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29/06/2022 | FRANCE | N°20/175387

France | France, Cour d'appel de Paris, H4, 29 juin 2022, 20/175387


Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 29 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 20/17538 - No Portalis 35L7-V-B7E-CCX5Z

Décision déférée à la Cour : Décision du 11 août 2020 - Bâtonnier de l'ordre des avocats (ref : 735/303591)

APPELANTS

SELAS CONSEILS REUNIS
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représenté par Me Philippe TOUZET de la SELARL TOUZET BOCQUET et ASSOCIES, avoca

t au barreau de PARIS, toque : L0315, substitué à l'audience du 13 avril 2022 par Me Mathilde ROBERT de la SELARL TOUZET BOCQUET et A...

Copies exécutoires délivrées aux parties le RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 29 JUIN 2022

(no , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 20/17538 - No Portalis 35L7-V-B7E-CCX5Z

Décision déférée à la Cour : Décision du 11 août 2020 - Bâtonnier de l'ordre des avocats (ref : 735/303591)

APPELANTS

SELAS CONSEILS REUNIS
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représenté par Me Philippe TOUZET de la SELARL TOUZET BOCQUET et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0315, substitué à l'audience du 13 avril 2022 par Me Mathilde ROBERT de la SELARL TOUZET BOCQUET et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ

Monsieur [T] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représenté par Me Bruno MARGUET, avocat au barreau de PARIS, toque : J084

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Madame Estelle MOREAU, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nicole COCHET, Première présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
pour Nicole COCHET, Première présidente de chambre empêchée et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière présente à la mise à disposition.

* * * * *

M. [T] [J], avocat, a par acte sous seing privé du 13 mars 2014 à effet au 1er janvier 2014 acquis la clientèle de M.[K], avocat au sein de la société d'avocats Conseils réunis
- ci après "la Selas CR" -, exploitée par la Selas dans le cadre d'un contrat de commodat depuis 2008.
Conformément à l'une des conditions suspensives qui assortissaient ce contrat de cession, il a été conclu le même jour entre [T] [J] et la Selas CR un contrat de commodat pour la période du 1er janvier 2014 au 30 avril 2016, par lequel M. [J] cédait à titre gratuit l'exploitation de sa clientèle à la Selas qui, en retour, le rémunérait dans les conditions fixées par ledit commodat, à savoir
- une rémunération fixe annuelle de 132 000 euros hors taxes ;
- une rémunération proportionnelle évaluée en fonction de sa facturation émise, après traitements internes effectués par les associés.

Alors qu'il était initialement prévu que M. [J] devienne associé au sein de la Selas CR au30 avril 2016 en lui apportant sa clientèle dans le cadre d'une augmentation de capital, cette seconde phase ne s'est pas réalisée, et le commodat a donc perduré jusqu'à ce que le 29 novembre 2017, M. [J] informe la Selas de son intention de quitter le cabinet, un préavis au 28 février 2018 étant alors fixé, et M. [J] quittant effectivement les locaux de la Selas CR à cette date.

Le 4 mai 2018, M. [J] a saisi le bâtonnier d'un litige relatif au paiement de sommes qui lui resteraient dues au titre de sa rémunération fixe de janvier et février 2018 et de sa rémunération variable,les parties étant en désaccord sur le modalités du calcul de celle-ci.

Par décision avant dire droit du 4 janvier 2019, le bâtonnier a désigné un expert en la personne de M. [O], expert comptable près la cour d'appel de Paris, aux fins notamment
- de vérifier les coûts pris en compte pour la détermination de la marge servant de base au calcul de la rémunération proportionnelle de M. [T] [J] conformément aux termes du contrat de commodat et de ses annexes,
- de vérifier les ajustements réalisés sur le chiffre d'affaires pour déterminer la partie proportionnelle de la rémunération de M. [T] [J] conformément aux termes du contrat de commodat et de ses annexes ,
- d'établir les montants éventuellement dus à M. [T] [J] par la Selas CR ou dus à la Selas CR par M. [J],
- d'établir un rapport permettant l'arrété des comptes entre les parties.

M.[O] a déposé le 30 décembre 2019 un rapport proposant trois alternatives distinctes selon qu'étaient ou non applicables certaines stipulations contractuelles, l'expert ayant considéré que l'appréciation de la divergence d'interprétation des parties sur ce point ne relevait pas de sa mission.

Au vu de ce rapport et des prétentions et moyens présentés par les parties, le délégué du bâtonnier, par arrêté du 11 août 2020,
- a dit que si M. [J] devait être au terme du contrat de commodat rémunéré dans les mêmes conditions que les autres avocats associés du cabinet, il ne pouvait être considéré comme un associé de la Selas CR,
- a dit qu'en conséquence ne pouvaient lui être imputées des charges de structure qui n'incombaient qu'aux associés à part entière de la Selas CR,
- a constaté que la rémunération fixe de M. [J] pour février 2018 ne lui avait pas été versée,
- a condamné la Selas CR à verser à M. [J] la somme de 11 000 euros ht soit 13 200 euros ttc au titre de cette rémunération, avec intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018, date de la saisine du bâtonnier,
- a condamné la Selas CR à payer à M. [J] la somme de 84 916 euros ht due au titre du solde de sa rémunération proportionnelle de 2014 à 2018,
- a fixé le montant des frais et honoraires d'expertise à la somme de 6500 euros ttc qu'il a mise "à la charge de la Selas CR à hauteur de 4000 euros ht, et à celle de M. [J] hauteur de 2500 ht" (sic) en en prévoyant les modalités de règlement,
- a débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 4 septembre 2019, la Selas CR a formé un recours contre cette décision.

Dans ses dernières écritures communiquées en temps utile, déposées et visées par le greffe le 13 avril 2022, qu'elle soutient oralement à l'audience, la Selas CR demande à la cour
- d'infirmer la sentence arbitrale en toutes ses dispositions sauf celles concernant la fixation des sommes déjà perçues ou indûment perçues par M. [J],
- de fixer les sommes qu'elle doit à M. [J] à 11000 euros au titre de sa rémunération fixe impayée de janvier 2018, et à 48 112,14 euros au titre de sa rémunération complémentaire des exercices 2014 à 2018,
- de constater qu'il a déjà perçu au titre de sa rémunération complémentaire la somme de 47 475 euros,
- de confirmer la sentence arbitrale en ce qu'elle a reconnu que M. [J] a perçu la somme totale indue de 9830 euros dans les dossiers [G] et [R], et [C],
- y ajoutant, de condamner en outre M. [J] à lui rembourser la somme de 24000 euros dont 12000 au titre de sommes indument perçues dans des dossiers [B] et SFTC Métamorphose, et 12000 euros au titre du remboursement de frais engagés sans autorisation pour le paiement d'un tiers consultant dans un dossier [H],
- d'ordonner la compensation desdites sommes et de condamner en conséquence M.[J] à lui rembourser la somme totale de 22192, 86 euros,
- d'enjoindre à M. [J] de donner son accord à la société Arcadis pour qu'elle procède au paiement de sa facture de 3192 euros ou subsidiairement, si cette facture lui a été réglée, le condamner au remboursement de cette somme au titre des facturations opérées dans le dossier Arcadis,
- de le condamner à lui payer la somme de 23040 euros de dommages-interêts au titre des dommages qu'elle a subis,
- de le condamner à lui payer la somme de 20000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des frais d'expertise et des entiers dépens.

Dans ses dernières écritures communiquées en temps utile, déposées et visées par le greffe le 13 avril 2022, qu'il soutient oralement à l'audience, M.[J] demande à la cour
- de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la Selas CR à lui payer la somme de 13200 euros ttc au titre de sa rémunération fixe de février 2018 et celle de 84 916 euros ht soit ttc 101899, 20 euros au titre de rémunération proportionnelle,
Et se portant appelant incident
- de l'infirmer pour le surplus,
- de recevoir son appel incident,
- de l'y déclarer bien fondé,
Et statuant à nouveau,
- de condamner la Selas CR à lui payer
- 9830 euros ht soit 11796 euros ttc au titre du complément de sa rémunération proportionnelle injustement déduit en première instance,
- 107 196 euros ttc au titre de ses factures encaissées postérieurement au 28 février 2018
- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pou résistance abusive,
- 3000 euros au titre de sa quote part des frais d'expertise,
- 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'assortir les condamnations confirmées en cause d'appel des intérêts au taux légal à compter de la saisine de Mme le bâtonnier, et à compter de l'arrêt à intervenir pour les condamnations prononcées en cause d'appel.

SUR CE

La somme de 11 000 euros ht soit 13200 euros ttc réclamée par M. [J] au titre de sa rémunération fixe de février 2018, qui lui a été accordée en première instance au constat que le versement de ce fixe était prévu par le contrat de commodat sans aucune considération d'objectif, n'est plus contestée devant la cour par la Selas.
Restent donc en litige d'une part, la détermination du montant de la rémunération variable, d'autre part, les contestations relatives à la perception ou au non reversement indus de diverses sommes de part et d'autre.

Sur la rémunération variable

Le délégué du bâtonnier, en considération des termes du commodat et du rapport d'expertise, a jugé que M. [J], n'étant en aucun point du commodat considéré comme un associé, ne pouvait être tenu à une quote part de toutes les charges de structure, soulignant que le contrat prévoyait que la Selas CR procèderait " pour son propre compte, c'est à dire à ses propres frais, à l'exploitation de l'activité concédée": lesdites charges ne peuvent donc être déduites de la marge brute d'exploitation de M. [J] pour le calcul de sa rémunération, ce qui reviendrait à lui supposer, à tort, les droits et obligations d'un associé.
Il a donc exclu de cette déduction les postes correspondant à ces charges de structure, identifiés par l'expert, à savoir : le coût des locaux non occupés de la Selas, les charges d'honoraires et autres, la documentation technique, les coûts salariaux de comptabilité, les cotisations professionnelles et les intérêts et agios.
Il a estimé que la récupération d'une année sur l'autre des marges négatives ne pouvait lui être appliquée faute d'une stipulation contractuelle le prévoyant.
Il ainsi retenu, entre les trois hypothèses proposées par l'expert, le calcul chiffrant la rémunération proportionnelle de M.[J] à 142 221 euros pour les années 2014 à 2018, dont il a déduit les sommes déjà payées à ce titre pour 2015 et 2016 - 26 475 euros et 21 000 euros-.

La Selas CR conteste très fermement la solution arrêtée par le bâtonnier, considérant en premier lieu que l'expert a outrepassé sa mission en proposant une évaluation alternative de la rémunération proportionnelle due à M. [J] selon telle ou telle lecture du contrat de commodat, alors qu'il ne lui était demandé que de vérifier le calcul de cette rémunération "aux termes du commodat et de ses annexes", dispositions contractuelles qui, en l'occurrence, prévoyaient de la manière la plus claire que la rémunération de M. [J] devait être "déterminée dans les mêmes conditions que les autres associés du cabinet" : ce sont donc les modalités identiques à celles concernant les associés qui doivent lui être appliquées, comme l'ont librement choisi les contractants lors la conclusion du commodat, peu important que M. [J] n'ait pas eu ce statut d'associé.
C'est par conséquent à tort que le bâtonnier a écarté certaines charges de structure des sommes à déduire de la marge brute d'exploitation pour calculer sa rémunération, et c'est également à tort qu'il a considéré qu'il n'y avait pas lieu de lui appliquer la règle de la compensation des marges brutes négatives applicable entre associés.
Les calculs de l'expert, dans l'hypothèse qui correspond à ces stipulations du commodat - qui n'ont jamais fait l'objet de la moindre contestation par M.[J] avant son départ de la Selas début 2018 - aboutissent en réalité pour la période 2014-2018 à un montant de rémunération complémentaire limité à 48 112 euros.

M.[J] demande la confirmation de la décision dont appel en ce qu'elle a tenu compte de ce qu'il n'était pas associé pour fixer à 101899, 20 euros ttc sa rémunération variable pour les années 2014 à 2017, estimant que la thèse soutenue par la Selas CR correspond à une interprétation du commodat contraire à sa lettre et à son esprit, et que c'est son choix de lui imputer à tort ces charges de structure qui est la cause de la faible rentabilité de son activité de 2014 à 2018.

Les parties s'étant opposées devant l'expert sur la manière de calculer la rémunération variable de M. [J] compte tenu de leur lecture divergente des termes du commodat, c'est sans sortir de sa mission que l'expert a formulé des propositions alternatives permettant de répondre à la question qui lui était posée dans chacun des cas de figure possibles, renvoyant à juste titre à la compétence du juge la charge d'interpréter le contrat et d'opter, par conséquent, entre l'un ou l'autre des chiffrages proposés.

Le commodat du 13 mars 2014 qui fait la loi entre les parties prévoit en son article 5, dernier alinéa, que " Conseils Réunis rémunèrera à titre d'honoraires l'activité de M. [J] dans les mêmes conditions que les autres avocats associés du cabinet" .
Il comporte deux annexes, l'une et l'autre émargées par Me [J], la première précisant les frais demeurant à sa charge "à régler directement par ses soins"- sécurité sociale maladie, CNBF et Urssaf, frais de voiture et déplacements et frais de représentation -, dérogeant aux indications de l'article 2oselon lequel "la Selas CR procèdera pour son propre compte, c'est à dire à ses propres frais, risques et périls et sous sa propre responsabilité, à l'exploitation de l'activité concernée" , et la seconde détaillant le mode de calcul de la rémunération variable des associés.
Cette annexe précise
- en son point I b, le principe d'une rémunération proportionnelle égale à 80 % de la marge brute réalisée, celle ci correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires corrigé réalisé par le service de l'associé concerné, et le coût de ce service ;
- en son point II.1, le concept de " chiffre d'affaires corrigé" : il correspond au montant des heures facturées par l'associé et les membres de son service sous déduction d'une part des rétrocessions versées à des confrères extérieurs au cabinet ou apporteurs d'affaires, d'autre part ( point II.2) des provisions sur facturations faites dans les comptes du dernier exercice clos - il s'agit d'honoraires non recouvrés - , avec réintégration, en revanche, des reprises de provisions antérieures lorsque des facturations non recouvrées ont finalement donné lieu à un paiement effectif au cours de l'exercice ;
- en son point III.4, le calcul des coûts de l'associé concerné : le montant de sa rémunération fixe, sa quote part du coût des personnels correspondant au coût des collaborateurs et secrétaires travaillant pour lui , et sa quote part des charges réelles supportées par la Selas, calculée "selon les principes définis dans la note ci après annexée", leur déduction permettant finalement d'arriver à cette marge brute d'exploitation qui constitue l'assiette de la rémunération proportionnelle.

Il est ainsi stipulé sans ambiguité possible, que tout en n'ayant pas le statut d'associé, M. [J] doit être rémunéré de la même manière que s'il l'était, ce qui, contrairement à ce qu'il tente de soutenir, n'a rien de choquant ni d'injustifié au regard de l'esprit et de la lettre du commodat,qui était le prélude à son intégration dans la Selas, et l'on ne voit pas pour quelle raison il aurait dû lui être consenti, dans ce cadre préparatoire, une situation différente et plus avantageuse que celle qui devait devenir la sienne à compter de 2016.

M. [J] ne peut sérieusement exciper de ce que la note précisant le mode de calcul des charges de structure à répartir entre tous les associés, visée au point III-4 ne lui aurait pas été communiquée, pour prétendre qu'il ignorait les modalités de cette répartition, alors qu'ayant racheté la clientèle de M. [K] avant d'en confier l'exploitation à la Selas, il avait nécessairement eu connaissance de la totalité des éléments chiffrés de sa rémunération et par conséquent de ce que représentait cette charge.

Quant à la clause figurant au point 2o des conditions générales selon laquelle "la Selas CR procèdera pour son propre compte, c'est à dire à ses propres frais, risques et périls et sous sa propre responsabilité, à l'exploitation de l'activité concernée", elle doit céder devant la clause spéciale relative au mode de rémunération de M. [J] au titre de cette exploitation.
C'est donc à tort que la déléguée du bâtonnier a cru pouvoir décider que parce qu'il n'était pas associé, M.[J] ne pouvait nécessairement pas avoir à supporter ces charges de structure, en contradiction avec les dispositions du commodat sur le calcul de sa rémunération, étant au surplus observé que le travail très précis qu'a conduit l'expert aboutit , pour chacun des résultats concernés, au constat que la quote part des charges supportées par M. [J] est en phase aussi bien avec sa contribution au chiffre d'affaires de la Selas qu'avec sa part de rémunération totale, à l'exception de l'exercice 2016- 2017 où la scission intervenue au sein du cabinet, avec le départ de plusieurs avocats fiscalistes, a alourdi la charge à supporter par les avocats restants en même temps que les produits diminuaient, d'où une rémunération totale moindre.
Pour la même raison, M. [J] doit également supporter le report de la marge brute négative de ce même exercice sur l'exercice comptable suivant générateur, lui, d'une marge brute positive, étant précisé que ce report ne concerne évidemment que la marge négative de sa propre exploitation et qu'on ne voit pas non plus au nom de quel principe ou disposition contractuelle ce déficit de l'activité propre de M. [J] devrait être supporté par les associés, qui ont déjà à assumer le leur.

En infirmation de la décision rendue par la déléguée du bâtonnier, la cour retiendra donc le calcul de l'expert selon la première hypothèse proposée, à savoir que M. [J], assimilé à un associé pour le calcul de sa rémunération variable, doit supporter à l'égal des associés sa quote part des charges de structure, ainsi que le report des marges brutes négatives générées par sa propre activité, ce qui, tous comptes effectués, réduit à la somme de 48 112 euros le montant de sa rémunération proportionnelle sur les quatre exercices considérés, n'étant pas contesté qu'il a déjà perçu à ce même titre, en deux fois, la somme totale de 47 475 euros, soit un solde net restant dû de 637 euros.

Sur les autres réclamations et le compte final entre les parties

Le délégué du bâtonnier a fixé à 84 916 euros la somme due par la Selas CR à M. [J], en déduisant des 142 221 euros auxquels il a estimé sa rémunération variable les deux sommes déjà perçues à ce titre - 26 475 euros et 21 000 euros - ainsi que d'une somme de 9830 euros considérée comme indument perçue par M.[J].

La Selas CR estime
- que M. [J] a effectivement perçu indûment 3830 euros dans un dossier [C] et [R], et 6000 euros dans un dossierAldani.
- qu'il lui doit encore par ailleurs 12000 euros qu'il lui a fait payer dans un dossier [H], à un prétendu consultant pour de prétendues prestations qui ne correspondent à aucune diligence réelle, l'interessé s'étant engagé à user de son influence pour obtenir un avantage fiscal, soit une prestation de toute façon illégale qui en outre n'a jamais été réalisée ; la somme n'a pas été payée par le client qui a refusé de se voir imputer l'honoraire correspondant alors que la somme a bel et bien été prise en charge par la Selas.
- qu'il a encore, dans un dossier [B] et SFTC Métamorphose, effectué d'importantes diligences dont il a manifestement transféré la rémunération dans sa nouvelle structure, au nom de laquelle il a facturé 12000 euros alors qu'il était encore au sein de la Selas en fin de préavis, et il a apparemment agi de même avec une société Arcadis, qui a refusé de payer à la Selas CR une facture de 3192 euros ttc en excipant de ce qu'elle l'avait réglée par ailleurs à M. [J]. La Selas CR conteste enfin la réclamation formulée à hauteur de 107 196 euros par M. [J] au titre de prétendus encaissements de créances douteuses qu'elle aurait réalisés après son départ, ces encaissements s'étant limités à la somme de 8350 euros ht payée par Mme [G] et la demande étant de toute façon absurde, puisque les sommes en question, réglées ou non, ont déjà été incluses dans les rémunérations de M. [J], celles-ci étant calculées sur honoraires facturés et non sur honoraires encaissés.
C'est donc finalement M. [J], tous comptes faits et en considération qu'elle ne lui doit que la somme de 637 euros au titre de la rémunération variable, qui lui est redevable de la somme de 25384,86 euros.

M. [J], quant à la somme de 9830 euros déduite par le premier juge,
- conteste d'une part avoir reçu les 6000 euros correspondant à la facture [G], cette note d'honoraires ayant été établie par la Selas CR en décembre 2014 et directemnt encaissée par elle, en sorte que c'est en fait à elle de lui en reverser le montant ;
- admet d'autre part avoir encaissé par erreur 3830 euros, mais indique en avoir reversé 1100 euros à titre d'honoraires à un tiers, restant donc dû le solde soit 2509, 20 euros ttc.
Il considère que la Selas appelante n'apporte par ailleurs aucune preuve de ce que les 12 000 euros ttc relatif s aux dossiers [B] et SFTC Métamorphose auraient dû être facturés à la Selas CR, et, en ce qui concerne les 12000 euros demandés au titre du dossier [H], il rappelle que la Selas CR ayant déjà réclamé à l'indivision [H] toutes les sommes qu'elle estimait dues, ne peut plus aujourd'hui formuler à son encontre de réclamation complémentaire.
De même il demande à la cour de rejeter la réclamation qui lui est faite au titre de la somme prétendument perçue par lui de la société Arcadis - 3192 euros ttc au titre d'un contrat d'abonnement - dont la Selas a toute latittude de poursuivre le recouvrement contre celle-ci.
Il réclame en revanche le remboursement des provisions pour créances douteuses faites par la Selas CR, pour 89 308 euros ht soit 107 196,60 euros ttc, correspondant à des honoraires qu'il a facturés et qui sont réputés impayés, cependant la Selas CR ne l'a invité à l'aider aux fins de recouvrement que dans seulement deux dossiers - [H] et [G] -, ce qui laisse présumer que dans les autres dossiers, ces honoraires ont été finalement réglés.

Les demandes respectives des parties visent, de la part de la Selas CR, à récupérer auprès de M. [J] des honoraires qu'il aurait perçus indûment et, de la part de M. [J], à se voir rembourser le montant de provisions constituées du fait d'honoraires facturés restés impayés dans des dossiers sous sa responsabilité.

Quant aux demandes de la Selas CR,

- Quant aux sommes déjà déduites comme perçues indûment par M. [J] - 6000 euros dans le dossier [G] et 3830 euros pour les dossiers [C] et [R] - il n'apparaît pas que l'intimé ait contesté ces déductions de manière argumentée en première instance, et s'il les conteste aujourd'hui devant la cour, pour autant l'existence du versement indû de 6000 euros qui lui a été fait le 6 janvier 2015 dans le premier dossier est amplement établie par les pièces produites par la Selas. S'agissant de sa tentative de minorer la somme de 3830 euros qu'il a reconnu devoir au titre du second dossier en affirmant qu'il a reversé sur cette somme un honoraire de 1100 euros ht à un tiers, il ne rapporte aucun commencement de preuve d'un tel reversement.
Ces déductions opérées par le délégué du bâtonnier seront par conséquent confirmées.

- Aucune demande au titre du dossier [H] ne figure dans la décision avant dire droit du 4 janvier 2019, ni n'a été formulée en cours d'expertise, dont le rapport pourtant précis et détaillé est muet sur ce point : il s'agit dont d'un débat nouveau élevé devant la cour, qui n'a pas été soumis à l'arbitrage préalable du bâtonnier, pourtant obligatoire, et qui n'est par conséquent pas recevable à ce stade de la procédure.

- Sur l'honoraire de 12 000 euros qui serait à rembourser par M.[J] du chef des dossiers [B] et Métamorphose, point qui fait en revanche partie depuis l'origine du litige de la réclamation de la Selas - même s'il n'a apparemment pas fait l'objet d'un examen spécifique en première instance, la décision du bâtonnier ayant seulement, en son dispositif, "débouté les parties de toutes autres demandes" sans plus d'explication sur ce point dans sa motivation -, la défense de M. [J], en soutenant que la Selas ne rapporte pas la preuve que la facturation correspondante ait dû être faite à son nom, achoppe sur le fait que l'interessé ne conteste pas que cette facturation, établie en janvier 2018, procède de diligences effectuées par ses soins en amont de cette date, d'où résulte qu'étant alors encore sous préavis avec la Selas CR, c'est à celle-ci qu'aurait dû revenir le chiffre d'affaires correspondant, et non à Eltea, structure qu'il a rejointe en mars 2018 au bénéfice de laquelle la facturation a été établie.
M.[J] doit en conséquence le remboursement à la Selas CR de cet honoraire indûment perçu.

- Enfin, en ce qui concerne la demande de remboursement relative à un honoraire Arcadis, qui correspondrait à deux mois d'abonnement facturés par la Selas CR dont elle n'a pas obtenu le règlement de la part de sa cliente, le courriel d'Arcadis en date du 21 juin 2018 établit certes l'existence d'un contentieux de règlement entre elle et la Selas qui concerne un ensemble de factures, Arcadis s'estimant créditrice d'un trop perçu, mais rien ne permet d'en déduire que la somme concernée de 3192 euros reste due, ni qu'elle ait été effectivement encaissée par M. [J].
Cette demande est donc rejetée.

Quant à la demande de M.[J],
Le sort des provisions constituées par la Selas au titre des honoraires impayés en cas de recouvrement tardif est réglé par l'article II-2 de l'annexe du commodat relative à la rémunération des associés. La demande de remboursement pur et simple faite par M. [J], qui ne tient aucun compte de cette disposition, est infondée en son principe, puisque les honoraires devaient être versés à la Selas et que ceux-ci réglés ou non, ont déjà été inclus dans les rémunérations de M. [J] calculés sur honoraires facturés et non sur honoraires encaissés. Il en sera donc débouté.

Au vu de ses éléments, la cour, par infirmation partielle de la décision dont appel, compte tenu d'un dû de la Selas CR à M. [J] de 11 637 euros ht ( 11 000 + 637 ) et des remboursements à faire par M.[J] à hauteur de 21 830 euros ht ( 6000+3830+12000), arrête le compte entre les parties à la somme de 10 193 euros ht.

Sur les dommages intérêts

La Selas CR réclame à M. [J] la somme de 23 040 euros au titre de la réparation de la perte du temps passé, en faisant valoir quatre heures au minimum par dossier au taux horaire de 320 euros à tenter de recouvrer les honoraires qui lui sont dûs, précisant qu'elle a dû initier auprès du bâtonnier 18 procédures contre les clients de M. [J] à cette fin, quasiment toutes infructueuses, du fait de l'inertie voire les entraves exercées par M. [J] pour ce recouvrement.

M. [J] conteste avoir commis la moindre entrave au recouvrement des honoraires qu'il a facturés, dûs par une clientèle dont le commodat précisait que la Selas CR l'exploitait "à ses risques et périls".
Il réclame pour sa part à la Selas CR 30 000 euros de dommages intérêts compte tenu de ce qu'il considère avoir été une gestion désastreuse de sa clientèle, ajoutée à la facturation de frais indûs et au refus de lui régler sa rémunération sans justificatifs.

Chacune des parties porte sa part de responsabilité dans le contentieux lourd né de l'échec du projet d'association, et succombe partiellement en ses demandes. Dans ce contexte, il n'est pas établi que les difficultés de recouvrement d'honoraires rencontrées par la Selas CR procèdent d'un comportement fautif de M. [J], son éventuel défaut d'empressement à faire les démarches que la Selas dit lui avoir demandées ne suffisant pas à caractériser une faute de sa part, les entraves alléguées par l'appelante à cet égard n'étant pas démontrées.
De même, M. [J], s'il affirme que sa clientèle aurait été spécialement mal gérée pendant le commodat du fait de la Selas, n'en apporte aucune preuve et ne prend même pas la peine d'expliquer en quoi aurait consisté cette gestion défectueuse, ni quel préjudice effectif il aurait subi de ce fait.
Les demandes de dommages intérêts formulées de part et d'autre seront donc l'une et l'autre rejetées.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Pour ce même motif tenant à la succombance partielle de chacune des parties, il y a lieu
- de confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a partagé des dépens et rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles, le partage des frais d'expertise étant toutefois ordonné par moitié, par infirmation partielle sur ce point, soit la somme de 3250 euros ttc à la charge de chacune des parties
- d'ordonner pareillement le partage des dépens d'appel, les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour

Dit irrecevable la demande de la Selas Conseils Réunis relative au litige sur honoraires [H],

Infirme la décision dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens et rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau,

Fixe les sommes dues par la Selas Conseils Réunis à M. [T] [J] à la somme de 11 637 euros ht soit
- 11 000 euros ht au titre de la mensualité restée impayée de sa rémunération fixe,
- 637 euros ht au titre du solde impayé de sa rémunération proportionnelle pour les exercices 2014 à 2018,

Fixe les sommes dues par M. [T] [J] à la Selas Conseils Réunis à la somme de 21 830 euros ht soit
- 6000 euros ht au titre du dossier [G],
- 3830 euros ht au titre dossier [R] et [C],
- 12 000 euros au titre des dossiers [B] et Sftc Métamorphose,

Condamne M.[T] [J] à payer à la Selas Conseils Réunis la somme 10 193 euros ht soit 12 231, 60 euros ttc, par compensation entre ces dettes réciproques ,

Dit que les frais d'expertise seront supportés par moitié par chacune des parties,

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages intérêts formée par la Selas Conseils Réunis à l'égard de M. [T] [J],

Rejette la demande de dommages intérêts formée par M. [T] [J] à l'égard de la Selas Conseils Réunis,

Dit que chacune des parties conservera pour le surplus la charge de ses propres dépens,

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : H4
Numéro d'arrêt : 20/175387
Date de la décision : 29/06/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2022-06-29;20.175387 ?
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