RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 6 JUILLET 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02697 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7L37
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/10562
APPELANT
Monsieur [V] [R]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Frédéric BENOIST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0001
INTIMÉE
SA PREVAL venant aux droits de la SAS FLINVEST
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nicolas LEPETIT, avocat au barreau de PARIS, toque : R138
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.
- signé par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller pour le président empêché et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 février 2012, M. [R] a été engagé par la société Flinvest en qualité d'analyste gérant, statut cadre.
Invoquant l'existence de manquements de la société Flinvest à ses obligations contractuelles en matière de paiement de la rémunération variable et des heures supplémentaires, M. [R] a saisi la juridiction prud'homale le 27 décembre 2017 aux fins, notamment, d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Après avoir été convoqué à un entretien préalable suivant courrier recommandé du 6 février 2018 puis du 13 février 2018, M. [R] a été licencié pour cause réelle et sérieuse suivant courrier recommandé du 28 février 2018.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et s'estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [R] a saisi la juridiction prud'homale d'une nouvelle requête le 26 avril 2018.
Par jugement du 23 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a :
- ordonné la jonction des deux procédures,
- débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [R] à payer à la société Flinvest la somme de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par déclaration du 18 février 2019, M. [R] a interjeté appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 février 2022, M. [R] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
à titre principal,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,
- condamner en conséquence la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest au paiement des sommes suivantes :
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 155 000 euros,
- rappel de salaire pour rémunération variable : 331 712 euros,
- congés payés y afférents : 33 171,20 euros,
- heures supplémentaires : 41 000 euros,
- congés payés y afférents : 4 100 euros,
- indemnité pour travail dissimulé : 77 493 euros,
à titre subsidiaire,
- requalifier le licenciement prononcé en licenciement nul et, subsidiairement, en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest à lui payer la somme de 154 992 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en toute hypothèse,
- dire que les sommes ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
- condamner la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 novembre 2019, la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce que M. [R] a été débouté de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
le cas échéant,
- dire la demande de rappel de prime pour 2012 prescrite et donc irrecevable,
en tout état de cause,
- condamner M. [R] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction est intervenue le 22 février 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 30 mars 2022.
MOTIFS
Sur la résiliation judiciaire
L'appelant soutient qu'il est bien fondé en sa demande de rappel de salaire variable, tant au titre des exercices 2014, 2015 et 2016, qu'au titre de l'exercice 2012 en l'état d'une différence de traitement illégitime afférente à la rémunération variable perçue sur cet exercice, qu'il est bien fondé à solliciter l'allocation de différentes sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires et que compte tenu des manquements graves de l'employeur à son obligation essentielle de payer les salaires, il est droit de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'intimée.
L'intimée réplique que tant la demande de rappel de rémunération variable que celle de rappel d'heures supplémentaires sont injustifiées et que l'appelant ne pourra qu'être débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Selon les dispositions des articles 1227, 1228 et 1229 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice, le juge pouvant, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts, la résolution mettant fin au contrat et prenant effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice.
En application de ces dispositions, les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Lorsque les manquements sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire prononcée produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de rappel de rémunération variable
Il résulte de l'article 4 (rémunération) du contrat de travail liant les parties que « Le salarié bénéficiera également d'un bonus variable totalement discrétionnaire octroyé au titre de son activité d'analyste gérant.
Au titre de l'année 2012, la société consent à ce que le montant annuel brut de la rémunération variable au titre de sa fonction, telle que définie ci-dessus, lui soit garanti à hauteur de 40 000 euros brut pour une année pleine, étant précisé que le montant effectivement garanti sera calculé au prorata du temps de présence du salarié dans la société. »
Sur l'année 2012
L'intimée conclut à la prescription de la demande afférente au bonus 2012 en application de l'article L.3245-1 du code du travail, l'appelant indiquant en réplique que la prescription doit être écartée en ce qu'il n'a pu faire état de la disparité de rémunération que lorsqu'il en a eu connaissance, soit le 8 mars 2017, date à laquelle le collègue de travail avec lequel il se compare (M. [B]) a accepté d'évoquer auprès de lui sa rémunération.
En application du principe d'égalité de traitement, l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique, et il lui appartient, le cas échéant, de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, étant rappelé que c'est à celui qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à ceux auxquels il se compare en établissant qu'il exerçait des fonctions identiques ou similaires à celles des salariés concernés.
Il sera rappelé que s'agissant du caractère discrétionnaire de la prime ou du bonus, l'employeur ne peut opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier de façon objective et pertinente, une différence de rémunération, le caractère discrétionnaire d'une rémunération ne permettant pas à un employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l'avantage considéré.
Il est par ailleurs établi que lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande et que lorsqu'une demande de rappel de salaire est fondée sur une atteinte au principe d'égalité de traitement, cette demande relève de la prescription triennale.
Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Selon l'article 21 V de la dite loi, les dispositions réduisant à trois ans le délai de prescription de l'action en paiement de salaire s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Il résulte de la combinaison de ces textes qu'à défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les trois années suivant cette date, les dispositions transitoires ne sont pas applicables en sorte que l'action en paiement de créances de salaire nées sous l'empire de la loi ancienne se trouve prescrite.
Dès lors, étant rappelé que la prescription commence à courir à partir de la date d'exigibilité du salaire, le bonus 2012 ayant été versé en janvier 2013, compte tenu de la saisine de la juridiction prud'homale intervenue le 27 décembre 2017, les créances nées avant le 16 juin 2013 étant ainsi nécessairement prescrites, la cour, par infirmation du jugement sur ce point, constate la prescription de l'action en paiement formée par l'appelant au titre du bonus 2012 et déclare irrecevables ses demandes y afférentes.
Sur les années 2014, 2015 et 2016
L'appelant soutient que le caractère prétendument discrétionnaire de la part variable fait totalement défaut en ce que l'intimée a elle-même présenté, dans le cadre d'échanges de courriels, cette rémunération variable comme reposant sur des critères tangibles et objectifs, et que les différents critères énoncés par la direction de la société (résultats de la société, performance individuelle et résultats du fonds Entrepreneurs) ne pourront que conduire la cour à faire droit à ses demandes de rappel de rémunération. Il souligne que, s'il est logique de verser des commissions de surperformance aux analystes gérants lorsque les fonds dont ils sont chargés génèrent une commission de surperformance, cela ne signifie pas pour autant que les rémunérations variables soient nulles en cas de sous-performance des fonds dont ils ont la charge, ce d'autant plus que chaque année, plus de 90 % des fonds sous-performent leur indice, raison pour laquelle, hormis sur l'exercice 2016, la société a systématiquement versé des bonus alors même que les fonds ne généraient pas de commission de surperformance sur l'exercice concerné. Il précise en toute hypothèse que l'intimée ne peut se fonder sur le niveau de sous-performance du fonds Entrepreneurs, en ce que ce fonds avait aussi sous-performé au cours de l'exercice 2013 et qu'il avait alors portant bénéficié d'un bonus largement supérieur à ceux versés pour 2014 et 2015, aucun bonus ne lui ayant été versé au titre de l'année 2016.
L'intimée réplique qu'une prime peut, tout à la fois, être contractuelle et discrétionnaire, qu'en cas de différend, l'employeur est tenu d'exposer des critères d'attribution et de répartition des primes, sans que la nature discrétionnaire de celles-ci ne soit cependant remise en cause, que le versement d'un montant identique d'une année sur l'autre sollicité par l'intéressé est parfaitement antinomique avec le principe d'une rémunération non seulement discrétionnaire, mais encore, variable, que l'appelant confond les performances du fonds, servant à la détermination du montant des bonus, et les performances de la société et qu'il ne démontre pas que les sociétés de gestion françaises versent systématiquement des bonus à l'ensemble de leurs analystes lorsque les fonds dont elles assurent la gestion sous-performent leur indice. Elle précise que le fonds Entrepreneurs a davantage sous-performé en 2014 et 2015 qu'en 2013, que l'appelant a été aussi bien voire mieux loti que ses collègues et que, s'agissant de l'année 2016, les autres collaborateurs susceptibles de percevoir une prime n'en ont pas davantage reçu en ce que le fonds a, une nouvelle fois et pour la quatrième année consécutive, sous-performé, les encouragements des trois années précédentes, au cours desquelles l'appelant avait perçu un bonus, n'ayant pas porté leurs fruits, la situation économique et financière de l'entreprise s'étant de surcroît fragilisée, la société faisait face à une importante décollecte.
Dès lors, étant tout d'abord constaté qu'aucune atteinte au principe d'égalité de traitement ne peut être retenue en l'espèce, en ce que l'appelant a bénéficié au titre des années litigieuses, soit d'un traitement plus favorable que celui des autres salariés situés dans une situation similaire, soit d'un traitement identique, ainsi que cela résulte du tableau des salaires et primes versés aux analystes de la société, la cour ne peut par ailleurs que relever que le seul fait pour l'employeur de communiquer de bonne foi à son salarié, l'interrogeant de ce chef, les éléments retenus pour l'attribution et la fixation des bonus n'est en lui-même pas de nature à faire perdre leur caractère discrétionnaire aux bonus litigieux, étant enfin observé qu'il a été indiqué de manière constante par l'employeur que les performances et résultats pris en compte étaient ceux de leur produit principal, le fonds Entrepreneurs, et non ceux de la société dans son ensemble.
Si l'appelant conteste le montant des bonus lui ayant été attribués au titre des années précitées, il résulte cependant du mail de la présidente de la société (Mme [H]) en date du 27 avril 2017 que le fonds Entrepreneurs n'a cessé de sous-performer par rapport à l'indice de référence Stoxx Mid 200 au cours des années 2013 (- 5,03%), 2014 (- 9,67%), 2015 (- 9,95%), et 2016 (- 2,06%), éléments chiffrés non contestés dans leur principe par le salarié et dont il reconnaît le caractère objectif. Il sera par ailleurs observé que le fait que l'appelant ait perçu un bonus d'un montant supérieur en 2013 alors que les résultats du fonds avaient commencé à se dégrader ne peut sérieusement être allégué par ce dernier au soutien de ses demandes, en ce qu'il apparaît qu'il avait alors été l'un des deux analystes qui avaient perçu les bonus les plus élevés (et même d'un montant supérieur à celui perçu par le collègue de travail avec lequel il se comparaît pourtant au titre de l'année 2012) et en ce que le fonds a davantage sous-performé en 2014 et 2015 qu'en 2013, comme justement relevé par l'intimée, l'employeur ayant en toute hypothèse la possibilité, comme l'indique la présidente de la société aux termes du mail précité, de faire le choix de continuer à encourager ses salariés tout en réduisant les montants alloués. Il sera enfin retenu, s'agissant de l'année 2016, que les autres collaborateurs susceptibles de percevoir un bonus n'en ont pas plus bénéficié, en ce comprise la présidente de la société elle-même, et ce afin de tenir compte de la dégradation persistante sur plusieurs années successives des résultats du fonds, ledit fonds Entrepreneurs ayant alors effectivement sous-performé pour la quatrième année consécutive, le montant des encours du fonds ayant également connu une très forte diminution.
Par conséquent, au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît qu'aucun manquement de l'employeur à ses obligations en matière de fixation et de paiement du bonus discrétionnaire ne peut être retenu au titre des années 2014, 2015 et 2016, le jugement devant dès lors être confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ses différentes demandes de rappel de rémunération y afférentes.
Sur les heures supplémentaires
L'appelant indique que s'il était soumis à un horaire contractuel hebdomadaire de travail de 39 heures pour accomplir ses fonctions, sa présence sur le lieu de travail était en moyenne de 8h30 à 18h30 pour chaque journée, avec une pause déjeuner habituelle de 1h00, soit une amplitude horaire moyenne de 9h00, soit 45 heures de travail hebdomadaires.
L'intimée réplique que, pendant les six ans de la relation contractuelle, l'appelant n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires, ni même prétendu en avoir accomplies, que cette demande est apparue pour la première fois dans sa requête prud'homale du 27 décembre 2017, que les seuls justificatifs produits ne démontrent l'accomplissement d'aucune heure supplémentaire, a fortiori de manière récurrente, et qu'il est donc établi qu'il n'a jamais accompli d'heures supplémentaires au-delà de celles qui étaient prévues à son contrat de travail et qui lui ont été payées.
Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, au vu des pièces communiquées par l'appelant et notamment du décompte précis et détaillé des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse, des courriels échangés dans le cadre de son activité professionnelle ainsi que de l'attestation établie par un ancien collègue de travail ayant exercé les mêmes fonctions d'analyste gérant au sein de la société (M. [L]), il apparaît que l'intéressé présente à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il indique avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L'employeur, qui se limite en réponse à critiquer les pièces produites par le salarié et à contester les demandes formées par ce dernier en indiquant qu'il n'avait pas sollicité le paiement de la moindre heure supplémentaire avant de saisir la juridiction prud'homale, tout en affirmant que l'intéressé n'a en réalité jamais accompli d'heures supplémentaires au-delà de celles qui étaient prévues à son contrat de travail, ne fournit donc pas d'éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par son salarié.
Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, la cour retient la réalisation d'heures supplémentaires, dans une moindre mesure toutefois qu'allégué, et accorde au salarié la somme de 13 000 euros à ce titre pour la période courant de mars 2015 à février 2018 outre 1 300 euros au titre des congés payés y afférents, par infirmation du jugement.
Sur le travail dissimulé
En application des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, le salarié ne justifiant pas du caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi alléguée, la cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Par conséquent, au vu de l'ensemble des développements précédents, si le salarié justifie de l'existence d'un manquement de l'employeur quant au paiement d'une partie des heures supplémentaires sur la période courant de mars 2015 à février 2018, il apparaît cependant que ledit manquement, compte tenu notamment de son incidence financière limitée eu égard au montant du salaire de l'appelant ainsi que de son ancienneté (le salarié ayant attendu la saisine de la juridiction prud'homale le 27 décembre 2017 pour en solliciter le paiement), n'est pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ses différentes demandes relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Sur la nullité du licenciement
L'appelant soutient que son licenciement n'est en réalité qu'une réponse à sa décision de saisir le conseil de prud'hommes portant ainsi atteinte à sa liberté fondamentale d'agir en justice et qu'il est donc nécessairement nul.
L'intimée réplique qu'à l'inverse de ce qu'affirme l'appelant, ce dernier n'a pas été licencié parce qu'il avait engagé une procédure judiciaire mais qu'il a engagé une telle procédure parce qu'il craignait, à tort ou à raison, que la société ne se sépare de lui comme de certains de ses collègues, et ce eu égard à la situation économique dégradée de la société.
Il est établi qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié, peu important que la demande du salarié soit non fondée, et qu'il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.
En l'espèce, la juridiction prud'homale ayant été saisie selon requête du 27 décembre 2017 aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et la convocation à un entretien préalable étant pour sa part intervenue suivant courrier recommandé du 6 février 2018, il résulte des échanges de courriels versés aux débats et notamment des mails des 16, 17 et 18 janvier 2018, que, dès le 16 janvier 2018, la présidente de la société et supérieure hiérarchique de l'appelant (Mme [H]) a fait état du fait que le travail rendu par l'appelant ne correspondait pas à ce qui lui avait été demandé, l'appelant ayant indiqué en réponse selon mail du 17 janvier : « C'est la première fois que tu considères que le travail que j'ai rendu ne correspond pas à ta demande, comme tu le fais dans ton mail du 16 janvier sur mon travail de la semaine dernière sur Centrica et Capita. Je m'interroge sur le timing de cette remise en cause de ta part, qui intervient moins d'un mois, après que j'ai saisi le tribunal prud'homal », sa supérieure hiérarchique lui ayant répondu selon mail du 18 janvier suivant : « Tout d'abord, tu sous-entends que mes demandes ne seraient pas claires et que mes remarques de mardi seraient inusuelles et liées à l'engagement de ta procédure aux prud'hommes. Au contraire : chaque semaine, j'adresse aux analystes la liste des tâches à accomplir, qui sont comprises par tous y compris par toi, et soudainement, alors que tu viens d'engager cette procédure, tu ne comprends pas mes demandes et émets des objections. Tes intentions sont claires pour moi : te constituer un dossier. Pour ma part, je souhaite simplement que tu accomplisses, comme les autres analystes, le travail qui t'est demandé et qui relève pleinement de tes attributions [...] Ton comportement ne peut s'expliquer que par ta volonté de nous quitter afin de créer ta société, comme tu me l'avais déjà déclaré début 2016 (en exigeant deux ans de salaire) et comme cela ressort de ta demande de résiliation judiciaire de ton contrat de travail (en réclamant désormais plus de 7 ans de salaire) qui repose sur des fondements totalement fantaisistes, proches du chantage.»
Compte tenu des déclarations précitées de la supérieure hiérarchique de l'appelant, ce dernier faisant justement valoir qu'il ne résulte d'aucun élément versé aux débats qu'il aurait effectivement fait l'objet de reproches afférents à la qualité et/ou à la quantité de son travail antérieurement à la saisine de la juridiction prud'homale, aucun entretien annuel d'évaluation n'étant notamment produit, la cour ne peut par ailleurs que relever, à la lecture de la lettre de licenciement, que le seul nombre de copier-coller dans les analyses établies par l'appelant (pratique au demeurant permise au sein de l'entreprise afin de reprendre les points clés des études publiées ainsi que cela résulte d'un mail de la hiérarchie du 19 octobre 2016) ou le nombre moyen de mots contenus dans ses contributions ne sont à eux-seuls, aucunement de nature à justifier de l'existence d'une baisse de la qualité du travail d'analyse fourni par l'intéressé, les données sur la base desquelles les graphiques reproduits dans la lettre de licenciement ont été établis n'étant de surcroît pas vérifiables au regard des seuls éléments justificatifs produits par l'intimée. Il en va de même s'agissant des affirmations de l'intimée concernant le contenu des contributions et la mauvaise qualité des appréciations portées par l'appelant, les simples extraits d'analyse repris dans la lettre de licenciement n'étant en eux-mêmes pas de nature à démontrer l'existence d'un manque d'implication dans le travail d'analyse ou à établir que lesdites contributions seraient non argumentées, inexploitables ou peu constructives, et ce alors qu'il apparaît que lesdites synthèses n'avaient effectivement vocation qu'à être utilisées en interne, ce qui apparaît compatible avec l'utilisation de termes parfois vifs et percutants dans un souci d'efficacité et de rapidité.
Concernant par ailleurs le comportement négatif allégué à l'encontre de l'appelant, si l'intéressé a effectivement fait l'objet d'un avertissement le 28 avril 2015, outre le fait qu'il s'agit d'une sanction pour le moins ancienne, antérieure de près de 3 ans à la procédure de licenciement litigieuse et dont les circonstances précises ne sont pas détaillées dans le cadre du présent litige, ledit avertissement ayant de surcroît fait l'objet d'une contestation détaillée et circonstanciée de la part du salarié selon courrier du 13 mai 2015, il apparaît également que les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement concernant son comportement lors de la réunion du 31 janvier 2018 ne sont pas suffisamment établis, mises à part les propres affirmations de la hiérarchie de l'intéressé et au regard des seuls éléments justificatifs produits, étant enfin à nouveau observé que ledit reproche concerne la période postérieure à la saisine de la juridiction prud'homale par l'intéressé.
Dès lors, le licenciement litigieux faisant suite au dépôt par le salarié d'une requête devant la juridiction prud'homale tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et l'appelant établissant, au vu de l'ensemble des développements précédents, que la rupture de son contrat de travail constitue effectivement une mesure de rétorsion intervenue en réaction à son action en justice introduite pour faire valoir ses droits, la cour, par infirmation du jugement, déclare nul le licenciement prononcé à l'encontre de l'intéressé.
Sur les conséquences financières de la rupture
Selon les dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, dans leur version applicable au présent litige, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.
Dès lors, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise (6 ans) et à l'âge du salarié (45 ans) ainsi qu'au montant de la rémunération de référence (7 916,67 euros) lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l'intéressé, qui justifie de ses recherches d'emploi, ayant perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi jusqu'en juin 2020 et bénéficiant depuis cette date de l'allocation de solidarité spécifique, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.
Sur les autres demandes
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné, par infirmation du jugement, à payer au salarié la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
L'employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [R] de ses demandes de rappel de rémunération variable au titre des années 2014, 2015 et 2016, d'indemnité pour travail dissimulé ainsi que de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Constate la prescription de l'action en paiement de M. [R] au titre du bonus 2012 et déclare irrecevables ses demandes y afférentes ;
Déclare nul le licenciement prononcé à l'encontre de M. [R] ;
Condamne la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest à payer à M. [R] les sommes suivantes :
- 13 000 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période courant de mars 2015 à février 2018 outre 1 300 euros au titre des congés payés y afférents,
- 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Flinvest aux droits de laquelle vient désormais la société Preval de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
Condamne la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest à payer à M. [R] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [R] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société Preval venant désormais aux droits de la société Flinvest aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER Monsieur Fabrice MORILLO
conseiller pour le président empêché