salariés différents, l'absence pour formation d'un autre salarié, les congés payés de plusieurs salariés et l'absence pour délégation d'un dernier salarié.
De même, il verse aux débats trois contrat à durée déterminée, l'un destiné à remplacer un salarié en congés payés du 26 juillet au 1er août 2010, le second pour remplacer un autre salarié en congés payés du 2 août au 6 août et le troisième pour remplacer encore un autre salarié en arrêt pour accident du travail du 21 octobre au 30 novembre 2020.
Il n'a enfin été embauché en CDI que le 10 janvier 2011 soit plus de deux mois plus tard.
La seule production de ces contrats ne suffit pas à justifier un recours systématique aux contrats d'intérim ou à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et M. [Y] ne justifie pas d'une chance réelle et sérieuse d'obtenir la requalification des contrats de mission temporaires et des CDD qui ont suivis en CDI.
- sur la perte de chance d'obtenir la condamnation de l'employeur pour licenciement abusif
L'article L.1332-4 du code du travail précise que :
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Ainsi, après un délai deux mois, l'employeur ne peut plus engager la procédure de licenciement pour faute, ni même sanctionner le salarié.
M. [Y] justifie d'une perte de chance réelle et sérieuse de voir reconnaître son licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque le premier grief reproché relevait d'un constat par la société Scat dont la cour d'appel a par arrêt du 5 juillet 2013 jugé qu'il avait été obtenu par un mode de preuve illicite et que la procédure de licenciement au titre des deux autres griefs datant des 7 juin et 10 novembre 2010 avait une grande chance d'être déclarée tardive, la société employeur reconnaissant avoir eu connaissance du premier le 7 juin 2010 et le fait qu'elle aurait eu connaissance du second moins de deux mois avant l'envoi de la convocation à l'entretien préalable du 7 février 2011 soit avant le 7 décembre 2010 apparaît très plausible puisqu'il a été relevé lors de l'examen de sa remise de caisse journalière du 10 novembre 2010 laquelle a nécessairement fait l'objet d'un contrôle dans un très bref délai par les services de la comptabilité de la société.
Cette perte de chance doit être fixée à 90 % de ses préjudices au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 715 euros) et des congés afférents (271,50 euros), de l'indemnité de licenciement (859 euros), de l'indemnité au titre de la mise à pied conservatoire (1 649 euros), au titre de l'indemnité de licenciement abusif (sans cause réelle ou sérieuse) laquelle au vu de la date d'embauche au 10 janvier 2011 et de la date du licenciement a été justement évaluée par les premiers juges, en l'absence de preuve d'une reprise d'ancienneté au 1er août 2009 alléguée et de barème applicable à la date où une décision judiciaire aurait dû être prise, à la somme de 500 euros, outre une indemnité de procédure qui aurait raisonnablement été fixée à la somme de 2 000 euros.
Il lui est donc alloué à ce titre la somme de 7 195,05 euros (90 % x 7 994,50 euros).
Par ailleurs, si la dépression subie par M. [Y] en 2011 est consécutive à la perte de son emploi et non à la faute professionnelle de son avocat, celle-ci en a été un facteur aggravant dans la mesure où il a été privé de la reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, préjudice dont la réparation est fixée à la somme de 3 000 euros. Le jugement est infirmé en ce sens.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens de première instance et à l'indemnité accordée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
Les dépens d'appel doivent incomber à M. [R], partie perdante, lequel est également condamné à payer à M. [Y] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ce qu'il a :
- condamné M. [B] [R] à payer à M. [S] [Y] une somme de 2 727, 25 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouté M. [S] [Y] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
CONDAMNE M. [B] [R] à payer à M. [S] [Y] :
la somme de 7 195,05 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance,
la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
CONDAMNE M. [B] [R] aux dépens d'appel,
CONDAMNE M. [B] [R] à payer à M. [S] [Y] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE