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13/09/2022 | FRANCE | N°19/07562

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 13 septembre 2022, 19/07562


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2022



(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07562 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7WCF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 septembre 2018 - Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/01863



APPELANTS



Monsieur [P] [H]

Né le [Date naissance 3] 1980 à [Local

ité 6]

[Adresse 19]

[Localité 6]



Monsieur [O] [J] ayant droit de [R] [J]

Né le [Date naissance 7] 1991 à [Localité 18]

[Adresse 4]

[Localité 13]



Madame [M] [J] aya...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2022

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07562 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7WCF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 septembre 2018 - Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/01863

APPELANTS

Monsieur [P] [H]

Né le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 6]

[Adresse 19]

[Localité 6]

Monsieur [O] [J] ayant droit de [R] [J]

Né le [Date naissance 7] 1991 à [Localité 18]

[Adresse 4]

[Localité 13]

Madame [M] [J] ayant droit de [R] [J]

Née le [Date naissance 8] 1994 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Tous représentés par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053

Assistés de Me Nicolas BRAHIN de la SELARL BRAHIN, avocat au barreau de NICE, toque : 427

INTIMÉS

Madame [L] [F]

[Adresse 12]

[Localité 15]

Madame [N] [D]

[Adresse 9]

[Localité 14]

Représentée et assistée de Me Marie-Noëlle LUMB, avocat au barreau de PARIS, toque : B0876

Monsieur [X] [U]

Né le [Date naissance 10] 1945

[Adresse 16]

[Localité 17] (PORTUGAL)

Représenté et assisté de Me Sébastien REVAULT D'ALLONNES, avocat au barreau de PARIS, toque : E201

SA ZURICH INSURANCE PLC FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Jean-Pierre CHIFFAUT MOLIARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C1600

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole Cochet, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

- par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON Présidente de chambre pour Mme Nicole Cochet, Première Présidente de chambre empêchée, et par Florence GREGORI, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * *

Courant décembre 2012, Mme [L] [F], assistée de son avocate, Mme [N] [D], recherchait un financement à hauteur d'un million d'euros, destiné, selon elle, à régler les droits de renouvellement d'une licence de 'seller's mandate' permettant d'effectuer des opérations d'achat et de vente d'or pour le compte de la Fédération de Russie.

La société DH Finances Conseils qui exerçait l'activité de courtier en financement sans être inscrite au registre des intermédiaires financiers et avait été mandatée par Mme [F] aux fins de lui présenter des prêteurs, a interrogé Mme [D] sur la solvabilité de leur cliente commune.

Mme [D] a rédigé plusieurs lettres officielles, les 2, 8 et 22 janvier 2013 sur la nature du mandat de Mme [F] lui donnant qualité à agir pour le compte de la société International Bullion ltd créée en 2013, vendeur officiel d'or d'un Etat souverain et sur les capacités financières de sa cliente.

Le 18 janvier 2013, M. [X] [U], avocat, est intervenu auprès de Mme [F], à la demande de sa consoeur.

Le 3 mai 2013, Mme [F] a confirmé à la société DH Finances Conseils son engagement à lui verser une commission de deux millions d'euros.

Par deux contrats sous signature privée du 27 juin 2013 rédigés par M. [U], MM. [P] [H] et [R] [J] ont consenti à Mme [F] un prêt de 450 000 euros, chacun, pour une durée d'un mois à compter de la remise des fonds et moyennant un intérêt annuel de 10%.

Quatre virements ont été effectués en faveur de la société Internationaly Bullion ltd, établie à Forest Hill (Etats-Unis) sur un compte ouvert auprès de la banque JP Morgan.

Ainsi les 18 juin et 4 juillet 2013, M. [H] a donné à sa banque l'ordre d'effectuer des virements pour des montants respectifs de 100 000 euros et 250 000 euros avec la mention 'prêt à une amie'.

Les 28 juin et 5 juillet 2013, 450 000 euros puis 200 000 euros ont été virés sur les instructions d'[R] [J].

Le 16 juillet suivant, Mme [F] a donné mandat à la société Finances Conseils de la 'conseiller, l'assister et lui permettre de bénéficier d'un prêt d'un million d'euros' moyennant un honoraire mensuel de 2 500 euros HT en complément d'une rémunération de 5 % du montant du prêt accordé par son intermédiaire.

La société DH Finances Conseils a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Antibes du 9 juillet 2014.

Ses commissions d'intermédiaire financier dans l'opération n'ayant pas été versées, la société DH Finances Conseils, représentée par son liquidateur judiciaire, la Scp BTSG prise en la personne de M. [X] [Z], a par actes des 2 et 14 octobre 2014 fait assigner Mme [F] et Mme [D] devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de la somme de 2 102 000 euros. MM. [H] et [J] sont intervenus volontairement à l'instance et Mme [D] a assigné M. [U] en garantie ainsi que son propre assureur la société Zurich Insurance Plc.

[R] [J] est décédé le [Date décès 11] 2016 et ses ayants droit ont été appelés à la cause.

Par jugement du 5 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

- déclaré recevable l'action engagée par la société DH Finances Conseils représentée par son liquidateur,

- débouté la société DH Finances Conseils représentée par son liquidateur de toutes ses demandes,

- condamné Mme [F] à payer à M. [H] une somme de 450 000 euros, avec intérêts au taux contractuel de 10% par an depuis le 27 juin 2013,

- condamné Mme [F] à payer M. [O] [J] et Mme [M] [J], ayants droit d'[R] [J], une somme de 450 000 euros, avec intérêts aux taux contractuel de 10% par an depuis le 27 juin 2013,

- débouté M. [H] et les ayants droits d'[R] [J] du surplus de leurs demandes,

- condamné Mme [F] à payer à M. [H] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [F] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 9 avril 2019, M. [H], M. [O] [J] et Mme [M] [J], ayants droit d'[R] [J] et la Scp BTSG, pris en la personne de M. [B] [G], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DH Finances Conseils ont interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 10 juillet 2020, le conseiller de la mise en état a déclaré parfait le désistement d'instance et d'action de la Scp BTSG ès qualités.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 15 mars 2022, M. [H] et M. [O] [J] et Mme [M] [J], ayants droit d'[R] [J], (ci-après les consorts [J]) demandent à la cour de :

- déclarer irrecevable la demande de nullité de l'assignation du 11 juillet 2019 formulée par Mme [D],

- juger que Mme [D] ne rapporte la preuve d'aucun grief en lien avec la prétendue nullité tiré de son identification,

- débouter Mme [D] de sa demande de nullité de l'assignation du 11 juillet 2019,

- débouter Mme [D] de sa fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de leurs demandes, postérieures au désistement d'instance et d'action de la Scp BTSG,

à titre principal, au fond,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés :

de leur demande de condamnation in solidum de Mme [D] et M. [U] au titre de leur responsabilité civile professionnelle à leur verser les sommes suivantes :

la somme de 550 000 euros à M. [H] et la somme 450 000 euros à [R] [J], outre tous intérêts,

la somme de 300 000 euros promise au titre d'une gratification et 137 500 euros depuis la fin des 'trois semaines à compter de la réception des fonds', soit un total de 437 500 euros, outre tous intérêts,

la somme de 112 500 euros depuis la fin des 'trois semaines à compter de la réception des fonds', outre tous intérêts,

la somme de 270 000 euros à chacun d'eux à titre des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, toutes causes confondues,

de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de procédure,

de leur demande de condamnation de la société Zurich insurance plc à relever et garantir Mme [D] et M. [U] de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre,

et statuant à nouveau,

- juger que Mme [D] et M. [U] engagent leur responsabilité civile professionnelle à l'égard de M. [H] et [Y] [J] au titre de leur participation active à l'opération de prêt litigieuse,

- juger que la société Zurich insurance plc, assureur de la responsabilité civile professionnelle de Mme [D] et M. [U] doit garantir et couvrir l'entier préjudice subi par M. [H] et [R] [J] au titre des fautes civiles professionnelles commises par leurs assurés,

en conséquence,

- condamner in solidum Mme [F], Mme [D], M. [U] et la société Zurich insurance plc à verser à M. [H] :

la somme de 350 000 euros correspondant aux sommes prêtées non remboursées, outre les intérêts contractuels et légaux à compter de l'assignation,

la somme de 94 500 euros au titre du préjudice financier (placement des sommes à 3%), outre tous intérêts légaux à compter de l'assignation,

la somme de 457 500 euros promise à titre de gratification, outre les intérêts au taux légal et les intérêts contractuels annuels de 10% à compter de la mise en demeure demeurée infructueuse,

la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner in solidum Mme [F], Mme [D], M. [U] et la société Zurich insurance plc, à verser à M. [O] [J] et Mme [M] [J] :

la somme de 650 000 euros correspondant aux sommes prêtées et non remboursées,

la somme de 175 500 euros au titre de la gratification promise et non versée,

la somme de 112 500 euros promise à titre de gratification, outres les intérêts au taux légal et les intérêts contractuels annuels de 10% à compter de la mise en demeure demeurée infructueuse,

la somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral,

- condamner la société d'assurance Zurich insurance plc à relever et garantir Mme [D] et M. [U] de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre,

- débouter Mme [D], M. [U] et la société Zurich insurance plc, de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner in solidum Mme [D], M. [U] et la société Zurich insurance plc à payer à M. [H] la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens avec distraction au profit de M. [A] [W].

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 31 mars 2022, Mme [D] demande à la cour de :

- déclarer M. [H] et les consorts [J] irrecevables en leurs demandes et en leurs conclusions de février 2022 postérieures au désistement d'instance et d'action de la Scp BTSG, déclaré parfait par ordonnance du conseiller de la mise en état du 10 juillet 2020,

au fond,

- confirmer le jugement en ce qu'il a écarté sa responsabilité à l'égard de M. [H] et des ayants droit d'[R] [J],

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [H] et les consorts [J] de leur demande de ce chef,

- débouter M. [H] et les consorts [J] de toutes leurs demandes à son encontre,

subsidiairement,

- condamner la société Zurich insurance à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

- condamner M. [U] à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

- condamner in solidum M. [H] et les ayants droit d'[R] [J] à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner in solidum M. [H] et les ayants droit d'[R] [J] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile,

- condamner M. [H] et les ayants droit d'[R] [J] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 10 mars 2022, M. [U] demande à la cour de :

- débouter M. [H], M. [J] et Mme [J] de toutes leurs demandes à son encontre,

- condamner M. [H], M. [J] et Mme [J] à lui régler, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 5 000 euros chacun au titre de ses frais irrépétibles,

- condamner M. [H], M. [J] et Mme [J] aux dépens avec distraction au profit de M.Sébastien Revault d'Allonnes.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 11 mars 2022, la société Zurich insurance public limited company demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants de leurs demandes dirigées contre Mme [D] et M. [U],

à défaut,

- rejeter l'ensemble des demandes formulées à son encontre, qu'il s'agisse de demandes de paiement ou de garantie,

en tout état de cause,

- condamner in solidum les appelants à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens de la procédure d'appel.

Mme [L] [F], à qui la déclaration d'appel et les conclusions d'appelants ont été signifiées par acte d'huissier de justice du 2 août 2019, selon procès-verbal de recherches infructueuses n'a pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 5 avril 2022.

A l'audience et par note en délibéré du 11 mai 2022, la cour a soulevé d'office le moyen tiré du fait que le préjudice allégué par les appelants pourrait s'analyser en une perte de chance et demandé aux parties d'adresser leurs observations avant le 15 juin 2022 sur ce moyen, et sur l'analyse qu'ils peuvent faire de cette perte de chance.

M. [H] et les consorts [J], Mme [D], M. [U] et la société Zurich ont formulé des observations respectivement les 14 et 17 juin, le 15 juin, les 13 et 14 juin et le 25 mai 2022.

SUR CE,

Sur l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'assignation

Les appelants soulèvent l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'assignation au motif que Mme [D] ne l'a pas soulevée devant le conseiller de la mise en état.

La cour n'a pas à statuer sur l'irrecevabilité de cette demande de nullité qui n'est plus formée par Mme [D] dans ses dernières conclusions qui seules saisissent la cour.

Sur la recevabilité des demandes des appelants

Mme [D] soutient que les demandes formées par M. [H] et les consorts [J] et postérieurement au désistement d'instance et d'action de la Scp BTSG ès qualités et leurs conclusions sont irrecevables en ce que :

- M. [H] et les consorts [J] n'étaient pas demandeurs principaux à l'instance et leur intervention constitue une demande incidente supposant l'existence, au moment où elle se produit, d'une instance non encore éteinte,

- le désistement d'action de la Scp BTSG ès qualités entraîne extinction de leur droit d'agir et rend par conséquence irrecevables leurs demandes formées sur un droit qui a été délaissé.

Les appelants soutiennent que le désistement d'instance de la Scp BTSG ès qualités n'a aucune conséquence sur le sort de leurs prétentions et la recevabilité de leurs conclusions postérieures (et antérieures) audit désistement puisque, ayant élevé des prétentions à leur profit, leur intervention en première instance est principale, au sens de l'article 329 du code de procédure civile.

M. [H] et les consorts [J] qui étaient intervenus volontairement à titre principal en première instance et ont vu certaines de leurs prétentions accueillies et d'autres rejetées, sont appelants principaux et leurs demandes formées devant la cour d'appel sont recevables du fait de leur intérêt à agir, nonobstant le désistement d'instance et d'action de la Scp BTSG liquidateur judiciaire de la société DH Finances et Conseils, autre appelant principal.

Sur la faute de Mme [D]

Le tribunal a jugé que la responsabilité de Mme [D] à l'égard de M. [H] et des ayants droit de M. [R] [J] ne pouvait être retenue aux motifs que :

- il n'est aucunement établi que Mme [D] aurait cherché à tromper quiconque ou aurait commis une faute délictuelle en rédigeant cinq documents relatifs à la transaction financière dans l'objectif de rassurer les prêteurs, ni qu'elle aurait rédigé des courriers fallacieux, ni que ceux-ci auraient déterminé le choix fait par M. [H] et [R] [J] de consentir au prêt,

- il n'est pas contesté que M. [H] s'est vu proposer de consentir le prêt, non pas par Mme [D] mais par l'intermédiaire de la société DH Finances Conseils, professionnelle de la finance, dont il pouvait supposer qu'elle avait dûment vérifié les informations relatives à la capacité financière de l'emprunteur,

- M. [H] a lui même proposé, le 27 juin 2013, de modifier le premier projet de prêt initialement établi, par lequel il consentait seul à l'entier prêt de 950 000 euros, pour faire intervenir dans l'opération [R] [J], comme second préteur.

Les appelants estiment, en visant les articles 1240 et 1241 du code civil et 3 du décret n°2005-90 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de la déontologie des avocats que :

- Mme [D] a commis une faute quasi-délictuelle puisqu'elle a manqué à son obligation de modération et de prudence en affirmant par écrit et à plusieurs reprises sans réserve ni nuance pendant le mois de janvier 2013, que Mme [F] disposait d'une 'surface financière', préexistante en dehors même de la vente d'or prévue, lui permettant de procéder rapidement au remboursement des sommes litigieuses, commettant ainsi une grave erreur d'appréciation,

- la prétendue escroquerie dont Mme [F] aurait été victime de la part de la société International Bullion ltd est indifférente à la caractérisation de la faute de l'avocate.

Mme [D] fait valoir que :

- elle est tiers aux contrats de prêt qui ont été signés et en vertu de l'effet relatif du contrat, les clauses lui sont inopposables,

- elle était totalement étrangère à l'élaboration du prêt puisque la société DH Finances Conseils, en sa qualité de société spécialisée dans le montage d'opérations financières et de recherche de crédits, a suggéré à M. [H] et [R] [J] de consentir un prêt à Mme [F] et il appartenait uniquement à cette société de s'assurer de la viabilité de l'opération envisagée et de la capacité de Mme [F] à honorer ses engagements,

- elle était totalement absente dans les pourparlers et la négociation des prêts et les deux contrats signés le 27 juin 2013 ont eu pour seul rédacteur M. [U],

- sa responsabilité à l'égard d'[R] [J] ne peut être retenue alors que c'est M. [H] qui l'a convaincu de prendre à sa charge la moitié du prêt à Mme [F],

- elle n'a pas commis de faute dès lors qu'elle s'est assuré que le contrat de mandat de Mme [F] était authentique et n'avait pas à procéder à des vérifications plus approfondies, lesquelles relevaient de la compétence de la société DH Finances Conseils,

- elle n'a commis aucune imprudence puisque sa dernière lettre précise que Mme [F] sera en capacité de rembourser les sommes prêtées et de s'acquitter des bonus annoncés, lorsque l'opération financière portant sur l'achat des matières premières aura été menée en son terme et en prenant soin de subordonner la capacité de remboursement de Mme [F] à la finalisation de l'opération, elle a fait entrer une condition au remboursement et la notion d'aléa dans le champ de l'engagement de Mme [F], lequel a été accepté par la société DH Finances Conseils,

- M. [H] et [R] [J] étaient des opérateurs et des investisseurs avertis, qui savaient que l'opération pourrait être rentable si elle était conduite à son terme mais comportait des risques, raison pour laquelle M. [H], chef d'entreprise, a qualifié son virement de 250 000 euros de 'prêt à une amie pour un achat immobilier' alors qu'il s'agissait d'une opération portant sur une vente internationale de minerais,

- à défaut, M. [U] doit la garantir.

La société Zurich soutient que :

- on ne peut retenir à faute à l'encontre de Mme [D] le fait d'avoir 'mal estimé les capacités financières de sa cliente', une telle diligence qui ne relève pas de l'exercice normal de la profession d'avocat n'ayant aucune raison d'être mise en 'uvre par elle faute d'avoir été spécialement mandatée à cette fin par quiconque,

- Mme [D] ne peut donc se voir reprocher d'avoir cherché à tromper les appelants d'autant que M. [H] s'est vu proposer de consentir le prêt par la société DH Finances Conseils et non par Mme [D] qui n'a jamais écrit personnellement à M. [H] et à [R] [J] dont elle ignorait l'existence et qui ne précisent pas dans quelles circonstances ils ont eu connaissance des lettres officielles écrites par Mme [D],

- il n'est pas démontré en quoi les courriers émanant de M. [U] ont pu avoir un rôle déterminant dans la décision des prêteurs.

Suivant l'article 1382 (devenu 1240) du code civil applicable au litige, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon l'article 1383 (devenu 1241) du même code, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L'article 3 du décret n°2005-90 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de la déontologie des avocats prévoit que :

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Interrogée le 2 janvier 2013 par la société DH Finances Conseils, sur le mandat donné à Mme [F] par la société International Bullion ltd et sur la transaction devant permettre à Mme [F] d'honorer ses engagements de paiement, Mme [D] a répondu qu'elle ne pouvait transmettre le mandat reçu par sa cliente ou la copie de la transaction envisagée mais qu'elle pouvait répondre par lettre officielle destinée au prêteur qui interrogeait la société intermédiaire de financement.

Ainsi, dans une première lettre officielle du même jour, elle a écrit :

'Je certifie avoir connaissance de l'intégralité des pièces contractuelles dont dispose ma cliente, Mme [L] [F], en vue d'une opération de métal AU.

Au regard des éléments qui ont été mis à ma disposition et qui sont entreposés à mon cabinet, il apparaît que Mme [F] est investie de la capacité légitime pour mener à terme une opération portant sur une transaction de métal AU.

Elle a, en effet, justifié auprès de moi d'un mandat qui émane du Vendeur officiel d'un Etat souverain.

Le contenu de ce mandat ne laisse aucune ambiguïté sur la capacité de Mme [F] et sur son titre de Seller's Mandate.

J'ai, par ailleurs, pris connaissance de documents relatifs au volume de la transaction et il apparaît, à nouveau, sans ambiguïté, que Mme [F] dispose de la surface financière suffisante pour honorer le paiement des commissions annoncées'.

Dans une deuxième lettre officielle du 8 janvier suivant, elle a précisé, au dernier paragraphe :

'J'ai, par ailleurs, pris connaissance de documents relatifs au volume de la transaction et il apparaît, à nouveau, sans ambiguïté, que Mme [F] dispose de la surface financière suffisante pour rembourser au prêteur la somme de 1 M € + 10 % de bonus, soit la somme de 1 100 000 euros et ce, dans un délai maximum de trois semaines après la réception des fonds envoyés par le prêteur'.

Le 22 janvier suivant, elle adressait une troisième lettre officielle dans laquelle le dernier paragraphe était encore modifié :

'J'ai, par ailleurs, pris connaissance de documents relatifs au volume de la transaction et il apparaît, à nouveau, sans ambiguïté, que Mme [F] dispose de la surface financière suffisante pour rembourser au prêteur, suite à la finalisation de l'opération financière, la somme de 1 M € + 25 % de bonus, soit la somme de 1 250 000 euros et ce, dans un délai maximum de trois semaines après la réception des fonds envoyés par le prêteur'.

La société DH Conseils Finances, mandatée par Mme [F] afin de trouver un ou des prêteurs de la somme d'un million d'euros à son profit, a sollicité de l'avocate de cette dernière ces renseignements à la demande d'une personne susceptible de prêter la somme sollicitée et il est d'évidence que les lettres officielles que Mme [D] a proposé d'écrire étaient destinées à être communiquées aux prêteurs intéressés.

Mme [D] s'est engagée de manière péremptoire sur la capacité sans réserve de sa cliente à rembourser en trois semaines une somme de 1 250 000 euros au vu d'un document signé le 1er décembre 2020 par M. [I], président de la société Raman International Gems ltd mandatant ' Mme [F] en qualité de seller's mandate for AU or Platinium transactions or for any other prestigious commodity for a period of three years renewable' sans aucune autre précision et alors que la capacité financière de Mme [F] à rembourser la somme empruntée outre un bonus de 10 ou 25 % ne pouvait être vérifiée par le seul examen des documents relatifs au volume de la transaction envisagée pour un montant de 5 000 000 euros, l'appréciation de sa solvabitité ne pouvant être effectuée qu'au vu d'éléments relatifs à son propre patrimoine et à ses revenus ou encore aux garanties financières dont elle pouvait se prévaloir. Elle n'allègue ni ne justifie avoir été en possession de ces éléments.

En agissant ainsi, elle a manqué de prudence et commis une faute de négligence alors même qu'elle savait que les éléments qu'elle certifiait étaient destinés à rassurer les prêteurs éventuels sur le caractère sérieux des facultés de l'emprunteur à rembourser le prêt sollicité et régler le bonus avantageux promis. Le jugement est infirmé en ce sens.

Sur la faute de M. [U]

Le tribunal a considéré que l'avocat n'avait pas commis de faute aux motifs que :

- lorsqu'un avocat intervient comme rédacteur d'un acte, il doit en assurer la validité et la pleine efficacité, selon les prévisions des parties mais il ne saurait être tenu, en l'absence de tout élément particulier de nature à éveiller ses soupçons, de prendre spontanément l'initiative de contrôler la sincérité des affirmations des parties, pas plus que de s'assurer de la viabilité économique et financière de l'opération projetée,

- après l'accord de M. [H] sur le prêt et un premier versement de 100 000 euros effectué le 18 juin 2013, M. [U] a adressé à M. [H] sur instructions de Mme [F], par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 20 juin 2013, un chèque émis par celle-ci pour un montant de 300 000 euros au titre de sa gratification pour finalisation du dossier, encaissable au 17 juillet suivant,

- il ne peut dès lors être soutenu que toutes les sommes auraient été virées, sans aucune exception, après de nombreuses lettres officielles adressées par M. [U] et en particulier le premier versement dont il est soutenu à tort qu'il serait postérieur à l'envoi dudit chèque ni que ce dernier aurait mis en confiance MM. [H] et [J] en les assurant par ses courriels que la somme de 900 000 euros serait remboursée comme convenu le 31 juillet 2013 alors que cet avocat se bornait à rappeler que tel était l'engagement pris par Mme [F],

- il ne peut lui être reproché de n'avoir pas fait transiter les sommes virées par son compte professionnel Carpa puisque :

$gt; il est justifié de la déclaration des deux contrats de prêts auprès des services fiscaux par Mme [F] le 27 juin 2013, sans qu'il soit contesté que celle-ci ait agi sur les conseils de M. [U], comme celui-ci l'a précisé,

$gt; l'obligation de dépôt à la Carpa ne concerne que les fonds détenus par un avocat pour le compte d'un de ses clients, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce,

$gt; les allégations relatives à la licéité des activités financées ne sont corroborées par aucun élément probant.

Les appelants soutiennent que :

- M. [U], rédacteur unique des prêts, a manqué à son obligation d'information et de conseil à leur égard,

- Mme [F] a associé dès le mois de décembre 2012 ou janvier 2013 un second avocat, lesquels ont travaillé de concert,

- il s'est occupé en amont de la faisabilité de l'opération, de son montage et de sa présentation, ainsi qu'en atteste son courriel du 31 janvier 2013 à destination de Mme [F],

- M. [U], en dehors de tout comportement frauduleux comme le soutient à tort la société Zurich, a gravement manqué à son obligation de conseil, de prudence et d'efficacité des actes de prêt :

$gt; en attestant de la parfaite 'surface financière' de sa cliente, sans recueillir auprès de sa cliente, les éléments patrimoniaux indispensables à cette appréciation,

$gt; en se laissant abuser par les seules déclarations de Mme [F] qui s'est présentée comme à l'aise financièrement sans remettre à son conseil le moindre élément patrimonial,

$gt; en ne mettant pas en garde les concluants des risques liés à l'absence de garanties consenties par Mme [F],

$gt; en ne cherchant pas, en sa qualité de rédacteur du contrat conclu entre Mme [F] et la société International Bullion ltd, à sécuriser le cheminement des fonds prêtés et en ne s'assurant pas que cette société ne puisse pas librement disposer des fonds, ce qui a aggravé leur situation, étant rappelé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage,

$gt; en ne consignant pas les fonds litigieux sur son compte Carpa, ce qui aurait permis de déjouer l'escroquerie dont se dit victime Mme [F] et d'opérer une représentation des fonds au moment où ils en sollicitent le remboursement,

$gt; en relayant un chèque d'un montant de 300 000 euros se révélant in fine sans provision, émis par Mme [F] et destiné à garantir la 'finalisation du dossier'qui les a conduit à considérer que l'état de la fortune de Mme [F] était réel et qu'elle disposait de garantie de paiement, sans vérifier l'approvisionnement du compte,

$gt; en indiquant par courrier recommandé qu'un justificatif de virement allait parvenir aux concluants alors qu'aucun justificatif ne leur est jamais parvenu,

$gt; en ne leur conseillant pas de choisir un autre avocat.

M. [U] répond qu'aucune faute professionnelle ne peut être retenue à son égard aux motifs que :

- après avoir rencontré Mme [F] une première fois le 18 janvier 2013 au cabinet de sa consoeur, il n'a été sollicité ultérieurement par Mme [F], après plus de quatre mois de silence tant de la part de cette dernière que de Mme [D], que le 17 juin 2013 lorsqu'elle l'a informé qu'un financement avait été trouvé par l'intermédiaire de la société DH Finances Conseils et qu'emprunteur et prêteurs souhaitaient qu'il rédige les actes de prêt,

- aucun écrit émanant de sa part, antérieur à la date de signature des contrats de prêts, n'a pu influencer les prêteurs qui étaient conseillés spécifiquement sur cette question par la société DH Finances Conseils, chargée depuis plusieurs mois de trouver un prêteur,

- les appelants fondent leurs mises en cause de sa responsabilité sur des documents datés de janvier 2013, antérieurs à sa mise en relation tant avec Mme [F] qu'avec la société DH Finances Conseils et MM. [H] et [J],

- sa mission concernait exclusivement la rédaction des contrats de prêts à la demande conjointe de Mme [F], la société DH Finances Conseils et M. [H], dans le seul but de finaliser juridiquement la décision de prêt, qui avait été prise auparavant, sans son intervention, sur les documents établis en janvier 2013 par Mme [D] qui ont été déterminants,

- un premier versement a d'ailleurs été effectué par M. [H] avant son intervention,

- le chèque de 300 000 euros effectué par Mme [F] en guise de gratification, dont il n'est pas établi qu'il ait été frauduleux, est la conséquence et non la cause du versement de 100 000 euros qui avait pour but de concrétiser l'accord sur le prêt,

- le 27 juin 2013, M. [H] lui a demandé de ventiler le prêt de 900 000 euros en deux prêts dont l'un au nom d'[R] [J], un de ses amis,

- il s'est assuré auprès de la société DH Finances Conseils qu'il disposait de toutes les garanties dont il avait besoin, notamment par des documents émanant de Mme [D] antérieurs à son action,

- les parties étaient parfaitement informées de la portée de leurs engagements respectifs : montant des sommes prêtées, montant de l'intérêt, dates d'échéances, les modalités et mise en oeuvre des versements ayant été convenues spécifiquement par les parties et leurs banques respectives,

- il n'a pas à assumer la responsabilité professionnelle de la société DH Finances Conseils sous le prétexte qu'il est rédacteur d'acte,

- les versements directement à la banque Morgan Chase bank de New York étaient prévus dès le début de l'opération, le 3 janvier 2013, bien avant son intervention,

- les virements effectués par MM. [H] et [J] ne peuvent résulter d'une quelconque intervention de sa part et ne correspondent pas aux prêts qu'il a établis.

La société Zurich ajoute qu'il n'est pas démontré en quoi les courriers émanant de M. [U] ont pu avoir un rôle déterminant dans la décision prise par MM. [H] et [J] de donner à leur banque l'ordre de virer les fonds prêtés par eux à Mme [F] à la société Internationaly Bullion Ltd.

L'avocat, en sa qualité de rédacteur unique d'un acte, est tenu envers les parties à une obligation d'information et à un devoir de conseil, consistant à les informer et attirer leur attention sur les risques encourus au vu des dispositions contractuelles, mais également de s'assurer de la validité et de l'efficacité de l'acte.

M. [H] et les consorts [J] ne justifient pas de leur allégation selon laquelle M. [U] aurait attesté de la 'parfaite surface financière' de Mme [F] et il ne lui appartenait pas de vérifier la solvabilité de cette dernière sans demande en ce sens de la part des prêteurs.

Ils n'établissent pas davantage que M. [U] aurait été le rédacteur du contrat conclu entre Mme [F] et la société International Bullion ltd et ne peuvent donc pas lui opposer sur le fondement délictuel, un manquement contractuel de sa part commis à l'encontre de Mme [F] et qui leur aurait porté préjudice.

Les premiers juges ont à bon droit écarté tout manquement de l'avocat au motif qu'il n'a pas consigné les fonds prêtés sur son compte Carpa, alors qu'il n'avait aucune obligation de le faire dans le cadre d'un contrat de prêt dont il était seulement le rédacteur et au motif qu'il a simplement informé les prêteurs le 12 septembre 2014 d'un virement de fonds correspondant au remboursement du principal et des intérêts des prêts en précisant que la banque leur adresserait un justificatif de ce virement au cours de la semaine suivante.

Enfin, il ne saurait lui être reproché de ne pas leur avoir conseillé de choisir un autre avocat.

En revanche, il appartenait à l'avocat d'attirer l'attention des prêteurs sur l'absence de prise de garantie quant au remboursement du prêt par Mme [F] lors de la conclusion du prêt et de les mettre en garde contre les risques qu'ils prenaient à consentir un prêt d'un montant de 450 000 euros sans aucune garantie de l'emprunteur.

De même, il a manqué à son obligation de conseil et de prudence en adressant à M. [H], le 17 juin 2013 soit avant la conclusion du contrat de prêt, une ' gratification pour la finalisation du dossier' de 300 000 euros de la part de Mme [F] par chèque de banque du même jour en dollars de Hong-Kong tiré sur un compte HSBC Premier Hong-Kong mais encaissable à partir du 17 juillet 2013 seulement, sans s'interroger lui-même sur ce différé d'encaissement d'un chèque de banque et sur le caractère pour le moins curieux de cette gratification d'un montant particulièrement élevé et disproportionné au regard de la somme non encore prêtée, dont il n'est aucunement établi qu'elle aurait fait l'objet d'un accord entre les parties et dont il aurait dû craindre qu'elle soit adressée, sans avoir l'intention de la payer, le chèque s'étant révélé sans provision, à la seule fin de convaincre M. [H] de lui accorder un prêt et sans attirer l'attention de ce dernier sur ce point. Il a également manqué de diligence en ne vérifiant pas l'efficacité de ce chèque ou, à tout le moins, en ne conseillant pas à M. [H] d'attendre de percevoir cette somme avant de signer le prêt.

Une faute est, en conséquence, retenue à l'encontre de M. [U], en infirmation du jugement.

Sur le lien de causalité et le préjudice

M. [H] et les consorts [J] soutiennent que :

- l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les fautes professionnelles de Mme [D] et M. [U] et le préjudice des consorts [H] et [J] est établie en ce que :

$gt; si Mme [D] ne les avait pas rassurés quant au fait que sa cliente disposait, 'sans ambiguïté' de la capacité de rembourser massivement et rapidement le prêt litigieux, ils n'auraient jamais consenti à se départir des fonds en raison de l'importance des sommes en jeu, de surcroît, sans garantie réelle ou personnelle,

$gt; si M. [U] ne les avait pas rassurés, notamment, en leur adressant un chèque de 'caution' d'un montant de 300 000 euros, présenté par lui comme une garantie, ils n'auraient pas consenti à se départir des fonds,

$gt; par la production de courriers officiels et l'envoi d'un chèque de caution, ces derniers ont agi de concert et aboli leur vigilance au moment d'apprécier les risques éventuels de l'opération,

$gt; Mme [F] n'a jamais eu la capacité financière de rembourser le prêt, de plus fort en l'espace de trois semaines et moyennant une rémunération des plus alléchantes, comprise entre 10 % et 25 % des sommes prêtées,

- leur préjudice matériel est constitué par la perte des sommes prêtées et des intérêts légaux et conventionnels annuels de 10 %, la perte de chance de disposer des rémunérations convenues au titre de l'opération de prêt et la privation de la possibilité de placer les fonds dont ils se sont départis,

- ils ont également subi un préjudice moral.

Par note en délibéré, ils font valoir que :

- les lettres établies par Mme [D] ont largement eu le temps de circuler entre leurs mains avant qu'ils ne se départissent des fonds et ont joué un rôle déterminant en lien avec la remise des fonds consentie sans la moindre garantie,

- si Mme [D] n'avait pas été aussi affirmative et dithyrambique sur la capacité de remboursement rapide de Mme [F], les termes de la négociation auraient été différents puisqu'ils auraient exigé qu'elle consente des garanties de remboursement personnelles et/ou réelles et, à défaut, auraient renoncé à se départir des fonds,

- le même constat s'applique aux fautes imputées à M. [U],

- la société Zurich ne prouve aucunement qu'ils auraient eu la possibilité d'exécuter le jugement contre Mme [F], alors même qu'il n'existe aucun compte bancaire ouvert à son nom,

- ils ont perdu la chance de voir leurs créances garanties par une sûreté réelle et/ou personnelle permettant de surmonter l'insolvabilité de Mme [F].

Mme [D] fait valoir que :

- il n'existe aucun lien de causalité entre la faute d'imprudence qui lui est reprochée et les préjudices allégués,

- les appelants ne justifient pas de la transmission des lettres qu'elle a écrites en janvier 2013 et de leur caractère déterminant dans leur volonté d'octroyer des prêts à Mme [F] en juin 2013,

- les commission évoquées par Mme [D] n'ont pas été intégrées dans les contrats de prêt rédigés par M. [U],

- ils ne démontrent pas le sérieux de la perte de chance de percevoir des intérêts contractuels alléguée,

- à titre subsidiaire, elle sollicite la garantie de M. [U] qui a eu un rôle déterminant dans la rédaction du prêt.

Dans sa note en délibéré, elle observe que :

- en matière de perte de chance, le préjudice reste incertain tant que le créancier de la réparation dispose d'une voie de droit lui permettant d'éviter le préjudice ou de tenter de l'éviter,

- les appelants n'ont jamais établi la preuve d'une tentative d'exécution du titre exécutoire dont ils disposent à l'égard de Mme [F],

- la perte de chance de ne pas contracter est sans lien avec les manquements qui lui sont reprochés puisqu'elle n'a jamais été leur interlocuteur et qu'ils n'ont jamais soutenu et encore moins démontré qu'ils auraient été les destinataires de ses lettres officielles,

- il n'est pas établi que ces lettres auraient vicié leur consentement alors que l'architecte de l'opération complexe était la société DH Finances Conseils qui assurait l'interface entre eux et Mme [F] et sur laquelle reposait l'obligation contractuelle d'information exclusive,

- la perte de chance de ne pas contracter est sans lien avec le manquement qui lui est reproché dès lors qu'elle n'était plus en charge des intérêts de Mme [F] depuis janvier 2013,

- la perte de chance de ne pas avoir perçu les gains espérés ne peut correspondre à l'avantage qu'ils escomptaient retirer de l'opération projetée,

- les appelants, opérateurs avertis, ont tacitement accepté les risques qui pesaient sur la perception de leurs éventuels gains escomptés et dont la société DH Finances et Conseils les avaient avertis, de sorte qu'aucune perte de chance de ce chef ne peut être retenue.

M. [U] soutient que :

- la décision de prêter la somme d'un million d'euros à Mme [F] a été prise exclusivement sur le fondement des documents de janvier 2013 jugés déterminants par les appelants bien antérieurement à son intervention en juin 2013,

- d'ailleurs, un virement a été effectué le 18 juin 2013 soit avant qu'il ne poste le 19 juin la lettre reçue le 20 et contenant gratification au profit de M. [H],

- les versements opérés sans respecter les montants visés dans les prêts ne résultent pas d'une quelconque intervention de sa part,

- le préjudice n'est pas établi ni en relation de causalité directe avec une faute de sa part.

Par note en délibéré, il observe qu'aucune perte de chance de ne pas contracter ne peut être retenue par suite de son intervention alors que la décision des appelants de consentir à un prêt avait été prise avant son intervention et que l'absence de prêt aurait empêché l'opération plus importante d'achat d'or convoitée dans laquelle ils espéraient des gains très importants.

La société Zurich fait valoir que le préjudice résultant du défaut d'exécution par Mme [F] de son obligation de remboursement trouve sa cause directe et exclusive dans son insolvabilité et ne peut donc être imputé à une faute commise par l'un ou l'autre des avocats mis en cause à supposer qu'une telle faute soit caractérisée.

Dans sa note en délibéré, elle ajoute qu'il n'est pas démontré que les appelants ont eu connaissance des lettres de Mme [D] ni qu'en leur absence, ils auraient renoncé à prêter des fonds à Mme [F] et que s'agissant de M. [U], la décision de prêter de l'argent a été prise avant les actes qui lui sont reprochés à faute, ajoutant que le préjudice ne peut être qu'une perte de chance de ne pas consentir au prêt et non un défaut de remboursement des sommes prêtées.

Lorsque l'avocat a donné une information destinée à être diffusée aux cocontractants potentiels de son client sans respecter son obligation de prudence quant à son contenu ou lorsqu'il n'a pas rempli son devoir d'information et de conseil vis-à-vis des parties à l'acte dont la rédaction lui a été confiée, il doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec le manquement commis.

Les conséquences de ces manquements ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors qu'il n'est pas certain que mieux informé, la victime des obligations non respectées par l'avocat se serait trouvée dans une situation différente et plus avantageuse.

Il appartient aux appelants d'apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Le préjudice subi par les prêteurs est celui d'une perte de chance de ne pas accorder de prêt ou de l'accorder en exigeant des garanties de l'emprunteur.

Ce préjudice doit s'apprécier exclusivement au regard de la probabilité de cette renonciation ou de l'obtention de garantie de remboursement, sans avoir à envisager les perspectives de recouvrement de la créance au titre du prêt accordé.

Etant rappelé que l'action en responsabilité contre Mme [D] a été initiée par la société DH Finances Conseils qui a produit les lettres officielles rédigées par l'avocate aux débats, ni M. [H] ni les ayants droits d'[R] [J] qui sont intervenus volontairement à cette instance, n'établissent qu'ils ont eu connaissance de ces lettres avant la procédure judiciaire et donc que la société DH Finances Conseils leur avait transmis en juin 2013 les trois lettres officielles que Mme [F] lui avait adressées en janvier 2013 pour répondre aux interrogations d'un potentiel prêteur qui n'a pas donné de suite à son projet.

De surcroît, ils ne rapportent aucune preuve du rôle déterminant que les informations contenues dans ces lettres officielles auraient eu sur leur volonté de prêter de l'argent, étant relevé que ceux-ci n'auraient alors pas manqué de prévoir dans le contrat de prêt le bonus mentionné dans lesdites lettres, lequel est absent du contrat qui ne mentionne qu'un intérêt contractuel de 10 %.

Par ailleurs, il apparaît que la volonté de M. [H] de prêter de l'argent à Mme [F] s'est manifestée avant même que M. [U] n'intervienne pour rédiger l'acte de prêt, lequel tient en une seule page recto, puisque ce dernier a opéré un virement au profit de Mme [F] le 18 juin 2013 alors que le prêt n'a été signé que le 27 juin suivant de sorte qu'il n'est pas établi qu'informé sur les risques d'un prêt d'une somme de 450 000 euros sans garantie réelle ou personnelle, il aurait renoncé à prêter cette somme ou aurait conditionné son prêt à l'octroi d'une garantie.

De même, la transmission sans aucune mise en garde du chèque de gratification n'a eu aucune incidence sur la détermination de M. [H] à prêter de l'argent sans aucune garantie puisqu'il n'en a eu connaissance que postérieurement à son premier virement.

Enfin, il ressort des pièces produites que M. [H] avait initialement prévu de conclure seul le prêt de la somme de 900 000 euros, après avoir effectué un premier versement de 100 000 euros, ainsi qu'il ressort du projet de prêt en date du 26 juin 2013 établi par M. [U], que le lendemain à 12 h 25, M. [H] a adressé par courriel à l'avocat le passeport d'un second prêteur, [R] [J] et que par retour de courrier à 13 h 07, M. [U] lui a renvoyé les deux prêts de 450 000 euros, l'un en son nom, l'autre au nom d'[R] [J], en remplacement du précédent, aux fins de signatures.

Ainsi, [R] [J] s'est substitué en dernière minute à son ami, M. [H], aux fins de prêter la somme de 450 000 euros sans même avoir jamais rencontré M. [U] puisqu'il a signé le prêt envoyé par courriel et a même prêté une somme supérieure à celle mentionnée dans le contrat de prêt rédigé par l'avocat, puisque les virements qu'il a effectués s'élèvent à la somme totale de 650 000 euros.

Dès lors, les appelants échouent à établir l'existence d'une chance réelle et sérieuse, même minime, de renoncer à prêter des fonds à Mme [F] ou bien à exiger de sa part une garantie.

Par ailleurs, ils sollicitent la réparation d'un préjudice moral sans en déterminer le moindre élément de constitution et n'en rapportent donc pas l'existence ni en son principe ni en son montant.

En conséquence, ils sont déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts, en confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande de condamnation in solidum de Mme [F]

Le tribunal a condamné Mme [F] à payer à M. [H], d'une part, et aux ayants droit d'[R] [J], d'autre part, la somme de 450 000 euros avec intérêts au taux contractuel de 10 % à compter du 27 juin 2013, ces chefs du jugement n'étant pas remis en cause.

Au vu des seules conclusions des appelants signifiées le 9 août 2019 à Mme [F], M. [H] et les consorts [J] sollicitent sur le fondement de l'article 1382 du code civil, la condamnation in solidum de Mme [F] et des deux avocats à payer :

- la somme de 300 000 euros promise à titre de gratification sans mentionner de bénéficiaire,

- la somme de 137 500 euros sans plus de précision,

- la somme de 350 000 euros à M. [H],

- la somme de 650 000 euros aux héritiers [Y] [J],

- la somme de 150 000 euros à chacun d'eux, en réparation de leur préjudice compte tenu des sommes non perçues, du manque à gagner, de la perte de crédibilité causée auprès de leur banque.

Les appelants ne développent aucun moyen sur la faute reprochée à Mme [F] et sur le lien de causalité avec les préjudices allégués. Ils doivent en conséquence être déboutés de leurs demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [D] à l'encontre des consorts [H] et [J] pour procédure abusive

Une faute professionnelle ayant été retenue à l'encontre de Mme [D], celle-ci ne peut se prévaloir du caractère abusif de la procédure dirigée à son encontre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens d'appel doivent incomber in solidum à M. [H] et aux consorts [J], partie perdante.

En revanche, une faute professionnelle ayant été retenue à l'encontre de Mme [D] et M. [U], il n'y a pas lieu d'allouer ni à leur profit ni à celui de leur assureur une quelconque somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevables les demandes de M. [P] [H], de Mme [M] [J] et M. [O] [J] agissant en qualité d'ayants droit d'[R] [J],

Confirme le jugement en toutes ses dispositions dont appel par motifs substitués,

Y ajoutant,

Déboute M. [P] [H], Mme [M] [J] et M. [O] [J], pris en qualité d'ayants droit d'[R] [J] de leurs demandes à l'encontre de Mme [L] [F],

Condamne M. [P] [H], Mme [M] [J] et M. [O] [J], pris en qualité d'ayants droit d'[R] [J] in solidum aux dépens d'appel, dont distraction au profit de M. Sébastien Revault d'Allonnes,

Dit n'y avoir lieu à condamnation au profit de Mme [N] [D], de M. [X] [U] et de leur assureur la société de droit irlandais Zurich insurance plc, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/07562
Date de la décision : 13/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-13;19.07562 ?
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