La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2022 | FRANCE | N°20/13804

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 30 juin 2022, 20/13804


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 30 JUIN 2022



(n° 15, 24 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 20/13804 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCNAA



Décision déférée à la Cour : décision n° 7 (procédure n° 19-04) de l'Autorité des marchés financiers en date du 28 juillet 2020





REQUÉRANTS :



SOCIÉTÉ ÉLECTRICITÉ DE FRANCE S.A.


Prise en la personne du Président de son conseil d'administration et Directeur général

Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 552 081 317

Ayant son siège social au [Adresse 3]

[Localité 7]...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 30 JUIN 2022

(n° 15, 24 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 20/13804 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCNAA

Décision déférée à la Cour : décision n° 7 (procédure n° 19-04) de l'Autorité des marchés financiers en date du 28 juillet 2020

REQUÉRANTS :

SOCIÉTÉ ÉLECTRICITÉ DE FRANCE S.A.

Prise en la personne du Président de son conseil d'administration et Directeur général

Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 552 081 317

Ayant son siège social au [Adresse 3]

[Localité 7]

Élisant domicile au cabinet de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES

[Adresse 11]

[Localité 6]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Maîtres Stéphane BENOUVILLE et Hervé PISANI du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER, avocats au barreau de PARIS, toque : J007

M. [L] [G]

Né le 29 Juin 1949 à [Localité 14]

Domicilié [Adresse 5]

[Localité 12]

Élisant domicile au cabinet de Me ETEVENARD

[Adresse 4]

[Localité 8]

Comparant

Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assisté de Maîtres Jean-Pierre MIGNARD et Pierre-Emmanuel BLARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS, avocats au barreau de PARIS, toque : P0113

REQUÉRANT INCIDENT :

Monsieur [P] [R], président de l'Autorité des marchés financiers

Né le 31 Août 1956 à [Localité 13]

Élisant domicile au siège de l'AMF

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représenté par Mme [Y] [M], dûment mandatée

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de son président en exercice

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Mme [Y] [M], dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 octobre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

' Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, première présidente de chambre, présidente,

' Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,

' Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

' contradictoire

' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

' signé par Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, première présidente de chambre, et par MmeVéronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la décision n° 7 de la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (procédure n° 18/04) du 28 juillet 2020 ;

Vu la déclaration de recours enregistrée sous le RG n° 20/13877 déposée le 2 octobre 2020 par M. [L] [G] ;

Vu la déclaration de recours enregistrée sous le RG n° 20/13804 déposée le 5 octobre 2020 par la société EDF ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la Cour le 19 octobre 2020 par M. [G] ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la Cour le 20 octobre 2020 par la société EDF ;

Vu le recours incident formé le 3 décembre 2020 par le président de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu l'ordonnance de jonction des recours du 15 décembre 2020 enregistrant l'affaire sous le RG n° 20/13804 ;

Vu les observations écrites de l'Autorité des marchés financiers déposées au greffe de la Cour le 15 mars 2021';

Vu le mémoire en réponse et récapitulatif déposé au greffe de la Cour le 15 juin 2021 par la société EDF';

Vu le mémoire n° 2 déposé au greffe de la Cour le 15 juin 2021 par M. [G]';

Vu l'avis du ministère public du 8 octobre 2021 communiqué le même jour aux parties.

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE4

Le projet Hinkley Point C4

Le communiqué de presse de la société EDF du 21 octobre 2013 intitulé « accord sur les termes commerciaux des contrats relatifs au projet de centrale nucléaire Hinkley Point C »5

La conférence d'analystes de la société EDF du 21 octobre 20136

L'annonce de la Commission européenne du 8 octobre 20147

Le communiqué de presse de la société EDF du 8 octobre 2014 intitulé « Approbation par la Commission Européenne des accords relatifs au projet de centrale nucléaire Hinkley Point C »7

Les étapes ultérieures8

La procédure devant l'Autorité des marchés financiers8

Les recours formés9

MOTIVATION11

I. L'ABSENCE ALLÉGUÉE DE TOUT CARACTÈRE INEXACT OU TOMPEUR DE L'INFORMATION COMMUNIQUÉE LE 8 OCTOBRE 201411

A. Le niveau de connaissance disponible au sein d'EDF en septembre et octobre 2013 s'agissant de la garantie IUK12

B. Les annonces contenues dans le communiqué de presse du 21 octobre 2013 s'agissant de la garantie IUK15

C. Les informations relatives à la garantie IUK communiquées lors de la conférence d'analystes du 21 octobre 201318

D. Les annonces contenues dans le communiqué de presse du 8 octobre 2014 s'agissant de la garantie IUK au regard des annonces du 21 octobre 201320

II. L'APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS23

FAITS ET PROCÉDURE

1.Électricité de France SA (ci-après « la société EDF ») est la société mère d'un groupe intégré présent sur l'ensemble des métiers de l'électricité.

2.L'action EDF, admise aux négociations sur le compartiment A d'Euronext [Localité 16], est entrée dans la composition de l'indice CAC 40 jusqu'au 21 décembre 2015. L'État français en détient 85 %. Au 31 décembre 2019, la capitalisation boursière d'EDF s'élevait à 30,82 milliards d'euros.

3.Nommé par décret du 25 novembre 2009, M. [L] [G] a occupé les fonctions de président-directeur général de la société EDF jusqu'à son départ le 22 novembre 2014.

Le projet Hinkley Point C

4.En 2009, le groupe EDF (ci-après « EDF ») a fait l'acquisition de la société de droit anglais British Energy, qui exploite 15 réacteurs nucléaires du Royaume-Uni, devenant, par l'intermédiaire de sa filiale, renommée EDF Energy, un acteur majeur du marché britannique de l'électricité.

5.EDF a initié un projet de construction d'une centrale nucléaire dotée de deux réacteurs à eau pressurisée (European Pressurized Reactor ou « EPR »), chacun pourvu d'une capacité de 1 650 mégawatts, générant à terme l'équivalent de 7 % de la production totale d'électricité du pays sur le site d'Hinkley Point C dans le Somerset au Royaume Uni (ci-après « HPC »).

6.Au cours des années 2011 et 2012, EDF a obtenu l'autorisation des autorités locales pour la construction de la centrale, le permis de construire pour la phase de préparation du site, l'accord de l'autorité de sûreté nucléaire anglaise pour l'utilisation de la technologie EPR et l'octroi à la société NNB New Generation Company Limited (ci-après, « NNB GenCo »), qui porte le projet, d'une licence autorisant le développement d'une centrale nucléaire sur le site HPC.

7.Entre 2013 et 2015, EDF a communiqué publiquement plusieurs fois en faisant état d'avancées majeures sur ce projet.

Le communiqué de presse de la société EDF du 21 octobre 2013 intitulé « accord sur les termes commerciaux des contrats relatifs au projet de centrale nucléaire Hinkley Point C »

8.Le communiqué de presse du 21 octobre 2013 (ci-après « le premier communiqué »), de 5 pages, comprend, en exergue, le résumé des points clés suivant :

« ' le Groupe EDF et le Gouvernement Britannique sont parvenus à un accord sur les principaux termes commerciaux du contrat d'investissement relatif à Hinkley Point C (HPC) ;

' le projet bénéficiera du programme de garantie de financement des infrastructures mis en place par le Gouvernement Britannique, selon les conditions et termes à définir ;

' le Groupe EDF annonce des nouveaux partenaires et confirme les principaux fournisseurs ;

' la décision finale d'investissement reste soumise à la réalisation de certaines étapes clés. »

9.Il est ensuite notamment mentionné que :

« Les accords portent sur :

' les principaux termes commerciaux du contrat d'investissement de Hinkley Point ;

' la confirmation que le projet va bénéficier d'une garantie de financement dans le cadre du programme infrastructure UK mis en place par le Gouvernement Britannique selon les conditions et termes à définir ;

' les lettres d'intention relatives aux investissements des partenaires EDF ;

' les quatre principaux contrats liés à l'ingénierie et à la construction ;

' les termes du programme de financement du démantèlement de Hinkley Point C ».

10.Le communiqué précise ensuite, en substance, que l'accord d'investissement conclu pour 35 ans à compter de la mise en service de la centrale, repose sur un mécanisme du Contact for Difference (ci-après « CfD »), lequel doit permettre à NNB GenCo de percevoir un complément de prix lorsque les prix du marché de l'électricité se situeront en-dessous du prix d'exercice fixé à 92,5 livres sterling par mégawatt/heure. Dans l'hypothèse inverse, en cas de dépassement du prix d'exercice, la NNB GenCo reverse l'écart entre le prix du marché et le prix d'exercice à l'entité publique britannique contrepartie du CfD.

11.Le communiqué de presse indique, en outre, que la « structure actionnariale anticipée » pourrait être EDF à hauteur de 45 à 50 % du projet, Areva à hauteur de 10 % et les sociétés chinoises China General Nuclear Corporation (ci-après, « CGN ») et China National Nuclear Corporation, avec lesquelles coopère EDF notamment sur le projet de construction de centrales nucléaires à [Localité 17] en Chine à hauteur 30 à 40 %, des discussions ayant également lieu avec d'autres investisseurs intéressés dont la participation pourrait aller jusqu'à 15 %.

12.Il est aussi précisé que sous réserve d'une décision finale d'investissement escomptée d'ici juillet 2014, la mise en service est prévue en 2023 et que les coûts totaux d'ici à la mise en service devraient être proches de 18 milliards de livres (exprimés en valeur de 2012).

13.Le communiqué de presse comprend enfin une avant-dernière rubrique intitulée « Garantie de financement dans le cadre du programme Infrastructure UK », laquelle indique :

« Le Gouvernement a confirmé que le projet est éligible au programme de garantie de financement pour les infrastructures (Infrastructure UK). Il est actuellement envisagé que, sous réserve d'une due diligence réalisée par IUK, une dette garantie par le Trésor Britannique financera les coûts globaux de construction avant la mise en service à hauteur de 65 %.

Infrastructure UK mène une due diligence détaillée du projet afin de déterminer le périmètre de la garantie et d'en finaliser les termes et conditions ».

14.Le communiqué se termine par l'évocation des « prochaines étapes », la décision finale d'investissement pour l'ensemble des partenaires restant soumise à un certain nombre de conditions, notamment :

' l'accord sur l'ensemble du contrat d'investissement ;

' la finalisation des accords entre EDF et ses partenaires industriels pour leur entrée au capital et Infrastructure UK pour le financement en dette ;

' une décision de la Commission européenne relative aux aides d'État.

La conférence d'analystes de la société EDF du 21 octobre 2013

15.En complément, il a été communiqué lors d'une conférence du même jour, à destination des analystes financiers, et dont la transcription a été publiée sur le site internet d'EDF, les éléments suivants, s'agissant du financement par dette garantie :

' « (L)a garantie du trésor britannique pour le financement de la dette est un soutien essentiel pour le projet » (H. [G], p. 3 du transcript), elle « contribue à renforcer la confiance des investisseurs en confirmant que le gouvernement veillera à l'efficacité du CfD » (X, président- directeur général d'EDF Energy, p. 7 du transcript) ;

' « Les autres engagements du groupe EDF comprendront également un "contingent equity" qui sera plafonné et dont le montant reste à définir ». (Y, directeur exécutif d'EDF en charge des finances p. 9 du transcript)

' « Le financement de la dette sans recours importe également (...).

Tout d'abord, 65 % du projet seront financés par la dette et devraient bénéficier d'une garantie d'Infrastructure UK ; ils offriraient par conséquent un accès aux marchés des obligations souveraines. Les discussions se poursuivent avec IUK qui procède actuellement à un processus complet de vérification préalable.

En outre, le financement devrait être structuré (...) sans possibilité de recours contre les promoteurs du projet. Cela signifie qu'il n'y aura aucune contre-garantie des promoteurs vis-à-vis d'IUK et aucune garantie de bonne fin. Cela signifie également que l'engagement des promoteurs sera limité à leur participation de référence et soumis à un plafonnement de leur responsabilité éventuelle.

Enfin, le financement sera soutenu par la capacité de crédit appropriée des promoteurs, limité à leur propre engagement vis-à-vis du projet et non à titre solidaire. » (Y, directeur exécutif d'EDF en charge des finances, p.9 du transcript) ;

16.En réponse à une question sur « la forme de l'engagement de capitaux pour les dépenses en immobilisation au fil des années » :

« Il est trop tôt pour entrer dans de tels détails puisqu'il s'agit plus ou moins de la forme de notre financement du capital, compte tenu du fait que la dette est sans recours. Nous avons encore du travail devant nous pour ce qui est de la structure de financement et les discussions que nous aurons avec le Royaume-Uni en font partie bien sûr. Comme je l'ai dit, ce qui est important pour EDF c'est avant tout la forme d'équité des tirages et elle dépendra bien sur de la date à laquelle la dette est elle-même utilisée. C'est un peu trop tôt pour se prononcer en détail sur cette question » (Y, p. 11 du transcript).

17.En réponse à une question sur l'hypothèse d'un financement de la dette à 55 % :

« Là encore, il serait un peu prématuré de vous communiquer nos hypothèses dans la mesure où nous sommes en discussion, entre autres, avec IUK, mais la structure ' cette garantie ' nous donnerait accès au marché des obligations souveraines. Nous avons pu constater précédemment qu'une faible marge est appliquée au coût de la dette souveraine, il s'agit là des hypothèses que nous retenons dans notre modélisation. Mais encore une fois cela devra être clarifié et confirmé au cours du premier semestre de l'année prochaine lorsque nous avancerons sur la structure de financement. » (Y, p. 15 du transcript)

18.En réponse à une demande que soient donnés « quelques détails sur le contingent equity » :

« (I)l s'agit là encore de capitaux propres qui seront engagés par chaque investisseur participant. Leur montant sera plafonné, de sorte qu'ils constitueront avec la prise de participation le risque maximal que chaque investisseur supportera dans ce projet. Ce chiffre dépendra de nos discussions avec IUK et de certains scénarios que nous envisageons actuellement. Là encore, il s'agit d'un exemple de paramètre que nous devons confirmer ultérieurement, à la fin du processus de vérification préalable et des discussions avec IUK ».(Y, p.16 du transcript).

L'annonce de la Commission européenne du 8 octobre 2014

19.Le Royaume-Uni a notifié le 22 octobre 2013 à la Commission européenne, en vue de l'examen de leur compatibilité avec la réglementation sur les aides d'État, les trois mesures qu'il entendait adopter au soutien du projet HPC, à savoir le mécanisme du CfD, la garantie de la dette fournie par IUK et l'accord du secrétaire d'État concernant l'indemnisation des investisseurs, au cas où le gouvernement Britannique déciderait de fermer la centrale d'Hinkley Point pour des raisons politiques.

20.La Commission européenne a, par communiqué de presse du 8 octobre 2014, a annoncé que « le projet Britannique amendé » était conforme aux règles de l'Union européenne.

21.Le communiqué de presse de la Commission évoque ce projet ainsi qu'il suit :

« Le Royaume-Uni prévoit d'instaurer un mécanisme de soutien des prix ' 'le contrat d'écart compensatoire' ' qui garantira des recettes stables à l'exploitant de la centrale nucléaire de Hinley Point pendant une période de 35 ans. L'exploitant bénéficiera également d'une garantie de l'État couvrant toute la dette qu'il chercherait à contracter sur les marchés financiers aux fins de construction de la centrale. ».

Le communiqué de presse de la société EDF du 8 octobre 2014 intitulé « Approbation par la Commission Européenne des accords relatifs au projet de centrale nucléaire Hinkley Point C »

22.L'annonce de la Commission européenne a été relayée par EDF dans un communiqué de presse du même jour (ci-après « le second communiqué »), qui rappelle que « les accords portent sur un contrat à long terme relatif à l'électricité produite à Hinkley Point C et sur une garantie concernant la dette du projet » puis indique :

« suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés tandis que les mesures visant à partager les futurs gains potentiels avec les consommateurs sont renforcés ».

23.Il est ajouté, dans une des trois notes de bas de page :

« (L)a garantie de financement proposée dans le cadre du programme Infrastructure UK serait utilisée pour soutenir 65 % du total des coûts prévus préalablement à l'exploitation. Les dispositions de l'UE exigent que les coûts de la garantie de financement, dans le cadre du programme Infrastructure UK fournie par le Gouvernement, soient acquittés à des conditions du marché ».

Les étapes ultérieures

24.En 2015, le président-directeur général de la société EDF a d'abord annoncé, lors d'une conférence de presse du 3 septembre, qu'EDF et ses partenaires d'investissement chinois seraient finalement seuls au tour de table puis, dans un communiqué de presse du 21 septembre, qu'ils financeraient le projet sur leurs fonds propres avec, pour EDF, une consolidation de l'investissement par intégration globale dans ses comptes, avant que ne soit signé, le 21 octobre 2015 à Londres, un accord stratégique d'investissement entre EDF et CGN concernant le projet HPC, en présence du président chinois et du premier ministre britannique.

25.Après un vote du conseil d'administration de la société EDF en faveur de la décision finale d'investissement du projet HPC le 28 juillet 2016, l'approbation finale du gouvernement britannique le 15 septembre 2016 et la signature des contrats définitifs le 29 septembre 2016, les travaux de construction de la centrale ont débuté en mars 2017.

La procédure devant l'Autorité des marchés financiers

26.Le 1er juillet 2016, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'Autorité ») a décidé d'ouvrir une enquête portant sur l'information financière de la société EDF à compter du 1er juillet 2013.

27.Cette enquête a donné lieu à un rapport du 27 novembre 2018.

28.La notification de griefs adressée le 5 avril 2019 à la société EDF lui reproche d'avoir communiqué, en méconnaissance des dispositions de l'article 632-1 du règlement général de l'AMF (ci-après « RGAMF »), à la suite de l'annonce le même jour par la Commission européenne de la validation du mécanisme de CfD et de la garantie du Trésor Britannique sur la dette au regard de la réglementation européenne sur les aides d'État, une information fausse ou trompeuse dans son communiqué de presse du 8 octobre 2014, selon lequel « (...) suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés (...) », au regard :

' des changements très significatifs intervenus sur les caractéristiques de la garantie du Trésor britannique à hauteur de 65 % de la dette dans le schéma de financement annoncé le 21 octobre 2013 ; et,

' de leurs conséquences obligeant EDF à reconfigurer le financement, soit au travers du maintien de la déconsolidation, mais avec un report de la décision finale d'investissement, soit par un schéma de consolidation intégrale.

29.Un grief identique a été notifié le même jour à M. [G], en sa qualité de président-directeur général de la société EDF responsable de sa communication financière jusqu'à son départ le 22 novembre 2014.

30.Il n'y a pas lieu d'évoquer le second grief notifié, qui n'a pas été considéré comme caractérisé et a donné lieu à la mise hors de cause du successeur de M. [G].

31.Le rapporteur a déposé son rapport le 12 mars 2020.

32.Par décision n° 7 du 28 juillet 2020 (ci-après « la décision attaquée »), la commission des sanctions de l'Autorité (ci-après « la Commission des sanctions ») a considéré que le manquement de diffusion d'une information fausse ou trompeuse était caractérisé et a infligé à la société EDF et à M. [G] des sanctions pécuniaires d'un montant, respectivement, de 5 millions d'euros et 50 000 euros.

33.Elle a aussi ordonné la publication de sa décision sous une forme non anonymisée sur le site internet de l'AMF pendant une durée de 5 ans, sauf en ce qui concerne le successeur de M. [G].

Les recours formés

34.Le 2 octobre 2020, M. [G] a formé un recours devant la Cour aux fins, à titre principal de :

' dire que les termes et conditions de la garantie du Royaume-Uni ne figuraient pas dans le communiqué de presse de la société EDF en date du 21 octobre 2013 et n'avaient pas été évoqués lors de la conférence à destination des analystes du même jour ;

' dire le caractère putatif de l'ensemble des éléments relatifs à la garantie du Royaume-Uni dans la communication de la société EDF le 21 octobre 2013 ;

' dire que les modalités dont le Gouvernement britannique avait assorti le déblocage de sa garantie, notamment les clauses dites BCC (Base case condition), FFS (Forecat funding shortfall) et les clauses relatives au capital contingent, ne représentaient pas un changement significatif par rapport aux accords d'octobre 2013 ;

En conséquence,

' dire que le communiqué de presse de la société EDF du 8 octobre 2014 et notamment la phrase « Suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés tandis que les mesures visant à partager les futurs gains potentiels avec les consommateurs sont renforcées » ne constitue pas une information fausse ou trompeuse au sens de l'article 632-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

' dire qu'il n'est pas démontré que les informations contenues dans le communiqué du 8 octobre 2014 ont donné ou sont susceptibles d'avoir donné des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le cours de l'action EDF ou ont fixé ou sont susceptibles d'avoir fixé à un niveau anormal le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers ;

' juger que M. [G] ne savait pas et n'aurait pas dû savoir que les informations figurant dans le communiqué du 8 octobre 2014 étaient susceptibles d'être fausses ou trompeuses ;

En conséquence,

' juger que le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses susceptible de fixer le cours du titre EDF à un niveau anormal ou artificiel n'est pas caractérisé à l'égard de M. [G] ;

' annuler et réformer la décision de la Commission des sanctions en ce qu'elle a prononcé une sanction à l'encontre de Monsieur [G] ;

' débouter le président de l'Autorité des marchés financiers de toutes demandes contraires.

35.M. [G] sollicite aussi, à titre principal, l'annulation de la décision attaquée au motif qu'elle ne satisfait pas l'exigence de motivation d'une sanction ayant le caractère de punition, et, à titre subsidiaire, la modération de celle-ci ainsi que l'anonymisation de la décision.

36.En tout état de cause, il sollicite, enfin, que l'Autorité soit condamnée à lui verser la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

37.Le 5 octobre 2020, la société EDF a formé un recours devant la Cour aux fins, à titre principal, de :

' dire que l'information contenue dans le communiqué du 8 octobre 2014 d'EDF est claire, précise et non trompeuse au sens de l'article 632-1 du règlement général de l'Autorité ;

' dire que l'information contenue dans le communiqué de presse du 8 octobre 2014 d'EDF n'a pas fixé ou n'aurait pas été susceptible de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d'un instrument financier au sens l'article 12(1)(c) du Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché ;

En conséquence,

' annuler la décision de la Commission des sanctions en ce qu'elle a retenu qu'EDF avait commis un manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses susceptible de fixer le cours du titre EDF à un niveau anormal ou artificiel et dire n'y avoir lieu à sanction ;

' rejeter le recours incident formé par le président de l'Autorité.

38.La société EDF demande en outre, à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que la sanction pécuniaire prononcée par la Commission des sanctions est disproportionnée au regard des faits de l'espèce et qu'elle soit réduite en conséquence à de plus justes proportions. Le 3 décembre 2020, le président de l'Autorité a formé un recours incident portant sur l'aggravation du quantum de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société EDF et sollicité que celle-ci soit portée à 8 millions d'euros.

39.L'Autorité et le ministère public invitent la Cour à rejeter les recours formés par M. [G] et par la société EDF.

MOTIVATION

I. L'ABSENCE ALLÉGUÉE DE TOUT CARACTÈRE INEXACT OU TOMPEUR DE L'INFORMATION COMMUNIQUÉE LE 8 OCTOBRE 2014

40.La Commission des sanctions retient, dans la décision attaquée, que le caractère inexact ou trompeur de l'information diffusée, en violation des dispositions de l'article 632-1 du RGAMF, résulte des « modifications substantielles apportées au schéma de financement par dette garantie au cours de la phase d'audit du Trésor britannique » entre le 21 octobre 2013 et le 8 octobre 2014, ces « changements significatifs » n'ayant pas été portés à la connaissance du public (paragraphes 43 et 44).

41.Elle estime, tout d'abord, qu'il ressort des annonces faites au public, à l'occasion du premier communiqué de presse, que la garantie du Trésor britannique était un élément structurant du projet, partie intégrante des accords faisant l'objet des annonces du 21 octobre 2013 (paragraphe 16 de la décision attaquée). Les termes et conditions dont cette garantie serait assortie n'étaient pas encore définis avec précision puisqu'ils dépendaient d'un audit approfondi mené par le gouvernement britannique, mais un certain nombre de « postulats », qu'elle énumère, avaient été annoncés au public (paragraphe 17 de la décision attaquée reproduit paragraphe 82 du présent arrêt). Il ressort par ailleurs, selon elle, d'une présentation interne à EDF du 18 septembre 2013 qu'outre les caractéristiques du financement garanti exposé le 21 octobre 2013, le schéma de financement prévoyait un tirage de la dette garantie avant le capital (paragraphe 18).

42.La Commission des sanctions observe, ensuite, que courant 2014, le gouvernement britannique a assorti le déblocage de sa garantie à la réalisation de deux conditions suspensives, l'achèvement et la mise en service de deux autres projets étrangers ' EPR de Flamanville en France et de Taïshin en Chine ' (paragraphes 22 à 29 de la décision attaquée). Par ailleurs, afin de contourner le risque de « tête de série » et pallier les risques de retard et de dépassement des coûts, l'audit mené par le Trésor britannique a conduit à fixer le montant du capital contingent à 8 milliards de livres sterling, ce qui conduisait à doubler le montant des fonds propres. Ce montant dépassait les prévisions établies par les équipes d'EDF et consistait en une augmentation sensible de l'exposition des actionnaires au risque du projet (paragraphes 32 et 33).

43.La Commission des sanctions retient que ces deux clauses (qu'elle décrit paragraphes 24 et 25 de la décision attaquée), ainsi que le capital contingent de 8 milliards d'euros, ne remettaient pas en cause l'éligibilité du projet à la garantie britannique, mais que ces exigences avaient des conséquences significatives sur le projet puisqu'elles modifiaient le phasage de l'appel à la dette et au capital, créaient un risque d'indisponibilité en cas de non réalisation des conditions, augmentaient de façon conséquente l'exposition des actionnaires au regard des fonds à engager et étaient susceptibles d'impacter l'attractivité du projet pour les investisseurs financiers (paragraphes 30 et 38).

44.La Commission des sanctions se réfère aussi aux déclarations du directeur exécutif d'EDF en charge des finances à l'époque des faits lors de son audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 4 mai 2016, peu après qu'il ait démissionné de ses fonctions, aux termes desquelles :

« Ce projet reposait sur trois piliers essentiels.

Le premier était un contrat de garantie de prix (...)

Le deuxième pilier, c'est la garantie du Trésor britannique sur la dette contractée pour le projet. Il s'agit d'une garantie de l'État britannique portant sur environ 65 % du coût du projet. C'est également un pilier essentiel de la réalisation du projet, pour plusieurs raisons techniques. Cette garantie permet en effet d'avoir accès au crédit dès le début de la construction, sans garantie du constructeur, ainsi qu'à une réserve de liquidités très significative. En outre, le crédit est immédiatement disponible, avec une maturité très longue. Enfin, cette garantie permet de renforcer le partenariat avec notre client, le Gouvernement britannique.

Le troisième pilier, c'est le tour de table. (...)

Tels sont les points essentiels que nous avions annoncés en octobre 2013. Il était indispensable de les annoncer dans leur globalité pour que tout le monde comprenne bien dans quelles conditions nous étions capables de réaliser ce projet.

Or, courant 2014, tout a changé. Le Gouvernement britannique nous a indiqué qu'il ne souhaitait pas prendre le risque 'tête de série', c'est-à-dire le risque EPR. Dès lors, la garantie de financement n'était plus disponible, puisqu'une des conditions émises par le Gouvernement britannique était que l'EPR de [Localité 15] 3 soit connecté au réseau.

Ce qui a également changé, c'est que des engagements très significatifs en fonds propres ont été demandés par le Gouvernement britannique à l'ensemble des partenaires du tour de table.(...)

En 2014, donc, ce n'était plus le même projet que celui que nous avions annoncé en 2013. » (paragraphe 35).

45.La Commission des sanctions en déduit que l'information diffusée dans le second communiqué, selon laquelle « suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés », est fausse (paragraphe 44).

46.La société EDF et M. [G] ne contestent pas qu'il y ait lieu d'examiner le manquement allégué à la lumière de l'article 632-1 du RGAMF, dans sa version applicable à l'époque des faits, et de l'élément constitutif supplémentaire prévu à l'article 12 (1) (c) du Règlement MAR, comme l'a retenu la décision attaquée en son paragraphe 13, mais ils soutiennent que la Commission des sanctions a procédé à une mauvaise appréciation des faits, l'une des conditions du manquement, soit le caractère inexact ou trompeur de l'information communiquée, n'étant pas établie.

47.Ils font valoir qu'il est nécessaire, pour être en mesure de se prononcer sur la teneur du communiqué du 8 octobre 2014, de procéder, de façon détaillée, à l'examen factuel de chacune des séquences successives au cours desquelles le volet « garantie IUK » du projet HPC a été abordé, d'abord en interne, puis lors des annonces auxquelles la société EDF a procédé le 21 octobre 2021, et enfin durant la période qui a suivi.

A. Le niveau de connaissance disponible au sein d'EDF en septembre et octobre 2013 s'agissant de la garantie IUK

48.La société EDF fait valoir que le premier term sheet partagé avec le Trésor britannique l'a été peu de temps avant la publication du communiqué du 21 octobre 2013, comme l'atteste la présentation faite au comité stratégique du conseil d'administration de la société EDF du 18 septembre 2013 (pièce EDF n° 16) à laquelle se réfère le rapporteur p. 12 de son rapport. Elle relève que les discussions avec IUK débutaient donc à peine, alors que, plus généralement, l'ensemble du projet HPC était encore en gestation. Elle soutient que si la garantie Infrastructure UK était, selon les écritures, « fondamentale en son principe », il se déduit des points évoqués lors de cette réunion que le seul élément certain à cette date était l'« éligibilité » du projet HPC à cette garantie, et qu'il n'a été fait référence qu'à elle lors du conseil d'administration de la société EDF du 18 octobre 2013.

49.Il s'en suit, selon la société EDF, que les termes et conditions de la garantie IUK restaient indéterminés à cette date et que c'est dans cette perspective qu'EDF a communiqué, le 21 octobre 2013, principalement sur le CfD et accessoirement sur la confirmation du gouvernement Britannique de l'éligibilité du projet à la garantie IUK.

50.L'Autorité conteste cette analyse et souligne qu'il est notamment mentionné dans la présentation interne à EDF du 18 septembre 2013 que la garantie IUK a un « impact significatif » sur le rendements des capitaux propres, grâce à des conditions de financement attractives qui ne sont pas autrement mobilisables. Elle fait aussi valoir que cette garantie est également évoquée le 18 octobre 2013 devant les administrateurs de la société EDF comme un élément structurant du dossier, et qu'elle est plus particulièrement présentée comme ayant « notamment permis de passer d'un mode de financement corporate à un mode de financement 'projet' ».

Sur ce, la Cour,

51.Il ressort des documents versés aux débats que la question du financement du projet HTC par dette garantie a été évoquée, d'une part, lors du comité de la stratégie de la société EDF du 18 septembre 2013 et, d'autre part, lors du conseil d'administration de la société EDF du 18 octobre 2013.

52.La présentation écrite intitulée « Hinkley Point C Point d'avancement du projet - Comité de la Stratégie » du 18 septembre 2013 (annexe 36 du rapport d'enquête), d'un total de 41 pages, comprend pour l'essentiel les indications suivantes :

p. 19 : « La garantie I-IK a un impact significatif et permet d'atténuer le risque politique

' Améliore significativement la liquidité pour HPC

' Diversifie les sources de liquidités ouvertes à EDF et aux partenaires du projet (accès à des fonds de dette souveraine)

' Améliore la protection contre le risque politique en plus du CfD (IUK est aussi exposé de fait)

' Le bénéfice de la garantie IUK, grâce à des conditions de financement attractives qui ne sont pas autrement disponibles, devrait probablement dépasser l'équivalent de 5£/Mwh par son impact positif sur le rendement des capitaux propres (gearing [ratio d'endettement] de 65 %, période de 35 ans, profil optimisé avec l'utilisation de la dette en amont avant le capital et le remboursement de la dette en aval du projet) » (soulignement rajouté par la Cour).

p. 21 : « Le financement du projet doit limiter les impacts sur le bilan et le rating du Groupe. Pour ce faire, les actions suivantes ont été engagées :

' Discussions avec le Gouvernement Britannique en vue d'obtenir une garantie d'État pour lever la dette, via l'appel à un mécanisme de soutien aux grands projet d'infrastructures nouvellement créé ('infrastructure UK' ou IUK). Un projet d'accord est en discussion (...) » (soulignements rajoutés par la Cour).

p. 22, dans un tableau, intitulé « Financement Dette et IUK - Term Sheet : Conformément à nos attentes, les garanties apportées par EDF et le niveau d'endettement du projet sont des points de discussions déterminants », lequel décrit succinctement la « première version d'un term sheet partagé avec le Trésor britannique (HMT) » ainsi qu'il suit :

« 1. Niveau d'endettement : jusqu'à [65 %] des coûts éligibles du projet - IUK a toutefois précisé qu'un niveau d'endettement supérieur pouvait être envisagé (...)

2. Etendue de la garantie : prêt à envisager un niveau de garantie allant jusqu'à 100 % (..)

3. Echéance : l'échéance pourrait être alignée avec la fin du CfD

4. Utilisation et amortissement : HMT est prêt à considérer un tirage de la dette en début du projet et un amortissement vers la fin du Cfd (...) » (soulignements rajoutés par la Cour).

p. 38 (qui traite de la procédure d'examen d'aide d'État) :

« La garantie IUK est considérée comme donnée aux conditions du marché. Cependant, les préteurs auront besoin de clarification sur l'autorisation d'aide d'État pour la considérer comme un risque souverain ».

53.Le procès-verbal du conseil d'administration de la société EDF réuni un mois plus tard, le 18 octobre 2013 (pièce EDF n° 18), d'un total de 19 pages, comprend, à propos du financement du projet HTC par dette garantie, les mentions suivantes :

p. 4 : « Dans le cadre du conditionnal commercial close, le Gouvernement Britannique a en outre confirmé le principe de l'octroi de la garantie étatique sur la dette couvrant l'ensemble des coûts du projet (développement, construction et intérêts intercalaires), sous réserve d'une due diligence approfondie. Cette garantie, qui a notamment permis de passer d'un mode de financement corporate à un mode de financement 'projet' doit encore faire l'objet d'une négociation détaillée avec Infrastructure UK d'ici l'adoption du conditional financial close » (soulignements rajoutés par la Cour).

p. 6 : « S'agissant de la problématique de l'aide d'État, l'ensemble du dispositif contractuel (CfD et garantie de l'État Britannique sur la dette) fera l'objet d'une notification aux instances européennes dès la confirmation de l'accord de principe sur les Heads of Terms du CfD (...). (Le) conditional commercial close, qui est conditionnel, ne constitue donc qu'une étape. Un travail a d'ors et déjà été engagé sur le financial close qui pourrait être conclu au cours du premier semestre 2014, après un travail important tant avec les partenaires que sur l'accord détaillé quant à la garantie pour le projet, qui va impliquer des due diligences sur l'ensemble des contrats et sur les conditions de l'octroi de cette garantie. » (soulignements rajoutés par la Cour).

p. 16 (vote relatif à la « lettre d'intention liant Areva et EDF Energy ») :

« I- Prenant acte de l'état d'avancement des discussions relatives au Projet et, en particulier : (...)

' du principe d'octroi par le Gouvernement anglais d'une garantie financière pour le projet (l'infrastructure UK Garantee ou IUK) sous réserve d'une due diligence en cours ; » (soulignements rajoutés par la Cour).

54.La Cour retient qu'il ressort, en premier lieu, des termes mêmes employés dans ces documents internes que les négociations entreprises sur la garantie Infrastructure UK en étaient alors à leurs débuts et qu'elles étaient, à ce stade, assez ouvertes.

55.Le Trésor britannique paraissait même prêt à envisager des mesures ayant pour effet d'accroître l'étendue de la garantie (selon la première version du Term sheet, niveau de garantie pouvant aller jusqu'à 100 %, niveau envisagé d'endettement supérieur à 65 %), sous réserve cependant d'une due diligence approfondie, ce qui appelait des « négociations détaillées ».

56.La Cour constate, en deuxième lieu, que si le « principe de l'octroi de la garantie » est présenté comme acquis tant dans le document soumis au comité de la stratégie de la société EDF du 18 septembre 2013 que dans le procès-verbal du conseil d'administration de la société EDF du 18 octobre 2013 (mode affirmatif par utilisation du présent ainsi que du terme « confirmé »), le conditionnel est employé dans la quasi-totalité des phrases, associé dans un cas au mot « probablement ».

57.Il est aussi indiqué que la due diligence porte sur les contrats mais aussi sur« les conditions de l'octroi de (la) garantie ».

58.Il est précisé que les pourparlers qui débutent permettent à EDF d'envisager de « passer d'un mode de financement corporate à un mode de financement projet », mais sans aucune certitude à ce stade, la garantie « (devant) encore faire l'objet d'une négociation détaillée avec Infrastructure UK d'ici l'adoption du conditionnal financial close ».

59.La Cour retient, en troisième lieu, que c'est de manière erronée que le paragraphe 18 de la décision attaquée mentionne qu'il ressort de la présentation interne à EDF du 18 septembre 2013 que le schéma de financement prévoyait un tirage de la dette garantie avant le capital, alors que ce document mentionne seulement que le Trésor britannique est « prêt à considérer un tirage de la dette en début du projet », ce qui est notablement différent.

60.Les conséquences positives d'un tirage de la dette avant le capital, qui sont présentées au paragraphe 20 de la décision attaquée (diminution du risque des créancierspermettant d'attirer plus facilement les investissements nécessaires, remplacement en partie du « capital comme coussin ») étaient, dans ces circonstances, totalement hypothétiques. Force est de constater qu'elles n'ont à aucun moment été exposées.

61.La Cour observe, en quatrième lieu, que la question du financement du projet HPC par dette garantie n'est pas abordée plus avant dans ces documents.

62.Il se déduit de ce qui précède qu'il ressort de l'examen des pièces internes à EDF de septembre et octobre 2013 versées aux débats que si le « principe de l'octroi de la garantie étatique sur la dette couvrant l'ensemble des coûts du projet » avait été confirmé par le gouvernement britannique, ni le périmètre de la garantie, ni les termes et conditions de celle-ci, n'étaient alors connus. Ils restaient donc indéterminés au 18 octobre 2013.

B. Les annonces contenues dans le communiqué de presse du 21 octobre 2013 s'agissant de la garantie IUK

63.La société EDF fait valoir que l'objet principal du premier communiqué était d'annoncer un accord entre EDF et le gouvernement britannique sur les principaux termes commerciaux du CfD, ce qui était déterminant pour assurer la pérennité économique du projet HPC. Dans un second temps, ce communiqué fait état de la confirmation par le gouvernement britannique de l'éligibilité du projet à la garantie IUK, en soulignant qu'à l'inverse du CfD, il n'existait pas d'accord sur les termes de cette garantie. La société EDF soutient qu'ainsi, si la garantie IUK était un élément structurant du projet, la dette pouvant bénéficier de cette garantie étant destinée à financer les coûts globaux de construction avant la mise en service à hauteur de 65 %, elle est toutefois présentée de manière accessoire dans ce communiqué, précisément parce que, à l'inverse du CfD, il n'existait pas alors d'accord, même de principe, sur les termes de cette garantie. La seule information qui pouvait être annoncée était la confirmation que le projet était éligible à la garantie IUK. Le périmètre et les termes et conditions de cette garantie restaient entièrement à discuter à l'issue de la « due diligence détaillée » conduite par IUK.

4.La société EDF se prévaut aussi de l'audition du 27 juin 2017, réalisée par les enquêteurs, du dirigeant d'EDF Energy UK et principal interlocuteur du gouvernement britannique (annexe 69 du rapport d'enquête) qualifiant le CfD de « pilier économique du projet » et soulignant que « concomitamment à la signature des Heads of Terms du CfD, nous avons obtenu la confirmation formelle de l'éligibilité du projet à l'IUK ».

65.La société EDF ajoute que l'éligibilité du projet à la garantie IUK correspond à une notion reconnue par le droit anglais, à savoir la première étape de présélection du projet avant la phase d'audit qui conduit ou non à l'approbation par le Chancelier de l'Échiquier et renvoie, pour la présentation du dispositif au communiqué de presse du gouvernement britannique du 18 juillet 2012 (pièce EDF n°20), en observant que ces critères d'éligibilité ne font pas l'objet d'une application stricte par le Trésor, lequel les souhaitait flexibles (pièce EDF n° 22 - rapport du Trésor britannique du 28 janvier 2015 intitulé « UK Garantiees scheme for infrastructure »). Elle souligne, enfin, que les termes définitifs de la garantie IUK n'ont été arrêtés que le 17 septembre 2015.

66.M. [G] développe une argumentation similaire. Il ajoute que la Commission des sanctions retient au demeurant au paragraphe 17 de la décision attaquée que les termes et conditions dont la garantie serait assortie « n'étaient pas encore définis avec précision, comme indiqué dans le communiqué de presse (...) puisqu'ils dépendaient d'un audit approfondi mené par le Gouvernement britannique ». M. [G] fait en outre valoir que des clauses très substantielles ont pu être ajoutées après le 21 octobre 2021 précisément parce que les termes et conditions n'étaient absolument pas aboutis à cette date.

67.L'Autorité répond qu'il ne peut être sérieusement soutenu que la garantie du Trésor britannique, élément fondamental pour le financement du projet dont les coûts totaux jusqu'à sa mise en service étaient estimés à 16 milliards de livres sterling, se trouvait, à cette date, à l'état embryonnaire. Elle observe que le communiqué de presse du 21 octobre 2013 précise que la « finalisation » des termes et conditions de la garantie dépendait d'un audit mené par le Trésor britannique. Elle ajoute que cette garantie était un élément structurant du projet, comme en témoigne le fait que c'est un des trois éléments soumis dès le 22 octobre 2013 à la Commission européenne pour l'examen de sa conformité au regard des règles sur les aides d'État, au coté du CfD et d'un accord du secrétaire d'État sur l'indemnisation des investisseurs en cas de fermeture de la centrale pour raisons politiques.

Sur ce, la Cour,

68.Parmi les quatre tirets qui sont placés en exergue du communiqué du 21 octobre 2013, et qui bénéficient d'une police spécifique d'écriture (en gras et de couleur et de taille différentes du reste du document), il est mentionné un deuxième tiret ainsi formulé :

« ' le projet bénéficiera du programme de garantie de financement des infrastructures mis en place par le Gouvernement Britannique, selon les conditions et termes à définir » (voir paragraphe 8 et suivants du présent arrêt - soulignements rajoutés par la Cour).

69.Le communiqué comporte, ensuite, l'indication suivante :

« Les accords portent sur : (...)

' la confirmation que le projet va bénéficier d'une garantie de financement dans le cadre du programme infrastructure UK mis en place par le Gouvernement Britannique selon les conditions et termes à définir » (voir paragraphe 9 du présent arrêt - soulignements rajoutés par la Cour).

70.Le communiqué de presse comprend, de plus, une avant-dernière rubrique intitulée « Garantie de financement dans le cadre du programme Infrastructure UK », laquelle indique :

« Le Gouvernement a confirmé que le projet est éligible au programme de garantie de financement pour les infrastructures (Infrastructure UK). Il est actuellement envisagé que, sous réserve d'une due diligence réalisée par IUK, une dette garantie par le Trésor Britannique financera les coûts globaux de construction avant la mise en service à hauteur de 65 %.

Infrastructure UK mène une due diligence détaillée du projet afin de déterminer le périmètre de la garantie et d'en finaliser les termes et conditions » (soulignements rajoutés par la Cour).

71.Le communiqué évoque, enfin, parmi les trois « prochaines étapes (...), la finalisation des accords entre EDF et ses partenaires industriels pour leur entrée au capital et Infrastructure UK pour le financement en dette » (voir paragraphe 14 du présent arrêt).

72.La Cour retient, en premier lieu, qu'il résulte des termes mêmes du communiqué du 21 octobre 2013 que le principe du bénéfice d'une garantie de financement dans le cadre du programme infrastructure UK fait partie des « accords ».

73.Cependant, si cette information est présentée sur un mode affirmatif, elle est suivie des mots : « selon des conditions et termes à définir ».

74.La Cour relève, en deuxième lieu, que la rubrique du communiqué qui traite plus particulièrement de cette garantie indique que le gouvernement britannique a confirmé que le projet « est éligible » à son programme de financement des infrastructures, et que les deux paragraphes que contient cette rubrique font explicitement référence à l'importance de la due diligence menée en lien par Infrastructure UK.

75.Il s'agit de « déterminer le périmètre de la garantie », puis d' « en finaliser les termes et conditions ».

76.La garantie par le Trésor britannique est en outre évoquée comme susceptible de financer ' et non comme finançant ' les coûts globaux de construction avant la mise en service à hauteur de 65 % (« il est actuellement envisagé », « sous réserve d'une due diligence réalisée par IUK »).

77.La Cour observe, en troisième lieu, que la question du financement du projet HTC n'est pas abordée plus avant dans ce communiqué (lequel comprend 5 pages).

78.Force est de constater que les ordres respectifs d'appel à dette, d'une part, et au capital, d'autre part, de même que la problématique des capitaux propres engagés par chaque investisseur participant (contingent equity), ne sont évoqués à aucun moment.

79.Il se déduit de ce qui précède qu'aucune indication n'est apportée dans le communiqué de presse du 21 octobre 2013 quant aux termes et conditions de la garantie IUK, lesquels sont présentés comme « à définir ».

80.Ainsi que l'a retenu la Commission de sanctions au paragraphe 17 de la décision attaquée, ces termes et conditions « dépendaient » de l'audit approfondi à venir du gouvernement britannique.

81.Ce premier communiqué se limite donc, pour la partie financement par dette garantie, à annoncer que le projet est éligible au programme britannique de garantie de financement pour les infrastructures et qu'une due diligence va être réalisée par IUK, les autres précisions apportées l'étant sur un mode hypothétique.

C. Les informations relatives à la garantie IUK communiquées lors de la conférence d'analystes du 21 octobre 2013

82.La Commission des sanctions, au paragraphe 17 de la décision attaquée, retient que les 5 « postulats » suivants ont été annoncés au public :

« ' la garantie du trésor britannique était un 'soutien essentiel pour le projet', 'contribuant à renforcer la confiance des investisseurs en confirmant que le gouvernement veillerai à l'efficacité du CfD' ;

' 65 % du projet devait être financé par la dette garantie par le Trésor britannique, offrant à EDF un accès aux marchés des obligations souveraines ;

' le financement devait être structuré 'sans possibilité de recours contre les promoteurs du projet', le directeur financier d'EDF expliquant que 'cela signifie qu'il n'y aura aucune contre-garantie des promoteurs vis-à-vis d'IUK et aucune garantie de bonne fin. Cela signifie également que l'engagement des promoteurs sera limité à leur participation de référence et soumis à un plafonnement de leur responsabilité éventuelle' ;

' le financement devait être soutenu 'par la capacité de crédit appropriée des promoteurs, limité à leur propre engagement vis-à-vis du projet et non à titre solidaire' ;

' à côté du capital de base investi par chaque partenaire au projet, des capitaux propres, désigné comme le capital contingent, au montant plafonné seraient également requis, 'de sorte qu'ils constitueront avec la prise de participation le risque maximal que chaque investisseur supportera dans ce projet'. Il était précisé, s'agissant du montant de ce capital contingent, que le ' chiffre dépendra de nos discussions avec IUK et de certains scénarios que nous envisageons actuellement. Là encore, il s'agit d'un exemple de paramètres que nous devrons confirmer ultérieurement, à la fin du processus de vérification préalable et des discussions avec IUK' » (Soulignements rajoutés par la Cour).

83.M. [G] soutient que les informations relatives à la garantie IUK communiquées à l'occasion de la conférence à destination des analystes du 21 octobre 2013 présentent un caractère putatif. Il fait valoir que si M. [Z], directeur exécutif EDF en charge des finances, a informé les analystes de l'état des discussions avec le gouvernement britannique au jour de la conférence, il est revenu à de multiples reprises sur le caractère hypothétique de ces estimations, montrant qu'aucune hypothèse ne devait être confirmée tant qu'IUK n'aurait pas procédé aux due diligences nécessaires. M. [G] fait notamment référence aux deux dernières réponses aux questions posées (p. 15 et 16 du transcript, reproduites paragraphes 17 et 18 du présent arrêt).

84.Il fait aussi observer que les propos de mai 2016 de M. [Z] figurant paragraphe 35 de la décision attaquée ne traduisent pas la réalité et sont en contradiction avec les propos qu'il a tenus lors de la conférence d'analystes. M. [G] soutient qu'il convient de tenir compte du contexte dans lequel sont intervenues ces déclarations, deux mois après que l'intéressé ait démissionné en raison, notamment, de nombreux désaccords quant au réacteur EPR de HPC. Il rappelle en outre avoir, lors de son audition du 28 novembre 2019, émis l'hypothèse que l'intéressé ait un peu confondu les dates. Il souligne que M. [Z] s'en est expliqué lors de son audition devant les enquêteurs le 16 mars 2017, indiquant notamment :

« Il me paraissait indispensable (en 2013) d'être clair sur les conditions dans lesquelles EDF pouvait faire le projet. Je voulais éviter qu'on annonce en octobre 2013 un accord commercial avec le gouvernement britannique et qu'on donne l'impression que le projet était fait et que c'était inéluctable, alors qu'il restait des conditions essentielles de réalisation à venir : je vise l'accord avec les différents partenaires et le schéma de financement notamment » (Annexe 67 du rapport des enquêteurs, p. 5).

85.La société EDF fait valoir, s'agissant plus spécifiquement du capital contingent, qu'aucune estimation de son montant ne pouvait être déterminé à ce stade, et que EDF avait écarté toute communication à ce sujet, l'information ne pouvant encore être qualifiée de précise. Elle ajoute qu'il ressort clairement des propos tenus lors de la conférence d'analystes qu'un financement pour l'engagement de capital contingent était prévu et que le montant de celui-ci n'était pas déterminé ni déterminable à ce stade, le directeur exécutif EDF en charge des finances ayant précisé que son montant « reste à définir » (voir paragraphe 15 du présent arrêt).

86.Elle soutient qu'il eut été impossible à EDF de communiquer sur plusieurs scenarii, nécessairement inexacts, ou bien encore de diffuser auprès des investisseurs des estimations internes dont l'objet était principalement de servir d'arguments dans le cadre de la négociation avec le gouvernement britannique.

87.Elle souligne aussi que le communiqué du 21 octobre 2013 ne faisait aucune mention des modalités du phasage de l'appel de la dette et au capital et que lors de la conférence du même jour, le directeur exécutif EDF en charge des finances a souligné, en réponse à une question que toute réponse détaillée serait prématurée (voir paragraphe 16 du présent arrêt).

88.L'Autorité renvoie à l'énumération des « postulats » du paragraphe 17 de la décision attaquée en faisant valoir que la Commission des sanctions a noté que certains détails concernant la garantie IUK ont été donnés au public lors de la conférence d'analystes, puisqu'elle avait suscité de nombreuses interrogations.

89.Elle fait aussi référence à une autre partie des propos de M. [Z] lors de son audition devant les enquêteurs, aux termes desquelles :

« selon les principes de l'accord trouvé en 2013, la garantie du gouvernement britannique servait non seulement à avoir accès à la dette (sujet de liquidité) mais protégeait aussi les actionnaires contre tout recours. Donc les actionnaires n'étaient engagés qu'à hauteur de leurs fonds propres ». (Annexe 67 p. 7)

90.Le ministère public soutient que si l'annonce de la garantie du gouvernement britannique s'accompagnait de réserves dans le premier communiqué de presse et dans la transcription de la conférence d'analystes du 21 octobre 2013, des éléments relatifs à cette garantie ont été dévoilés lors de cette conférence, comme la Commission des sanctions l'a relevé au paragraphe 17 de sa décision.

Sur ce, la Cour,

91.La Cour constate, en premier lieu, que le premier tiret du paragraphe 17 de la décision attaquée fait état de propos qui relèvent de la mise en perspective et de l'analyse et qui ne peuvent être considérés, par eux-mêmes, comme une information.

92.La Cour retient, en deuxième lieu, qu'il ne peut être déduit des indications mentionnées dans les 2ème à 4ème tirets du paragraphe 17 de la décision attaquée, telles qu'elles figurent (dans une partie d'un seul tenant) dans le transcript de la conférence d'analystes, que les conditions d'octroi de la garantie IUK aient été ' ne serait-ce que partiellement ' connues.

93.Force est de constater, à cet égard, que les indications contenues dans ces trois tirets ont une portée plus réduite que celle qui a pu leur être conférée, en raison de la reformulation, dans la décision attaquée, des propos en mode affirmatif, par leur transcription au présent, au lieu du conditionnel utilisé à trois reprises lors de la conférence d'analystes, ainsi que l'établissent les pièces produites (voir les mots soulignés paragraphe 18 du présent l'arrêt, à comparer à la formulation reproduite paragraphe 15 de l'arrêt ainsi qu'au support de présentation en anglais figurant en annexe 1 du rapport du rapporteur, diapositive p.17, lequel utilise les formules « would benefit from an Infrastructure UK garantee »,« subject to Infrastructure UK due diligence », « anticiped to », « discussions ongoing with IUK », « comprehensive due diligence »).

94.Force est de constater, en outre, que le paragraphe 17 de la décision attaquée, lorsqu'il cite un extrait de la page 9 de la conférence d'analystes (reproduite paragraphe 15 du présent arrêt), ne mentionne pas la phrase : « Les discussions se poursuivent avec IUK qui procède actuellement à un processus complet de vérification préalable » (soulignement rajouté par la Cour).

95.La Cour retient, en troisième lieu, que les indications relatives au contingent equity contenues dans le 5ème tiret du paragraphe 17 de la décision attaquée sont formulées avec de nombreuses précautions oratoires (chiffre dépendant des discussions avec IUK, existence de plusieurs scénarii envisagés, paramètres à confirmer ultérieurement, à la fin du processus...) et qu'elles constituent des « postulats » dépourvus de valeur informative, d'autant qu'elles sont indiquées en complément de propos précédemment tenus sur le sujet (mentionnés au paragraphe 15 du présent arrêt et non évoqués dans la décision attaquée), selon lesquels l'un des engagements d'EDF porte sur le contingent equity, qui sera plafonné et « dont le montant reste à définir » (soulignement par la Cour).

96.Ces précautions oratoires peuvent utilement être rapprochées des indications contenues dans le paragraphe 17 du présent arrêt, lesquelles, en réponse elles aussi à une question (sur le financement de la dette à 55 %), sont énoncées sur un mode particulièrement hypothétique (caractère prématuré de la communication des hypothèses en raison des discussions en cours, nécessaire clarification et confirmation à venir...)

97.Il peut être constaté, par ailleurs, que le directeur exécutif EDF en charge des finances ponctue, à ce stade de la conférence d'analystes, ses propos de « là encore » et « encore une fois », renvoyant ses interlocuteurs aux informations déjà communiquées et signifiant qu'aucune précision complémentaire ne peut utilement être apportée.

98.La Cour observe, en quatrième lieu, qu'à aucun moment, la question du phasage de l'appel de la dette garantie n'est évoquée. Il est seulement indiqué, en réponse à la question sur la forme des dépenses d'investissement (voir paragraphe 16 du présent arrêt) : « ce qui est important pour EDF c'est avant tout la forme d'équité des tirages ».

99.Il se déduit de ce qui précède que même si le terme « éligibilité » n'a pas été employé lors de la conférence d'analystes du 21 octobre 2013, il ne ressort pas des propos tenus lors de celle-ci que les termes et conditions de l'octroi de la garantie Infrastructure UK étaient connus, ne serait-ce que partiellement, à cette date.

100.Il a été expressément indiqué, à l'inverse, que des discussions étaient en cours avec IUK, lequel procédait à un processus complet de vérification préalable.

101.Il s'en suit que les annonces intervenues le 21 octobre 2013, suite à la publication du premier communiqué de presse et à la conférence d'analystes, se limitaient donc, pour la partie financement par dette garantie, à annoncer que le projet était éligible au programme britannique de garantie de financement pour les infrastructures et que des due diligences allaient être réalisées par IUK.

D. Les annonces contenues dans le communiqué de presse du 8 octobre 2014 s'agissant de la garantie IUK au regard des annonces du 21 octobre 2013

102.La société EDF fait valoir qu'aucun changement significatif, en termes d'exposition au risque des actionnaires au regard des annonces du 21 octobre 2013, n'est intervenu en 2014.

103.Elle explique d'abord que le financement par l'engagement d'un capital contingent était prévu mais que son montant n'était pas déterminé en 2013, les prévisions sur ce point étant purement internes et n'ayant pas été communiquées au marché, de sorte que celui-ci ne pouvait être trompé par l'évolution du montant envisagé. Elle ajoute que les clauses BCC et FFS ne remettaient pas en cause l'existence de la garantie ' qui a d'ailleurs été effectivement signée ultérieurement ' et n'avaient, au 8 octobre 2014, aucun effet sur l'exposition au risque des actionnaires, qui restait limitée au montant total du capital de base et du capital contingent, la seule conséquence de ces clauses étant de modifier le « phasage » d'appel à la dette et au capital, ce qui ne constituait pas un changement par rapport aux annonces du 21 octobre 2013.

104.EDF soutient qu'au 8 octobre 2014, elle n'avait aucune raison de considérer que ces deux conditions ne seraient pas remplies, un report du lancement d'exploitation de la centrale EPR de Flamanville à 2017, toujours compatible avec ces clauses, n'ayant été annoncé que le 18 novembre 2014 et les anomalies affectant la cuve de cet EPR n'ayant été connues que le 7 avril 2015.

105.Les éléments susceptibles de modifier substantiellement le schéma envisagé ne sont apparus, selon elle, qu'en 2015. Elle explique que, contrairement à l'analyse rétrospective à laquelle se livre la Commission des sanctions, les éléments à disposition d'EDF au début du mois d'octobre 2014 ne lui permettaient pas de considérer que les exigences du gouvernement britannique entraînaient une augmentation conséquente de l'exposition des actionnaires au regard des fonds propres à engager ni qu'ils étaient susceptibles d'impacter l'attractivité du projet pour les investisseurs financiers. EDF ajoute que la décision de modifier le mode de financement n'est devenue une information suffisamment précise qu'au mois de septembre 2015, comme en a décidé la Commission des sanctions dans le cadre de l'examen du second grief notifié à EDF (paragraphes 110 et 111 de la décision attaquée), et que cette décision présente donc une contradiction manifeste en retenant qu'EDF aurait dû informer le marché du risque de modification du schéma de financement du projet HPC en octobre 2014.

106.Elle en déduit, en citant en soutien des extraits de la présentation faite à l'Agence des participations de l'État le 4 novembre 2014 et de la présentation du projet HPC faite au nouveau PDG le 8 décembre 2014 versées au dossier, que jusqu'à la fin de l'année 2014, EDF a continué de faire avancer ce projet sur la base de la structure communiquée le 21 octobre 2013.

107.M. [G] fait valoir qu'aucun changement significatif n'est intervenu entre le 21 octobre 2013 et le 8 octobre 2014. Il explique qu'il est erroné d'affirmer que la modification de l'ordre de tirage du capital et de la dette, en cas de non-satisfaction des clauses BCC et FFS, constituait un changement significatif ayant un impact sur le schéma de financement car, premièrement, il ne s'agissait pas d'un réel changement par rapport à ce qui était envisagé en 2013, le lien entre le projet HPC et les projets d'EPR à [Localité 15] et à [Localité 17] étant de notoriété publique, deuxièmement, la satisfaction des conditions prévues par ces deux clauses avant le 31 décembre 2020 paraissait à cette date hautement probable pour EDF, les retards affectant la construction de la centrale de Flamanville n'ayant été connus que postérieurement le 7 avril 2015 et, troisièmement, au 8 octobre 2014, la garantie était encore en discussion avec le gouvernement britannique et rien n'était figé, ces négociations s'étant poursuivies jusqu'au 21 octobre 2015.

108.Il fait notamment, sur ce point, référence à une présentation faite au conseil d'administration de la société EDF le 10 mars 2015 (pièce [G] n° 12 p.3) évoquant les « 1000 pages des contrats de la garantie IUK » en cours de discussion et mentionnant « plusieurs clauses de la garantie IUK restent à négocier, notamment la clause relative aux restrictions sur la dette liées à la mise en service de [Localité 15], le montant de l'engagement en capitaux propres et le support crédit associé ».

109.Il soutient également qu'il n'y avait aucune modification de l'exposition des actionnaires par rapport aux annonces du 21 octobre 2013, le risque des actionnaires demeurant limité au montant de leur apport, égal à la somme du capital de base et du capital contingent, le montant de ce dernier n'ayant pas été communiqué au marché en 2013. Enfin, M. [G] considère qu'il n'est pas démontré que l'introduction des clauses BCC et FFS ou le montant du capital contingent exigé aient pu avoir un impact sur l'attractivité du projet pour les investisseurs financiers.

110.L'Autorité conteste ces argumentaires, reprenant en substance l'analyse de la Commission des sanctions (rappelée paragraphe 40 à 43 du présent arrêt). Elle soutient que l'ajout des clauses suspensives BCC et FFS et l'exigence d'un montant conséquent de capital contingent avaient des conséquences importantes. Elle fait aussi valoir que loin de remettre ne cause l'existence de modifications significatives intervenues au cours de l'année 2014, M. [G] a, lors de son audition par les enquêteurs le 16 mars 2017, présenté la garantie comme susceptible d'être la variable d'ajustement permettant, lors des négociations, de maintenir le CfD dans les conditions annoncées en octobre 2013, ce qui a été également la position de directeur général d'EDF Energy lors de son audition par les enquêteurs le 28 juin 2017 (« quand nous avons négocié en 2014 avec Bruxelles, il y avait deux piliers, le pilier principal, le CfD et le second pilier, périphérique, la garantie sur la dette par IUK. (...) Notre objectif était que le pilier n°1, le CfD, sorte intact de la négociation et que le second pilier, la garantie IUK soit, le cas échéant et si nécessaire, la matière sur laquelle on pouvait ajuster le curseur » - pièce de M. [G] n° 9).

111.Le ministère public souligne que si l'information imprécise n'est plus expressément visée par le règlement MAR, elle n'en demeure pas moins sanctionnable dès qu'elle est parcellaire, ambigüe et équivoque. Il soutient que le communiqué de presse du 8 octobre 2014 présentait un caractère parcellaire au vu des modifications intervenues.

Sur ce, la Cour,

112.L'article 632-1 du règlement général de l'AMF, dans sa version en vigueur du 15 juin 2014 au 23 septembre 2016 applicable au moment des faits, dispose :

« Toute personne doit s'abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ».

113.L'article 12 (1) (c) du Règlement MAR prévoit que ces informations :

« fixent ou sont suceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d'un ou plusieurs instruments fianciers ».

114.Il est reproché à la société EDF et à M. [G] d'avoir communiqué, en méconnaissance de ces dispositions, à la suite de l'annonce le même jour par la Commission européenne de la validation du mécanisme de CfD et de la garantie du Trésor Britannique sur la dette au regard de la réglementation européenne sur les aides d'État, une information fausse ou trompeuse dans son communiqué de presse du 8 octobre 2014, selon lequel « (...) suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés (...) », au regard des changements très significatifs intervenus sur les caractéristiques de la garantie du Trésor britannique à hauteur de 65 % de la dette dans le schéma de financement annoncé le 21 octobre 2013 et, de leurs conséquences obligeant EDF à reconfigurer le financement, soit au travers du maintien de la déconsolidation, mais avec un report de la décision finale d'investissement, soit par un schéma de consolidation intégrale.

115.La Commission des sanctions a constaté, au paragraphe 38 de la décison attaquée, que les clauses BBC et FFS, ansi que le capital contingent de 8 milliards d'euros, imposés par le Trésor britannique dans le cadre de son audit postérieurement au 21 octobre 2013, ne remettaient pas en cause l'éligibilité du projet à la garantie britannique.

116.Or, la Cour a retenu que les annonces intervenues le 21 octobre 2013, suite à la publication du premier communiqué de presse et à la conférence d'analystes, se limitaient, pour la partie financement par dette garantie, à annoncer que le projet était éligible au programme britannique de garantie de financement pour les infrastructures, selon des conditions et termes à définir, et que des due diligences allaient être réalisées par IUK.

117.Aucun changement quant à cette éligibilité n'est intervenu entre le premier et le second communiqué.

118.Il est constant, en outre, que les conditions et termes de la garantie britannique n'étaient, le 8 octobre 2014, toujours pas arrêtées, les négociations s'étant poursuivies jsqu'à l'année suivante. À cette date, l'information communiquée le 21 octobre 2013 sur cette garantie ne pouvait donc être considérée comme une information incomplète ou trompeuse.

119.En conséquence, l'annonce, dans le second communiqué (dont l'objet était d'aviser le marché de l'approbation par la Commission européenne des accords relatifs au projet de centrale nucléaire HPC), que « suite à la décision de la Commission, les principaux éléments des accords d'octobre 2013 restent inchangés », ne constitue pas la diffusion d'une fausse information, faute de démonstration du caractère inexact, imprécis ou trompeur de l'information communiquée.

120.Il se déduit de tout ce qui précède que l'une des conditions du manquement n'étant pas réunie, ce dernier n'est pas caractérisé à l'égard des auteurs du recours.

121.Il y a en conséquence lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et prétentions des parties, d'ordonner l'annulation de la décision de la Commission des sanctions en ce qu'elle a considéré ce manquement constitué, prononcé une sanction à l'égard de la société EDF et de M. [G] et ordonné la publication de la décision sur le site internet de l'Autorité.

122.Par suite, il convient de rejeter le recours incident en réformation formé par le président de l'Autorité des marchés financiers aux fins d'aggravation du quantum de la sanction pécuniaire infligée au titre de ce manquement.

123.Cette annulation est sans effet sur la mise hors de cause de M. [J] [N] ordonnée le 28 juillet 2020 et sur laquelle ne portent pas les recours.

II. L'APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DÉPENS

124.Il n'y a pas lieu, en équité de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

125.Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DIT que l'information contenue dans le communiqué du 8 octobre 2014 d'EDF ne présente pas de caractère inexact ou trompeur au sens de l'article 632-1 du règlement général de l'Autorité ;

En conséquence,

ANNULE la décision de la Commission des sanctions, sauf en ce qu'elle a mis hors de cause M. [J] [N] ;

REJETTE le recours incident formé par le président de l'Autorité des marchés financiers ;

DIT N'Y AVOIR LIEU à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.

LA GREFFIERE

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE

Brigitte BRUN-LALLEMAND


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 20/13804
Date de la décision : 30/06/2022
Sens de l'arrêt : Annulation

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-30;20.13804 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award