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07/09/2022 | FRANCE | N°19/08035

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 07 septembre 2022, 19/08035


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08035 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CALL4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 16/10163



APPELANTE



SAS DOMUSVI DOMICILE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Re

présentée par Me Natacha LE QUINTREC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0768



INTIMEE



Madame [N] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sibel ESEN, avocat au b...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08035 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CALL4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 16/10163

APPELANTE

SAS DOMUSVI DOMICILE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Natacha LE QUINTREC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0768

INTIMEE

Madame [N] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sibel ESEN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

La SAS Domusvi domicile est une entreprise de services à domicile pour les personnes âgées. Elle applique la convention collective des services à la personne et emploie habituellement plus de dix salariés.

Par contrat à durée indéterminée du 5 septembre 2011, Mme [N] [I] a été engagée par la société Domusvi domicile au poste d'assistante administrative. Ce contrat de travail, comme l'avenant postérieur du 1er janvier 2013 comportaient une clause de mobilité dans un rayon de 35 kilomètres par rapport à la localisation initiale du poste.

Dans le dernier état de la relation de travail, Mme [I] percevait un salaire moyen de 2.374,36 euros brut.

Par courrier du 19 mai 2016, l'employeur a notifié à la salariée sa convocation pour un entretien préalable à un éventuel licenciement assortie d'une mise à pied conservatoire. Cet entretien ne s'est pas tenu en raison de l'arrêt maladie de la salariée. Le 4 juillet suivant, cette dernière a été convoquée à un nouvel entretien préalable qui a eu lieu le 12 sans qu'une décision de licenciement soit prise à l'issue.

Par requête du 22 septembre 2016, faisant état de manquements de la société tenant notamment à la durée excessive de sa mise à pied conservatoire, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 24 novembre 2017, le médecin du travail a déclaré la salariée inapte avec une impossibilité de reclassement. Le 17 janvier 2018, elle a été licenciée pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

Par jugement du 11 juin 2019, le juge départiteur, qui ordonnait la résiliation du contrat dans le corps de sa motivation sans répondre expressément à ce chef de demande dans le dispositif de la décision, condamnait l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés afférents ainsi qu'à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, aux frais irrépétibles et aux dépens. La salariée était en revanche déboutée du surplus de ses demandes.

Le lundi 15 juillet 2019, la société Domusvi domicile a fait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 13 juin précédent.

Par conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 octobre 2019, la société demande à la cour d'infirmer le jugement sauf sur le rejet des demandes de la salariée et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- débouter Mme [I] de ses demandes ;

- condamner Mme [I] au paiement de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 janvier 2020, Mme [I] demande à la cour de confirmer le jugement prud'homal sur la résiliation, sur le montant de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, sur les documents de fin de contrat et les frais irrépétibles mais de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- condamner la société Domusvi domicile à lui payer 21.600 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Domusvi domicile à lui payer 10.800 euros de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- condamner la société Domusvi domicile à lui payer 10.800 euros de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de loyauté ;

- condamner la société Domusvi domicile aux intérêts légaux ;

- condamner la société Domusvi domicile à lui payer 2.500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, outre les dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet du litige.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 : Sur la rupture du contrat de travail

1.1 : Sur le principe de la résiliation

L'action en résiliation judiciaire ne met pas fin au contrat de travail et implique la poursuite des relations contractuelles dans l'attente de la décision. Si le salarié est licencié avant qu'intervienne la décision judiciaire sur une demande de résiliation présentée avant la notification du licenciement, les juges doivent, en premier lieu, rechercher si la demande de résiliation était justifiée et c'est seulement dans le cas où ils estiment que la demande de résiliation judiciaire n'est pas justifiée qu'ils se prononcent sur le licenciement notifié par l'employeur postérieurement à la saisine. Si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge prononce la résiliation avec effets à la date d'envoi de la notification du licenciement. Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts dont la preuve incombe au salarié doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. La réalité et la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont souverainement appréciés par les juges du fond. La rupture du contrat de travail par résiliation judiciaire aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul, le cas échéant.

Par ailleurs, s'agissant d'une décision prise dans l'attente d'un éventuel licenciement disciplinaire qui doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits litigieux, la mise à pied conservatoire est une mesure nécessairement courte. Sa levée peut intervenir sans formalisme s'il résulte des circonstances que le salarié ne peut pas ignorer la volonté certaine de l'employeur de le voir réintégrer son poste.

En outre, en présence d'une clause de mobilité, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, imposer unilatéralement une modification du lieu de travail du salarié.

Au cas présent, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire le 19 mai 2016, le courrier notifiant cette mesure précisant que la dispense d'activité courait 'jusqu'à nouvel ordre', expression qui était de nouveau utilisée dans un courrier du 4 juillet suivant. En outre, le 21 juin la salariée qui revenait travailler au terme de son arrêt maladie s'est entendu dire qu'elle était toujours mise à pied et a été renvoyée chez elle. Par la suite, cette mesure conservatoire n'a pas été expressément levée à l'issue de l'entretien préalable du 12 juillet. En outre l'employeur ne démontre pas avoir répondu aux courriels de la salariée du 25 juillet et du 10 octobre 2016 aux termes desquels cette dernière lui demandait de préciser les conséquences qu'il entendait tirer de l'entretien préalable au licenciement. Enfin, c'est seulement par un courrier du 15 novembre suivant que l'employeur a expressément invité la salariée à reprendre son travail.

Dans ce contexte, le versement reçu le 5 août 2016 d'un rappel de salaire pour la période allant du 19 mai au 30 juin 2016 puis la reprise du paiement du salaire courant ne permettent pas de considérer que la salariée ne pouvait pas ignorer la volonté certaine de son employeur de la voir réintégrer son poste. Les simples projets de mutation proposés à la salariée par des échanges de courriels auxquels elle n'est pas toujours associée, ne permettent pas de caractériser une volonté certaine de la réintégrer.

Dès lors, en prolongeant ainsi la mise à pied conservatoire de la salariée pendant près de six mois sans la licencier ni lever clairement la mesure et en la laissant dans l'incertitude sur son sort et le paiement de son salaire l'employeur a manqué à ses obligations.

Par ailleurs, en cessant de payer le salaire de Mme [I] à compter de septembre 2016 sans clairement lui signifier la modification de son contrat de travail et son changement de lieu d'affectation, ni la mettre en demeure de rejoindre son nouveau poste, ni la licencier en raison de ce refus, l'employeur a également manqué à ses obligations.

Ce faisant, au regard de la nature des manquements ainsi établis, de leur persistance malgré les courriers de la salariée et des conséquences pour cette dernière, la poursuite de la relation de travail était impossible.

Il convient dès lors d'ordonner la résiliation judiciaire du contrat avec effets au jour du licenciement le 17 janvier 2018.

Le jugement, qui n'a pas expressément statué sur ce point, sera complété en ce sens.

1.2 : Sur les conséquences de la rupture

La salariée pouvait prétendre au versement d'un préavis de deux mois et le jugement sera confirmé sur le principe et le montant de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents.

Par ailleurs, en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au 17 janvier 2018, jour de la prise d'effet de la résiliation, compte tenu de son ancienneté et de ses difficultés de retour à l'emploi, la salariée se verra allouer une somme de 14.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera également confirmé sur ce point.

2 : Sur le manquement à l'obligation de sécurité

En application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés qu'il met en oeuvre sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, et donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Au cas présent, la salariée fait valoir qu'en la laissant dans l'incertitude sur son sort, en ne répondant pas à sa demande de mutation et en ne l'informant pas des suites qu'il réservait à la procédure disciplinaire engagée après lui avoir reproché de nombreux manquements, l'employeur a manqué à son obligation de sécurité ce qui a conduit à une dépression réactionnelle.

Il ressort de ce qui précèdent que les manquements ainsi invoqués sont établis.

Par ailleurs, Mme [I] qui produit, des éléments médicaux de son psychiatre et de son médecin traitant ainsi que son dossier tenu par le médecin du travail, établit qu'en raison de ces manquements elle a subi, au cours de l'exécution de la relation de travail, un préjudice moral distinct de celui compensé par l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ont pour objet la réparation des seuls préjudices consécutifs à la rupture.

La somme de 1.000 euros sera accordée à la salariée à ce titre.

Le jugement sera complété en ce sens.

3 : Sur la violation de l'obligation de loyauté

En application de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Par ailleurs, en matière de prévoyance, l'employeur qui a souscrit un contrat collectif de prévoyance est débiteur d'une obligation d'information et de conseil tant au stade de l'adhésion que pendant toute la durée du contrat, étant souligné qu'il est responsable des conséquences qui s'attachent à une information incomplète ayant induit l'assuré en erreur sur la nature, l'étendue ou le point de départ de ses droits.

Au cas présent, la salariée fait valoir que son employeur a manqué à son obligation d'information et de conseil quant à la mise en place de la prévoyance puisque, alors qu'elle l'a alerté à de multiples reprises, elle n'a perçu aucune indemnisation au titre de son arrêt à compter du 8 novembre 2016 sans que l'employeur ne l'informe, avant le 5 mai 2017, qu'elle ne pouvait en tout état de cause prétendre à aucune indemnisation. Elle ajoute que son employeur n'a pas accompli les démarches à sa charge en n'établissant pas, malgré ses demandes, d'attestation de salaires lors de son premier arrêt de travail et en ne renseignant pas l'attestation transmise par la CPAM prévue dans le cas d'une interruption de travail continue de six mois.

Cependant, alors qu'elle ne pouvait prétendre à aucun versement au titre de la prévoyance et que rien ne prouve qu'elle aurait perçu tardivement ses indemnités journalières du fait d'un manque de diligences de la société Domusvi domicile, elle ne démontre pas le préjudice qu'elle aurait subi et sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts de chef, le jugement devant être confirmé sur ce point.

4 : Sur les intérêts

Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation le 26 septembre 2016 et les sommes de nature indemnitaire à compter du jugement pour les créances confirmées et du présent arrêt pour le surplus.

5 : Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux documents de fin de contrat ainsi que sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les éventuels dépens engagés en cause d'appel seront supportés par la société Domusvi domicile qui sera également condamnée à payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris 11 juin 2019 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

- Ordonne la résiliation judiciaire du contrat de travail au 17 janvier 2018 ;

- Condamne la SAS Domusvi domicile à payer à Mme [N] [I] la somme de 1.000 euros de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;

- Rappelle que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2016, les sommes de nature indemnitaire à compter du 11 juin 2019 pour les créances confirmées et du présent arrêt pour le surplus ;

- Condamne la SAS Domusvi domicile à payer à Mme [N] [I] la somme de 2.000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- Condamne la SAS Domusvi domicile aux éventuels dépens engagés en appel.

LA GREFFI'RE LE PR''SIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/08035
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;19.08035 ?
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