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08/09/2022 | FRANCE | N°20/16386

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 08 septembre 2022, 20/16386


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 08 SEPTEMBRE 2022



(n° /2022, pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/16386

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUT5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 octobre 2020 - TJ de CRETEIL

RG n° 28/10/2020



APPELANT



Monsieur [G] [T]

[Adresse 5]

[Localité 1]

né le [Date na

issance 3] 1988 à [Localité 10] (62)

représenté par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

assisté par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS



INTIMES



Monsi...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 08 SEPTEMBRE 2022

(n° /2022, pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/16386

N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUT5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 octobre 2020 - TJ de CRETEIL

RG n° 28/10/2020

APPELANT

Monsieur [G] [T]

[Adresse 5]

[Localité 1]

né le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 10] (62)

représenté par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

assisté par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [F] [L]

[Adresse 7]

[Localité 9]

né le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 13] (22)

représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

assisté par Me Guillaume FOURRIER, avocat au barreau de PARIS

CPAM DES CÔTES D'ARMOR représentée par la CPAM D'ILE ET VILAINE

[Adresse 11]

[Localité 4]

représenté par Me Catherine CAHEN-SALVADOR, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 409

ayant pour avocat plaidant Me Antoine DI PALMA, avocat au barreau de RENNES

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES (FGAO)

[Adresse 6]

[Localité 8]

représentée par Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124

assisté par Me Alexandra ROMATIF, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre, et devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre assesseur chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Sophie BARDIAU, conseillère

Greffière lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 19 septembre 2015 vers 8 heures du matin, sur la [Adresse 12], à [Localité 9], en Corse, M. [F] [L] a été blessé dans un accident de la circulation dans lequel était seul impliquée la motocyclette sur laquelle il avait pris place avec M. [G] [T], propriétaire de l'engin.

M. [L], soutenant qu'il était passager de la motocyclette et non conducteur de celle-ci, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil afin d'obtenir la mise en oeuvre d'une expertise médicale ainsi que la condamnation de M. [T] à lui verser une provision de 50 000 euros.

Par ordonnance du 13 juin 2017, le juge des référés a ordonné une expertise médicale, confiée au Dr [O] et a débouté M. [L] de sa demande de versement d'une indemnité provisionnelle en raison de l'existence d'une contestation sérieuse.

Le Docteur [O] a établi son rapport le 15 mars 2018 et a constaté que l'état de M. [L] n'était pas consolidé.

Par jugement définitif du 21 février 2020, le tribunal correctionnel de Bastia a relaxé partiellement M. [T] pour les faits de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique, fait commis à Bastia le 19 septembre 2015 à 07h50 et déclaré M. [T] coupable du chef de circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance et de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, commis le 19 septembre 2015 à 7 h 50 à Bastia.

Par acte d'huissier en date des 12 et 15 janvier 2018, M. [L] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Créteil M. [T], le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) et la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor (la CPAM).

Le FGAO est intervenu volontairement à l'instance.

Par jugement du 28 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Créteil a :

- déclaré M. [T] tenu d'indemniser l'entier préjudice de M. [L] consécutif à l'accident de la circulation dont il a été victime «le 18 septembre 2015» à [Localité 9],

- dit qu'il n'y a pas de discussion sur l'implication de la motocyclette de M. [T] dans l'accident et que les parties s'opposent seulement sur la qualité de conducteur ou de passager de M. [L],

- déclaré le jugement commun à la CPAM,

- déclaré le jugement opposable au FGAO,

- ordonné, avant dire droit sur la liquidation des préjudices, une expertise médicale complémentaire concernant M. [L] confiée au Docteur [O],

- condamné M. [T] à payer à M. [L] la somme de 75 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état.

Par déclaration du 19 novembre 2020, M. [T] a interjeté appel de cette décision en critiquant chacune de ses dispositions.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions de M. [T], notifiées le 1er juillet 2021, aux termes desquelles il demande à la cour, au visa de la loi du 5 juillet 1985, de :

- infirmer le jugement rendu le 28 octobre 2020,

Et, statuant à nouveau,

- constater que M. [L] était le conducteur de la motocyclette lors de l'accident, non casqué, sans permis et en état d'ébriété,

- constater que la faute inexcusable de M. [L] en utilisant la motocyclette sans permis de conduire est à l'origine de l'accident de la circulation,

- rejeter purement et simplement la demande d'indemnisation de M. [L],

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Vu les conclusions de M. [L], notifiées le 23 décembre 2021, aux termes desquelles il demande à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

Vu l'article 566 du code de procédure civile,

- constater que M. [L] a été victime d'un grave accident de la circulation le 19 septembre 2015 alors qu'il était passager transporté de la motocyclette conduite par M. [T] qui ne démontre pas que M. [L] serait conducteur lors de l'accident,

- rejeter l'appel incident du FGAO tendant à obtenir une mesure d'expertise,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions notamment en ce qu'il a :

- déclaré M. [T] tenu d'indemniser l'entier préjudice de M [L] consécutif à l'accident de la circulation dont il a été victime le 18 septembre 2015 à [Localité 9],

- déclaré le présent jugement commun à la CPAM,

- déclaré le présent jugement opposable au FGAO,

- ordonné, avant dire droit sur la liquidation des préjudices, une expertise médicale,

- condamné M. [T] à payer à M. [L] la somme de 75 000 euros au titre de l'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice,

Y ajoutant,

- débouter M. [T] et le FGAO de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires,

- condamner M. [T] et le FGAO à verser à M [L] la somme de 150 000 euros à titre de nouvelle provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- condamner M. [T] et le FGAO à verser à M [L] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

Vu les conclusions du FGAO, notifiées le 3 décembre 2021, aux termes desquelles il demande à la cour de :

Vu l'article 784 du code de procédure civile,

Vu les articles 42, 46, 808 et 145 du code de procédure civile,

Vu les articles R.421-14 et suivants du code des assurances,

Vu les dispositions de la loi du 5 juillet 1985,

A titre principal,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que M. [L] avait la qualité de conducteur du véhicule terrestre à moteur,

- dire et juger que M. [L] a commis des fautes de nature à exclure son droit à indemnisation,

En conséquence,

- débouter M. [L] et la CPAM de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- ordonner la restitution des provisions versées à M. [L] au FGAO,

- dire que les dépens de la présente instante demeureront à la charge de M. [L],

A titre subsidiaire,

- ordonner avant dire droit une expertise en accidentologie avec la mission détaillée dans les motifs des conclusions,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que M. [L] est irrecevable et mal fondé à solliciter l'infirmation de la décision de première instance quant au montant de l'indemnité provisionnelle,

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes.

Vu les conclusions de la CPAM, représentée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, notifiées le 4 mai 2021, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

Vu l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale,

Vu l'article 1343-2 du code civil,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner M. [T] à verser à la CPAM la somme de 249 132,48 euros, montant de ses débours provisoires, ladite somme avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir et jusqu'à parfait paiement, et la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civile, se décomposant comme suit (...) [suit le détail des prestations réclamées au titre des frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques d'appareillage et de transport et des indemnités journalières],

- donner acte à la CPAM de ses réserves quant au chiffrage de ses frais futurs,

- condamner M. [T] à verser à la CPAM la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] à verser à la CPAM la somme de 1098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

- condamner M. [T] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Cahen Salvador, avocat,

- «ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir».

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal correctionnel de Bastia du 21 février 2020

La cour a invité les parties à conclure sur l'autorité de chose jugée attachée au jugement pénal du 21 février 2020 ayant condamné notamment M. [T] pour des faits de conduite sous l'emprise d'un état alcoolique commis le 15 septembre 2015 7h50 à [Localité 9].

M. [L] a, par note en délibéré du 28 mars 2022, fait valoir que le tribunal correctionnel de Bastia a définitivement condamné M. [T] pour avoir conduit sa motocyclette le 19 septembre 2015 à 7h50 sans assurance et sous l'empire d'un état alcoolique, que les faits sur lesquels la cour doit se prononcer sont précisément ceux survenus le 19 septembre 2015 à 7h50, et qu'au regard du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, la cour ne pourra que débouter M. [T] et le FGAO de leur appel, la question de l'identité du conducteur à 7h50 au moment de l'accident ayant été définitivement tranchée comme étant celle de M. [T].

Le FGAO et M. [T] ont fait valoir par notes en délibéré en date des 5 et 8 avril 2022 qu'il existe une contradiction manifeste dans le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bastia le 22 décembre 2020 qui a, dans son dispositif, condamné M. [T] du chef de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique commis le 19 septembre 2015 à 7h50 et relaxé M. [T] du chef de blessures involontaires par conducteur d'un véhicule terrestre à moteur au préjudice de M. [L] commises le 19 septembre 2015 à 7h50.

Ils soulignent qu'à la lecture des motifs de la décision pénale, ce jugement doit être compris comme ayant jugé qu'au cours de la soirée, M. [T] avait conduit sous l'emprise de l'alcool, non pas à l'heure de l'accident mais avant qu'il ne prête sa motocyclette à M. [L] ; ils ajoutent que les motifs de la décision du tribunal correctionnel de Bastia qui sont contradictoires avec le dispositif ne peuvent être considérés comme en étant le soutien nécessaire.

Ils estiment qu'en tout état de cause que la question de savoir si M. [L] avait la qualité de conducteur au moment des faits n'a pas été tranchée par la juridiction répressive qui n'avait à s'interroger que sur celle de M. [T].

Sur ce, l' autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

En l'espèce, dans son jugement du 21 février 2020, le tribunal correctionnel de Bastia, a, d'une part, relaxé M. [T] du chef de blessures volontaires par conducteur d'un véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique, commis sur la personne de M. [L] le 19 septembre 2016 à 7h50 à Bastia, après avoir relevé dans ses motifs que le prévenu et la partie civiles se désignaient mutuellement comme étant le conducteur de la motocyclette au moment de l'accident et estimé «que toutes les hypothèses sont possibles, y compris celles dépassant toute logique» et d'autre part, condamné M. [T] du chef de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique commis le 19 septembre 2015 à 7h50, soit au jour et à l'heure de l'accident.

Compte tenu de l'ambiguïté affectant cette décision, il ne peut être retenu qu'elle a nécessairement et certainement décidé que M. [T] n'avait pas la qualité de conducteur lors de l'accident dont a été victime M. [L] le 19 septembre 2015 à 7h50.

Sur le droit à indemnisation de M. [L]

M. [T] et le FGAO font valoir en substance qu'il résulte de la procédure pénale, du rapport d'accidentologie du cabinet Equad établi à la demande du FGAO et de l'avis du médecin-conseil de ce dernier que M. [L] était le conducteur de la motocyclette impliquée dans l'accident et M. [T] son passager

Le FGAO soutient que M. [L], conducteur non casqué et fortement alcoolisé de la motocyclette qui en a perdu le contrôle a commis des fautes justifiant l'exclusion de son droit à indemnisation en application de l'article 4 de la loi du juillet 1985.

M. [T] ajoute que si le propriétaire d'un véhicule est présumé en être le gardien, il s'agit d'une présomption simple qui peut être combattue par tout moyen et qu'il est établi en l'espèce qu'il n'était pas gardien du véhicule au moment de l'accident, il avance que M. [L] qui n'avait le permis de conduire, ce qui explique son défaut de maîtrise, qui était fortement alcoolisé et n'avait pas de casque de protection s'est délibérément mis en danger et a commis une faute inexcusable qui est seule à l'origine de l'accident.

Le FGAO qui conclut principalement au rejet des demandes de M. [L] sollicite à titre subsidiaire la mise en oeuvre d'une expertise en accidentologie.

Sur ce, il résulte des articles 1 et 2 de la loi n° 85-77 du 5 juillet 1985 que le conducteur ou le gardien d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation est tenu d'indemniser les victimes de cet accident dont les droits ne peuvent être exclu ou réduit que dans conditions prévues à l'article 4, s'agissant des victimes conductrices et à l'article 3, s'agissant des victimes non conductrices.

Par ailleurs, s'il incombe à la victime d'un accident de la circulation de prouver l'implication d'un véhicule, c'est au gardien du véhicule impliqué d'apporter la preuve que la victime avait la qualité de conducteur de ce véhicule, étant rappelé que le propriétaire d'un véhicule est présumé en être le gardien.

En l'espèce, il résulte de l'enquête pénale que l'accident s'est produit le 19 septembre 2015, vers 8 heures, à [Localité 9] sur la [Adresse 12] qui est une route bidirectionnelle.

Il résulte du procès-verbal de transport et de constatations établi le jour de l'accident que la motocyclette qui transportait M. [T] et M. [L] circulait sur la [Adresse 12] en direction des hauteurs de [Localité 9], que le conducteur a perdu le contrôle du véhicule au niveau des ralentisseurs et que les deux occupants ont été éjectés, finissant leurs courses dans des murets longeant la route.

Les fonctionnaires de police ont relevé que la motocyclette impliquée dans l'accident présentait un choc avant important et ont recueilli sur les lieux de l'accident les premières déclarations de M. [T], propriétaire de la motocyclette, qui a confirmé son identité et indiqué que «l'autre personne» était le conducteur du deux roues.

Les services de police ont établi un croquis de l'accident dont il résulte que M. [L] a été retrouvé à proximité de la motocyclette accidentée, que M. [T] a été projeté plus loin à une distance de 5 m35 d'un panneau publicitaire, qu'ils ont identifiés trois points de choc dont deux sur un muret le dernier sur le panneau publicitaire, que certains équipements de la motocyclette ont été dispersés, notamment la selle de la motocyclette, un casque, sa visière, et le compteur de l'engin ; sont également dessinés sur ce croquis deux traces de ripage de 10 m 50 et 2 m 10.

Les analyses de sang pratiquées ont révélé que M. [T] présentait un taux d'alcoolémie de 1,86 g/l et M. [L] un taux de 1,36 g/l.

M. [L], entendu à plusieurs reprises par les services de police a toujours nié avoir été été le conducteur de la motocyclette.

Il a expliqué lors de sa première audition le 5 avril 2016 : « Je me trouvais passager de la moto Susuki conduite par M. [G] [T]. Les conditions de circulation étaient favorables. On est partis du vieux port de [Localité 9] et allions vers la citadelle. Je ne portais pas de casque de sécurité. Il était convenu que nous fassions environ 800 mètres jusqu'à mon domicile. Il a décidé de continuer et il m'a dit qu'on allait faire un tour. J'ai le souvenir qu'il a franchi un ralentisseur qui lui a fait perdre le contrôle de la moto. Je ne me souviens plus de la suite des événements. J'ai perdu connaissance».

De nouveau entendu le 17 septembre 2018, il a précisé qu'il n'avait jamais eu de grosse cylindrée et n'en avait jamais conduit, ayant seulement eu une mobylette à l'âge de 14 ans ; il a ajouté, ce qu'ont confirmé ses proches, qu'il n'avait jamais envisagé de passer son permis de moto, ses deux oncles paternels, tous deux motards, ayant été victimes de graves accidents.

Il a précisé que M. [T] avait son casque mais qu'il ne se souvenait pas s'il l'avait mis sur sa tête ou s'il le portait à la main.

M. [B], témoin direct de l'accident qui circulait en sens inverse, a expliqué dans son audition le 19 septembre 2015 : «J'ai remarqué une moto qui circulait à très vive allure dans le sens montant ; qui a décollé ses roues lorsqu'il a roulé sur le ralentisseur et a fini sa course dans le panneau puis un muret en béton. A bord se trouvaient deux individus non porteur de casque pour le conducteur (...)».

Réentendu le 26 février 2016 puis le 16 janvier 2019, M. [B] a précisé ne pas être en mesure d'indiquer qui était le conducteur du véhicule et précisé se souvenir que les deux occupants de la motocyclettes n'étaient pas porteurs d'un casque.

Deux autres témoins ont été entendus ultérieurement, à savoir Mme [N] et M. [K] qui n'ont pas assisté à l'accident mais auraient vu le jour des faits la moto et ses occupants.

Mme [N], entendue le 4 février 2019, a affirmé avoir vu de sa fenêtre arriver une grosse moto dont le conducteur n'avait pas de casque et le passager arrière avait la tête recouverte de «quelque chose de couleur sombre», précisant qu'il s'agissait peut-être d'un casque mais sans certitude.

M. [K] a expliqué être sorti de son domicile le samedi 19 septembre 2015 aux alentours de 7h45 pour aller chercher des croissants et, alors qu'il traversait la [Adresse 12], pour rejoindre la boulangerie, avoir eu son attention attirée par le bruit d'un moteur puissant et avoir vu une moto ou un gros scooter monté par deux individus dont aucun n'était casqué, précisant que le passager portait une espèce de coupe-vent bleu avec une capuche.

Contrairement à ce que soutiennent M. [T] et le FGAO ni les constatations réalisées par les fonctionnaires de police ni les témoignages recueillis, ci-dessus rapportés, ne permettent d'établir de manière certaine que M. [L] était le conducteur de la motocyclette au moment de l'accident, étant observé que l'affirmation selon laquelle le passager du véhicule serait nécessairement M. [T] qui seul portait un casque ne peut être considérée comme établie alors que M. [B] a indiqué qu'aucun des deux occupants ne portait de casque.

M. [L] comme le FGAO ont fait établir un rapport d'expertise en accidentologie.

L'expert désigné par M. [L], M. [M], a relevé que le croquis établi par les services de police n'était pas à l'échelle, que le dossier pénal souffrait d'un manque de détails relevés sur la scène de l'accident, qu'on ne pouvait identifier avec certitude le pilote de la moto et qu'il existait au moins deux configurations dans lesquelles M. [L] était le passager de la motocyclette.

Le cabinet Equad, désigné par le FGAO, a conclu son rapport en relevant qu'à l'issue de l'analyse complète des données disponibles, il n'existait pas d'élément non médical du dossier permettant d'identifier avec certitude le pilote de la moto mais que l'étude balistique favorisait le scénario suivant lequel M. [T] était passager.

Les deux experts admettant l'un comme l'autre ne pouvoir conclure avec certitude, leurs rapports qui n'évoquent que des scénarios ne permettent pas de démontrer qui de M. [L] ou de M. [T] pilotait la motocyclette au moment de l'accident.

Il n'y a pas lieu, contrairement à la demande du FGAO, d'ordonner une expertise en accidentologie qui n'est pas de nature à apporter un éclairage utile alors que l'accident a eu lieu il y cinq ans, que selon les éléments de la procédure pénale la motocyclette a été détruite et que le croquis de l'accident n'est pas à l'échelle et ne comporte que quelques données limitées relatives aux distances.

Quant à l'avis du Docteur [H], médecin-conseil du FGAO (pièce n° 6), force est de constater qu'il ne repose sur aucune analyse des blessures et lésions relevant de la science médicale et ne peut emporter la conviction.

Il résulte de ce qui précède que M. [T], propriétaire et présumé gardien de la motocyclette échoue à rapporter la preuve que M. [L] était le conducteur de ce véhicule au moment de l'accident.

M. [L] a ainsi droit à l'indemnisation intégrale de ses préjudices sauf à démontrer qu'il a commis une faute inexcusable cause exclusive de l'accident ou qu'il a volontairement recherché le dommage qu'il a subi.

Or la faute d'imprudence reconnue par M. [L] et consistant à être monté sans casque et en état d'ébriété sur la motocyclette de M. [T] ne constitue ni une faute inexcusable ni la cause exclusive de l'accident lié au défaut de maîtrise du conducteur en franchissant les avertisseurs positionnés sur la route.

Par ailleurs la prise de risque de M. [L] ne caractérise pas une recherche volontaire du dommage qu'il a subi.

Le jugement qui a déclaré M. [T] tenu d'indemniser l'entier préjudice de M. [L] sera confirmé sauf à préciser que cet accident est survenu le 19 septembre 2015 et non le 18 septembre 2015 comme mentionné par erreur dans le dispositif de la décision.

Sur l'expertise médicale

Compte tenu des lésions consécutives à l'accident, objectivées par les certificats médicaux et le rapport d'expertise du 15 mars 2018 , il convient de confirmer le jugement qui a ordonné une mesure d'expertise médicale complémentaire.

Sur la demande de provision de M. [L]

* Sur la recevabilité de la demande

Le FGAO soutient que la demande de M. [L] tendant à obtenir l'allocation d'une provision complémentaire de 150 000 euros est irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, faute d'avoir été présentée dans ses premières conclusions notifiées le 4 mai 2021.

M. [L] qui sollicite en sus de la provision de 75 000 euros allouée par les premiers juges une indemnité provisionnelle complémentaire de 150 000 euros évaluée en fonction des conclusions du rapport d'expertise définitif du Docteur [O], objecte que cette demande est recevable en application de l'article 566 du code de procédure civile et qu'à l'évidence, elle ne pouvait pas être formulée dans ses conclusions du 4 mai 2021 alors que les conclusions médicales de l'expert n'étaient pas connues.

Sur ce, aux termes de l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevé d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle ont été formées des prétentions ultérieures.

En application de l'alinéa 2 de ce texte, l'irrecevabilité prévue par ce texte ne s'applique pas aux prétentions destinées à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Le rapport d'expertise définitif du Docteur [O], qui permet de fixer la date de consolidation des lésions et de quantifier les préjudices subis par M. [L], ayant été établi le 18 octobre 2021, postérieurement aux premières conclusions d'intimé de M. [L], il convient de retenir que le dépôt de ce rapport constitue un fait nouveau justifiant la recevabilité de la demande de provision de la victime.

* Sur le bien fondé de la demande

Il convient d'abord de relever que la demande en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du FGAO est mal fondée.

En effet, il résulte de l'article R. 421-15 du code des assurances qu'il n'appartient pas aux tribunaux de condamner le FGAO conjointement ou solidairement avec le responsable mais seulement de lui déclarer opposable les condamnations prononcées.

Au vu de l'importance des préjudices caractérisés par le rapport d'expertise définitif du Docteur [O], il convient de réformer le jugement et d'allouer à M. [L] une indemnité provisionnelle d'un montant de 100 000 euros.

Sur le recours de la CPAM

La CPAM demande que M. [T] soit condamné à lui verser la somme de 249 132,48 euros, correspondant au montant de ses débours provisoires, ladite somme avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir et jusqu'à parfait paiement, et la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

En application des dispositions des articles 29 à 31 de la loi du 5 juillet 1985, il est nécessaire pour statuer sur le recours subrogatoire de la CPAM d'évaluer préalablement, poste par poste, les préjudices de la victime sur lesquels les prestations servies doivent s'imputer.

Les demandes de la CPAM tendant à obtenir le remboursement des prestations servies à M. [L] selon son décompte de créance provisoire du 18 mai 2017 et le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L.376'1 du code de la sécurité sociale sont ainsi prématurées.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a réservé ces demandes.

Sur les demandes annexes

Il convient de déclarer le présent arrêt opposable au FGAO.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

M. [T] qui succombe en son recours et qui est tenu à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel, étant rappelé que le FGAO ne peut être condamné aux dépens qui ne figurent pas au rang des charges qu'il est tenu d'assurer.

L'équité commande d'allouer à M. [L] en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

- Confirme le jugement déféré, hormis sur le montant de la provision allouée à M. [F] [L] et sauf à préciser que l'accident dont a été victime M. [F] [L] est survenu le 19 septembre 2015 et non le 18 septembre 2015 comme mentionné par erreur,

Statuant à nouveau sur le point infirmé et y ajoutant,

- Déclare recevable la demande de provision présentée par M. [F] [L],

- Déboute M. [F] [L] de sa demande provision en ce qu'elle est dirigée à l'encontre du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages,

- Condamne M. [G] [T] à payer à M. [F] [L], sommes versées au titre de l'exécution provisoire non déduites, une indemnité provisionnelle de 100 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

- Déclare le présent arrêt opposable au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages,

- Condamne M. [G] [T] à payer à M. [F] [L] en application de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- Condamne M. [G] [T] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 20/16386
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;20.16386 ?
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