RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 02 Septembre 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 16/12023 ; RG 18/04060 ; RG 21/00384 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZVEP
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Juin 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 16-00756/B
APPELANTE
SAS [4] devenue [4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Nathalie LENFANT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1801
INTIMEE
URSSAF ILE DE FRANCE
TSA 80028
[Localité 3]
représentée par M. [R] [E] en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique et double-rapporteurs, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Pascal PEDRON, Président de chambre, et Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Pascal PEDRON, Président de chambre
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Madame Joanna FABBY, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Monsieur Pascal PEDRON, Président de chambre, et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur les appel interjetés par la société [4] (la société), devenue [4], de jugements rendus le 27 juin 2016 puis le 29 janvier 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à l'Urssaf Ile de France (l'Urssaf).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Suite à un contrôle de législations portant sur la période allant du 01er janvier 2012 au 31décembre 2014, l'Urssaf a notifié à la société une lettre d'observations du 16 octobre 2015 mentionnant 04 chefs de redressement d'un montant total de 719 447 €; l'Urssaf a émis à l'encontre de la société une mise en demeure du 14 décembre 2015 portant sur 719 447 € de cotisations augmentés de 104 596 € de majorations de retard provisoires; après avoir vainement saisi la commission de recours amiable de sa contestation du redressement, la société a, sur la base d'un rejet implicite, porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny le 14 avril 2016 ;
Par jugement du 27 juin 2016, le tribunal a :
-dit que la procédure de contrôle et tous les actes subséquents sont réguliers,
-déclaré bien fondés les redressements n°1 et 2 contestés,
-confirmé par conséquent la mise en demeure du14 décembre 2015,
-pris acte toutefois de la tolérance dont l'Urssaf entend faire preuve au titre des indemnités de repas versées hors situation de déplacement objet du redressement n°1 concernant les salariés dont la mission n'excédait pas trois mois,
-débouté les parties de leurs plus amples demandes,
-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société a le 27 septembre 2016 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 01er septembre 2016; cet appel a été enregistré sous le n° RG 16/12023.
Par ailleurs, la commission de recours amiable ayant explicitement rejeté en sa séance du 11 juin 2016 la contestation du redressement formulée par la société, cette dernière a saisi le 13 juillet 2016 le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, lequel par jugement du 29 janvier 2018 a dit recevable l'action de la société mais a jugé irrecevables ses demandes en raison de l'autorité de la chose jugée.
La société a le 09 mars 2018 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 19 février 2018; cet appel a été enregistré sous le n° RG 18/04060.
L'instance enregistrée sous le n° RG 18/04060 a été jointe à celle enregistrée sous le n° RG 16/12023 par mention au dossier à l'audience du 25 octobre 2019.
Enfin, un courrier du 15 décembre 2020 transmis par l'Urssaf à la cour dans cette affaire a été enregistré par cette dernière sous le n° RG 21/00384.
Par arrêt du 28 janvier 2022, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour de ce siège a :
-ordonné la jonction de l'instance enrôlée sous le n° RG 21/00384 à celle enrôlée sous le n° RG 16/12023, et dit que la procédure suivra son cours sous ce dernier numéro.
Sursoyant à statuer pour le reste:
-ordonné la réouverture des débats à l'audience de la chambre 6- 12 du Jeudi 19 mai 2022 afin que l'Urssaf produise en cause d'appel la lettre d'observations du 16 octobre 2015 dont l'organisme indique qu'elle mentionne expressément la date de fin de contrôle,
et ce au motif essentiel que la société qui se prévaut de la nullité du contrôle et du redressement du fait que la lettre d'observations ne précise pas la date de fin de contrôle produit en pièce n°3 copie de la lettre d'observations du16 octobre 2015 qui ne mentionne nullement, et notamment pas en page 2, la date de fin de contrôle, alors que l'Urssaf, qui ne produit pas ladite lettre d'observations en cause d'appel, réplique que « la lettre d'observations du 16 octobre 2015 mentionne expressément la date de fin de contrôle en ces termes rappelés à la page 2 : « les opérations de contrôle se sont terminées le 16 octobre 2015 » ».
Par ses conclusions écrites déposées à l'audience par son avocat qui les a oralement développées, la société demande à la cour, par voie d'infirmation du jugement déféré, de :
AU PRINCIPAL
-Constater l'irrégularité de procédure,
-Et en conséquence infirmer la décision explicite de la Commission de recours amiable en ce qu'elle a reconnu la régularité du redressement prononcé,
-Prononcer la nullité du redressement notifié, et ordonner le remboursement à la société par l'Urssaf de la somme de 719.445 euros au titre des cotisations.
AU SUBSIDIAIRE,
-Infirmer la décision explicite de la commission de recours amiable en ce qu'elle a reconnu la régularité du redressement prononcé,
-Et en conséquence:
CONCERNANT LE CHEF DE REDRESSEMENT N°l
-Constater que les allocations forfaitaires de repas attribuées par la société ont régulièrement été exonérées de cotisations de sécurité sociale
-Prononcer la nullité du chef de redressement n°1
-Et en conséquence déclarer l'Urssaf redevable de 549.512 euros et ordonner le remboursement à la société par l'Urssaf de ladite somme
A L' INFINIMENT SUBSIDIAIRE
-Constater que le redressement doit être limité aux allocations versées au titre de la même mission, au-delà du délai de trois mois,
-Limiter le montant d'allocations redressées à 423 293 €,
-Et en conséquence déclarer l'URSSAF redevable des cotisations trop versées, soit 126 219 € et ordonner le remboursement à la société par l'Urssaf de ladite somme.
CONCERNANT LE CHEF DE REDRESSEMENT N°2
-Constater que la motivation du chef de redressement n°2 étant insuffisamment circonstanciée, elle ne l' a pas mis en mesure de se défendre utilement
-Et en conséquence déclarer l'URSSAF redevable des cotisations trop versées, soit 146.383 € et ordonner le remboursement à la société par l'Urssaf de ladite somme
EN TOUT ETAT DE CAUSE
-Condamner l'Urssaf à lui payer une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles.
Par ses conclusions écrites déposées à l'audience par son représentant qui les a oralement développées, l'Urssaf demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de débouter la société de ses demandes et de condamner cette dernière à lui payer une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles.
SUR CE, LA COUR
La société se prévaut de la nullité du contrôle et du redressement au motif que la lettre d'observations ne précise pas la date de fin de contrôle et ce en violation des dispositions de l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale.
Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions modifiées par le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 puis par le Décret n°2013-1107 du 03 décembre 2013, applicables en l'espèce, à l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle (...) ;
Le tribunal a écarté le moyen de nullité soulevé de ce chef par la société au motif que « la lettre d'observations du 16 octobre 2015, telle que jointe à la saisine de la commission de recours amiable -qui marque la clôture des opérations de vérification- mentionne expressément la date de fin de contrôle en ces termes : les opérations de contrôle se sont terminées le 16 octobre 2015. La société [4] est donc d'une particulière mauvaise foi à soutenir la nullité des opérations de contrôle pour non respect d'une formalité substantielle . »
La société produit copie de la lettre d'observations du 16 octobre 2015 en pièce n°3 de ses productions d'appel, laquelle ne mentionne nullement, et notamment pas en page 2, la date de fin de contrôle.
L'Urssaf a produit par courrier daté du 30 mars 2022, suite à réouverture des débats, copie de la lettre d'observations du 16 octobre 2015, laquelle mentionne en haut de page 2 : « Les opérations de vérification se sont terminées le 16/10/2015 ».
L'Urssaf fait valoir, suite à la réouverture des débats, que :
- « Renseignements pris auprès de l'inspectrice, Mme [G], celle-ci nous a indiqué : « J'ai retrouvé dans mes archives personnelles le PDF. Ce qui suppose qu'effectivement la LO a été transmise à l'employeur également en PDF par mail à l'employeur, à sa demande. » ' « L'employeur a donc reçu les 2 LO : celle éditée en Word, envoyée par courrier RAR, et qu'il a bien réceptionnée. Et celle envoyée par mail, en PDF. » « Cependant, la LO envoyée par RAR, réceptionnée par l'employeur, est identique à celle que vous avez produite. Et qui est conforme aux textes. Par ailleurs, sur le fond, les 2 LO sont identiques » « La LO faisant foi est bien celle envoyée par courrier en RAR. La LO envoyée par mail, l'a été simplement sur demande de l'employeur, par souci de la recevoir rapidement »
-l'Urssaf à ce stade ne dispose malheureusement plus des échanges de mails intervenus durant le contrôle, effectué il y a 6 ans ; toutefois, ce « double envoi », fait à la demande de la société, et accepté par l'Urssaf alors qu'elle n'y était pas tenue, ne saurait emporter la nullité du contrôle et de ses suites.
-la Cour de cassation n'a jamais érigé en condition substantielle de validité des opérations de contrôle la mention de la date de fin des contrôles qui ne constitue pas une indication dont la seule absence entrainerait de facto la nullité de l'ensemble des opérations de contrôle, la jurisprudence visée par la société, relative à la mention de la possibilité de se faire assister d'un conseil ou au mode de calcul des redressements envisagés étant inopérante quant à la problématique de la date de fin de contrôle.
La société réplique, suite à la réouverture des débats, que :
-la pièce de l'Urssaf ne correspond pas à celle qu'elle a produit en n°3, et ce depuis l'origine de sa contestation devant la commission.
-la comparaison établit que sa pièce ne contient pas de date de fin de contrôle, que les inspecteurs signataires des 2 pièces sont les mêmes mais pour des positions de signatures différentes, que la pièce de l'Urssaf, sans tampon de communication ni numéro de pièce, est rédigée à la première personne du singulier alors que la sienne l'est à la première personne du pluriel.
-plus de 8 ans après la fin du contrôle, l'Urssaf soutient désormais avoir adressé la lettre d'observations en 2 envois, sans toutefois prouver la réalité de l'envoi par mail en PDF, ni l'existence d'une demande de la société et la date d'envoi dudit mail.
-l'Urssaf ne justifie pas en tout état de cause que la lettre reçue en RAR par la société serait celle exempte d'erreurs.
-comment une même lettre d'observations sensée être envoyée par mail et en courrier RAR peut elle avoir deux rédactions différentes '
-comment le tribunal a t il pu retenir que la lettre d'observations mentionne « les opérations de contrôle se sont terminées le 16 octobre 2015 » alors que la pièce produite par l'Urssaf mentionne « Les opérations de vérification se sont terminées le 16/10/2015 » '
-les mentions devant figurer dans la lettre d'observations aux termes de l'article R 243-59 du CSS sont exigées à peine de nullité car elles garantissent au cotisant le respect de ses droits fondamentaux, le contradictoire et la loyauté des relations constitutives de règles de fond dont le seul non respect entraine la nullité du redressement.
Aucune des deux lettres d'observations datées du 16 octobre 2015 correspondant d'une part à la pièce n°3 des productions de la société, d'autre part à celle produite par l'Urssaf par courrier daté du 30 mars 2022, n'est arguée de faux par l'une ou l'autre des parties.
Il résulte de l'analyse tant des productions des parties, et notamment de la pièce n°3 de la société et de celle produite par l'Urssaf par courrier du 30 mars 2022 que de leurs écritures d'appel respectives, que l'Urssaf a matériellement établi, au regard du contrôle de la société portant sur la période 2012- 2014, deux lettres d'observations datées du 16 octobre 2015 :
-signées chacune en page 13/13 par les deux inspecteurs du recouvrement à des emplacements différents et non superposables de cette dernière page ( haut de page 13 pour la pièce n°3 de la société, milieu de page 13 de la pièce produite par l'Urssaf le 30 mars 2022,
-comportant quelques mentions différentes quant à l'indication du rédacteur (« je »/ « nous »),
-comportant pour l'une (pièce produite par l'Urssaf par courrier du 30 mars 2022) la mention de la date de fin de contrôle en haut de page 2, et ne comportant pas pour l'autre (pièce n°3 de la société) une telle mention.
La société a constamment indiqué s'être vue notifier par courrier RAR la lettre d'observations correspondant à sa pièce n°3 ; celle-ci mentionne en page 1 une notification par « Lettre Recommandée avec AR 2 C09808952771 » correspondant au n° de recommandé figurant sur l'enveloppe à l'en tête de l' « URSSAF » comportant un tampon postal du « 19-10-15 » produite par la société (sa pièce n°3). La société précise que c'est la seule lettre d'observations qu'elle s'est vue notifier par l'Urssaf.
Si l'Urssaf avance un double envoi à la société de la lettre d'observations par mail et par courrier recommandé, force est de constater qu'en tout état de cause l'organisme, qui a matériellement établi deux lettres d'observations datées du 16 octobre 2015 , ne justifie pas, au delà de ses affirmations, que la lettre d'observations notifiée à la société par courrier RAR expédié le 19 octobre 2015 correspond à sa pièce produite par courrier du 30 mars 2022 et donc à la lettre d'observations portant mention de la date de fin de contrôle.
Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que la lettre d'observations communiquée à la société au sens de l'article R 243-59 susvisé ne mentionne pas la date de la fin de contrôle.
Ainsi, la lettre d'observations, destinée à informer contradictoirement la personne contrôlée des conditions, résultats et conséquences du contrôle selon les modalités prévues à l'article R 243-59 du code de la sécurité sociale , ne comporte pas en l'espèce l'une des mentions expressément requise par ce texte.
La mention à la lettre d'observations de la date de fin de contrôle, information concourant à garantir le respect du contradictoire et le plein exercice des droits de la défense, constitue une formalité substantielle dont dépend la validité de la procédure. L'irrégularité de la lettre d'observations du 16 octobre 2015 affecte la validité de la procédure de contrôle qui doit donc être annulée.
Une telle nullité prive en conséquence de fondement l'obligation au paiement des sommes visées à la lettre d'observations du 16 octobre 2015 puis objet de la mise en demeure du 14 décembre 2015.
La société sollicite en conséquence que l'Urssaf lui rembourse la somme de 719 445 € au titre des cotisations ; elle indique avoir réglé à l'Urssaf à titre conservatoire les causes de la mise en demeure, ce que l'Urssaf reconnaît à ses écritures d'appel (en page 2). Il sera en conséquence fait droit à la demande de remboursement présentée par la société à hauteur de la somme sollicitée.
L'infirmation du jugement du 27 juin 2016 entraîne celle du jugement du 29 janvier 2018.
Il n'apparait pas inéquitable de laisser à la société la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DECLARE l'appel recevable.
INFIRME les jugements déférés.
ET statuant à nouveau :
ANNULE la procédure de contrôle.
DIT que la nullité de la procédure de contrôle prive en conséquence de fondement l'obligation au paiement des sommes objet de la mise en demeure du 14 décembre 2015.
DÉBOUTE l'URSSAF Ile de France de ses demandes.
ORDONNE le remboursement par l'URSSAF Ile de France à la société [4], devenue [4], de la somme de 719 445 € au titre des cotisations.
DÉBOUTE la société [4], devenue [4], de sa demande en frais irrépétibles.
CONDAMNE l'URSSAF Ile de France aux dépens d'appel.
La greffièreLe président