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29/06/2022 | FRANCE | N°21/06171

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 29 juin 2022, 21/06171


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRET DU 29 JUIN 2022



(n° 120/2022, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/06171 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNFF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2021 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème - chambre - 3ème section - RG n° 17/06462

Jonction avec le dossier 21/08709





APPELANTES



S.A. MANITOU BF

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le numéro 857 802 508

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRET DU 29 JUIN 2022

(n° 120/2022, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/06171 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNFF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2021 - Tribunal Judiciaire de PARIS - 3ème - chambre - 3ème section - RG n° 17/06462

Jonction avec le dossier 21/08709

APPELANTES

S.A. MANITOU BF

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le numéro 857 802 508

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée et assistée de Me Michel ABELLO de la SELARL LOYER & ABELLO, avocat au barreau de PARIS, toque : J049

Société J.C. BAMFORD EXCAVATORS LIMITED

Société de droit anglais

Immatriculée au registre des sociétés d'Angleterre et du Pays de Galles sous le numéro 561597

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

LAKESIDE WORKS,

ROCESTER, UTTOXETER STAFFORDSHIRE ST14 5JP

ROYAUME-UNI

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Sabine AGE de la SELARL VERON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0024

INTIMEES

S.A. MANITOU BF

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTES sous le numéro 857 802 508

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée et assistée de Me Michel ABELLO de la SELARL LOYER & ABELLO, avocat au barreau de PARIS, toque : J049

Société J.C. BAMFORD EXCAVATORS LIMITED

Société de droit anglais

Immatriculée au registre des sociétés d'Angleterre et du Pays de Galles sous le numéro 561597

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

LAKESIDE WORKS,

ROCESTER, UTTOXETER STAFFORDSHIRE ST14 5JP

ROYAUME-UNI

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Sabine AGE de la SELARL VERON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0024

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère

Mme Deborah BOHEE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Deborah BOHÉE, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS ET DU LITIGE

Les sociétés J.C. BAMFORD EXCAVATORS LIMITED, ci-après la société BAMFORD, et MANITOU BF, ci-après la société MANITOU, sont spécialisées notamment dans la conception et la fabrication de machines industrielles et agricoles, de travaux publics et de levage.

La société BAMFORD, est notamment titulaire des deux brevets européens suivants:

- un brevet n° 1 532 065, déposé le 2 juillet 2003, sous le n° 03763963.0, sous priorité britannique GB 0216204 du 12 juillet 2002, ayant pour objet un « système de commande pour appareil de manipulation de charge » (ci-après le brevet « EP 065 ») ; ce brevet a été maintenu sous une forme modifiée suite à la décision de la chambre de recours de l'Office Européen des Brevets (OEB) du 30 mars 2017 statuant sur opposition; la Grande Chambre de recours de l'OEB a, le 4 mars 2019, rejeté pour irrecevabilité la requête en révision dont elle a été saisie ;

- un brevet n° 2 263 965, intitulé « procédé pour la commande d'une machine de travail », déposé le 17 mai 2010, sous le n° 10162996.2, sous priorité britannique GB 0910617 du 19 juin 2009 (ci-après le brevet « EP 965 »).

Ces deux inventions sont mises en oeuvres par la société BAMFORD dans un système «Adaptive Load Control» visant à améliorer la productivité des machines tout en assurant la sécurité des opérateurs et de leur environnement et concernent plus spécifiquement les engins de levage présentant un risque de balancement longitudinal.

Plusieurs procédures ont été initiées par la société BAMFORD contre la société MANITOU en France, au Royaume-Uni et en Italie en contrefaçon de ses brevets européens EP 065 et EP 965.

En France, la procédure a été introduite par assignation du 5 mai 2017, puis la société BAMFORD, autorisée par ordonnance du 2 juin 2017, a fait réaliser dans les locaux de la société MANITOU, les 16 et17 juin 2017, une saisie contrefaçon à l'occasion de laquelle ont été saisies notamment des notices, des fiches techniques et des brochures commerciales.

Par décision du 5 octobre 2017, le juge des requêtes a dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 2 juin 2017 ; cette décision a été infirmée en appel, par un arrêt du 27 mars 2018, cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt en date du 27 mars 2019.

La cour d'appel de renvoi a, le 6 novembre 2020, définitivement rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon, fondée sur le prétendu défaut d'impartialité des conseils en propriété industrielle ayant assisté l'huissier.

Par ailleurs, selon deux ordonnances des 5 octobre et 21 décembre 2017, le juge des référés et le juge de la mise en état ont respectivement débouté la société BAMFORD de ses demandes de communication d'informations et d'expertise.

Saisi d'une demande d'interdiction provisoire, le juge de la mise en état a, par ordonnance en date du 31 janvier 2019, dit « dépourvus de sérieux les moyens de défense aux fins de nullité manifeste de la partie française » des brevets européens EP 065 et EP 965 de la société BAMFORD, considéré que l'atteinte vraisemblable au brevet EP 065 n'était pas suffisamment démontrée mais que l'était, en revanche, celle au brevet EP 965 notamment dans ses revendications 1 et 13, et en conséquence, ordonné à la société MANITOU de cesser immédiatement sous astreinte toute fabrication, offre en vente ou location, détention et utilisation des machines comportant le dispositif LLMC dans sa seule « Configuration 1 ». La société MANITOU a interjeté appel-nullité de cette ordonnance, appel dont elle a été déboutée par la cour d'appel de Paris le 13 décembre 2019.

Puis, par jugement rendu le 26 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a rendu la décision suivante :

- DIT nulles pour défaut d'activité inventive les revendications 1 à 7,11 et 12 de la partie française du brevet EP 1 532 065 dont est titulaire la société J .C . BAMFORD EXCAVATORS Limited ;

- DIT nulles pour défaut de nouveauté les revendications 1 et 13 et pour défaut d'activité inventive les revendications 2 à 4 et 6 à 10 de la partie française du brevet EP 2 263 965 dont est titulaire la société J .C .BAMFORD EXCAVATORS Limited ;

- DIT que la présente décision, une fois définitive, sera transmise à l'INPI pour être inscrite au registre national des brevets à l'initiative de la partie la plus diligente, et aux frais de la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited ;

- DIT nulle la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société MANITOU BF, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes ;

- ORDONNE en conséquence :

- la restitution des éléments saisis, qu'ils soient en possession de l'huissier instrumentaire, de la société J .C. BAMFORD EXCAVATORS Limited, de ses conseils ou de toute autre personne à qui ces éléments ont été communiqués,

- la destruction par la société J .C. BAMFORD EXCAVATORS Limited du procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 et de l'ensemble des copies des éléments saisis, à ses frais,

- l'interdiction à la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 -17 juin 2017, ainsi que l'ensemble des éléments saisis ;
1: Mise en gras et italique ajoutée par la cour

- DIT que la société MANITOU BF SA., en fabriquant, offrant, mettant dans le commerce, vendant, utilisant, important, exportant ou détenant aux fins précitées les machines référencées MT1440, MT1840 et MLT 733-105 dans la Configuration 1 a commis des actes de contrefaçon des revendications 8 et 9 de la partie française du brevet EP l 532 065 dont est titulaire la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited ;

en conséquence,

- FAIT INTERDICTION à la société MANITOU BF S.A. directement ou indirectement par toute personne physique ou morale, de fabriquer, d'offrir, mettre sur le commerce ou vendre, d'utiliser, d'importer, d'exporter ou détenir aux fins précitées, sur le territoire français, des engins reproduisant les caractéristiques des revendications 8 et 9 de la partie française du brevet EP 1 532 065, et ce sous astreinte de 1 000 (mille) euros par jour de retard, passé le délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, l'astreinte courant sur six mois ;

- SE RÉSERVE la liquidation de l'astreinte précitée ;

- CONDAMNE la société MANITOU BF S.A. à payer à la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited la somme de 150 000 (cent cinquante mille) euros en réparation de son préjudice moral et commercial ;

- DÉBOUTE la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited de ses demandes de publication judiciaire, rappel et destruction, production forcée de documents et expertise judiciaire ;

- CONDAMNE la société MANITOU BF S.A. à verser à la société la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited la somme de 50 000 (cinquante mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la société MANITOU BF S.A. aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Marina Cousté, par application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la destruction du procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 mars 2017.

La société J.C. BAMFORD EXCAVATORS a interjeté appel de ce jugement le 8 avril 2021 enregistré sous le N° de RG 21/6171 et la société MANITOU le 4 mai 2021, enregistré sous le n° de RG 21/8709, les deux instances ont été jointes par ordonnance du 28 septembre 2021 et instruites sous le N° de RG 21/6171.

Les parties se sont accordées pour constituer un huissier séquestre s'agissant des éléments originaux saisis à l'occasion de la saisie contrefaçon, dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Paris.

La société MANITOU a fait assigner à bref délai la société BAMFORD devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris le 29 juin 2021 en fixation d'une astreinte relative aux mesures de destruction et d'interdiction d'utilisation des copies des éléments issus de la saisie contrefaçon qui a sursis à statuer sur les demandes suivant jugement 23 août 2021, dans l'attente de la décision du Premier président saisi par la société BAMFORD d'une demande en arrêt de l'exécution provisoire du jugement.

Par arrêt du 28 octobre 2021, le Premier président a rejeté cette demande considérant que la preuve du risque de conséquences excessives n'était pas rapportée au motif notamment que les originaux des éléments saisis pourront faire l'objet d'une production volontaire ou forcée selon la décision de la cour d'appel.

Par jugement du 1er mars 2022, le JEX a notamment:

- rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société BAMFORD,

- assorti l'interdiction d'utiliser ou de communiquer le procès-verbal de saisie contrefaçon et les pièces saisies dans ce cadre, d'une astreinte provisoire de 1000€ par document et par jour d'utilisation ou de communication jusqu'au retrait des pièces litigieuses pièces,

- assorti l'obligation de détruire l'ensemble des copies des éléments saisis d'une astreinte provisoire de 1000€ par document et par jour, à compter d'un mois suivant la signification de la décision,

- déclaré irrecevables les demandes de la société MANITOU tendant à voir ordonner à la société BAMFORD de ne pas communiquer et ne pas utiliser dans l'avenir le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les éléments saisi et de détruire elle-même l'intégralité des copies des documents saisis et des pièces annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon.

Enfin, la société BAMFORD a introduit un incident le 5 novembre 2021 sollicitant du conseiller de la mise en état l'autorisation à titre provisoire d'obtenir une copie des éléments saisis lors de la saisie-contrefaçon réalisée dans les locaux de la société MANITOU les 16 et 17 juillet 2021, ainsi que le procès-verbal de saisie contrefaçon et de les utiliser au cours de la procédure d'appel.

Par ordonnance rendue le 11 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a statué en ces termes:

- Nous déclarons incompétent au profit de la cour d'appel de Paris (chambre 5-1) pour examiner les demandes de la société J. C. BAMFORD EXCAVATORS Limited tendant à l'autoriser à obtenir les originaux des pièces annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 et une copie de ces pièces, séquestrés auprès de Maître [X] [W], huissier de justice et à utiliser le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les pièces annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 dans la procédure d'appel tant pour demander l'infirmation du jugement en ce qu'il a annulé les opérations de saisie-contrefaçon que pour démontrer la contrefaçon des brevets qu'elle invoque au soutien de la contrefaçon ;

- Fixons, pour ce faire, une audience de plaidoirie intermédiaire fixée au 11 mai 2022 portant spécifiquement et uniquement sur les chefs du jugement relatifs à l'annulation de la saisie-contrefaçon et aux mesures subséquentes de restitution, destruction et interdiction,
2: Soulignement ajouté par la cour

- Disons n'y avoir lieu, en l'état, d'ordonner un sursis à statuer,

- Disons que le dossier sera rappelé à la mise en état du 1er février 2022 pour examen de la clôture,

- Réservons les dépens,

- Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions n°5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 28 mars 2022 par la société BAMFORD, appelante et intimée incidente, qui demande à la cour, de:

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé nulle la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société Manitou, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes ;

- ordonné :

- la restitution des éléments saisis, qu'ils soient en possession de l'huissier instrumentaire, de la société JCB, de ses conseils ou de toute autre personne à qui ces éléments ont été communiqués ;

- la destruction par la société JCB du procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 et de l'ensemble des copies des éléments saisis, à ses frais ;

- l'interdiction à la société JCB d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017, ainsi que l'ensemble des éléments saisis ;

- ordonné l'exécution provisoire des mesures de restitution et d'interdiction précitées ;

- dire mal fondés les autres moyens de nullité de la saisie-contrefaçon invoqués par la société Manitou ; la débouter de sa demande à ce titre ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

A titre principal :

- Juger valable la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société Manitou, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes ;

- Autoriser la société JCB à utiliser le procès-verbal de saisie-contrefaçon et les pièces annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 pour démontrer la contrefaçon des brevets;

A titre subsidiaire :

- Juger valable la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société Manitou, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes au moins partiellement, pour les diligences accomplies avant 21h, et annuler seulement les diligences réalisées après 21h ;

A titre plus subsidiaire :

- Juger valable la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société Manitou, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes à l'exception de la précision de Madame [Y] selon laquelle « le manuel d'atelier correspond chez Manitou au manuel opérateur et que le manuel d'utilisation correspond chez MANITOU à la notice d'instruction »,

En tout état de cause :

- Débouter la société Manitou de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner la société Manitou à payer à la société JC Bamford une somme totale de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire ;

- Condamner la société Manitou aux entiers dépens et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions n°5 remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 avril 2022 par la société MANITOU, intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de:

- Donner acte à la société MANITOU qu'elle maintient l'intégralité de ses demandes formulées dans ses conclusions d'appel n°4 signifiées le 28 mars 2022 et se réserve de les compléter ultérieurement ;

Confirmer le jugement du 26 février 2021 en ce qu'il a :

- DIT nulle la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société MANITOU BF, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes, par confirmation ou substitution de motifs ;

- ORDONNE en conséquence les mesures de :

o restitution des éléments saisis, qu'ils soient en possession de l'huissier instrumentaire, de la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited, de ses conseils ou de toute autre personne à qui ces éléments ont été communiqués,

o destruction par la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited du procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17juin 2017 et de l'ensemble des copies des éléments saisis, à ses frais,

o interdiction à la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16-17 juin 2017, ainsi que l'ensemble des éléments saisis ;

Y ajoutant

- Assortir lesdites mesures de restitution et de destruction d'une obligation à la charge de J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited d'en fournir la preuve de la restitution et de la destruction à ses frais,

- Assortir lesdites mesures et obligation d'une astreinte provisoire de 1.000 euros par document et par jour d'utilisation ou de communication ou d'absence de preuve de restitution et de destruction, à compter d'un délai de quinze jours de la signification de l'arrêt à intervenir,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- Débouter la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS de ses entières demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS LIMITED à verser à la société MANITOU BF la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, quitte à parfaire, et à tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Michel ABELLO, en application de l'article 699 du même code.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon des 16 et 17 juin 2017:

Pour soutenir la nullité des opérations de saisie contrefaçon, la société MANITOU met en avant d'abord l'atteinte portée à ses droits de la défense, rappelant qu'elles se sont déroulées durant 18 heures ininterrompues dans ses locaux, ce qui représente une contrainte disproportionnée exercée sur ses salariés, en l'absence de besoin légitime de poursuivre au delà des horaires d'ouverture, alors que l'huissier de justice avait été autorisé à les suspendre par le juge des requêtes et que ses salariés ont pleinement collaboré avec lui, aucune raison ne justifiant qu'il notifie le procès-verbal aussi tard dans la nuit. Elle souligne en outre le caractère indissociable des diligences de l'huissier de justice et de leur rédaction pour solliciter l'intégralité de la nullité des opérations de saisie.

Elle soutient ensuite que ces opérations n'ont pas davantage respecté les horaires légaux applicables, seul l'article 508 du code de procédure civile ayant vocation à régir les horaires d'une saisie et non les dispositions de l'article L.141-1 du code des procédures civiles d'exécution, de sorte que ces derniers ont été dépassés de plus de cinq heures, sans que l'huissier de justice justifie de la nécessité de ce dépassement.

La société MANITOU ajoute que l'huissier de justice a apporté lors des opérations de constat un document non autorisé par le juge des requêtes, soit une liste détaillée et pré-rédigée de documents dont il a demandé la transmission, pièces qui ont dépassé le périmètre de sa mission et qui ont eu pour objet, selon elle, de provoquer des déclarations des saisis concernant la réalisation des actes de contrefaçon qu'il n'aurait pas obtenues spontanément.

Enfin, l'intimée reproche à l'huissier de justice d'avoir apporté un multimètre dont il ne peut garantir la fiabilité, propriété de la société BAMFORD, ce qui vicie les mesures ainsi opérées et la partie du procès-verbal les concernant.

La société BAMFORD soutient, quant à elle, que l'huissier de justice mandaté a respecté tant l'ensemble des dispositions légales s'imposant à lui que les termes même de l'ordonnance du 2 juin 2017 rendue par le juge des requêtes organisant les opérations de saisie et notamment la possibilité d'oeuvrer après les horaires d'ouverture des locaux, si besoin est. Elle souligne que l'ensemble des droits de la défense de la société MANITOU a ainsi été respecté. Elle ajoute que la suspension de la saisie contrefaçon, qui n'a jamais été sollicitée par l'intimée, n'était pas justifiée, puisque les constatations autorisées et opérées étaient terminées à 22h20 le 16 juin. Elle sollicite, en tout état de cause, si la cour devait confirmer sur ce point la décision du tribunal, que seules les diligences réalisées après 21h00 soient écartées du procès-verbal de saisie contrefaçon.

Elle ajoute que les opérations de saisie ont débuté dans les délais imposés par la loi et que si elles se sont poursuivies après 21H00, c'est uniquement en raison de la décision du juge des requêtes qui l'a expressément autorisé et du comportement de la société MANITOU qui n'a pas coopéré avec l'officier ministériel.

L'appelante rappelle que la liste des pièces en cause ne constitue qu'un résumé des documents que l'huissier de justice était autorisé à recueillir en vertu de l'ordonnance rendue par le juge des requêtes et qu'elle n'était donc pas destinée à provoquer des déclarations ni à obtenir des documents confidentiels, de sorte qu'il ne peut être soutenu que l'huissier aurait dépassé les limites de sa mission et qu'il a agi, au contraire, en totale transparence.

Enfin, la société BAMFORD rappelle que le multimètre apporté par l'huissier de justice pour procéder aux opérations de constat était autorisé et que son intégrité a été vérifiée par un tiers indépendant, soulignant que cet argument ne pourrait entraîner la nullité des opérations mais seulement remettre en cause, le cas échéant, leur caractère probant.

En vertu de l'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle, «La contrefaçon peut être prouvée par tous moyens.

A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l'absence de ces derniers.

La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou pour mettre en oeuvre les procédés prétendus contrefaisants.

Elle peut subordonner l'exécution des mesures qu'elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du défendeur si l'action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée. (...)».

La cour rappelle qu'une saisie-contrefaçon étant une mesure probatoire exorbitante du droit commun, qui permet des investigations exceptionnellement contraignantes pour la partie qui en est l'objet, les pouvoirs dévolus à l'huissier de justice sont strictement délimités par l'ordonnance autorisant la mesure. Dans ce cadre, il incombe au juge d'effectuer un contrôle de proportionnalité entre les droits du requérant et ceux de la partie saisie.

Sur ce, il ressort des mentions figurant sur le procès-verbal de saisie contrefaçon que l'huissier de justice, arrivé sur les lieux à 8h05, a débuté ses opérations le 16 juin 2017 à 9h30 au sein des locaux de la société MANITOU pour les clôturer à 2h15 du matin le 17 juin 2017, soit durant près de dix-sept heures.

Dans l'ordonnance autorisant la mesure, la cour constate que le juge des requêtes a précisé «Disons qu'il sera procédé aux opérations de saisie contrefaçon pendant les heures d'ouverture des locaux, et même après, si besoin est» et a autorisé l'huissier de justice «à suspendre ses opérations, en particulier de description, afin de les reprendre en son étude, si besoin est en présence d'un représentant de la société saisie». En conséquence si, effectivement, le juge des requêtes a autorisé l'huissier de justice à procéder à ses opérations après les heures d'ouverture des locaux, il a cependant précisé « si besoin est» et l'a également spécialement autorisé à les suspendre. Or, il ressort des mentions portées sur le procès-verbal que les opérations de démonstration sur les machines se sont achevées à 18h40 et que les derniers documents ont été remis à l'huissier de justice à 19h30, Mme [Y], directrice juridique, répondant à ce dernier à 21h30, que compte tenu de l'heure tardive et du départ de ses collaborateurs, il ne lui est pas possible de fournir les informations sollicitées relatives notamment au nombre de machines vendues en France ou à leur prix de vente, ces documents devant être transmis ultérieurement, sous réserve du secret d'affaire. Puis, l'huissier de justice mentionne avoir édité son procès-verbal à 22h20 pour le lire aux représentants de la société MANITOU et leur remettre une copie à 2h10 du matin.

Ainsi, à aucun moment, et malgré la durée objectivement longue de ces opérations et leur prolongement à une heure plus que tardive, il n'est justifié de leur nécessaire poursuite. À cet égard, la cour constate qu'il n'est démontré aucune résistance avérée ou obstruction au bon déroulement des opérations de la part de la société MANITOU justifiant une telle durée puisque les opérations de constat sur les machines ont pu débuter à partir de 10h50, que les très nombreux documents sollicités ont été remis en plusieurs fois à compter de 15h24 et que la société saisie a informé l'huissier de la mise à disposition d'un opérateur pour manipuler les machines à 16h54, alors qu'aucun prestataire extérieur ne s'était présenté suite à la demande de l'officier ministériel.

En outre, comme l'ont justement relevé les premiers juges, dès lors qu'il lui était possible, au vu de la durée de la saisie et de l'heure tardive, de suspendre les opérations pour les reprendre le lendemain, sans attendre une demande la partie saisie et sans qu'un risque de dépérissement des preuves éventuelles soit raisonnablement encouru, et alors même qu'il a constaté que son interlocutrice n'était plus en mesure de lui fournir les informations sollicitées, compte tenu de l'heure tardive et du départ de ses collaborateurs, rien ne justifie que les opérations ainsi entamées à 9h30, le 16 juin, se soient poursuivies jusqu'à 2h15 le 17 juin.

Rien ne justifie en particulier que le procès-verbal de constat ait été rédigé et soumis à la relecture du saisi après 22h20, générant une contrainte disproportionnée pour les représentants de la société MANITOU encore présents, de nature en outre à entraver les droits de la défense da la société saisie et, ce alors qu'aucune disposition légale n'imposait de lui remettre, à peine de nullité, une copie du procès-verbal immédiatement à l'issue des opérations, la société BAMFORD ne pouvant soutenir de bonne foi avoir fait respecter les droits de son adversaire en lui autorisant une relecture à cette heure aussi tardive de la nuit et après des opérations aussi longues.

En procédant de la sorte, dans le cadre d'investigations exceptionnellement contraignantes pour la partie qui en est l'objet, il convient de considérer que l'huissier de justice n'a pas strictement respecté les pouvoirs dévolus tels que délimités par l'ordonnance autorisant la mesure, en portant une atteinte disproportionnée aux droits du saisi, justifiant ainsi le prononcé de la nullité de l'ensemble des opérations de saisie contrefaçon au regard de leur caractère indissociable.

C'est en conséquence, à juste titre, que les premiers juges ont prononcé la nullité de l'ensemble du procès-verbal de saisie contrefaçon du 17 juin 2017 et ont, en conséquence, ordonné la destruction dudit procès-verbal ainsi que la restitution des éléments saisis et ont fait interdiction à la société BAMFORD d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie contrefaçon des 16-17 juin 2017, ainsi que l'ensemble des éléments saisis.

Le jugement querellé est en conséquence confirmé de ces chefs.

Sur la demande de sursis à statuer de la société MANITOU

La cour rappelle qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Or, si dans le corps de ses écritures, la société MANITOU sollicite un sursis à statuer sur la question de la contrefaçon dans l'attente d'une décision purgée de tout pourvoi sur la validité de la saisie contrefaçon, elle ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses écritures, de sorte que la cour n'est saisie d'aucune demande sur ce point, la décision de sursis n'apparaissant au demeurant nullement opportune au regard de l'ancienneté de l'affaire et de la décision déjà rendue au fond par le tribunal, malgré l'annulation de ce procès-verbal de saisie contrefaçon.

Sur les demandes de la société MANITOU relatives au prononcé d'une astreinte et d'une obligation de justification de l'exécution des mesures

La société MANITOU expose que le tribunal, s'il a ordonné les mesures de restitution, de destruction et d'interdiction, suite à l'annulation de la saisie a omis de statuer sur ses demandes d'astreinte et demande à la cour d'assortir sa décision d'une telle mesure nécessaire au regard du volume de documents concernés, de l'enjeu du litige (190 millions d'euros), de l'usage des éléments de la saisie par la société BAMFORD malgré les termes du jugement.

La société BAMFORD s'oppose à cette demande estimant s'être conformée au jugement.

Dans la mesure où le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris a déjà fait droit aux demandes de la société MANITOU formulées sur ce point dans son jugement du 1er mars 2022, la demande formulée à nouveau aux mêmes fins doit être déclarée sans objet.

- Sur les autres demandes:

La société BAMFORD, succombant sur cette partie du litige, sera condamnée aux dépens du présent appel, qui pourront être recouvrés par Maître Michel ABELLO, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de condamner la société BAMFORD à verser à la société MANITOU une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais qu'elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts dans le cadre du présent appel,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant uniquement sur la validité des opérations de saisie de contrefaçon,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- DIT nulle la saisie-contrefaçon réalisée les 16 et 17 juin 2017 dans les locaux de la société MANITOU BF, y compris le procès-verbal de saisie et toutes ses annexes ;

- ORDONNÉ en conséquence :

- la restitution des éléments saisis, qu'ils soient en possession de l'huissier instrumentaire, de la société J .C. BAMFORD EXCAVATORS Limited, de ses conseils ou de toute autre personne à qui ces éléments ont été communiqués,

- la destruction par la société J .C. BAMFORD EXCAVATORS Limited du procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 et 17 juin 2017 et de l'ensemble des copies des éléments saisis, à ses frais,

- l'interdiction à la société J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited d'utiliser ou de communiquer, quelle que soit la procédure en France ou à l'étranger, le procès-verbal de saisie-contrefaçon des 16 -17 juin 2017, ainsi que l'ensemble des éléments saisis ;

Y ajoutant,

Déclare sans objet les demandes de la société MANITOU tendant à:

- Assortir les mesures de restitution et de destruction d'une obligation à la charge de J.C. BAMFORD EXCAVATORS Limited d'en fournir la preuve de la restitution et de la destruction à ses frais,

- Assortir les mesures et obligation d'une astreinte provisoire de 1.000 euros par document et par jour d'utilisation ou de communication ou d'absence de preuve de restitution et de destruction, à compter d'un délai de quinze jours de la signification de l'arrêt à intervenir,

Condamne la société BAMFORD aux dépens du présent appel qui pourront être recouvrés par Maître Michel ABELLO conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne à la société BAMFORD à verser à la société MANITOU une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que la procédure se poursuivra selon le calendrier suivant :

- l'affaire sera plaidée à l'audience de la cour du 18 octobre 2023 à 14h00,

- l'ordonnance de clôture sera examinée lors de l'audience de mise en état du 16 mai 2023.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 21/06171
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;21.06171 ?
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