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30/06/2022 | FRANCE | N°20/18849

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 30 juin 2022, 20/18849


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 30 JUIN 2022



(n°18, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/18849 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC3GM



Décision déférée à la Cour : lettre du Secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers n° 2020004192 en date du18 décembre 2020







REQUÉRANTE :



KAMIX S.A.S.

Prise en la personne de son président

Immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le n° 849 505 979

Dont le siège social est au [Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Romain CHILLY, de la SELAS BLO...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 30 JUIN 2022

(n°18, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/18849 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CC3GM

Décision déférée à la Cour : lettre du Secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers n° 2020004192 en date du18 décembre 2020

REQUÉRANTE :

KAMIX S.A.S.

Prise en la personne de son président

Immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le n° 849 505 979

Dont le siège social est au [Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain CHILLY, de la SELAS BLOCKCHAIN LEGAL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Mme Patricia CHOQUET, dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,

' Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

' M. Gildas BARBIER, président de chambre,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale

ARRÊT :

' contradictoire

' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

' signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu le recours en annulation formé par déclaration déposée au greffe le 31 décembre 2020 par la société Kamix contre la décision du 18 décembre 2020 (n° AMF : 2020004192) par laquelle l'Autorité des marchés financiers a demandé à la société Kamix de mettre fin à ses activités en France à compter du 19 décembre 2020 ;

Vu les observations de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe le 29 juin 2021 ;

Vu le courriel du 11 avril 2022 par lequel la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen d'ordre public pris de son incompétence pour statuer sur le recours ;

Vu les observations de la société Kamix déposées au greffe le 27 avril 2022 en réponse à cette exception d'incompétence relevée d'office ;

Vu les observations de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe le 10 mai 2022 ;

Vu l'avis du ministère public du 13 mai 2022 transmis le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 19 mai 2022 le conseil de la société Kamix, le représentant de l'Autorité des marchés financiers, ainsi que le ministère public, le conseil du demandeur au recours ayant eu la parole en dernier et été en mesure de répliquer.

FAITS ET PROCÉDURE

1.La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite « loi PACTE »), entrée en vigueur le 24 mai 2019, a créé un régime nouveau en matière de crypto-actifs et a institué un statut de prestataire de services sur actifs numériques (ci-après « PSAN ») qui couvre un grand nombre d'activités.

2.La loi PACTE prévoit au X de son article 86 que :

« les personnes exerçant les services définis aux 1° et 2° de l'article L.54-10-2 du code monétaire et financier avant l'entrée en vigueur du présent article bénéficient d'un délai de douze mois à compter de la publication des textes d'application pour s'enregistrer auprès de l'Autorité des marchés financiers, dans les conditions définies à l'article L.54-10-3 du même code ».

3.Les services auxquels cet article fait référence sont le service de conservation d'actifs numériques pour le compte de tiers, d'une part, et d'achat-vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal, d'autre part.

4.Par un communiqué de presse commun en date du 23 novembre 2020, l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF ») et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ci-après « l'ACPR ») ont indiqué que les prestataires offrant ces services avant l'entrée en vigueur de la loi Pacte avaient « jusqu'au 18 décembre 2020 pour se mettre en conformité avec l'obligation d'enregistrement ». Ce communiqué précise notamment que l'enregistrement implique la mise en place d'une organisation, de procédures, et d'un dispositif de contrôle interne propres à assurer le respect des obligations au titre de la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme (LCB-FT) et le gel des avoirs. L'enregistrement effectif est en outre conditionné à un avis conforme de l'ACPR.

5.Le communiqué précise encore, notamment, que le délai de douze mois dont les prestataires concernés disposent pour s'enregistrer auprès de l'AMF expire le 18 décembre 2020, et que les « prestataires non enregistrés à cette date devront cesser leur activité en France dans l'attente de leur enregistrement ».

6.Le communiqué explique enfin que « dans l'attente de l'enregistrement, les prestataires concernés devront cesser [après le 18 octobre 2020] tout acte de communication et de promotion de leurs activités, et cesser toute activité à l'exception, pour les acteurs fournissant un service de conservation d'actifs numériques, de l'exécution des instructions de transfert des actifs numériques vers un portefeuille externe, dans le respect de la réglementation en matière de LCB-FT et de gel des avoirs ».

7.La société Kamix (ci-après « la société Kamix »), concernée par ces dispositions, a déposé auprès de l'AMF une demande d'enregistrement en tant que prestataire des deux services précités.

8.Par une lettre du 18 décembre 2020, le secrétaire général de l'AMF a rappelé, notamment, qu'il incombait à cette société de s'enregistrer auprès d'elle au plus tard ledit jour et que dans l'attente de cet enregistrement elle devait, à compter du 19 décembre 2020, cesser toute activité, sous réserve de certaines précisions et exceptions qu'il énumère et qui reprennent celles, précitées, que contenait le communiqué du 23 novembre 2020. Le courrier rappelle que l'exercice illégal des activités en question est susceptible d'entrainer des poursuites pénales.

9.Le 31 décembre 2020, la société Kamix a formé un recours en annulation contre cette lettre, qu'elle qualifie de décision de l'AMF.

10.Aux termes de l'exposé des moyens que contient sa déclaration de recours, la requérante demande à la Cour :

' d'annuler la décision du 18 décembre 2020 par laquelle l'AMF lui a demandé de mettre fin à ses activités en France à compter du 19 décembre 2020 ;

' de condamner l'AMF au paiement de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

11.Le 11 avril 2022, la Cour a indiqué aux parties qu'elle envisageait de relever d'office le moyen pris de son incompétence au profit du Conseil d'État en application de l'article R.621-45, I du code monétaire et financier et les a invitées à présenter leurs observations selon un calendrier qu'elle a leur a précisé.

12.La société Kamix conclut à la compétence de la Cour. Elle soutient qu'il résulte clairement des textes, et en particulier de la locution « prestataires agréés » au 21° de l'article L.621-9 du code monétaire et financier, qu'il convient de distinguer selon que la société demande son enregistrement ou son agrément, le Conseil d'État n'étant compétent que dans le dernier cas.

13.Elle ajoute que l'ACPR ne dispose de prérogatives vis-à-vis des PSAN qu'en matière d'enregistrement et non d'agrément, en sorte qu'il est logique que soient compétents, selon le cas, soit la cour d'appel de Paris, soit le Conseil d'État.

14.L'AMF soutient que le Conseil d'État doit être regardé comme compétent pour examiner le recours formé par la société Kamix, considérant qu'il convient de privilégier « un raisonnement téléologique » s'agissant « du champ d'application des articles L.621-30 et R.621-45, I du code monétaire et financier », « car la logique qui le sous-tend est d'unifier le contentieux ayant trait aux décisions prises par l'AMF à l'encontre des personnes régulées au sens du II de l'article L.621-9 du code monétaire et financier, lequel relève de la compétence du Conseil d'État ».

15.Elle fait valoir que dans le cas d'un PSAN agréé, le retrait de son enregistrement impliquerait celui de son agrément, ce qui induirait un double contentieux simultané devant les deux juridictions. Elle assure que telle n'avait pu être la volonté du législateur.

16.Elle soutient que l'AMF, à son initiative ou à la demande de l'ACPR, peut radier de la liste des PSAN enregistrés ceux qui ne respectent plus leurs obligations en termes d'honorabilité de leurs dirigeants effectifs et/ou de leurs actionnaires qui détiennent directement ou indirectement plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

17.Le ministère public, par son avis du 13 mai 2022, invite la Cour à décliner sa compétence, estimant que le recours de la société Kamix devait être porté devant le Conseil d'État pour les raisons développées par l'AMF.

MOTIVATION

18.À titre liminaire, il convient de relever que la loi PACTE prévoit un enregistrement obligatoire des PSAN auprès de l'AMF et un agrément optionnel également délivré par cette dernière.

19.S'agissant de la procédure d'enregistrement, l'article L.54-10-3 du code monétaire et financier, prévoit notamment :

« qu'avant d'exercer leur activité, les prestataires des services mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.54-10-2 établis en France ou fournissant ces services en France, sont enregistrés par l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie si, 1°, les personnes qui en assurent la direction effective possèdent l'honorabilité et la compétence nécessaires à l'exercice de leurs fonctions et, 2°, si les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote du prestataire, ['], garantissent une gestion saine et prudente du prestataire et possèdent l'honorabilité et la compétence nécessaires ».

Ce texte précise encore que :

« Aux fins de l'enregistrement, l'Autorité des marchés financiers recueille l'avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ».

et que

« l'Autorité des marchés financiers peut radier le prestataire, sur avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ['] c) De sa propre initiative ou à l'initiative de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, lorsque le prestataire ne respecte plus les obligations mentionnées ci-dessus ou s'il a obtenu d'être enregistré par de fausses déclarations ou par tout autre moyen irrégulier. ».

20.S'agissant de la procédure d'agrément, l'article L.54-10-5 dudit code énonce notamment que :

« I. Pour la fourniture à titre de profession habituelle d'un ou plusieurs services mentionnés à l'article L. 54-10-2, les prestataires établis en France peuvent solliciter un agrément auprès de l'Autorité des marchés financiers, dans des conditions prévues par décret. ['] ».

21.L'article L.54-10-2 précise que :

« Les services sur actifs numériques comprennent les services suivants :

1° Le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;

2° Le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal ; [...] ».

22.L'article L.54-10-5, VIII, du code monétaire et financier dispose que :

« le retrait d'agrément d'un prestataire agréé ['] est prononcé par l'Autorité des marchés financiers à la demande dudit prestataire. Il peut aussi être décidé d'office par l'Autorité des marchés financiers si le prestataire agréé ne remplit plus les conditions prévues au présent article ou les engagements auxquels étaient subordonnés son agrément ou une autorisation ultérieure. Une telle décision peut aussi être prise si le prestataire agréé a obtenu l'agrément par de fausses déclarations ou par tout autre moyen irrégulier. ».

23.Il résulte de ces dispositions que si l'avis conforme de l'ACPR est requis pour l'obtention ou le retrait de l'enregistrement, tel n'est pas le cas en matière d'agrément. Pour autant, dans les deux cas, l'AMF demeure l'autorité décisionnaire.

24.S'agissant des règles déterminant la juridiction compétente pour connaître des décisions de l'AMF, l'article L.621-30 du code monétaire et financier est ainsi rédigé (soulignements ajoutés) :

« L'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L.621-9 est de la compétence du juge judiciaire. ['] Un décret en Conseil d'État précise les modalités d'application du présent article » (soulignements ajoutés par la Cour)

25.Corrélativement, l'article R.621-45, I, du même code dispose que :

« I. - Les recours contre les décisions de portée individuelle prises par l'Autorité des marchés financiers relatives aux agréments ou aux sanctions concernant les personnes et entités mentionnées au II de l'article L.621-9 sont portés devant le Conseil d'État, selon les modalités prévues par le code de justice administrative. [...] » (soulignements ajoutés par la Cour).

26.L'article L.621-9, II, 21°, de ce code précise que :

« L'Autorité des marchés financiers veille également au respect des obligations professionnelles auxquelles sont astreintes, en vertu des dispositions législatives et réglementaires, les entités ou personnes suivantes ainsi que les personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte : ['] 21° Les prestataires agréés conformément à l'article L.54-10-5. ['] » (soulignements ajoutés par la Cour).

27.Il résulte de l'économie de ces textes que les sociétés qui proposent les services mentionnés aux 1° et 2° de l'article L.54-10-2, et sont ainsi susceptibles de solliciter un agrément, doivent être regardées comme étant au nombre des « entités » mentionnées au II de l'article L.621-9, 21°, du code monétaire et financier.

28.En effet, l'AMF veille au respect des obligations professionnelles auxquels les PSAN sont astreints tant dans le cadre de ses prérogatives en matière d'enregistrement que d'agrément.

29.Ces sociétés relevant du champ de l'exclusion précisé à l'article L.621-30 du code monétaire et financier, l'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers qui les concernent n'est pas de la compétence du juge judiciaire.

30.La société Kamix étant une entité au sens de l'article L.621-9, II, du code monétaire et financier, le recours qu'elle a formé contre une lettre émanant du secrétaire général de l'AMF ne relève pas de la compétence de la Cour.

SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

31.Succombant en son recours, la requérante supportera les dépens de l'instance.

32.Il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

SE DÉCLARE incompétente pour examiner le recours formé par la société Kamix S.A.S. ;

RENVOIE la société Kamix S.A.S. à mieux se pourvoir ;

CONDAMNE la société Kamix S.A.S. aux dépens de l'instance ;

REJETTE sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE

[F] [V]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 20/18849
Date de la décision : 30/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;20.18849 ?
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