REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00828 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5KA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Novembre 2020 -TJ de BOBIGNY RG n° 18/05698
APPELANTS
Monsieur [P] [H]
Domicilié [Adresse 3]
[Localité 2] ( ARABIE SAOUDITE )
né le 25 Juin 1945 à [Localité 5] ( ARABIE SAOUDITE )
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 et avocat plaidant Maître Julien TURCZYNSKI toque : A42
Madame [R] [Z] épouse [H]
[Adresse 3]
[Localité 2] ( ARABIE SAOUDITE )
née le 09 Mars 1951 à [Localité 6] ( EGYPTE )
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 et avocat plaidant Maître Julien TURCZYNSKI toque : A42
INTIME
LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE
Ayant ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Mme Sylvie CASTERMANS, Conseillère
M. Stanislas de CHERGÉ, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Edouard LOOS, président, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
M. et Mme [H] ont déposé une déclaration d'« impôt de solidarité sur la fortune » au titre de 1'année 2015 avec un courrier daté du le 6 août 2015 expliquant les raisons pour lesquelles, selon eux, ils n'avaient à acquitter aucune somme au titre de l'impôt.
Le 22 décembre 2015, l'administration fiscale a établi un avis de mise en recouvrement pour la somme de 394.828 euros dont 327.931 euros en principal.
Cette imposition a été contestée par M. et Mme [H] selon courrier du 18 janvier 2016 .
Leur réclamation n'a pas donne lieu à réponse.
Par acte du 20 mars 2018, M. et Mme [H] ont saisi le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de voir prononcer 1'annu1ation de l'avis de mise en recouvrement en date du 22 décembre 2015 et condamner l'État français au versement de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
* * *
Vu le jugement prononcé le 12 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny qui a statué comme suit :
- Déboute M. et Mme. [H] de leurs demandes,
- Condamne M. et Mme [H] aux entiers dépens.
Vu l'appel déclaré le 8 janvier 2021 par M. et Mme [H] ont interjeté appel du jugement.
Vu les dernières conclusions signifiées le 5 avril 2022 par M. et Mme. [H],
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 mars 2022, par le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris,
M. et Mme [H], demandent à la cour de statuer comme suit :
Vu l'article 122 du code de procédure civile, l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la CESDH et les articles 6§1 et 14 de la CESDH, l'article L. 55 et suivants du livre des procédures fiscales, les dispositions du BOI-CF-PGR-10-40 ;
- Juger les époux [H] recevables en leur appel et les dire bien fondés ;
- Infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- Annuler l'avis de mise en recouvrement en date du 22 décembre 2015 et, en conséquence, les décharger de cet avis ;
Juger irrecevable le moyen de l'administration tiré de l'examen des pièces justificatives du contribuable ;
En tout état de cause,
- Juger qu'ils sont exonérés de l'ISF pour l'année 2015 et ne sont redevables d'aucune somme à ce titre ;
- Condamner l'État à leur verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la selarl Bdl Avocats.
Le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris demande à la cour de statuer comme suit :
- Confirmer le jugement entrepris ;
- Débouter M.et Mme [H] de toutes leurs demandes fins et prétentions ;
- Condamner M. et Mme [H] à payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à tous les dépens d'appel.
SUR CE, LA COUR
a) Sur la clôture
La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 mai 2022.
Par conclusions du même jour, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture pour lui permettre de répliquer aux conclusions de l' appelant signifiées le 5 avril 2022.
Par conclusions signifiées le 11 mai 2022, les appelants s'y opposent .
Ceci étant exposé, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris disposait du temps nécessaire entre le 5 avril 2022 et le 9 mai 2022 pour répliquer aux conclusions de l'appelant . Il n'a pas plus sollicité le report du prononcé de la clôture .
En l'absence de toute cause grave postérieure au 9 mai 2022, il n'y a pas lieu de révoquer la clôture .
b) Sur la procédure,
Les époux [H] soutiennent que la procédure est irrégulière car l'administration a émis un avis de recouvrement alors qu'elle aurait dû user de la procédure contradictoire de recouvrement prévue à l'article 55 alinéa 1 du livre des procédures ficales .
Ils invoquent également le fait qu'ils ont déclaré et liquidé leur ISF au montant recouvré par l'administration et que l'annexe qu'ils ont rempli fait partie intégrale de leur déclaration.
L'administration fiscale réplique qu'elle n'a pas entendu corriger la déclaration des contribuables, raison pour laquelle elle n'a pas procédé à un avis de mise en recouvrement pour irrégularité. En revanche, la déclaration ISF 2015 faisait apparaître un montant de 327.931 euros restant à payer au titre de l'ISF. Ainsi, elle estime que c'est à bon droit qu'elle a procédé à l'avis de mise en recouvrement puisque la déclaration déposée comportait la liquidation de droits dus.
En ce qui concerne la note annexée à la déclaration, l'administration fait valoir sur le fondement de l'article 1727 II. 2 du code général des impôts, qu'elle est considérée comme une « mention expresse ». Elle soutient que l'imposition n'est que le résultat de la propre déclaration des contribuables.
Ceci étant exposé, par courrier reçu le 6 août 2015, les époux [H] ont adressé aux services fiscaux leur déclaration ISF 2015 chiffrant leur patrimoine à 25 316 075 euros et indiquant que le montant de leur ISF restant à payer s'élevait à 327 931 euros.
L'administration fiscale a émis un AMR le 30 novembre 2015 portant sur un montant de 394 828 euros correspondant en principal au montant déclaré par les époux [H] (327 931 euros) et à des pénalités de retard ( 66 897 euros).
L'article 55, alinéa 1er du livre des procédures fiscales est invoqué à tort par les époux [H] puisque l'AMR a été émis sur la base des chiffres donnés par les contribuables eux mêmes sans rectification. En l'absence de proposition de rectification, les premiers juges ont justement dit que la procédure était régulière. Le courrier daté du 4 août 2015 adressé par l'avocat des époux [H] aux services fiscaux ne justifie pa sà lui seul la mise en oeuvre de la procédure de proposition de rectification.
c) Sur la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH),
M. et Mme. [H] soutiennent qu'il y a une atteinte aux dispositions de la CESDH par l'administration fiscale en refusant de prendre en compte les justificatifs fournis dans le cadre de la procédure de recouvrement. Ils estiment que la procédure doit être appréciée au regard de la protection du droit de propriété, au droit à des garanties procédurales, au droit au procès équitable et à l'interdiction des discriminations fondées sur l'origine nationale.
L'administration fiscale conteste toute atteinte au droit de propriété, toute discrimination, toute violation des droits de la défense ainsi que tout manquement au droit à un procès équitable en rappelant que les contribuables avaient eux mêmes liquidé leurs droits .
Ceci étant exposé, il a été ci dessus exposé qu'il n'avait pas été nécessaire pour l'administration fiscale de recourir à la procédure de réhaussement . La violation du droit de propriété et le non respect des garanties procédurales ne sont dés lors pas caractérisés puisque l'administration fiscale a retenu les propres éléments fournis par les contribuables.
Par courrier daté du 30 octobre 2015 dénommé 'Lettre de motivation', l'administration fiscale a informé les époux [H] de ce qu'ils encouraient l'application des majorations de 10% + 10% pour ne pas avoir déposé leur déclaration dans les délais légaux en visant les articles 1728 et 1730-1 du code général des impôts . Il est rappelé aux contribuables qu'ils disposent d'un délai de 30 jours pour présenter leur observations en application de l'article L.80 D du livre des procédures fiscales et que passé ce délai, sauf acceptation des observations, les majorations seront mises en recouvrement . Les époux [H] ont répondu le 17 décembre 2015 en indiquant qu'ils contestaient être redevables de l'imposition.
L'atteinte dénoncée relative au droit à un procès équitable n'est pas caractérisée.
Concernant la discrimination , les époux [H] ont été soumis à la procédure prévue à l'article 885W du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'espèce. La procédure est celle applicable à tous les contribuables se trouvant dans une situation comparable. Le grief ainsi soulevé n'est pas caractérisé.
d) Sur l'ordonnance de Villers-Cotterêts,
M. et Mme [H] soutiennent que la jurisprudence autorise les pièces versées aux débats rédigée en anglais, l'application de l'édit de Villiers-Cotterêts étant limitée exclusivement aux actes de procédure. De plus, ils estiment qu'il est contradictoire pour l'administration de contester le contenu des justificatifs produits en anglais dans le cadre de la procédure d'appel, dès lors qu'elle reconnaît leurs compréhensions puisqu'elle les utilisent pour développer un nouveau moyen de défense devant la cour.
L'administration fiscale réplique que le français s'impose comme seule langue de l'administration. Puisque les justificatifs accompagnants la déclaration rédigés en anglais n'ont pas été traduits, ils ne sont donc pas recevables. Elle soutient n'avoir jamais été destinataire de prétendus justificatifs traduits en français.
Ceci étant exposé, l'ordonnance de Villers -Cotterêts impose l'usage de la langue française dans les documents officiels .
Les services fiscaux ne peuvent pas se prévaloir de cette ordonnance pour demander que soient déclarés irrecevables les documents en langue anglaise qui lui ont été adressés par les époux
[H] pour contester être redevables de l'imposition ayant fait l'objet de l'émission de l'AMR du 30 novembre 2015 dés lors que ces documents sont compréhensibles et n'ont pas fait l'objet d'une demande de traduction devant les premiers juges .
e) Sur le fond
Les contribuables étrangers font valoir, sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile, que l'administration est irrecevable à soulever en cause d'appel que les contribuables ne peuvent pas bénéficier de l'exemption prévue à l'article 14A de la convention fiscale franco-saoudienne au regard des justificatifs produits. Ils estiment que l'administration disposait de 3ans à compter de la date de la déclaration pour contester ou redresser les déclarations du contribuable sur le fondement du BOI-CF-PGR-10-40. Ainsi, elle ne peut se prévaloir d'une procédure contradictoire prescrite et la substituer en une procédure de recouvrement.
L'administration fiscale réplique que les contribuables ne remplissent pas les conditions posées à l'article 14 A de la convention franco-saoudienne. En effet, après examen des justificatifs, les actions détenues dans les pays hors Union européenne et la valeur des titres détenus depuis moins de 183 jours ne doivent pas être retenus dans le montant des actifs éligibles au dispositif sus-visé. C'est à ce titre qu'ils sont ainsi imposables à l'ISF.
Ceci étant exposé , les époux [H] qui ont contesté le montant de leur imposition ne peuvent soutenir que l'administration fiscale serait prescrite à soutenir que les sommes mises en recouvrement seraient effectivement dues .
La convention franco saoudiene du 18 février 1982 passee entre la France et le royaume d'Arabie saoudite a pour but d'éviter les doubles impositions et stipule 'que les residents d'Arabie saoudite peuvent bénéficier d'une exonération d'impôt de solidarité sur la fortune a raison de leur fortune constituée par des biens immobiliers situes en France, a condition que la valeur de celle-ci soit inferieure a la valeur de la fortune mobiliere qu'ils détiennent dans ce même Etat'.
Selon les époux [H] au 1er janvier 2015, la valeur de leurs actifs immobiliers en France s'élevait à 25 316 075 euros et la valeur de leur placement se chiffrait à 25 615 191 euros .
Les services fiscaux sont bien fondés à soutenir que les placements hors état membre de l'UE ne peuvent pas être pris en compte et que la somme de 147 212 euros correspondant à des actions détenues en Suisse doit être déduite.
De plus, selon une condition de permanence prévue dans la convention franco saoudienne, les titres doivent avoir été détenus 'plus de 183 jours au cours de l'année civile précédant immédiatement la date du fait générateur de l'impôt.' . Cette condition conduit à exclure une somme de 948 551 euros correspondant à des titres détenus au sein de la Banque Barclay's correspondat à des acquisitions postérieures au 3 juillet 2014.
Il s'en déduit que la valeur des placements éligibles à la convention franco-saoudienne est inférieure à la valeur des actifs immobiliers .
Le jugement déféré doit ainsi être confirmé .
f) Sur l'article 700 du ciode de procédure civile
Une indemnité doit être allouée à l'intimé sur ce fondement
PAR CES MOTIFS
REJETTE la demande de révocation de l'ordonnance de clôture;
CONFIRME le jugement déféré;
CONDAMNE solidairement M. [P] [H] et Mme [R] [Z] épouse [H] à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes;
CONDAMNE solidairement M. [P] [H] et Mme [R] [Z] épouse [H] aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS