RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 31 AOÛT 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05134 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B72GQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Février 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F13/03983
APPELANT
Monsieur [U] [X] [T]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par M. [M] [P], délégué syndical ouvrier, muni d'un pouvoir spécial
INTIMÉE
SA COMPAGNIE D'EXPLOITATION DES SERVICES AUXILIAIRES AÉRIENS (SERVAIR)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Françoise SALOMON, présidente de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat du 30 octobre 1974, la société Servair a engagé M. [T] en qualité d'employé économat. A compter du 17 juin 2004, le salarié a exercé les fonctions d'employé laverie.
La société Servair appliquait jusqu'au 30 octobre 2020 la convention collective nationale du personnel de la restauration publique du 1er juillet 1970. Depuis le 1er novembre 2021, elle applique la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959.
Le 21 septembre 2011, l'employeur a adressé au salarié une lettre annulant et remplaçant celle du 11 août précédent, ainsi rédigée :
'Suite à la nouvelle organisation du travail au sein du service Laverie, nous vous confirmons votre changement d'horaires à compter du 1er septembre 2011 pour passer sur un horaire de soirée, soit 14H00/22H41 (cf. votre planning de travail qui vous a été remis dans votre service).
Conformément à nos règles internes et suite à nos divers entretiens, pour compenser la perte d'une partie de vos majorations de nuit, vous percevrez pendant une période de 18 mois à dater de son 1er versement une prime compensatrice horaire (PCH) mensuelle brute égale à 430,95 euros.
A l'issue de cette période, un point sera fait avec vous concernant votre situation.'
L'employeur a cessé de verser la PCH à compter du mois de mars 2013. Après avoir vainement réclamé la reprise de son versement par lettre du 24 juin 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 8 juillet suivant.
Par jugement du 8 février 2019, le conseil de prud'hommes de Bobigny l'a débouté de ses demandes et a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 9 mai 2019, le salarié a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 15 avril.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mai 2022, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de constater que la convention collective des personnels au sol du transport aérien est applicable à son contrat de travail et de condamner la société intimée au paiement de :
- un rappel de PCH depuis mars 2013 s'élevant à 47 404 euros à mai 2022, 4 740 euros au titre de congés payés afférents, 'à poursuivre', de lui ordonner de verser la PCH mensuelle permettant de maintenir la rémunération acquise à mars 2013 et 3 000 euros de dommages-intérêts pour non-respect du contrat de travail,
- 3 729 euros au titre des jours de fêtes légaux et 372 euros au titre des congés payés afférents,
- 10 000 euros au titre des majorations pour travaux pénibles, dangereux et insalubres,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 mai 2022, l'intimée sollicite la confirmation du jugement, le rejet des demandes nouvelles de l'appelant et le versement à son profit de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction est intervenue le 31 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 juin.
MOTIFS
Sur la demande de paiement de la prime PCH
Le salarié affirme avoir travaillé en horaire de nuit depuis son embauche et avoir perçu une rémunération intégrant les majorations de nuit. Il reproche à l'employeur de l'avoir affecté au service de soirée à compter du 19 août 2011 sans obtenir son accord préalable, alors qu'il s'agissait d'une modification de son contrat de travail constituée par le passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour.
L'employeur prétend que, dans la mesure où ni les horaires de travail, ni la majoration de rémunération qui en découle n'étaient stipulés dans le contrat de travail, le passage en horaire de soirée et la perte consécutive des majorations constituaient une simple modification des conditions de travail, relevant de son pouvoir de direction.
Le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit ou d'un horaire de nuit à un horaire de jour constitue une modification du contrat de travail qui doit être acceptée par le salarié.
En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que le salarié a, depuis l'origine de la relation contractuelle, constamment travaillé en horaire de nuit.
Le passage à un horaire en soirée résultant de la réorganisation du service de la laverie constitue un bouleversement complet des horaires de travail jusqu'alors pratiqués par le salarié et donc une modification de son contrat de travail requérant son accord, nonobstant l'absence de mention des horaires et des primes afférentes au travail de nuit dans son contrat.
L'employeur établit que le salarié est parti à la retraite le 1er janvier 2016.
Dès lors, la cour, par infirmation du jugement, condamne l'employeur au paiement de 14 652,30 euros à titre de rappel de PCH pour la période du 1er mars 2013 au 31 décembre 2015, outre 1 465,23 euros au titre des congés payés afférents.
Le salarié, qui a bénéficié de conditions de travail moins difficiles depuis la réorganisation du service laverie, ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'octroi du rappel de prime alloué. La cour le déboute de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect du contrat de travail.
Sur la détermination de la convention collective applicable
Le salarié soutient que l'activité principale de la société est celle d'assistance aux compagnies aériennes et de commissariat aérien et relève donc de la convention collective des personnels au sol du transport aérien. Il affirme que la société est adhérente et préside la chambre syndicale de l'assistance en escale, laquelle est elle-même adhérente de la Fédération nationale de l'aviation marchande, signataire de la convention collective du personnel au sol du transport aérien, qui est une convention étendue, à la différence de la convention de la restauration publique.
L'employeur affirme avoir pour activité essentielle l'avitaillement des compagnies aériennes. Il indique avoir choisi depuis sa création en 1972 d'appliquer volontairement la convention collective de la restauration publique et avoir négocié de nombreux accords d'entreprise.
Conformément à l'article L.2261-15 du code du travail, l'extension a pour effet de rendre obligatoire la convention étendue pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d'application. En cas de contestation, le juge doit seulement vérifier que l'entreprise est comprise dans ce champ d'application.
A la différence de la convention collective nationale du personnel de la restauration publique, la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959 a été étendue par arrêté du 10 janvier 1964.
Il convient dès lors de vérifier si la société Servair entre ou non dans son champ d'application, lequel comprend notamment, selon l'article 1er de la convention, les 'entreprises et établissements dont l'activité relève des services aéroportuaires d'assistance en escale des entreprises de transport aérien énumérés ci-après et qui ne relèvent pas d'une convention collective étendue (...) assistance service commissariat.
Ces activités sont classées sous le code 52.23Z de la nomenclature d'activités française.'
Ce code correspond aux services auxiliaires des transports aériens.
Le code APE 5629A figure sur les bulletins de paie du salarié. Cependant, la référence au numéro Insee n'a qu'une valeur indicative, l'élément déterminant étant l'activité principale de l'entreprise.
L'article R.216-1 du code de l'aviation civile définit les services d'assistance en escale comme ceux rendus à un transporteur aérien sur un aérodrome ouvert au trafic commercial figurant dans une liste annexée. Selon cette annexe, l'assistance 'service commissariat' comprend la liaison avec les fournisseurs et la gestion administrative, le stockage de la nourriture, des boissons et des accessoires nécessaires à leur préparation, le nettoyage des accessoires, la préparation et la livraison du matériel et des denrées.
Selon son extrait Kbis, la société Servair a pour activité la préparation des denrées et services annexes pour les aéronefs (établissement principal), la préparation des plateaux repas et denrées alimentaires destinés aux aéronefs (établissement du Mesnil Amelot) ainsi que la fourniture directe ou indirecte des repas et boissons et de toutes denrées alimentaires transformées ou non, consommations à bord d'aéronefs ou dans les installations terminales d'aéroports, la réalisation d'une manière générale d'une activité de traiteur et de restauration, la fourniture directe ou indirecte de tous produits et matériels pour usage consommation ou acquisition à bord des aéronefs ou dans les installations terminales d'aéroports ou connexes, la fourniture directe ou indirecte de tous les services nécessaires aux usagers des installations terminales d'aéroports ou connexes, la réalisation de l'armement et du nettoyage de cabine des aéronefs (établissement de l'aéroport [5]).
La société reconnaît dans ses conclusions assurer une activité principale de catering aérien, consistant en la confection de repas et de plateaux-repas pour les compagnies aériennes clientes, depuis les cuisines de son établissement de Roissy et accessoirement une activité de handling, consistant en l'acheminement de ces plateaux-repas à bord des aéronefs et de tous les éléments nécessaires pour assurer l'avitaillement d'un avion.
La société produit les ventilations de son chiffre d'affaires par activité entre 2012 et 2016 certifiées par son expert-comptable, dont il ressort que l'essentiel de son chiffre d'affaires est réparti entre ses activités de production et celles de services et que son activité de handling, moins importante en France qu'à l'étranger, est accessoire.
Cependant, la cour observe que les rubriques mentionnées sont vente de marchandises, production, services avec une sous-rubrique handling. L'imprécision de ce document, et notamment l'absence d'indication quant au contenu des activités 'divers' et 'services' qui constituent la très grande majorité du chiffre d'affaires, ne permet pas à la cour de déterminer les activités ayant généré l'essentiel du chiffre d'affaires de la société.
Le salarié démontre au surplus que la société est adhérente de la chambre syndicale des entreprises d'assistance en escale, elle-même membre de la Fédération nationale de l'aviation marchande.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'activité principale de la société Servair relève de l'assistance commissariat et entre dans le champ d'application de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien du 22 mai 1959 étendue par arrêté du 10 janvier 1964.
Enfin, par jugement du 16 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Bobigny a dit que la convention collective applicable au sein de la société est celle du personnel au sol du transport aérien et a enjoint à la société d'appliquer cette convention à l'ensemble de ses salariés dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte. La société mentionne dans ses conclusions appliquer cette convention depuis le 1er novembre 2021.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour fait droit à la demande du salarié et dit la convention collective nationale du personnel au sol du transport aérien applicable à son contrat de travail.
Sur les demandes de rappel de salaire et d'indemnités au titre de la convention collective nationale du personnel au sol du transport aérien
Dans les relations individuelles de travail, le salarié peut demander l'application de deux conventions collectives, celle appliquée volontairement par l'employeur et celle à laquelle l'employeur est obligatoirement assujetti. Il convient alors de faire une application combinée des deux textes en retenant, pour chaque avantage, les dispositions les plus favorables au salarié.
En l'occurrence, le salarié sollicite un rappel de salaire en se prévalant des dispositions de l'article 29 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien selon lesquelles tout salarié bénéficie annuellement de 9 jours de fêtes légales, autres que le 1er Mai, s'il a régulièrement travaillé ou s'il s'est trouvé en absence régulière le jour de travail suivant le jour férié considéré (...).
Le personnel qui, en raison des nécessités du service, travaille un de ces jours de fêtes légales, est rémunéré dans les conditions prévues par la loi pour le 1er Mai, ou est crédité de 1 jour de congé supplémentaire, le choix s'effectuant par accord des parties. Ces dispositions ne sont pas applicables si l'intéressé bénéficie de compensations forfaitaires.
L'article L.3133-6 du code du travail dispose que, dans les établissements et services qui, en raison de leur activité, ne peuvent interrompre le travail, les salariés occupés le 1er mai ont droit, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire.
Les bulletins de paie du salarié établissent que, lorsqu'il travaillait un jour férié, il bénéficiait d'une majoration salariale de 85% et non de 100% du taux horaire. Il soutient que cette majoration était appliquée sur une base horaire de 39 heures par semaine et non de 35.
En tout état de cause, le salarié ne produit pas de décompte des jours fériés pendant lesquels il a dû travailler en raison des nécessités du service et il ne peut, comme il le soutient, évaluer forfaitairement à quatre jours par année le nombre de jours fériés travaillés, ni réclamer l'intégralité de la journée sans déduire la majoration salariale appliquée par l'employeur.
Dès lors, la cour le déboute de sa demande de rappel de salaire.
S'agissant des dommages-intérêts réclamés en réparation du préjudice résultant de la non-application de l'article 13 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien prévoyant l'attribution de primes spéciales pour tenir compte des conditions particulièrement pénibles, dangereuses ou insalubres de certains travaux, après consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le salarié procède par voie d'affirmation et ne verse aux débats aucun élément démontrant des conditions particulièrement pénibles, dangereuses ou insalubres.
La cour rejette en conséquence sa demande de dommages-intérêts.
Sur les autres demandes
Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.
L'équité commande d'allouer au salarié la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Condamne la société Servair à payer à [T] les sommes de :
- 14 652,30 euros à titre de rappel de prime compensatrice horaire pour la période du 1er mars 2013 au 31 décembre 2015 ;
- 1 465,23 euros au titre des congés payés afférents ;
- Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Servair, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;
- Rejette le surplus des demandes ;
- Condamne la société Servair à verser à M. [T] 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société Servair aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE